Jean Van Lierde
Par Georges Dobbeleer le Mercredi, 21 Mars 2007

Jean Van Lierde, qui résistait depuis longtemps à une maladie épuisante, est mort le 15 décembre dernier à Boitsfort. La Gauche du mois de septembre a évoqué son travail de mineur au Bois du Cazier à Marcinelle en 1952, quatre ans avant la catastrophe et a présenté la brochure qu'il avait écrite: "Six mois dans l'enfer d'une mine belge", publiée par les Jeunes gardes socialistes (J.G.S). C'est au nom d'une amitié de plus d'un demi-siècle que je voudrais consacrer cet article au camarade, mais aussi au militant qu'il a été toute sa vie.

Né dans une famille ouvrière de Charleroi le 15 février 1926, Jean est contraint par la guerre d'interrompre ses études, ce qu'il va beaucoup regretter, et de travailler comme dessinateur industriel chez Solvay à Bruxelles. Il habite alors Wavre, participe à la résistance contre les nazis et, devenu dirigeant national des scouts, décide que "jamais je ne porterai l'uniforme militaire".

Appelé sous les armes, il préfère la prison dès 1949 à Liège et à nouveau en 1950 et 51. Devant le Conseil de guerre, le 3 octobre 1951, il explique et défend son adhésion à l'I.R.G., "l'Internationale des résistants à la guerre". Un ministre PSC, embarrassé face à cette attitude d'un dirigeant de mouvement de jeunesse catholique, décide de remplacer sa nouvelle condamnation à six mois de prison par une obligation de travailler comme mineur. Jean est alors embauché au Bois du Cazier à Marcinelle en avril 1952. Sa brochure, qui dénonce l'insécurité permanente du travail des mineurs, est publiée par les J. G. S. dont il est devenu membre. Il est également à partir de 1952 un militant des groupes Esprit fondés par Emmanuel Mounier. Il va mener une lutte antimilitariste efficace qui finira par aboutir au statut de l'objection de conscience en 1964.

Au sein de la J. G. S. il est l'inspirateur de la manifestation de masse du "fusil brisé" à La Louvière le 15 octobre 1961 où un jeune portant à bout de bras un fusil brisé ouvre la marche. Jean Van Lierde sera un des fondateurs du CRISP (Centre de recherche et d'information sociopolitique), ensuite son secrétaire général de 1958 à 1983. C'est surtout son activisme en faveur de la révolution algérienne qui le caractérise de1958 à 1962. Il sera un des points d'appui essentiels en Belgique du soutien au F. L. N. algérien comme l'était Pierre Le Grève. Dans le courant des années 50 il soutient les militants congolais qui réclament l'indépendance de la colonie belge. Il se liera d'amitié avec Patrice Lumumba et lui permettra de défendre ses positions en Belgique dès 1958. À Kinshasa, à la veille du 30 juin 1960, date de l'indépendance du Congo, il conseille à Lumumba de prononcer un discours ferme contre le colonialisme qui surprendra le roi Baudouin et sera à l'origine de la volonté des colonialistes belges de renverser le Premier ministre Lumumba puis de le faire exécuter en février 1961.

En Europe, Jean Van Lierde se joint avec enthousiasme à l'opposition au Pacte atlantique et aux marches anti-atomiques dont les J. G. S. avaient pris l'initiative. Il écrit à plusieurs reprises des articles dans La Gauche et dès le début de 1957 il soutient efficacement notre journal. Son article saluant l'adoption du statut de l'objection de conscience en avril 1964 ne fut bien sûr pas le dernier. Selon ses propres mots, prononcés dans le film de télévision d'Hugues Le Paige, Jean Van Lierde était partisan "d'un communisme libertaire". Il l'avait montré face aux purs staliniens dans ses prises de parole dès la fin de 1952 à la conférence de Berlin puis au congrès de Vienne des "Partisans de la paix" où il soutenait fermement des antimilitaristes français refusant d'aller combattre en Indochine. Ses convictions chrétiennes étaient analogues à celles de la théologie de la libération et se situaient aux antipodes de celles de Jean Paul II.

Il a contribué à l'éveil politique radical et même révolutionnaire de nombreux chrétiens en Belgique et ailleurs dans le monde, notamment grâce à sa solidarité active avec les militants des révolutions coloniales. Ceux qui ont pu revoir à la télévision belge le 18 décembre le remarquable film qu'Hugues Le Paige lui avait consacré en 1998 auront mesuré aussi que la mort de Jean Van Lierde est une grande perte pour le mouvement ouvrier international et pour toutes les forces progressistes dans le monde.

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