Portugal : Le Bloc de Gauche subit une défaite aux législatives
Par Fernando Rosas le Mercredi, 08 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

Comme l’Espagne, la Grèce et l’Irlande, le Portugal est particulièrement touché par la crise capitaliste et les politiques d’austérité. Les élections législatives de ce dimanche 5 juin ont représenté une véritable déroute pour la social-démocratie au pouvoir, qui a été lourdement sanctionnée pour ses politiques anti-sociales. Mais c’est la droite qui en a bénéficié le plus, et non les partis à gauche de la social-démocratie. Tandis que le Parti communiste portugais résiste un peu mieux, reculant de 10% des voix aux législatives de 2009, à près de 8% aujourd’hui, le Bloc de Gauche, quant à lui, a subi sa première défaite électorale importante depuis sa naissance en 1999. Aux élections législatives de 2005 le Bloc obtenait 6,35% et 8 députés et, aux législatives de 2009, il obtenait son meilleur score avec 9,8% (557.091 votes) et 16% députés. Aux élections de ce dimanche, le résultat n’est plus que de 5,2% (288.076 votes) et 8 députés, soit une perte de la moitié de son électorat de 2009. Nous reproduisons ci-dessous une opinion de Fernando Rosas, dirigeant historique du Bloc, sur les causes de cette défaite. (LCR-Web)

Les défaites, quand elles sont bien analysées, nous enseignent sûrement plus que les victoires

1. La défaite du Bloc aux élections législatives est suffisamment nette que pour se dispenser de tergiversations. C’est la responsabilité de la direction du Bloc dans son ensemble et nous devons en discuter collectivement, avec sérieux, au sein du Bloc et avec tous ses sympathisants, dans le but de renforcer notre unité dans les orientations politiques qui doivent nous permettre d’affronter les durs combats qui sont devant nous. Le Bloc a perdu une bataille et doit se préparer à gagner la guerre. Les défaites, quand elles sont bien analysées, nous enseignent sûrement plus que les victoires

2. Selon moi, la gauche portugaise, et le Bloc en particulier, tout comme dans d’autres situations similaires dans l’Europe en crise, n’est pas parvenue à contrecarrer la vague du vote-panique, du vote en faveur d’une illusion de solution, pour un accord qui impliquera des sacrifices mais qui, au bout du compte, permettrait de renouer normalement avec l’emploi, les salaires, les pensions et les revenus des ménages. Un vote en faveur de l’accord avec la « troïka » (FMI, Banque centrale et UE, en échange d’une « aide » financière NdT) – dont les conséquences ont été délibérément occultées pendant la campagne électorale  – perçu comme la dernière planche de salut face au désastre imminent.

Cela a sanctionné ceux qui « s’excluent » de cette voie, ceux qui ne peuvent pas « l’influencer », ceux qui ont été présenté comme n’offrant rien alors que – comme certains l’ont affirmé – à partir du mois de juin, il n’y aurait même plus assez d’argent pour payer les salaires. Cette vision des choses a été massivement diffusée par les médias au cours d’une campagne idéologique sans précédent contre « l’irresponsabilité » du Bloc (« fainéants » ; « marginaux de la politique » ; « radicaux » ; « indignes de la confiance d’un peuple angoissé »…) et de ses propositions alternatives, par ailleurs bien présentées et défendues par nous.

3. Malgré le fait que, d’après moi, le Bloc a mené du point de vue du discours politique l’une des meilleures campagnes électorales de sa courte histoire (pédagogique, réaliste, avec du contenu) et malgré la ténacité de ses militants et sympathisants dans tout le pays, cela n’a pas été suffisant pour contenir la vague du vote en faveur de la « sécurité » et du « moindre mal ». Nous avons perdu des milliers de votes populaires en faveur du PSD et quelques uns pour le PP (1). La gravité et l’étendue catastrophique de la crise actuelle ont poussé le vote flottant de l’électorat populaire vers le refuge apparent de la « sécurité » et de la « protection » présenté par la droite et par ses tuteurs externes de la troïka. L’immense impopularité du premier ministre Socrates et du gouvernement PS a fait le reste.

