Où va le Maroc ?
Par Chawqui Lotfi le Mardi, 14 Août 2012

1) Les processus révolutionnaires qui traversent la région ouvrent une brèche historique dont nul ne peut prévoir l’issue à moyen terme. Les peuples sont en lutte et cherchent les voies de l’offensive, pour en finir avec les dictatures et l’ordre établi. Ce sont des processus, au-delà des avancées et des reculs, qui s’installent sur la longue durée. L’instabilité sociale et politique, l’accroissement des contradictions sociales, le développement de luttes populaires massives, l’irruption politique de nouvelles générations, le rejet prononcé des dictatures vont sans doute continuer à caractériser en profondeur la période à venir.

L’ensemble des processus est marqué, au-delà des spécificités nationales, par le contexte général de la crise du capitalisme mondial et l’épuisement des légitimités des dictatures installées de longue date. Les processus impliquent pour cette raison une dynamique combinée de révolution démocratique et sociale mais le moment démocratique, la révolution politique apparait comme l’objectif central des mobilisations dont le mot d’ordre principal est « le peuple veut la chute du régime ».

2) Le Maroc n’est pas une exception. Trois décennies de politiques d’ajustements structurels et une intégration poussée aux exigences de la mondialisation capitaliste ont abouti à une dégradation sensible des conditions de travail et de vie, non seulement des majorités populaires mais aussi, de secteurs de classes moyennes. La violence sociale est palpable à tous les niveaux. Les indicateurs de la pauvreté ont connu une percée sur cette décennie. Et pourtant l’agenda des politiques anti-populaires va être marqué dans les mois et années à venir par une accentuation qualitative de l’offensive. Pour quatre raisons majeurs :

• l’application intégrale et globale des accords de libre-échange, la période intérimaire de transition progressive étant achevé, va être d’un cout social sans précèdent.

• Les éléments d’une crise financière de l’Etat se cristallisent à la fois sous l’effet d’une perte des recettes (réduction drastique des taxes de douanes, des transferts des RME, dilapidation des fonds publiques, épuisement des fonds de privatisation, exonération et évasion fiscale..) et d’une montée des dépenses (notamment en ce qui concerne la facture énergétique, alimentaire et militaire et des niveaux de remboursement des dettes publiques). Les aides de l’Union européenne et d’une manière plus importante du FMI ( qui vient d’accorder un emprunt de plus de 7 milliards) accroissent le niveau de la dette et des injonctions d’ajustement au libéralisme sauvage.

• Les perspectives économiques, compte tenu des formes de dépendances, subissent, au-delà d’opérations conjoncturelles, l’effet majeur d’une récession durable de l’économie européenne. Ainsi on a pu noter un net recul des IDE qui ont baissé de 35% en 2011, le déficit commercial s’est aggravé de 28% sur la même période. Le Maroc devra probablement importer en 2012-13 davantage de blé qu’il ne l’a fait depuis un demi-siècle, de 5 millions de tonnes (MT) selon un rapport publié le 20 mars par le département américain de l’Agriculture (USDA). Tout indique l’approfondissement de la crise économique et financière. Le mode même de développement accentue ce processus.

• A ces éléments qui tiennent plus du mode de développement capitaliste dépendant se combine la structure spécifique des classes dominantes où la logique de prédation rentière aboutit à une accentuation de la concentration inégalitaire des richesses et à une spoliation en extension des ressources publiques à des fins d’accumulation privée.

3) A son tour, la crise politique est latente. La façade démocratique ne joue plus le rôle d’amortisseur des contradictions sociales et politiques. Un fossé existe entre les aspirations sociales et démocratiques et la réalité des institutions et de la classe politique. Les institutions apparaissent radicalement étrangères aux citoyens, corrompus, arbitraires et au service des puissants et des affairistes..

