La prison? Une marchandise très lucrative…
Par David Martens le Mercredi, 31 Mars 2010

Comme bon nombre de pays la Belgique connaît une surpopulation carcérale insupportable. Les conditions de détention y constituent de plus en plus des traitements inhumains et dégradants. Les effets dévastateurs et destructeurs de l’incarcération se multiplient et touchent une population toujours plus large. Les causes principales de la surpopulation sont connues: augmentation importante de la longueur des peines prononcées, augmentation simultanée de leur nombre, recours important à la détention préventive, qui débouche sur des peines plus sévères.

Les criminologues tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme et prônent l’adoption de politiques réductionnistes en matière d’emprisonnement. Prêchent-ils donc dans le désert ? Toutes les décisions prises par Stefaan De Clerck au nom de la lutte contre la surpopulation empruntent la voie diamétralement opposée: extension et développement du recours à l’emprisonnement. Une fuite en avant dans une voie sans issue : construction de 7 nouveaux établissements pénitentiaires dans les prochaines années et location immédiate d’une prison à l’étranger! Au lieu de résoudre le problème, il l’étend à une plus grande échelle! Ou comment adopter comme solution ce qui aggrave la situation!

Une prison mondialisée

La location de la prison de Tilburg aux Pays-Bas mérite une attention particulière. Si l’on excepte les bagnes dans lesquels les puissances coloniales déportaient leurs condamnés afin d’en faire de la main d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci, pour rentabiliser leur exploitation des colonies, c’est la première fois qu’un Etat organise l’exécution de peines privatives de liberté sur le territoire d’un Etat voisin. Un nouvel aspect inattendu de la mondialisation? Est-on en train de créer un nouveau type de population déplacée, de "détenus immigrés" ou d’immigrés du Carcéroland? Des "banlieues" de la grande cité pénitentiaire?

La location de la prison de Tilburg coûte 30 millions d’Euros par an à l’Etat belge. La convention prévoit que le bâtiment est mis à disposition de la Belgique jusqu’au 31 décembre 2012, une prolongation étant possible. L’Etat belge prend ainsi à sa charge l’entretien des bâtiments mais, hormis le directeur, ce sont les Pays-Bas qui fournissent le personnel. Aucune préoccupation en termes d’emploi n’est donc associée à la démarche, du moins côté belge. Mais passe encore: on ne crée pas d’emplois à n’importe quel prix et la légitimation du système carcéral au nom d’une politique de l’emploi serait une option pour le moins perverse et contreproductive.

Embarqués de force

Et les principaux intéressés, les détenus? Le ministre de la justice annonça à la presse qu’il ferait appel à des détenus volontaires, mais la circulaire de classification pour Tilburg ne laisse de choix qu’à deux acteurs: les Pays-Bas, qui ne sont pas obligés d’accepter n’importe qui et refusent leurs propres nationaux ou ceux qui résident en ce pays, et l’administration pénitentiaire qui opère la sélection. Concrètement les transferts vers Tilburg se font comme de véritables rafles: pendant le weekend les détenus sont appelés au greffe sous un quelconque prétexte. Arrivés là ils sont conduits vers des voitures cellulaires et embarqués de force vers Wortel, puis Tilburg. Leurs affaires personnelles, mises dans des caisses, sont envoyées par la suite. Sur place, c’est la galère: cantine plus chère, visites plus difficiles, contacts avec les avocats et les services sociaux belges plus difficiles, règlement et régime carcéral plus stricts. Lever à 05h45 alors qu’il n’y a pas grand’chose à faire. En Belgique chaque prison a sa cuisine.

A Tilburg les détenus ne reçoivent pas de plats préparés frais. Chaque matin un paquet de nourriture leur est remis pour toute la journée, avec menu à réchauffer à midi dans le micro-ondes présent dans la cellule: souvent des choux et de la potée. Une bonne partie d’entre eux sont des étrangers sans permis de séjour, qui ne parlent pas le néerlandais. Les communications téléphoniques sont plus chères, au tarif international. Le travail ou la formation obtenu parfois après une longue attente dans une prison belge est perdu. Etc. Etc. Mais il en faudrait sans doute bien plus pour émouvoir (verbe qui donne pourtant le substantif émeute)…

Quand la frénésie sécuritaire et la frénésie gestionnaire s’allient, justice et liberté sont bien fragiles…

Par ailleurs les détenus sont traités comme des pestiférés par les Pays-Bas. Pas question de mettre un pied sur le sol hollandais en dehors de l’enceinte de la prison. La convention entre les deux Etats dit explicitement que si un détenu a besoin de soins médicaux qui ne peuvent être dispensés à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, le traitement a lieu dans les centres médicaux destinés à cet effet sur le territoire belge. Pas question d’envoyer un détenu dans un hôpital hollandais. L’urgence est à interpréter au sens très strict: seul "un danger de mort" permet une hospitalisation locale.

De la même façon, si un détenu peut quitter provisoirement la prison sur base d’une décision du ministre de la justice belge ou du tribunal d’application des peines belge (congé pénitentiaire ou sortie spéciale), cette sortie légale ne sera jamais exécutée sur le territoire hollandais. Le détenu sera d’abord transféré vers la Belgique. Autant dire que dans les cas d’urgence (décès dans la famille, etc.) le détenu incarcéré à Tilburg ne sera pas traité comme un détenu en Belgique et sera la plupart du temps dans l’impossibilité de se voir accorder ce à quoi il a droit et que l’autorité compétente lui octroie.

Qu’en conclure? Que fidèle à sa logique néolibérale, le gouvernement belge dilapide des millions dans une politique du tout carcéral qui sacrifie des populations sans intérêt pour la logique du marché. Que fidèle à sa logique néolibérale, le gouvernement hollandais fait désormais de la prison et de la privation de liberté une marchandise comme une autre, particulièrement lucrative.

Ce qui explique la construction effrénée de cellules de prison supplémentaires en quelques années. Un nouveau bon placement capitaliste. Un pragmatisme managérial qui fait de la prison un secteur d’activités à part entière, au même titre que le transport maritime, l’informatique ou l’électroménager. Quand la frénésie sécuritaire et la frénésie gestionnaire s’allient, justice et liberté sont bien fragiles…

Voir ci-dessus