Hommage à Célia Hart
Par Nestor Kohan le Vendredi, 12 Septembre 2008
Nous avons appris avec tristesse la disparition de Célia Hart, décédée ce dimanche 7 septembre au cours d’un accident de voiture à Cuba. La nouvelle de sa mort a été confirmée le lendemain par le journal officiel du PC cubain, « Granma », qui lui a consacré un court article. Chercheur en physique, éduquée en République Démocratique Allemande, membre du Parti Communiste Cubain, Celia Hart était la fille de deux figures historiques de la Révolution Cubaine: Armando Hart, ex-Ministre de l'Éducation et Haydée Santamaria, dirigeante du Mouvement du 26 Juillet et, plus tard, directrice de la Casa de las Americas.

Esprit libre et courageux, Celia Hart avait découvert en lisant Trotsky l'explication de la crise et de l'effondrement du prétendu «bloc socialiste». «C'est grâce à lui, au fondateur de l'Opposition de Gauche», écrit-elle, «que j'ai compris que justice sociale et liberté individuelle ne sont pas contradictoires: nous ne sommes pas condamnés à choisir entre les deux. L'écroulement du mur de Berlin et la fin de l'URSS ne signifient pas la fin du socialisme: la société socialiste, qui ne peux exister qu'à l'échelle planétaire, appartient à l'avenir, non au passé. Et si aujourd'hui la Russie, dans les mains d'une Mafia capitaliste/bureaucratique, a renié son passé révolutionnaire, le drapeau rouge avec la faucille et le marteau flotte encore sur le tombeau de Lev Davidovitch, à Coyoacan ».

Dans ses textes, Célia Hart rappelait que Julio Antonio Mella, le fondateur du Parti Communiste Cubain dans les années 1920 était proche de l'Opposition de Gauche de Trotsky et qu’Ernesto Che Guevara a saisi, mieux que personne, la dynamique de révolution permanente du processus cubain et du combat en Amérique Latine: «ou révolution socialiste ou caricature de révolution». Le Che avait trouvé, par ses propres moyens, quelques-unes des plus importantes idées du fondateur de l'Armée Rouge. «C'est Che Guevara qui a fait de moi une trotskiste», écrivait Célia Hart.

Si elle regrettait le silence sur Trotsky qui règne à Cuba, elle ne manifestait pas moins son adhésion enthousiaste à la Révolution cubaine ainsi qu'au processus bolivarien enclenché par Chavez au Venezuela. «Il n'existe pas, il ne peut pas exister, de «socialisme dans un seul pays», mais nous avons connu, au cours du XXème siècle, des authentiques révolutions socialistes, dont la cubaine est un des exemples les plus frappants». Elle voyait aussi les dangers qui menacent son avenir: «l'interpénétration de la bureaucratie avec le marché peut donner naissance à une bourgeoise prête à restaurer le capitalisme. Dans ce cas, Cuba connaîtrait le même destin que la RDA»… Elle pensait toutefois que la révolution cubaine a la possibilité de corriger ses propres erreurs, grâce à une perspective internationaliste.

En décembre 2007, une délégation de la LCR belge l’avait rencontré à Cuba et avait eu avec elle une discussion fraternelle et fructueuse.

Sa disparition constitue une perte douloureuse pour le mouvement révolutionnaire international. La LCR salue sa mémoire et adresse ses plus sincères condoléances à ses proches et à ses camarades.


Célia Hart, un ouragan militant

Par Néstor Kohan, marxiste argentin

 

C’est une perte énorme. La nouvelle nous semble presque impossible. Célia Hart Santamaria vient de mourir avec son frère Abel dans un accident de voiture à La Havane. Nous l’avons appris cette nuit. Pablo Kilberg, infatigable ami de la révolution cubaine et de Célia (ce qui revient au même), nous a appelé pour nous transmettre la triste nouvelle. Juste au moment où elle était plus indispensable que jamais. On ressent une immense impuissance. Une mauvaise sensation dans la bouche, dans la gorge, dans l’estomac.

