ALG-TECTEO Liège: intercommunales publiques à la sauce privée !
Par Jean Peltier le Mercredi, 16 Février 2011

Depuis le mois octobre 2010, le personnel de l’Association liégeoise du Gaz (ALG), l’intercommunale liégeoise chargée de la distribution du gaz, est entré en action contre un projet de fusion – qui est en fait une absorption de l’ALG – avec le groupe Tecteo. Cette absorption fait planer la menace d’une remise en cause du statut, des salaires et des conditions de travail du personnel de l’ALG, mais aussi des revenus que tirent de nombreuses communes de leur participation à cette intercommunale. Mais elle montre aussi comment la libéralisation de l’énergie a conduit des intercommunales à se transformer et à se comporter de plus en plus comme des groupes privés – avec la bénédiction du PS.

Les conditions et les effets de cette fusion restent aujourd’hui très brumeux et donc très inquiétants. C’est pourquoi les délégations syndicales et les travailleurs de l’ALG s’opposent résolument à la fusion telle qu’elle se profile. Plusieurs journées de grève ont eu lieu ; les délégations syndicales ont aussi multiplié les rencontres avec les bourgmestres des communes affiliées à l’ALG et assisté aux réunions des Conseils communaux qui devaient voter la fusion. Malgré cette opposition massive du personnel et les actions en justice de plusieurs communes s’inquiétant de l’opacité de l’opération, les Conseils d’Administration de Tecteo et de l’ALG ont voté la fusion le 22 décembre.

Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette fusion "à l’arraché" ?

Naissance d’un "grand groupe public"...

En fait, l’affaire ALG commence il y a trois ans… à l’ALE. Le 1er janvier 2007, la libéralisation du marché de l’énergie devient réalité en Belgique. L’Association Liégeoise de l’Electricité (ALE), une intercommunale strictement publique, qui possédait depuis longtemps sa propre branche de télédistribution (Teledis), devient Tecteo. Au passage, elle absorbe une série d’autres intercommunales locales de télédistribution un peu partout en Wallonie, qu’elle regroupe avec Teledis pour donner naissance à VOO. Mais, si l’entreprise change de taille et d’ambition, sa direction reste totalement aux mains de responsables PS (et, en particulier, du duo de célèbres ultra-cumulards de mandats Stéphane Moreau et André Gilles).

Pour continuer à faire grandir la société sur le marché, la direction de Tecteo veut imposer des méthodes du privé en matière de productivité, de flexibilité et de précarité du travail. Ce qui est impossible sans démanteler le statut d’agent des services publics qu’ont encore la plupart des travailleurs de Tecteo. C’est donc à ce statut qu’elle s’est attaquée depuis le début. C’est donc pourquoi aussi la défense de ce statut a été au cœur des quatre mouvements de grève qui se sont succédé chez Tecteo depuis juin 2009.

Grâce à ces actions, le statut, s’il a bel et bien été sérieusement entamé - passage des 36 heures aux 38 heures (payées 36 !), suppression de jours de congé et de primes – a été maintenu pour l’essentiel. C’est aussi le cas de l’emploi dans la société : après la longue grève de septembre 2009, il a été décidé que les 229 travailleurs que la direction jugeait excédentaires dans la filiale de distribution de l’électricité (RESA, ex-ALE) seraient maintenus dans la société mais devraient être réaffectés dans d’autres filiales (existantes ou à créer) tout en conservant leur statut d’agent de service public.

Mais le climat social reste très mauvais dans la société, la direction jouant régulièrement de l’intimidation et essayant de créer un climat de concurrence entre les travailleurs afin d’amener une partie des "excédentaires" à quitter volontairement l’entreprise. Pour faire "avaler" la fusion aux travailleurs de l’ALG, les directions de l’ALG et de Tecteo leur ont promis de maintenir le statut actuel du personnel. Mais les garanties données pour les points essentiels sont volontairement floues, notamment quant à la durée de cette garantie. Au vu de ce qui se passe chez Tecteo, et comme il est clair que le but de la fusion est de faire des économies, notamment sur la masse salariale, on comprend aisément que les travailleurs de l’ALG n’ont aucune envie de se mettre la tête sous la lame de la guillotine.

