1949 : La Question Royale
Par Ataulfo Riera le Lundi, 09 Juillet 2001 PDF Imprimer Envoyer

Il y a 50 ans débutait en Belgique ce qui fut appelé la «Question royale», événement qui faillit voir la disparition de la monarchie par une insurrection ouvrière de masse. Episode longtemps - et encore - tabou, la «Question royale» démontre le caractère profondément réactionnaire de la monarchie belge.

Fin octobre 1949, le gouvernement belge, en accord avec le roi Léopold III, décidait un référendum sur le retour de ce dernier à la tête du pays. Commençait alors l'une des plus intenses et des plus radicales mobilisations ouvrière de ce pays qui culminera, quelques mois plus tard, dans une grève générale.

 

Léopold III, un Pétain raté

 

A l'origine de la Question royale, il y a l'attitude du roi Léopold III lors de la Seconde guerre mondiale. Le 25 mai 1940, après l'invasion nazie et la défaite militaire belge, le roi refuse de suivre le gouvernement en exil et, contre l'avis de ce dernier, reste dans le pays. Ce geste politique anticonstitutionnel (ce ne fut ni le premier, ni le dernier) marquait la volonté de Léopold III de «s'entendre» avec l'occupant nazi pour instaurer un Etat fort, corporatiste et dont il serait le maître incontesté.

 

En novembre 1940, Léopold III ira même serrer la pince d'Hitler à Berchtesgaden pour tenter - en vain - de le convaincre de son projet. Alors que les travailleurs souffrent cruellement de l'occupation et se lancent dans la Résistance, Léopold III couvre la collaboration de l'administration belge avec les nazis et mène la belle vie dans son château de Laeken, se marie, etc. Les «sympathies» du roi pour l'Ordre nouveau n'étaient pas une nouveauté; dès avant la guerre, le rexisme avait plutôt la cote à la cour...

 

En 1944, avec son accord, le roi est «déporté» par les nazis en Autriche d'où il sera «libéré» le 7 mai 1945 par les troupes américaines. Mais la situation, explosive, en Belgique l'empêche de revenir. Même si l'ordre capitaliste et l'Etat bourgeois ne sont pas mis en péril grâce par la participation gouvernementale des partis ouvriers (PSB et Parti Communiste) et par le désarmement des travailleurs, il n'est pas question pour ces derniers d'un retour du «roi collabo».

 

Référendum et grèves

 

Pour entamer sa procédure de retour, Léopold III devra attendre les élections de juin 1949 qui amènent au pouvoir une coalition des sociaux-chrétiens et des libéraux. Le référendum du 12 mars 1950 voit une courte majorité (57, 7%) accepter son retour. Mais les clivages que reflètent les résultats indiquent la suite des événements: clivages entre la Flandre (72% de oui) et la Wallonie (58% contre); entre catholiques et laïques; entre villes et campagne; mais surtout entre classes sociales. C'est ce dernier clivage qui est déterminant puisque c'est dans la Wallonie industrielle et ouvrière que le vote contre est le plus important, de même que dans les centres industriels flamands.

 

Des grèves spontanées éclatent dès les résultats du référendum de mars. Mais les élections de juin 1950 voient la constitution d'un gouvernement social-chrétien homogène. Léopold III estime alors pouvoir revenir au pays et débarque à Bruxelles le 22 juillet, protégé par des milliers de gendarmes et de soldats. Dès l'annonce de cette arrivée, les grèves reprennent de plus belle, s'amplifiant jusqu'à toucher tous les centres industriels du pays (au Nord comme au Sud). On fait grève non seulement dans le secteur privé mais également dans le public. D'abord réticents à lancer le mot d'ordre de grève générale, la FGTB et le PSB y adhèrent de peur de perdre tout contrôle sur les masses.

 

Affrontements

 

L'opposition à Léopold III est donc essentiellement ouvrière, et à travers cette opposition, ce sont les classes dirigeantes (de par leur rôle sous l'occupation) et l'Etat bourgeois qui seront de plus en plus visés par les mobilisations des travailleurs. La grève générale est donc profondément politique. Et radicale, puisque les travailleurs menacent «d'abandonner l'outil», c'est-à-dire de ne pas entretenir l'appareil productif pendant la grève. La radicalité s'exprime également par des centaines d'actes de sabotage, à l'explosif notamment. Des affrontements violents avec les forces de l'ordre ont lieu quotidiennement. On verra même des barricades à Liège, où l'armée occupe la ville avec des automitrailleuses. Le 30 juillet, 3 grévistes sont abattus par la gendarmerie à Grâce-Berleur (1).

 

Enfin, dans certaines communes et quartiers ouvriers, on assiste à une prise de contrôle par les grévistes de toute l'organisation sociale (approvisionnement, maintien de l'ordre, etc.). On verra même certaines polices communales et des soldats sympathiser ouvertement avec les grévistes.

 

La crise est désamorcée

 

Une partie de la classe ouvrière belge est d'autant plus dangereuse pour le pouvoir qu'elle a connu l'expérience de la lutte armée pendant la Résistance – bon nombre de travailleurs ont d'ailleurs gardé des armes de cette époque. Mais les directions réformistes des organisations ouvrières, les partis et l'Etat bourgeois ne sont pas totalement désemparés. Le contraire aurait signifié qu'une crise clairement révolutionnaire était à l'ordre du jour. Mais, pour eux, le spectre de l'insurrection de masse n'en existe pas moins: le 1er août, les grévistes ont prévu une Marche nationale sur Bruxelles.

 

Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, alors que les participants à la Marche se préparent (et s'arment), qu'une assemblée à la FGTB de Liège pense appeler à la constitution d'un gouvernement provisoire ouvrier wallon, le gouvernement parvient à convaincre Léopold III de se retirer en faveur de son fils, Baudouin. Il était moins une. Le 1er août, les dirigeants du PSB et de la FGTB démobilisent les travailleurs prêts à investir Bruxelles et décrètent la fin de la grève. En compensation, plusieurs avancées sociales seront obtenues. Mais là n'était pas l'objectif principal des travailleurs.

 

La pirouette de l'abdication de Léopold III en faveur de Baudouin a sauvé la monarchie et, partant, l'Etat bourgeois tandis que l'absence d'une direction révolutionnaire déterminée et conséquente à une nouvelle fois fait défaut pour que la classe ouvrière aille jusqu'au bout de son combat.

 

La Gauche n°20, 29 octobre 1999

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