 

Tout le monde la présente comme «la fille de». Ce n’est pas plus mal. Sa mère fut Haydée Santamaria Cuadrado (1922-1980), militante révolutionnaire, emblème et symbole de la révolution cubaine, camarade de Fidel Castro depuis les premiers jours (elle a participé à l’attaque de la Caserne Moncada), fondatrice de la « Casa de les Americas ». Son père était Armando Hart Davalos (1930-), dirigeant historique de la révolution cubaine, fondateur du Mouvement du 26 Juillet au côté de Fidel, Ministre de l’Education de la révolution et inspirateur de sa célèbre campagne d’alphabétisation. En plus de ses parents, Célia comptait dans sa famille Abel Santamaria Cuadrado (1927-1953), collaborateur politique de Fidel dès avant le coup d’Etat de Batista, il participa lui aussi à l’assaut contre la Caserne Moncada, fut pris vivant, torturé et assassiné par la dictature.

 

Mais Célia était bien plus que «la fille de» ou «la nièce de». Elle avait, elle a et aura son propre rayonnement. Qui peut en douter ?

 

J’ai connu Célia via son père. Ce fut Armando qui a insisté le plus sur la nécessité de connaître Célia. Il existait entre le père et la fille une relation très forte, affective et émotive mais aussi intellectuelle et politique. Tout écrivain, lorsqu’il écrit, mène dans sa tête un dialogue avec quelqu’un. Je peux affirmer qu’Armando était un des interlocuteurs imaginaires de Célia, tout comme Fidel Castro également. Elle avait toujours à son esprit leurs opinions au cours de ses dialogues réels ou imaginaires. Chaque fois que Célia m’écrivait, elle confessait: «j'imagine ce qu’en penserait mon père» ou «ce que doit penser Fidel de ce que je suis en train de dire» ; «je suis sûre que cela doit enchanter Fidel».

 

Je suis arrivé à Célia par l’intermédiaire d’Armando. Cela fait plus de dix ans, au milieu du désert moral et intellectuel des années ’90, pendant le règne féroce et implacable du néolibéralisme partout dans le monde. Armando Hart nous avait écrit après sa lecture d’un de nos travaux sur Marx et le tiers monde publié dans la revue de la « Casa de las Americas ». Enthousiasmé comme un enfant, il nous avait envoyé le texte d’une de ses conférences sur le « Manifeste communiste ». A l’échange de lettres et de travaux a suivi la rencontre personnelle, grâce à notre ami et camarade commun Fernando Martinez Heredia.

 

Le lien avec Armando s’est renforcé. Il nous a préfacé un livre sur le marxisme latino-américain qui n’a malheureusement pas été publié jusqu’à présent à Cuba (bien qu’il était programmé et prêt pour le faire). J’ai eu également l’honneur de préfacer l’un de ses livres sur Marx, Engels et la condition humaine. Plus tard, au cours d’une de ses visites en Argentine, Armando Hart a présenté une communication à la « Chaire Che Guevara ». Dans ces conversations avec le père, outre Marti, la Réforme universitaire, Mella, Guiteras et Fidel, Marx et Engels, le Che et Freud, on évoquait toujours aussi Célia. C'était récurrent. Armando n'a jamais caché son admiration envers elle. Il nous disait souvent «Célia est comme Haydée (la mère de Célia), mais à l'époque actuelle du postmodernisme».

 

La première fois que je l'ai vue, Célia n'a pas ouvert la discussion en parlant de la révolution latino-américaine, de Fidel, du Che, de Lénine, de Trotsky ou des bolchéviques. Pas du tout! Alors que nous avions à peine ouvert la bouche, les premiers mots qu'elle nous a adressé, avec un vaste sourire, furent « Je suis très jalouse de ta relation avec mon père ». Ainsi était-elle, terriblement ironique et tendre à la fois, profondément humaine et très attachante pour cela. L'antithèse vivante de « l'appareil » impersonnel qui transforme la politique des révolutionnaires en quelque chose de désincarné, froid, administratif, bureaucratique. Débordante d'affection, de tendresse, d'humanisme, nous pouvions discuter sur n'importe quel problème de la situation latino-américaine, de Chavez, de l'avenir de Cuba, des traîtres de Miami ou de quoi que ce soit, et au milieu de tout cela, toujours et invariablement, elle plaçait une plaisanterie, une remarque ironique ou une allusion inattendue.