Le gouvernement du PJD, au-delà de sa prétendue posture « populiste », commence déjà à connaitre un discrédit en raison de la continuité des politiques mises en œuvre et de sa caution apportée au tournant répressif. Cependant, le pouvoir s’appuie sur lui pour imposer un ordre moral réactionnaire visant à contrer le réveil social et démocratique. Mais au-delà, le facteur réel de la crise politique se situe dans l’incapacité du pouvoir central à opérer des reformes d’en haut assurant une ouverture même partielle. Jamais le pouvoir de la monarchie n’a été aussi étendu. Mais il est de plus en plus dans l’incapacité à s’appuyer sur des intermédiaires crédibles pour assoir sa légitimité : les partis, les syndicats, les associations ont été trop domestiqués et neutralisés. Nous ne sommes plus dans la phase où la dialectique palais/mouvement national pouvait cultiver l’illusion qu’existait une opposition capable d’incarner plus ou moins un changement. Nous ne sommes plus non plus dans la phase du début du nouveau règne où le régime cherche à cultiver une image de rupture avec Hassan II. La « transition démocratique » n’a transité nulle part, si ce n’est vers la consécration de l’absolutisme comme le confirme la dernière réforme constitutionnelle.

La crise de la façade démocratique renvoie également à l’évolution même du pouvoir et de la classe dominante. Le développement sans précèdent de la fusion pouvoir politique-pouvoir économique, la consolidation et extension de l’hégémonie de la monarchie sur le terrain économique, la perte de substance des partis tendent à mettre le roi sur le devant de la scène sans aucun paravent ou artifice.

4) Face à l’approfondissement de la crise sociale et politique, le pouvoir opère un tournant répressif généralisé. Ce tournant n’est pas conjoncturel. Le pouvoir annonce très clairement une guerre ouverte contre les classes populaires, opère une criminalisation systématique des résistances sociales et démocratiques, pourchasse tout ce qui dépasse « les lignes rouges ». Ce tournant répressif traduit en partie le désarroi d’un pouvoir dont la façade démocratique et les instruments de « dialogue social » ont perdu de leur efficacité. Il traduit l’incapacité organique du pouvoir à répondre même partiellement aux revendications sociales et populaires dans un contexte où la crise économique s’approfondit et met à l’ordre du jour une nouvelle vague de politique d’austérité et antipopulaire, comme en témoigne la hausse des prix du gasoil et des denrées alimentaires, la fin de la gratuité de l’enseignement public, la régression des droits à la retraite et le retour en arrière sur les rares concessions sociales annoncés en avril, la remise en cause de la caisse de compensation, le gel des salaires.

Le tournant répressif visant à restaurer « l’autorité de l’Etat » n’est pas un réflexe conjoncturel de panique du pouvoir qui a senti le risque d’un embrasement. C’est une stratégie politique globale et durable visant à avorter dans l’œuf toute possibilité d’émergence d’un nouveau cycle de mobilisation de masse, dans un contexte d’approfondissement de la crise sociale, économique et politique. Il s’agit d’éviter que la brèche ouverte par le M20F murisse dans les profondeurs de la société pour rejaillir sous d’autres formes, avec un autre contenu de masse plus radical. Le pouvoir n’a plus rien à offrir que la matraque, l’impunité des militaires et un bouffon qui s’agite dans tous les sens pour légitimer le cours répressif et antipopulaire. Il sait maintenant que le feu couve et la braise incandescente, même derrière les apparences d’une stabilité et d’une assurance affichée de la soi distante exception marocaine.

5) Incontestablement il y aura « un avant » et « un après » 20F. Le M20F a eu un caractère objectivement progressiste à la fois parce qu’il a mis en avant des revendications sociales et démocratiques contradictoires avec la structure despotique du pouvoir et sa logique de prédation économique au détriment de toute justice sociale. Progressiste aussi parce qu’il a remis à l’honneur la lutte collective s’appuyant sur des mobilisations populaires, la construction d’un rapport de force par l’action plutôt que par les stratégies partisanes institutionnelles et électoralistes. Progressiste parce qu’il a affirmé que le peuple est le seul sujet légitime pour déterminer son avenir. L’année de mobilisation écoulée a fait la démonstration d’un large potentiel de lutte, d’une soif de changement, qui a impacté toute la société. Ces éléments positifs ne disparaitront pas mais constitue une expérience fondatrice pour toute une nouvelle génération.

