Régularisation : une impérieuse nécessité
Par France Arets le Mercredi, 03 Mai 2006

Depuis maintenant plus de quatre mois, environ 70 sans papiers occupent, avec l'UDEP (Union de défense des sans papiers) de Bruxelles, l'Eglise Saint-Boniface à Ixelles. Ils ont reçu de nombreux témoignages concrets de solidarité : de collectifs, d'associations, des organisations syndicales bruxelloises… Une assemblée de voisins les soutient très activement et concrètement comme cela avait été le cas dans le passé lors de la grève de la faim des Afghans, à Ixelles également, en juillet 2003. Les sans papiers qui occupent sont soutenus également par les autres sections de l'UDEP, qui existent à Liège, Verviers, Anvers, Gand, Louvain… Avec les demandeurs d'asile des centres ouverts comme ceux du Petit-Château, de Morlanwelz ou de Fraipont, victimes eux aussi d'arrestations arbitraires et mobilisés, ils revendiquent aujourd'hui la régularisation des sans papiers sur base de critères permanents. Cette mobilisation unitaire a débouché sur l'organisation d'une grande manifestation ce samedi 25 février à Bruxelles. Depuis l'hiver 1998 - 1999 et les occupations d'églises dans tout le pays, c'est la première fois que se dessine à nouveau un mouvement national des sans papiers, de plus en plus largement soutenu par la société civile et dépassant les clivages par communautés d'origine.

Une politique gouvernementale de plus en plus restrictive

Depuis la régularisation "one shot" de 1999-2000, la politique d'asile et d'immigration de l'Etat belge a été de plus en plus restrictive. Elle ne respecte même plus la Convention de Genève qui accorde le droit d'asile aux victimes des persécutions. Les interviews à l'Office des Etrangers et au CGRA sont bâclées. On exige des preuves impossibles à fournir. Les déclarations sont mal retranscrites… Il faut savoir qu'aujourd'hui, 9 personnes sur 10 sont déboutées de l'asile en phase de recevabilité. Plusieurs grèves de la faim ont été menées, par des Afghans, des Iraniens, des Kurdes… seul moyen de se faire entendre face à ceux qui ferment les yeux et les oreilles sur les réalités des persécutions dans les pays d'origine...

Entre 1992, ouverture du centre 127, et 1999, ouverture du centre fermé de Vottem, les centres fermés pour étrangers se sont multipliés: 6 centres au total. Depuis 2000, leur capacité de détention a été accrue. Résultat: 5000 personnes détenues chaque année. Le budget consacré aux expulsions a connu lui aussi une forte croissance: il a doublé, passant de 5.023.000 eur. en 2002 à 10.680.000 eur. en 2004. Prévision pour 2006: 13.000.000 eur.(1).

Le nombre d'éloignements a lui aussi augmenté, avec son lot de violences et de déportations collectives (voir encadrés). Les personnes sont parfois détenues et expulsées alors que leur procédure d'asile n'est pas terminée : un recours est toujours pendant au Conseil d'Etat. Ce recours n'est pas suspensif ni de l'expulsion, ni d'une mesure de détention dans un centre fermé pour étrangers en vue du rapatriement. La Belgique a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme à ce sujet en 2002, suite à l'expulsion collective de Tziganes en 1999 (arrêt Conka). Peu après cette condamnation, le gouvernement de l'époque s'engageait à revoir cette procédure, promesse jamais suivie d'effet. Il y a donc ici clairement un déni des droits humains, le droit au recours devant une instance judiciaire n'est pas respecté.

Soulignons enfin qu'après plusieurs années de séjour, souvent après un échec de la procédure d'asile, des personnes, notamment des familles avec enfants scolarisés, demandent la régularisation pour circonstances humanitaires (maladies graves, impossibilité de retour dans le pays d'origine, longue procédure d'asile, attaches sociales et familiales fortes en Belgique etc.) sur base de l'article 9.3. Parmi ces personnes, 5 sur 6 reçoivent une réponse négative ...