 

Célia parlait, intervenait et écrivait en désacralisant, en brisant les moules et les consignes stéréotypées, en désoxydant les formes pétrifiées des discours rituels de la gauche traditionnelle. C'était un tourbillon d'idées. Elle parlait à une vitesse incroyable, parfois difficile à suivre. Elle provoquait beaucoup d'enthousiasme parmi les jeunes. J'ai pu le constater à Cuba et aussi en Argentine.

 

Au cours de ces années, nous avons discuté sur de nombreuses choses, en accord mutuel sur de nombreux points mais aussi en divergence sur d'autres. Lorsque la discussion se tendait, elle me lançait avec un sourire « Bon, tu sais que je suis physicienne de profession ». Le sourire devenait commun, nous nous relaxions et on continuait la discussion.

 

Célia a joué un rôle énorme dans la bataille des idées de cette dernière période, à l'intérieur et à l'extérieur de Cuba. Selon moi, la parole de Célia Hart a été très utile et très efficace. Elle a aidé, comme nous disons en Argentine, à « ouvrir les têtes » (« abrir las cabezas »), c'est à dire à faire penser. Célia nous à aidé à penser. Elle a provoqué le débat dans les différentes tribus de la gauche latino-américaine, nous obligeant à nous écouter mutuellement (une tâche certainement pas très facile).

 

Aux communistes traditionnels, formés dans le monde culturel de l'Union soviétique, elle les a mis dos au mur et les a obligés à abandonner leur préjugés infondés et à lire, enfin, «L'Innomable », et le « démoniaque » Léon Trotsky, tant de fois effacé des photos et des livres d'histoire par la censure et l'autocensure de plusieurs générations éduquées dans le stalinisme. Même si c'était pour le critiquer, ils ont dû se mettre à la lecture de Trotsky. L'un ou l'autre s'est montré réticent, mais la majorité a adopté une attitude plus ouverte et rationnelle, elle a pris comme un défi la position de Célia et à partir de là il a bien fallu repenser les vieux dogmes.

 

Car qui aurait pu accuser Célia de méconnaître le monde culturel et politique de l'Europe de l'est, proche de l'URSS, celui qui s'est effondré avec le Mur de Berlin alors qu'elle y a vécu des années en étudiant la physique dans l'ancienne République démocratique allemande (RDA)? Qui aurait pu accuser Célia d'être une « contre-révolutionnaire », une « cinquième colonne » elle qui non seulement admirait mais aimait également Fidel Castro?

 

Envers les trotskystes, latino-américains mais aussi européens, Célia les a troublés en leur parlant de Fidel et du Che sans langue de bois, avec des arguments politiquement rigoureux mais aussi avec amour. Elle leur a dit et répété que l'internationalisme ne se limite pas à être décliné dans des tracts et des revues universitaires ou dans la réthorique des salons, que la Révolution cubaine a envoyé près d'un demi-million de combattants internationalistes en Angola et dans toute l'Amérique latine. Célia les obligé à exiger la liberté des cinq révolutionnaires cubains emprisonnés aux Etats-Unis. Elle les a interpellés, chaque fois qu'elle le pouvait, afin qu'ils abandonnent les formules trop figées et qu'ils puissent regarder avec d'autres yeux, avec moins de préjugés, Cuba et sa révolution.

 

Dans le cas du maoïsme, certains de ses dirigeants avaient beaucoup de rancune envers Célia pour ses critiques vis-à-vis de Staline (une figure également remise en question, soit dit en passant, par Armando Hart Davalos dans un de ses travaux où il commente la fameuse biographie d'Isaac Deutscher, un auteur qu'il a fait découvrir à sa fille, alors encore très jeune). A La Havane, nous avons présenté Célia à un secrétaire général d'un parti maoïste argentin afin qu'il discute personnellement avec elle et puisse comprendre de lui-même qui elle était et comment elle pensait, au-delà de ses articles, afin de briser les préjugés.

 

Nous insistons. La grande vertu de Célia a consisté en ce que ses interventions, pas toujours planifiées ni calculées avec sérénité, ont obligé la gauche à penser. A penser! Une activité pas toujours pratiquée lorsque la prétendue « orthodoxie » du marxisme (quelle que soit la famille idéologique en question) se transforme en une rumination répétitive de phrases toutes faites, sans réflexion autonome ni pensée critique.