6) Pour autant le M20F n’a pu être le catalyseur d’une lutte révolutionnaire englobant l’essentiel des classes populaires. L’adversaire a su gérer la contestation politique pour éviter que se développe une radicalisation politique de masse tant au niveau des revendications que des formes de luttes. Notamment en cherchant à éviter une répression de masse et une confrontation centrale. Mais au-delà, il faut interroger la stratégie des forces organisées présentes dans le mouvement qui à l’exception de courants révolutionnaires minoritaires, ne visait pas à développer une confrontation sociale et politique généralisée et sur la faiblesse de l’auto organisation et d’une structuration nationale propre au mouvement. Il faut s’interroger sur la difficulté de ce dernier a devenir le moteur politique des mobilisations et questions sociales et un espace réel de convergences des luttes.

En réalité le mouvement a révélé au grand jour la faiblesse des organisations dites de masse mais aussi de l’inexistence de cadres de lutte enracinés dans les quartiers populaires. Elle a révélé également la physionomie politique réelle des courants militants et de leurs contradictions. Mais et c’est l’essentiel, il n’y a pas eu de défaite majeure. Le mouvement faiblit faute de perspectives, peut connaître repli et démoralisation dans certains secteurs, mais le potentiel et le ras le bol reste entier. La jeunesse qui s’est réveillée tout comme la fraction des classes populaires qui s’est mobilisée peut retrouver rapidement le chemin de la lutte. Les jonctions qui s’opèrent ici ou là avec les mobilisations des chômeurs, sur les luttes contre la hausse des facture d’eau et d’électricité, l’augmentation actuelle des prix, la destruction des logements ou sur la question de la détention politique indiquent, malgré leur caractère local, que d’autres dynamiques sont possibles.

7) L’autre élément central de la situation réside dans l’extension des mobilisations sociales sur de nombreux fronts. Elles font apparaitre une donnée essentielle : ce sont les questions de l’emploi, du logement, du coût de la vie qui travaillent en profondeur la lutte de la classe. Cette extension des luttes a des racines plus lointaines que le M20F, mais a été amplifié depuis. Dans le contexte actuel cette dynamique reste locale en raison de la stratégie du pouvoir mais aussi parce qu’il n’existe pas de force/mouvement capable aujourd’hui de donner une dimension nationale à ces mobilisations.

Ces secteurs en réalité luttent sans organisations même si des militants sont impliqués fortement et sont la cible de la répression. Elles traduisent un climat nouveau de résistance qui ne concerne pas seulement les petites villes marginalisées. Elles mettent en valeur un trait spécifique de la période : la contradiction entre la logique d’accumulation mondialisée du capital amplifié par le système de prédation local et la satisfaction des droits et besoins élémentaires de la population.

La lutte de classe ne se nourrit pas seulement de la surexploitation des travailleurs et ne se réduit pas à l’opposition capital/travail. Les conditions de vie, les conditions de reproduction sociale de la force de travail au sens large, toutes les politiques de marginalisation et de paupérisation font des questions concrètes de la vie quotidienne le champ principal de l’antagonisme social et politique. Elles mettent en avant la possibilité d’une alliance populaire regroupant dans un combat commun les femmes, les jeunes, les étudiants, les chômeurs, les habitants des quartiers populaires.

L’approfondissement de la crise nourrit et élargit les fronts de luttes. Le pouvoir commence à perdre le contrôle de la paix sociale dans les campagnes. L’élément essentiel de ces dernières années est une expansion des luttes rurales qu’elles prennent la forme de luttes des ouvrières agricoles dont la syndicalisation a connu une avancée, des populations contre l’expropriation de leurs ressources et de leur terres ou dans les petites ou moyenne villes qui conservent un ancrage rurale. C’est une donnée nouvelle qui met fin au long silence des campagnes.