Face à la clandestinité générée par cette politique, la régularisation s'impose

Depuis toutes ces années, les effets de cette politique restrictive sont que des milliers de personnes, déboutées des procédures diverses, sont plongées dans la clandestinité. Elles y sont rejointes par des arrivants plus récents qui n'osent plus demander l'asile par peur de l'enfermement et de l'expulsion. Tous se retrouvent en situation précaire, sans aucun revenu, ou alors en situation de travailleurs surexploités par des réseaux clandestins. Elles, ils, se sont créés des attaches en Belgique, leurs enfants sont aux côtés des nôtres sur les bancs de l'école. Cette clandestinité convient très bien à certains employeurs de l'agriculture, de la construction, de l'Horeca, du textile, qui profitent d'une main d'œuvre jetable et corvéable à merci...

On pourrait même parler d'une clandestinité organisée. Par exemple environ la moitié des personnes détenues sont libérées des centres fermés. Elles n'ont pu être expulsées parce que le pays d'origine ne les accepte pas, parce qu'elles et leurs avocats ont fait valoir leurs droits, parce qu'elles ont résisté, à juste titre… Ces personnes sont libérées avec un ordre de quitter le territoire applicable à tout l'espace Schengen(2), donc sans aucun endroit où aller, c'est-à-dire de fait renvoyées à la clandestinité.

Face à cette précarité qui dénie les droits sociaux et économiques élémentaires garantis par les conventions internationales, face au fait qu'une partie du marché du travail est constituée par des travailleurs surexploités, au détriment de tous les travailleurs, la régularisation est la seule solution acceptable. L'UDEP et les occupants de l'Eglise Saint-Boniface ont élaboré avec des avocats et des juristes un projet de loi pour une régularisation massive(3). Une campagne est aujourd'hui menée pour obtenir un maximum de soutien à cette proposition.

La réponse gouvernementale pour 2006: enfermement de plus d'enfants et de familles et procédure d'asile accélérée

Aujourd'hui est en chantier une réforme en matière de procédure d'asile et d'immigration, oeuvrant à plus de rapidité, ce qui est apparemment positif vu l'arriéré des procédures, qui le sera à coup sûr pour ceux qui obtiendront une réponse positive plus vite. Mais malheureusement au vu de ce qui a filtré de ces propositions, nous craignons que cela ait comme résultat plus d'expulsions et plus vite : par exemple, il n'y aura plus qu'une seule instance de recours au lieu de 3, le Conseil de Contentieux des Etrangers, le recours devra se faire très vite, sur base écrite, sans interview...

Un des signes de l'orientation de cette nouvelle politique est la décision d'enfermer encore plus d'enfants et de familles. Cette décision bafoue la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, en s'attaquant aux plus vulnérables, en détruisant leur avenir, leur vie. Mais c'est aussi augmenter le nombre d'expulsions en arrêtant ceux qui sont le plus faciles à trouver, parce que moins mobiles, les familles et enfants.

Les déclarations de l'Office des Etrangers sont claires: il y a trop des familles en Belgique qui ne donnent pas suite aux ordres de quitter le territoire. Il faut augmenter les éloignements sous contrainte pour donner un signal fort à ces familles afin qu'elles quittent volontairement le territoire(4).

Contre l'enfermement des enfants, pour la régularisation, mobilisation et multiplication des prises de position politiques

Plus de 2500 personnes ont manifesté le 29 janvier devant le centre fermé de Vottem. On n'avait plus vu autant de personnes à cet endroit depuis 1998, alors que de nombreuses manifestations s'y sont déroulées depuis. La manifestation d'initiative liégeoise a pris une dimension nationale : associations, collectifs, syndicats, sans papiers des différentes UDEP, étudiants s'y sont associés. Le jour même, on remarquait la présence de nombreux enfants ou étudiants venus en tant qu'écoles, et aussi de parlementaires. Cela a été le résultat d'une mobilisation très rapide, mais en même temps en profondeur, avec en toile de fond toutes les mobilisations des collectifs et sans papiers de ces derniers mois.

La manifestation s'est construite contre la détention des enfants et des familles, mais la plupart des manifestants et intervenants dans les prises de parole ont clairement exprimé leur rejet de la politique gouvernementale et des centres fermés.

