Le rôle de Trotsky en 1917
Par Z. Trald le Mardi, 14 Août 2007 PDF Imprimer Envoyer

Si lors de la Révolution de 1905 Trotsky était l'un des premiers et des rares révolutionnaires à être sur place dès le début, il en fut différemment en 1917. Retenu, lors de son voyage de retour d'exil par les autorités anglaises à Halifax pendant presqu'un mois, il n'arriva à Pétrograd que le 17 mai,donc 2 mois après le début de la révolution et un mois après l'arrivée de Lénine.

Le "barde" (1) de la Révolution

Trotsky se fit d'abord connaître et reconnaître en tant qu'orateur. Trois semaines après son retour, il avait déjà gagné une popularité immense, û était considéré, avec Lounatcharsky, comme l'agitateur le plus éloquent de l'aile gauche du Soviet (2). Le Cirque Moderne, grand lieu de meetings, avec sa foule attentive qui voulait savoir. comprendre, trouver sa voie (3), devint en quelque sorte son terrain de prédilection.

Trotsky arrivait à retourner une foule entière par un discours. Ainsi, le 5 novembre, quelques heures avant le début de l'insurrection, on apprit que la garnison de la forteresse Pierre et Paul ne reconnaissait pas l'autorité du Comité militaire révolutionnaire du Soviet. Or, on ne pouvait pas se passer du soutien de cette place stratégique. Trotsky se rendit à la forteresse pour haranguer les soldats. n les rallia et leur fit même voter une résolution dans laquelle ils affirmaient leur volonté de renverser le gouvernement de Kérenski.

Durant les journées précédant l'insurrection, lui et d'autres agitateurs (notamment Lounatcharsky, Kollontaï, Volodarsky) prenaient la parole dans des conférences pour préparer la population aux grands événements qui allaient suivre. Parlant de Trotsky à cette époque-là, Soukhanov rapporte que: S'arrachant au travail de l'état-major révolutionnaire [il] volait de l'usine Oboukovsky à l'usine Troubochny de l'usine Poutilov à l'usine Baltique, du manège aux casernes et, semblait-il, parlait simultanément dans tous les endroits. Il était connu personnellement et avait été entendu de chaque ouvrier et soldat de Pétrograd. Son influence, et dans les masses, et dans l'état-major, était écrasante. Il était la figure centrale de ces jours-là et le héros principal de cette page remarquable de l'histoire (4).

Après la fusion de l'organisation social-démocrate des Interdistricts, dont il faisait partie, et du parti bolchevique en août, Trotsky connut une ascension fulgurante dans le parti et en devint l'un des personnages les plus importants. Le 20 octobre, il prononce ainsi devant le pré-parlement le discours de rupture de la fraction bolchevique avant que cette dernière ne quitte cette instance.

L'organisateur de l'insurrection

Le boycott du pré-parlement est le tournant de la Révolution russe. Le rideau de la Révolution de février tombe... afin que celui d'Octobre puisse être levé. La participation au pré-parlement aurait signifié pour les bolcheviques un affaiblissement des Soviets, seuls organes qui avaient une influence et qui étaient reconnus par les masses. Il aurait signifié un renforcement du régime de Kérensky et aurait détourné le parti de l'action directe. Pourtant, la décision de boycotter, défendue notamment par Lénine et Trotsky, fut prise très tard. Le boycott était, d'après les termes de Trotsky: " La rupture historique du prolétariat avec le mécanisme étatique de la bourgeoisie " (5). Le cours des événements était désormais largement tracé, et l'insurrection à l'ordre du jour.

L'élément majeur de la conduite de Trotsky dans la préparation de cette insurrection, c'est la légalité soviétique. Se basant sur le mot d'ordre Tout le pouvoir aux Soviets, l'insurrection devait être menée au nom des Soviets, à l'occasion de leur Congrès, afin de leur remettre immédiatement le pouvoir. En gros, Lénine était d'accord avec cette position mais rejetait la date proposée par Trotsky. Pour Lénine, la situation était mûre depuis un bon moment, il estimait même que les conditions étaient en train de pourrir. Ses craintes sur la date du Congrès n'étaient d'ailleurs pas infondées, la convocation d'un nouveau congrès ayant sans cesse été retardée.