 

Dans le monde culturel des gauches, Célia était vue comme un drôle d'OVNI. Une « castriste trotslyste »? Une critique de la bureaucratie et du marché qui défend jusqu'à la mort la révolution cubaine? Une ardente guévariste qui n'accepte pas de participer aux hommages officiels et institutionnels envers le Che? Comment es-ce possible?

 

La position iconoclaste et, dans une certaine mesure, oecuménique de Célia ne partait pas de zéro et n'était pas non plus le produit d'une nouvelle formule alchimique. C'était un point d'arrivée. Avant qu'elle ne le popularise avec sa prose si personnelle et brillante, d'autres camarades avaient tenté de conjuguer cette synthèse des traditions culturelles et politiques distinctes.

 

Par exemple Michaël Löwy, dans son livre « La pensée de Che Guevara » en 1970 avait tenté de revendiquer le Che dans son intégrité – non seulement comme guérilléro héroïque mais aussi comme penseur marxiste de haut vol - ; défendre la révolution cubaine et promouvoir le guévarisme sans cesser de s'inspirer de Léon Trotsky, de Rosa Luxemburg, du jeune György Lukacs. Très proche de Löwy, le camarade Carlos Rossi (un pseudonyme) écrivait deux ans plus tard, en 1972, « La Révolution permanente en Amérique latine ». Rossi y analyse toute l'histoire contemporaine de notre Amérique à partir des théories du développement inégal et combiné et de la révolution permanente, tout en faisant sienne la stratégie de lutte armée à l'échelle continentale de la révolution cubaine et du guévarisme. Il s’agit là indubitablement de deux antécédents des propositions et des essais politiques de Célia.

 

Lorsque Célia nous a demandé l'année dernière, en juin 2007, de présenter en Argentine son livre « Notes révolutionnaires. Cuba, Venezuela et le socialisme international » (Buenos Aires, Fundacion Federico Engels, 2007), une collection de ses articles publiés sur internet, nous lui avons publiquement rappelé ces deux oeuvres « oubliées » qui ont précédé le livre de Célia à trente ans de distance. Loin de toute forme d'arrogance ou d'autosuffisance, que l'on rencontre parmi certains « gourous » de la gauche académique, elle ne s'en est point offensé. Elle ne prétendait pas découvrir la poudre. Avec une très grande humilité, presque exagérée, Célia a répondu qu'elle se considérait comme une « récente venue » dans le monde de la théorie politique et sociale et reconnaissait que ses positions hétérodoxes (quel que soit l'angle sous lequel on les observe) ne naissaient pas de nulle part, mais bien d'une longue tradition.

 

Telle était Célia. Ce geste l'a définissait telle qu'elle était. Elle n'avait pas besoin de se vanter de quoi que ce soit. Tout simplement parce qu'elle avait beaucoup à dire. Seuls les médiocres ont besoin de s'accrocher aux formes parce qu'ils n'ont aucun contenu propre. Ce soir là, au cours de la présentation de son livre, près de 200 jeunes remplissaient la salle. Célia a terminé en parlant appuyé sur une table entourée d'un océan de militants des diverses tribus de la gauche. Elle seule est parvenue à réunir les diverses chapelle de notre gauche si divisée après des années d'hégémonie populiste, réformiste et postmoderniste.

 

Michaël Löwy lui-même fait référence à Célia dans son dernier travail sur le Che et le guévarisme actuel. Lorsque le chercheur brésilien nous a envoyé les brouillons d'un chapitre de son livre pour avis et commentaires, nous lui avons demandé « pourquoi ne pas inclure parmi les guévaristes actuels le Front patriotique Manuel Rodriguez (FPMR) du Chili et à Célia de Cuba? Avec la même humilité, l'historien et chercheur les a inclus dans l'édition finale. Löwy y fait référence en parlant des « fougueux écrits de Célia Hart », en soulignant qu'ils se distinguent parmi les dernières expressions du guévarisme contemporain (cf. Michaël Löwy et Olivier Bensancenot: « Che Guevara: une braise qui brûle encore » París, Mille et une nuits, 2007, dans le chapitre « l'Héritage guévariste en Amérique latine, p. 153).