Peu après, c'est à Anvers qu'a eu lieu la manifestation organisée par le comité HOP: "Hoop op papieren", manifestation organisée par l'associatif, avec énormément de jeunes et une participation syndicale. 5000 personnes dans le fief du Vlaams Belang pour réclamer une "amnistie humaine pour les sans papiers", donc pour une régularisation, même si celle-ci est conditionnelle (personnes engagées dans la procédure depuis 3 ans et celles qui font preuve d'une intégration manifeste) ! C'est un événement que l'on n'a plus connu en Flandre depuis plusieurs années, il intervient en même temps que les UDEP s'y structurent.

Parallèlement à tout cela, et sous la pression, les prises de position politiques se multiplient: elles n'émanent plus seulement d'ECOLO - GROEN . Le 11 janvier 2006, Marie Nagy (Ecolo), Benoît Drèze (CDH) et Mohammed Boukourna (PS) posent ensemble des questions parlementaires sur l'enfermement des enfants et des familles. Peu de jours avant la manifestation de Vottem, une proposition de résolution relative à l'interdiction de la détention des mineurs dans les centres fermés est rédigée par le CDH (renvoyée ce jeudi 16 février en Commission de l'Intérieur). Deux jours avant de la manifestation, un communiqué de presse du PS demande la suspension de l'ouverture des sections familles à Vottem et à Merksplas et dénonce une remise en cause de l'accord gouvernemental. Le jeudi 26 janvier, le conseil communal d'Herstal rejette à l'unanimité la détention d'enfants à Vottem. Les positions du PS ne sont pas toujours aussi tranchées: proposition de Mohamed Boukourna afin de limiter la détention d'enfants le 14 décembre, proposition de Boukourna, Magda Demeyer et consorts le 20 janvier afin d'améliorer l'accueil des enfants en centre fermé. Ces contradictions montrent bien l'importance de la pression, face au fait que le PS et le SPA continuent à s'inscrire dans la politique gouvernementale.

Notons que le 15 février une motion a été votée par les quatre chefs de groupe des élus du conseil provincial de Liège contre l'enfermement des enfants; elle suggère aussi l'installation d'une commission permanente de régularisation.. Ce lundi 20 février, Marie-Claire Lambert, députée fédérale PS et Thierry Giet, chef de groupe PS à la Chambre ont déposé une proposition de loi pour l'instauration d'une commission de régularisation permanente. En même temps, les Ecolo déposaient la proposition de loi UDEP. Les deux propositions sont fort proches.

Des avancées sérieuses sont donc observables et prennent le contre-pied des déclaration de Dewael qui refuse toute "concession à l'illégalité organisée", pour reprendre ses propres termes(5) à propos des personnes sans papiers qui résident depuis de longues années en Belgique. La pression, la mobilisation doivent se poursuivre pour arriver à un résultat. La manifestation du 25 février s'inscrit dans ce processus.

Un ami, sans papiers, de ceux qui ont quitté un régime non démocratique pour l' Europe des Droits de l'Homme , me disait, à la lecture du communiqué des députés du PS demandant la suspension de l'ouverture des sections enfants à Vottem et à Merksplas: "Mais s'il y a tant de protestations, de manifestations, si le gouvernement est même mis en cause par un parti qui y participe, la politique doit changer, et le Ministre de l'Intérieur doit démissionner, c'est ça la démocratie. Ca ne marche pas comme ça chez vous ?" Nous avons commencé une longue conversation sur le fait que la démocratie participative, ce n'est pas vraiment ça que l'on vit en Belgique, et que l'alternative socialiste reste à construire… Aujourd'hui, tous ensemble, de nombreux acteurs de la société civile, belges et sans papiers, mobilisés, construisent une part de cette alternative, l'enjeu immédiat est de gagner la régularisation… Il sera sans doute aussi d'aller au-delà, vers un changement radical de la politique d'asile et d'immigration pour que les derniers arrivés ne soient pas les "laissés pour compte" d'une régularisation partielle.