… qui s’inspire méchamment du privé !

Officiellement, les dirigeants de Tecteo veulent construire un "grand groupe industriel public" capable de tenir tête aux concurrents privés. D’où leur volonté de faire grandir la société et de se diversifier à travers divers secteurs chargés de la distribution de l’électricité (RESA, ex-ALE) et du gaz (Secteur 5, ex-ALG), du multimédia télévision-téléphone-internet (VOO), de l’investissement financier (Invest), de partenariats dans le domaine de l’énergie (Energy). Noble ambition ! Mais la réalité est moins belle.

D’abord, la direction s’est arrangée pour que Tecteo soit présente à Bruxelles (via VOO) et en Flandre (en affiliant la commune de Fourons !), ce qui fait qu’elle échappe désormais à la tutelle directe de la Région wallonne. D’intercommunale, elle est devenue en fait une Interrégionale, ce qui offre une marge de manœuvre beaucoup plus grande pour les petites combines.

Ensuite, on l’a vu, pour diminuer les coûts, la direction veut en finir le plus vite possible avec le statut de fonctionnaire qu’ont encore une majorité de travailleurs. Elle rêve de pouvoir fonctionner comme dans le privé avec des contractuels, des intérimaires, des gens qu’elle paierait moins et qu’elle pourrait mettre sous pression et licencier beaucoup plus facilement.

Il y aussi les coins sombres de l’entreprise. Le développement de VOO est une priorité pour la direction de Tecteo mais c’est une priorité coûteuse. La comptabilité de Tecteo n’est pas non plus un modèle de clarté. Les syndicats et les communes membres de l’intercommunale craignent que la direction "siphonne" les bénéfices réalisés par l'ex-ALE et l'ex-ALG pour remplir les caisses de VOO qui risque de devenir un puits sans fond. Or, les communes comptent énormément sur les dividendes versés par Tecteo pour financer une partie de leurs activités. Si Tecteo ne verse plus de dividendes ou s'il les réduit, les communes devront lever de nouvelles taxes pour équilibrer leur budget. La population devra donc payer pour financer les galipettes commerciales d’une intercommunale publique.

Enfin, la direction de Tecteo pourrait bien à l’avenir, toujours au nom de l’ "efficacité" dans une économie libéralisée et sauvagement concurrentielle, partir à la recherche de "partenariats public-privé". Ce n’est pas un fantasme. ORES, un concurrent direct de Tecteo dans la distribution de l’électricité et du gaz, réunit 200 communes wallonnes mais aussi Electrabel qui est actionnaire à 30% d’ORES et a reçu 63 millions d’euros de dividendes de cette intercommunale l’an dernier. D’autre part, VOO a déjà des accords de "partenariat opérationnel" avec Numericâble, un grand groupe privé français de télédistribution par câble. Numéricâble souhaite aller plus loin et lorgne avec intérêt sur le marché belge... et la proie que pourrait constituer Tecteo-VOO.

Et le PS dans tout cela ?

Les intercommunales "ancienne mouture" ALE et ALG étaient évidemment des bastions du PS liégeois. Comment ce parti vit-il tous ces changements ? Et bien, au premier rang et à la manœuvre, en se partageant le boulot !

Pour rappel, les PS européens ont voté avec enthousiasme au Parlement européen, dans les Conseils des ministres européens, dans les Parlements nationaux et régionaux toutes les mesures de libéralisation. Sur le terrain, c’est moins évident à faire passer auprès des travailleurs et des consommateurs. Alors, hypocritement, les dirigeants du PS déclarent "Nous n’avons pas voulu tous ces excès de la concurrence privée mais il faut bien faire avec. Il faut donc fusionner les intercommunales pour devenir plus concurrentiels. Et accepter de travailler plus et de toucher moins. C’est bien malheureux mais on ne peut pas faire autrement ».

Et, pendant ce temps, ce sont des technocrates estampillés "PS pur jus" qui mènent le démantèlement du statut des agents de service public et qui imposent peu à peu les méthodes de "management" du privé aux intercommunales…

Voir ci-dessus