UE: En finir avec les privatisations
Par Roseline Vachetta le Mardi, 27 Juillet 2004

La décennie 1990 a vu l'engagement des processus de privatisation des services publics, avec des conséquences dramatiques en termes d'emploi et de services aux usagers. Le Forum social européen doit être une étape dans la construction des résistances.

La décennie 1990 a vu l'engagement des processus de privatisation des services publics, avec des conséquences dramatiques en termes d'emploi et de services aux usagers. Le Forum social européen doit être une étape dans la construction des résistances.

A partir de 1945, les pères fondateurs ont bâti leur Europe autour d'un objectif précis : la paix entre les six premiers Etats membres (France, Allemagne de l'Ouest, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) pour la création d'un espace économique. Aussi, quand on parle de services publics en Europe, faut-il savoir qu'ils n'existent pas dans le droit initial européen. Les premiers traités ont pour but de développer un capitalisme industriel, commercial et financier. En effet, à la fin de la guerre, l'Europe construit sa place de puissance économique entre l'URSS et les Etats-Unis.

Les objectifs de l'Europe

Le plus important des traités est celui signé à Rome en 1957, qui fixe les objectifs de l'économie européenne : la libre circulation des marchandi-ses, des services, des capitaux et des hommes. La libre concurrence, l'interdiction des aides d'Etat, l'ouverture des marchés publics aux entreprises privées en sont les règles essentielles. C'est le socle juridique qui permettra toutes les attaques futures contre les services publics.

A partir de la décennie 1990, le capitalisme a besoin de nouveaux profits ; il lorgne alors vers les services publics. Il y a là un énorme marché auquel il a peu d'accès. L'Union européenne va donc permettre l'ouverture à des capitaux privés de secteurs jusque-là financés par des fonds publics ; tous les réseaux - télécommunications, postes, chemin de fer, sécurité et transport aériens, services portuaires, énergie - sont touchés. Ces secteurs, qui sont de fait en situation de monopole, ont une main-d'oeuvre importante, unifiée par un statut unique, et dont le taux de syndicalisation est élevé.

Les processus de libéralisation, en faisant disparaître les monopoles, font éclater le salariat et instaurent, à grande échelle, la précarisation et la flexibilité des emplois. Faire bais-ser les coûts de la main-d'oeuvre est un enjeu essentiel pour le patronat.

A chaque fois, le processus est le même : la segmentation des différentes activités puis la mise sur le marché de la partie rentable. Conséquence immédiate, les équilibres financiers sont rompus, ce qui empêche la réalisation de toutes les missions de service aux usagers, par définition peu rentables. Les services postaux, par exemple, vont être divisés entre les activités qui rapportent (les colis, les courriers transfrontaliers) et celles qui coûtent (la levée et la distribution du courrier sur l'ensemble du territoire).

Dans le même temps, le nombre de fonctionnaires tend à se réduire : à l'heure actuelle, 38 % des postiers français sont sous statut privé. Les gouvernements de droite comme de gauche, qui décident l'ouverture à la concurrence dans les sommets européens, s'empressent de privatiser ensuite, c'est-à-dire de brader des services entiers dans leurs Etats respectifs. Ainsi, EDF et GDF seront privatisés dès 2004.

Mais les privatisations ne fonctionnent pas, et il devient chaque jour un peu plus difficile aux gouvernements de cacher cette réalité. Le fonctionnement du marché est censé réduire les prix pour les consommateurs ; or les pays qui ont ouvert totalement le marché de l'énergie - le Royaume-Uni, la Norvège - ont vu doubler pour les particuliers le prix du kilowatt-heure. Le marché devait améliorer l'offre de services : les retards et la mise en danger des voyageurs sont particulièrement élevés sur le réseau ferré de Grande-Bretagne, alors que le prix du billet y est supérieur de 60 % à la moyenne européenne.

Récemment en France, une note du ministère des Finances n'excluait pas que l'Europe connaisse, avec la privatisation du transport et de la distribution de l'énergie, une crise de l'ampleur de celle vécue en Californie. Aux Etats-Unis comme en Europe, dès lors que ce sont les actionnaires qui décident, il y a fort à parier que leur profit passera avant la réponse aux besoins des usagers...

Enfin, même le principe de libre concurrence est mis à mal. On s'aperçoit assez vite que les monopoles sont nécessaires pour réaliser des économies d'échelle, pour investir ; on assiste donc à la mise en place de nouveaux monopoles, privés ceux-là. Ainsi, seuls trois gros groupes industriels seront en capacité de profiter de l'offre d'ouverture du transport des marchandises sur rail (le fret) à d'autres entreprises que la SNCF : Ikea, BASF et Connex, filiale de Vivendi. La "libre concurrence" signifie en réalité que la casse des monopoles publics s'accompagne systématiquement du renforcement des monopoles privés.

Les autres résultats du démantèlement des services publics sont bien connus : l'augmentation du chômage - à l'échelle européenne, des milliers de postes ont été supprimés dans les chemins de fer, et 250 000 suppressions d'emplois sont annoncées dans le secteur de l'énergie -, la précarisation, par le remplacement de fonctionnaires partant à la retraite par des salariés en contrat temporaire...

Les privatisations ont toujours détruit les emplois, cela fait partie des stratégies patronales pour augmenter les profits. Elles ne permettent en rien de répondre aux besoins. Les lignes de chemin de fer jugées non rentables sont fermées ; à l'heure actuelle en France, 10 000 agences pos-tales, dans les villages et les quartiers populaires, sont menacées de disparition. En excluant encore plus les plus pauvres, les privatisations creusent le fossé des inégalités.

Mise à l'encan

La Constitution européenne va graver dans le marbre, pour des dizaines d'années, la mise à l'encan des services publics. Ce texte affirme que les services d'intérêt général sont une valeur de l'Europe. Mais cette valeur s'inscrit dans le respect des références générales de l'Union européenne, à savoir l'économie mondiale capitaliste, et dans l'objectif d'"approfondir" encore le marché intérieur. Cela signifie, tout simplement, que tout ce qui n'est pas encore marchand doit le devenir.

C'est pour cette raison qu'il faut, tout de suite, exiger un référendum sur le projet de Constitution, et faire campagne pour un "non" de gauche. C'est pour cette raison que nous luttons pour un moratoire sur les libéralisations en cours. A chaque menace de privatisation, il faut opposer la résistance unie avec tous ceux et celles qui sont concernés, les salariés, les chômeurs, les habitants, les élus... Il nous faut, ensemble, nous approprier la gestion, le contrôle de nos services publics. La rencontre du Forum social européen sera une étape essentielle dans la construction de notre lutte.

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