4. Le vote « utile » en faveur du PS, alimenté par des sondages qui pendant des semaines le donnait « ex-aequo » avec le PSD, a naturellement également fonctionné, surtout dans les secteurs plus politisés de notre électorat populaire flottant. Mais il ne me semble pas que cela a été le facteur déterminant. Tout comme l’abstention qui a surtout pénalisé la gauche. Le PCP, solidement ancré sur son appareil syndical et municipal, avec un électorat traditionnellement fidèle, a défendu avec plus d’efficacité son espace social et politique de toujours et a y compris gagné quelques votes protestataires.

Mais je crois que la situation qui a provoqué ce virage important vers la droite a à voir avec quelque chose de plus vaste et profond. Il est clair que nous pouvons également aborder la discussion sur certaines décisions tactiques prises par le Bloc au cours de ces derniers mois (les présidentielles, la motion de censure (2)) et de leur possible influence sur nos derniers résultats. Je sais que l’une ou l’autre orientation ont suscité des doutes et des oppositions parmi les militants et les électeurs du Bloc. Mais je pense que l’ampleur de la perte électorale indique avec certitude qu’elle est le fruit de choix de secteurs qui dépassent largement les plus politisés et informés autour du Bloc, ceux qui auraient été justement influencés par ces décisions tactiques. Nous devons analyser la nature politique et sociale du nouveau cycle politique. Et apprendre.

5. Le chœur des commentateurs de droite semble vouloir transformer notre résultat électoral en un règlement de compte enragé contre Francisco Louçã (porte-parole du Bloc, NdT). Qu’on ne s’y trompe pas. La droite veut deux choses : réduire au silence le porte-parole de cette gauche subversive et ferme dans sa dénonciation de l’ordre établi et, avec cela, elle rêve de changer la couleur et l’orientation du Bloc. Ils feignent d’ignorer que dans ce parti, dans des luttes de cette ampleur, il n’y a pas de responsabilités individuelles. Ni dans les victoires, ni dans les défaites. Je crois qu’il est nécessaire d’être nous-mêmes, de faire collectivement notre bilan avec l’objectif d’atteindre une unité supérieure autour d’une politique adéquate. Le bilan des élections doit se faire non pas dans les journaux, mais dans les organes démocratiques élus par la Convention (le congrès national du Bloc, NdT). Ce n’est pas à la droite de faire ce débat à notre place mais bien à notre collectif du Bloc.

Y compris dans cette situation exceptionnellement difficile et complexe, alors qu’il est la cible d’une attaque ad odium et coordonnée sans précédent, le résultat du Bloc démontre qu’il est un parti enraciné dans des secteurs importants du peuple qui, du nord au sud du pays, ont continué à voir en lui leur parti et leur voix. Contrairement à ce que les plumitifs et commentateurs de la droite ont annoncé avec tambours et trompettes, le Bloc a perdu, il a diminué, mais il a aussi résisté à l’assaut. Il a des racines que cette tempête n’a pas brisées.

Et maintenant, c’est le moment du bilan et de la lutte. Avec une certitude. Dans les durs combats qui sont devant nous, dans les conditions difficiles que nous allons connaître, les travailleurs, les jeunes, les chômeurs, les pensionnés, les précaires, savent où ils nous trouveront ; en première ligne, à l’intérieur et à l’extérieur du parlement, pour défendre leurs droits, pour combattre la barbarie néolibérale, à batailler pour le socialisme. C’est ainsi. Qui revient de loin et veut aller plus loin encore ne peut être défaillant.

Fernando Rosas est dirigent du Bloc de Gauche, historien et professeur universitaire.

Publié sur Esquerda.net:

http://esquerda.net/opiniao/seis-notas-pessoais-sobre-os-resultados-do-bloco-de-esquerda.

Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

Notes de la rédaction :

(1) Partis respectivement de « centre-droite » et « nationaliste conservateur »

(2) En janvier dernier, aux élections présidentielles, le Bloc n’a pas présenté de candidat et a mené activement campagne en faveur du candidat du PS,  Manuel Alegre, membre « critique » vis-à-vis de la direction de son parti et qui n’a recueilli que 20% des votes. Peu de temps après, le Bloco présentait une motion de censure contre le gouvernement PS de Socrates.

Voir ci-dessus