Dans ces conditions, Trotsky s'employa à ce que le deuxième congrès soit rapidement convoqué. Le 25 octobre, en tant que président du Soviet de Pétrograd, il obtint cette convocation pour le 2 novembre (le Congrès sera finalement reporté de quelques jours, donnant ainsi plus de temps pour les préparatifs de l'insurrection). L'occasion de l'insurrection semblait donc donnée. Il ne restait plus qu'à s'en donner les moyens!

Ces derniers, Trotsky allait les obtenir en jouant la menace allemande. Suite aux revers militaires, le haut-commandement avait fait transférer des troupes stationnées à Pétrograd vers le front balte. Ce transfert, ainsi qu'une déclaration de l'ex-président de la Douma -affirmant qu'il verrait avec joie l'armée allemande rétablir l'ordre et la légalité à Pétrograd - lui servirent pour propager l'idée que le Soviet de Pétrograd devait prendre lui-même en main la défense la ville, n semble néanmoins assez clair que Trotsky ait, volontairement, surestimé le danger.

Ainsi, le 25 octobre, le Comité exécutif du Soviet de Pétrograd décide, de sa propre autorité, la formation d'un Comité militaire révolutionnaire (CMR). Le Soviet se substituait ainsi à l'autorité du gouvernement provisoire et au Haut-commandement qui ne purent rien faire pour empêcher cela.

Ce transfert de l'autorité militaire fit nettement pencher la dualité de pouvoir en faveur du pouvoir soviétique. L'initiative de le constituer revient à Lazimir, jeune socialiste-révolutionnaire de gauche de 18 ou 19 ans, qui n'en voyait absolument pas la portée. Contrairement à ce que beaucoup affirment (en premier lieu Trotsky dans son Histoire de la Révolution russe), Trotsky n'était pas le président du CMR. Formellement, c'était Lazimir qui occupait cette fonction - avant d'être remplacé par Podvoïsky, un bolchevique (6).

Mais le CMR était, de fait, dirigé par Trotsky et majoritairement constitué de bolcheviques. Comme le notait Staline dans la Pravda n° 241 du 6 novembre 1918: "Tout le travail d'organisation pratique de l'insurrection s'effectua sous la direction immédiate de Trotsky, président du Soviet de Pétrograd. On peut dire avec certitude qu'en ce qui concerne le rapide passage de la garnison du côté des Soviet, et l'habile organisation du travail du CMR, le Parti en est avant tout et surtout redevable au camarade Trotsky".

L'autorité du CMR fut rapidement reconnue par la plupart des garnisons. Le 3 novembre, la préparation de l'insurrection touchait à sa fin quand le Soviet demanda aux troupes de n'obéir qu'aux ordres officiels contresignés par le CMR ou ses commissaires.

L'insurrection fut engagée à l'aube du 6 novembre, suite à la fermeture des bureaux de la rédaction et de l'imprimerie d'un journal bolchevique. L'insurrection fut relativement pacifique, du moins à Pétrograd. Comme le remarque Marc Ferro: une grande révolution s'accomplissait et nul ne s'en apercevait. (7) C'est d'ailleurs l'impression qui se dégage à la lecture des " Dix jours qui ébranlèrent le monde ", l'excellent récit que fit de ces journées le journaliste américain John Reed. Une impression de normalité dans le bouleversement le plus profond de la Russie.

Trotsky travaillera d'arrache-pied pendant ces journées (interventions au Congrès, ordres à donner, contrôle du déroulement des événements, articles, appels, discours...) Mais le but qu'il poursuivait depuis l'âge de 17 ans paraissait se réaliser. Mais "paraître" ne signifie pas "être" car la suite de la Révolution, qui aurait pu connaître un cours différent, allait être étouffée quelques années plus tard par le stalinisme.

Notes:

(1) Expression utilisée par Marcel Liebman dans "La Révolution russe".

(2) D'après Nicolas Soukhanov.

(3) Léon Trotsky, Ma Vie, Ed. Folio 1989.

(4) Soukhanov, cité dans Léon Trotsky, Histoire de la Révolution russe, tome 2, Ed. Seuil 1995.

(5) Léon Trotsky, op. cit.

(6) Voir l'introduction de Jean-Jacques Marie dans Léon Trotsky, Histoire de Révolution russe, t. 1.

(7) Marc Ferro, La Révolution russe de 1917, Ed. Flammarion 1967.

Voir ci-dessus