(1) Chiffres cités dans un dossier presse ECOLO, octobre 2005. (2) Union Européenne des 15 sauf le Royaume Uni, l'Irlande et le Danemark. Mais si l'asile a été demandé, cela s'applique aussi par la Convention de Dublin à la Grande-Bretagne et l'Irlande. (3) http://regularisation.canalblog.com (4) Comuniqué de presse de l'Office des Etrangers du 12 décembre 2005. (5) Voir interview dans La Libre Belgique, le 30 janvier 2006.


Les déportations collectives

Depuis 2000, l'Etat belge procède chaque année à environ 15.00 éloignements. La ventilation des chiffres fournis par l'Office des Etrangers pour l'année 2003 est la suivante : 14.110 éloignements dont 7542 rapatriements, 3748 refoulements, 2820 retours volontaires. Les déportations collectives (17 vols en 2003) sont, selon les propos tenus par le Ministre de l'Intérieur, la dernière solution lorsque des personnes ont résisté plusieurs fois aux rapatriements forcés. Et puis "ces rapatriements massifs frappent plus les imaginations" ...

Les déportations collectives se font par avion militaire, à partir de l'aéroport de Melsbroek, sans témoins aucun : ni passagers forcément, ni journalistes, ni députés. Aucun accès n'est possible, aucun contrôle sur les violences qui peuvent être exercées. Ici encore la Belgique a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans l'arrêt Conka en 2002 du fait que: "à aucun stade de la période allant de la convocation des intéressés au commissariat à leur expulsion, la procédure n'offrait des garanties suffisantes attestant d'une prise en compte réelle et différenciée de la situation des personnes concernées". A cela, la réponse fournie aujourd'hui est que les dossiers ont été examinés individuellement. Peut-on vérifier cela alors que certains vols collectifs sont organisés très vite suite à des rafles dans quelques quartiers ? Ces vols collectifs sont maintenant opérés de concert par des accords entre différents Etats de l'Union Européenne, ce malgré l'opposition du Parlement Européen du 31 mars 2004, non suivie par le Conseil...


Expulsions violentes ; ça continue

Depuis l'assassinat de Semira, le "coussin" a disparu mais de multiples autres dispositifs policiers violents restent en vigueur afin de "réussir" une expulsion. Ils sont souvent appliqués lorsqu'une personne résiste. Les collectifs reçoivent de nombreux témoignages de violences qui ont pu dans une série de cas être étayés par des certificats médicaux.

Lorsque la personne a déjà refusé antérieurement son rapatriement, celui-ci se fait "sous escorte". La personne qui doit être expulsée doit d'abord être complètement déstabilisée. Les injures fusent. Nous reprenons textuellement ce que nous avons entendu et qui a pu parfois être acté dans des plaintes déposées: "sale macaque" "ta femme, -ou ta mère…- c'est une p…" "tes enfants, on crache dessus" "la prochaine fois, tu n'en sortiras pas vivant" …. Ce sont ensuite 7 agents de la police fédérale qui s'emparent de la personne pour la maîtriser. Coups visant diverses parties du corps, y compris la tête… En cas de résistance, la technique du saucissonnage est appliquée: les mains, pieds et jambes sont entravés; la personne est portée comme un sac à l'avion. Si la personne a encore la force de résister dans l'avion, des pressions sont exercées à l'aide du coude contre la poitrine et en même temps de l'épaule contre la bouche par exemple… Nous avons aussi reçu le témoignage d'une personne qui a été plaquée tête contre la tablette, avec le pouce d'un policier contre l'oreille afin de l'immobiliser pendant tout le vol...

Lorsque des passagers réagissent et/ou le Commandant de bord, la personne est sortie de l'avion et ramenée au centre fermé. C'est ainsi que des plaintes sont déposées auprès de juges d'instruction ou du Comité P. Les plaintes s'accumulent. Quand seront-elles jugées ?

L'État belge est donc coupable, de tortures, de mauvais traitements. Les personnes résistent et continueront malgré tout de le faire, car elles craignent souvent de graves persécutions dans leur pays d'origine. Cela n'est pas entendu.

CRACPE (Collectif de Résistance Aux Centres Pour Etrangers), texte rédigé pour la conférence de presse appelant à la manifestation du 25 février.

Voir ci-dessus