8) Dans ce climat social, le syndicalisme a constitué le maillon faible de la contestation. Le poids des défaites, des divisions, l’absence d’une opposition lutte de classe délimitée de longue date, les résistances de la bureaucratie, ont joué négativement. Néanmoins, deux éléments sont importants à retenir. Le M20F a créé les conditions générales d’une relance de l’activité revendicative, insufflé par son état d’esprit, une plus grande combativité aux luttes syndicales partielles, reposé au sein des équipes militantes, la question du lien entre combat syndical et combat démocratique.

L’activité générale de la contestation a mis sur la défensive les appareils bureaucratiques. La crise actuelle dans l’UMT témoigne des contradictions dans la situation actuelle : la direction fait le choix de la rupture avec la gauche et ce n’est pas un hasard que cela se passe aujourd’hui. La résistance de la gauche montre aussi que la base large cherche la voie d’un syndicalisme efficace, de lutte, affranchie de la corruption et de la subordination à l’Etat, même si ne sont pas tranchées les questions de stratégie syndicale qui permettent de cristalliser cet objectif. L’avenir du syndicalisme va être dans la période qui s’ouvre une question centrale pour donner un contenu social et de classe à la contestation populaire et démocratique.

9) Les facteurs de crise tendent à se combiner sans encore parvenir à cristalliser une instabilité généralisée ou un processus de soulèvement populaire. Il ne reste pas moins que le processus de delégitimation de la monarchie est bien entamé. Sa responsabilité dans la prédation économique, la corruption, l’étendue de ses privilèges comment à être connues tout comme son caractère despotique. (Le succès du livre Le Roi prédateur en atteste). C’est une avancée considérable qui a entrainé la prise de conscience de nouveaux secteurs de l’impossibilité de conquérir la démocratie par de simples reformes sans remettre en cause les fondamentaux de la monarchie : son statut de commandeur des croyants, le sacré, sa place comme entrepreneur et capitaliste, son poids central dans la constitution…

A cette prise de conscience qui peut aller d’un réformisme conséquent à l’exigence de la chute du régime se combine l’expérience par des secteurs de masses qui se confrontent directement à l’appareil d’état dans leurs luttes quotidiennes. Le gouvernement du PJD apparait comme une dernière cartouche. La façade démocratique a atteint , après l’échec du PAM et la venue du PJD, ses limites. A un autre niveau, ce qui agite maintenant en profondeur la société, c’est bel et bien la question sociale, les aspirations à l’égalité, la dignité, la justice sociale, sans accorder aux partis institutionnels une quelconque confiance, qui constitue la trame des contestations.

10) A cette étape de l’analyse, on peut noter les éléments suivants :

• L’ampleur de la crise, l’urgence sociale font exploser les revendications mais les mobilisations restent éclatées et partielles. Elles prennent un essor particulier dans les régions marginalisées, le « Maroc inutile » alors que dans les grandes villes, il n’existe pas de mouvements sociaux d’ampleurs, même si des mobilisations fortes et récurrentes existent.

• Ces luttes sont combatives, assument pour une grande part la confrontation avec le pouvoir et l’appareil gouvernemental répressif
Elles marquent pour l’essentiel l’entrée en luttes de nouveaux secteurs de la société, une nouvelle génération, sans tradition organisée ou une expérience préalable.

• Cette dynamique ne se traduit pas, à une échelle significative, par un renforcement des organisations de masses et politiques ou la formation de nouvelles organisations de luttes. Elles se font à l’extérieur ou d’une manière indépendante des organisations existantes même si des militants sont impliqués et que des soutiens existent.

Mais malgré ces limites, le M20F a montré la possibilité de construction d’un mouvement politique de masse qui a un caractère national et que les luttes populaires ne connaissent pas de répit.