 

Infatigable et remplie d'enthousiasme militant, Célia écrivait toujours avec urgence. Elle envoyait ses textes à ses amis en leur demandant de faire part de leurs remarques, elle demandait à quelle page de quel livre se trouvait tel ou telle citation et nous discutions ainsi, avec franchise, avec loyauté, fraternellement, sans double langage, sans calculer des faveurs institutionnelles ou des convenances mesquines. (...)

 

Célia avait ses insistances. L'une d'elles était la nécessité d'un dialogue réel et d'unité concrète entre les diverses gauches. Non pas unité avec des fractions du pouvoir, mais bien unité des gauches, où les différences ne sont pas toujours des contradictions antagonistes.

 

Lorsque, par exemple, en septembre 2007 le Collectif Amauta et la Chaire Che Guevara ont organisé le blocage de deux avenues de Buenos Aires en faveur de prisonniers politiques, Célia n'a pas manqué à l'appel. La longue, émouvante et engagée lettre qu'elle nous a envoyée pour les prisonniers représentait avec dignité la voix de Cuba dans cette activité unitaire où ont convergé des courants très divers. Célia agissait sans tenir compte d'aucune « raison d'Etat ». Elle ne tenait nullement compte des relations diplomatiques entre l'Etat cubain et le gouvernement de Kirchner, sa préoccupation première était la situation des prisonniers politiques argentins alors en grève de la faim.

 

Plus tard, le Collectif Amauta et la Chaire Che Guevara ont lancé l'initiative d'organiser un séminaire guévariste international en juin 2008. Célia nous a à nouveau écrit pour nous raconter qu'on l'avait invité à l'inauguration d'un monument officiel en hommage au Che dans la ville de Rosario (Argentine) où des secteurs de gauche participeraient à l'événement ainsi que d'autres liés au gouvernement de Kirchner ou à des courants sociaux-démocrates locaux. Elle n'a pas accepté cette invitation et nous a expliqué qu'elle refusait de se mettre en avant en faisant appel à « son nom de famille prestigieux ». Cela ne l'intéressait pas non plus d’avoir des contacts officiels avec le gouvernement argentin. Elle a donc choisi de soutenir l'initiative du séminaire guévariste mais à partir d'un point de vue propre. Elle s'est offert d'y participer personnellement (un voyage qui n'a pas pu se concrétiser par manque de moyens financiers) et promettait en outre de batailler afin que les nombreux groupes inspirés du trotskysme soutiennent cette activité en hommage au Che et à la révolution cubaine. Nous pensions que ces organisations ne le feraient pas mais elle a insisté et est parvenue à les convaincre. (...)

 

Au cours de la dernière conversation que nous avons eu avant son dramatique accident, Célia m'avait appelé de Buenos Aires. Elle était restée quelques jours en Argentine. Lorsqu'elle m'a dit qu'elle ne pourrait pas participer cette fois-ci à la Chaire Che Guevara, je l'ai affectueusement insultée. Elle a rit et à répété ses excuses et de là la conversation a dérivé vers les problèmes de la politiques argentine et le débat latino-américain sur l'insurrection colombienne et les attaques d'Uribe. Célia avait une position bien tranchée, elle a commencé avec son enthousiasme habituel à souligner la nécessité de défendre les camarades des FARC et sur sa conviction que le gauche latino-américaine dans toutes ses variantes devrait les appuyer. Nous l'avons alors interrompue en lui rappelant que les téléphones en Argentine pouvaient être mis sur écoute par la police et qu'il ne convenait pas d'aborder ce thème de cette manière. Elle a beaucoup ri lorsque je lui ai rappelé qu'elle n'était pas à Cuba et qu'il valait mieux qu'elle reprenne les méthodes que ses parents avaient dû utiliser pour se protéger contre les forces répressives de Batista. Tel fut notre dernier dialogue, il y a à peine quelques jours.

 

Ainsi fut toujours Célia. Un tank vietnamien lancé à toute allure contre l'ambassade yankee de Saïgon, un tank soviétique prenant d'assaut le Berlin des nazis. Imparable! Rien ne l'arrêtait. Un ouragan d'énergie militante. Elle n'a jamais assumé et n'a jamais été intéressée par une quelconque fonction « honorifique » et « décorative ». Elle aurait pu vivre de manière aisée, loin de la politique, de ses noms prestigieux. Cette option ne l'a jamais effleuré. Plus encore, je suis certain qu'elle méprisait cela. Son intérêt fut toujours militant, y compris si cela lui attirait des « problèmes ». Ses mots préférés n'étaient pas « voyons quand es-ce qu'on pourra prendre quelques verres » (bien qu'on en ait bu ensemble quelques uns), elle donnait invariablement la priorité au débat politique, aux tâches, aux défis militants à l'échelle continentale mais sans perdre aucunement son humanisme quotidien.

 

Elle n'avait pas de nostalgie pour le passé, toute se volonté était tendue vers l'avenir. Peut être es-ce pour cela que Célia aimait tant Julio Antonio Mella, qui avait écrit un jour « Tout avenir ne peut être que meilleur ». Très loin géographiquement de Célia mais toujours très proche d'elle dans le coeur et dans les idéaux, nous embrassons son père Armando Hart, ses enfants et toute sa famille, ses camarades de Cuba et tous ceux et celles qui l'ont tellement aimé.

 

¡Querida compañera Celia, hasta la victoria siempre!

 

Buenos Aires, 8 septembre 2008

Traduction de l'espagnol pour le site www.lcr-lagauche.be : Ataulfo Riera

 


Hommage à Celia Hart, camarade et amie

Révolutionnaire cubaine, ardente critique de la bureaucratie et des dangers de restauration du capitalisme à Cuba, engagée dans la défense intransigeante des acquis de la révolution cubaine, internationaliste conséquente, convaincue que l’avenir de Cuba est intrinsèquement lié à celui des progrès de la révolution mondiale, Celia Hart Santamaria n’est plus. Elle est morte, le dimanche le 7 septembre à la Havane, victime d’un accident de voiture, à côté de son frère Abel, écrasée par un arbre, en plein cyclone. Elle avait 45 ans. Fille de deux dirigeants historiques de la révolution cubaine, Haydée Santamaria Cuadrado (1922-1980), camarade de Fidel Castro depuis le début, seule femme ayant pris part à l’attaque de la caserne de la Moncada, fondatrice de la Casa de las Américas, et de Armando Hart Davalos (1930), fondateur du Mouvement du 26 juillet aux côtés de Fidel Castro et de Ernesto Che Guevara, ministre de l’éducation de la révolution qui a inspiré sa célèbre campagne d’alphabétisation, Celia a poursuivie leur engagement « dans les temps du postmodernisme », comme disait son père. Étudiante de physique en Allemagne de l’Est au cours des années 1980, elle découvrit une société ossifiée, marqué par des aspirations consuméristes, tournant le dos à la révolution. Cette découverte fut un choc pour elle.

C’est alors que son père lui fit lire la biographie de Trotsky écrite par Izaac Deutscher. Elle lut ensuite avec passion les écrits de Trotsky, adopta sa théorie de la révolution permanente et son analyse de la dégénérescence bureaucratique de la révolution russe. « J’ai toujours senti que quelque chose manquait dans ma réflexion sur la révolution. C’est ce que j’ai trouvé en lisant Trotsky : j’ai découvert que justice sociale et liberté individuelle n’étaient pas antagoniques, et qu¹on n¹était pas condamné à choisir entre l’un ou l’autre, que le socialisme ne pouvait se faire sans marcher sur ses deux pieds », expliquait-elle en 2006 dans une interview donnée à Rouge (n° 2159 du 19 mai 2006). « Trotskyste pour son propre compte », Celia s’est engagée avec passion ‹ mais sans jamais perdre son sens critique ‹ aux côtés des processus révolutionnaires en cours en Amérique latine, convainque que la défense et la poursuite de la révolution n’est pas possible dans une Cuba isolé. Elle établit des contacts avec tous les courants trotskystes, elle regardait avec espoir le processus de construction du nouveau parti anticapitaliste en France. Elle prenait part à tous les débats sur les réformes nécessaires « pour démolir le socle de bureaucratie qu¹il nous reste, parce que c’est de là que peut venir le danger de la restauration capitaliste. » « ¡Revolución o Muerte ! » (La révolution ou la mort) ‹ c¹est ainsi qu¹elle terminait habituellement ses nombreux écrits. Elle est morte. Il nous reste à poursuivre son combat pour la révolution.

Jan Malewski

Voir ci-dessus