• Le renforcement de la crise accélère les « maillons faibles » du système et les possibilités d’une explosion populaire sont présentes dans la situation. Un espace de politisation s’est ouvert dans des secteurs nouveaux. 
• Le centre de gravité de la question démocratique se traduit d’abord dans la réalité pesante de la répression d’état sous toutes ses formes qui accompagne le mouvement de contestation réel et qui donne à la lutte pour le droit de s’organiser, s’exprimer, de manifester une dimension politique directe.

10) une première clarification politique s’est opérée au cœur de la première vague sociale, populaire et démocratique :

• Laissons de coté les partis du système si ce n’est pour noter, à l’épreuve des faits, que les partis de la « gauche » gouvernementale ont témoigné, encore une fois, de leur degré de soumission et d’intégration au pouvoir et que la soi distante opposition islamiste légale (PJD ) ne fait pas autre chose que ce que lui dicte la classe des prédateurs, une fois au gouvernement.

• Les courants dits réformistes de « la coalition pour une monarchie parlementaire » apparaissent pour ceux qu’ils sont : des formations politiques qui retrouvent la « rue » sous la pression des mobilisations mais qui sont effrayées par les dynamiques potentielles qu’elles recèlent. Des formations incapables d’imaginer même timidement l’ouverture d’une crise politique et d’une remise en cause par des « mobilisations de masses non institutionnelles, extra parlementaires », des fondements du système politique. Des courants s’auto aveuglant volontairement sur l’incapacité organique du régime à se reformer.

En réalité ce réformisme sans réforme a signé son acte de décès politique au-delà des apparences immédiates, en ratant le premier rendez-vous historique avec la lutte démocratique de masse. Non pas parce qu’ils n’ont pas soutenu la mobilisation, mais justement parce qu’ils se sont contentés de la soutenir en fixant comme un préalable les conditions politiques de ce soutien et sans proposer une politique d’élargissement des rapports de forces. L’utilité d’un parti politique n’est pas dans ce qu’il affirme être ou prétend vouloir, mais dans ce qu’il fait et de la maniére dont il démontre son utilité concrète pour réaliser des victoires morales, politiques, concrètes même partielles. A noter que « l’ancien » revient en force. A nouveau la stratégie des courants « réformistes » est orienté vers le débat sur la formation d’un grand parti de gauche avec l’USFP et Le PPS. Qu’ont-ils donc appris de cette dernière année ?

• Du coté d’Al Adl, il est apparu clairement que ce mouvement avait acquis une réelle de base de masse et qu’il avait un enracinement largement supérieur à toutes les forces de gauche réunis. Reste que ce mouvement s’est trouvé confronté à de fortes contradictions : contradiction entre sa discipline et caractère ultra centralisé et l’aspect décentralisé et hétérogène du mouvement, contradiction entre le caractère social et démocratique des revendications et la nature politico-religieuse de son orientation, contradiction entre sa base de masse populaire et la nature bourgeoise/petite bourgeoise de sa direction.

Il est apparu aussi que le choix tactique de se mélanger et de « s’unir » avec d’autres forces est difficile pour ce courant sur la durée mais surtout, et c’est l’élément principal, contrairement à ce que nous ont raconté beaucoup, ce mouvement est dans l’incapacité d’assumer une confrontation globale avec le pouvoir et son objectif n’est pas la chute du régime. Il ne constitue pas moins une alternative potentielle à la crise du système si n’émerge pas un mouvement populaire, démocratique sur des bases de classes.

• La gauche radicale a laissé voir ses faiblesses réelles à plusieurs niveaux :

* Elle n’a pas un programme d’action qui fait le lien entre les luttes concrètes et quotidiennes et la question de la prise du pouvoir mais une juxtaposition de slogans et de mots d’ordre.

* Elle n’a aucune élaboration sur la question de la prise du pouvoir, c’est-à-dire comment peut surgir les conditions d’une crise de domination de l’Etat et la possibilité que les masses construisent leur propre organes du pouvoir. Autrement dit quels types de luttes et d’organisations sont nécessaires pour renverser le rapport de force et faire la démonstration concrète qu’un pouvoir populaire est possible. La question de l’articulation stratégique entre grève générale active, grève de masse, occupation de l’espace public, désobéissance civile et de masse est quasiment absente.

• Elle a une grande difficulté à dépasser les conceptions du travail de masse héritées de la période antérieure et à mener la lutte pour des formes d’auto organisation démocratique du mouvement populaire à même de donner une base de masse à une contestation quotidienne. la question de l’enracinement dans les forces sociales fondamentales qui sont dans leur grande majorité extérieures aux organisations dites de masses ou ne se reconnaissent pas en elles, reste à l’état d’ébauche. Tout comme les formes d’intervention de masse pour construire des organisations combatives, unitaires, insères à partir de leurs préoccupations spécifiques dans le combat global restent problématiques comme l’atteste le bilan de l’engagement des mouvements sociaux dans le M20F.

* La question des convergences des luttes et plus largement des moyens de dépasser les différenciations internes des classes populaires tant au niveau des revendications que des formes de luttes restent peu élaborée. Le bilan réel est une incapacité pratique à constituer un front social de lutte a même d’assurer une progression dans la convergence des mobilisations et la solidarité concrète des opprimés dans des batailles communes politiques et sociales.

• La lutte idéologique reste secondaire, partielle et défensive. La question de ce pourquoi nous luttons, notre projet de société, la démocratie populaire est quasiment absente. Tout comme la manière de mener une bataille politique et idéologique sur la question de la répartition des richesses et des droits de propriété. Pourtant l’enjeu est bien de donner un contenu progressiste à la question de la justice sociale, de la liberté, dignité et égalité. Et face au despotisme on ne peut se contenter de dire constitution démocratique ou le peuple veut la chute du régime.

• La question de l’unification des forces radicales ne fait partie d’aucun agenda. Au contraire, les différenciations s’aiguisent alors qu’un mouvement ascendant des luttes devrait etre le support d’une unité d’action au moins partielle et d’une solidarité commune malgré les divergences.

• La nécessité de faire du neuf, de rénover, de refonder si elle est parfois perçue, reste un élément secondaire de la réflexion et pratique de la gauche radicale et se heurte à un conservatisme de fonctionnement. Deux exemples : la jeunesse du 20 F arrive à la lutte politique sur la base de références pratiques, morales et pragmatiques sans donner un chèque en blanc à aucun courant et organisation et sans se reconnaitre dans les traditions politiques et idéologiques de la gauche radicale. L’amener à se réapproprier un projet d’émancipation révolutionnaire ne se fera pas seulement sur la base d’une défense du marxisme dans toutes ses variantes ou d’un travail pédagogique propagandiste. Et elle ne se reconnait dans les formes d’organisations qui apparaissent trop hiérarchisées, incontrôlable et qui ressemblent parfois à des administrations. Autre exemple : la place des femmes dans des organisations radicales qui restent masculine tant au niveau des instances que dans la pratique montrent le décalage, pour ne pas dire plus, entre le discours et la réalité. C’est ces décalages nombreux, multiples qui entament la crédibilité de la gauche radicale.

• Nous pouvons rajouter bien d’autres points et si ces critiques paraissent sévères, c’est également parce que nous nous reconnaissons dans notre famille politique, ses combats et ses aspirations et qu’il nous parait urgent de dépasser nos limites.

L’analyse développée dans la première partie aboutit à une conclusion politique générale : la situation peut connaitre une accélération dans les mois et années à venir, la possibilité d’un soulèvement populaire doit guider les taches concrètes de la lutte politique. Les contradictions sociales et politiques appellent des réponses offensives et globales en termes d’alternatives.

A partir de là, la question qui se pose à nous est de savoir comment réunir les conditions d’un parti anticapitaliste, démocratique radicale, tourné vers les couches les plus opprimés et les nouvelles générations plutôt que les vieux appareils en crise. Une gauche de combat qui pèse sur les processus de lutte, incarne une direction alternative même partielle, se construit comme une opposition déterminée et qui se prépare à la confrontation globale.

Cet article a été publié sur http://www.europe-solidaire.org/

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