Décès inopiné de notre camarade Jos Geudens au Kenya. Adieu à un chaleureux et bien-aimé camarade!
Par LCR le Mercredi, 10 Mars 2010 PDF Imprimer Envoyer

Mardi 9 mars, notre ami et camarade Jos Geudens est décédé inopinément au Kenya, à l'âge de 62 ans. Peu de temps après s'être levé, il a été victime d'un malaise. Malgré son transfert à l'hôpital, il n'a pu être sauvé. Jos Geudens a été actif pendant une bonne quarantaine d'années dans les rangs de la Quatrième Internationale et dans sa section en Belgique, le SAP-LCR. Il était un militant révolutionnaire passionné par les grands projets de solidarité internationale, en rapport avec son activité politique au quotidien dans son école, dans son quartier, au syndicat et dans sa ville.

À Anvers et bien au-delà, Jos était connu et respecté en tant que militant politique. Il a commencé sa vie politique, dans la seconde moitié des années 60, au sein des jeunes socialistes de Deurne, un bastion rouge. Vers 1970, impressionné par les idées politiques et la stature d'Ernest Mandel, il a choisi la Quatrième Internationale, un choix qui l'a occupé jusqu'à la fin de sa vie. Il était un marxiste convaincu, sans être dogmatique. Durant les ses longues années d'activités politiques, la camaraderie et la solidarité ont toujours prévalu.

CGSP Enseignement

Jos a été actif dans divers domaines. En tant qu'enseignant, il était principalement actif en tant que militant au sein de la CGSP enseignement d'Anvers. Il s'est également impliqué à la base du mouvement pour une nouvelle pédagogie révolutionnaire du Groupe d'action de critique de l'Enseignement où, pendant des années, il a été détaché. Ces nouvelles méthodes pédagogiques ont été utilisées avec enthousiasme dans sa classe. Bien avant que n'existe Facebook, Jos a développé avec ses élèves des réseaux internationaux et leur à appris utiliser d'abord la stencileuse, ensuite l'ordinateur et enfin Internet. Il a ainsi insufflé auprès des générations de jeunes une solidarité chaleureuse et une pensée critique indépendante.

Dans la CGSP Enseignement, il a été l'un des piliers de l'aile gauche qui, après les grèves de septembre 1983, est devenue majoritaire au sein du comité régional CGSP Enseignement d'Anvers. Au sein de comité, il a été un militant inlassablement enthousiaste et beaucoup de ses interventions ont contribué à faire progresser la conscience politique de nombreux enseignants et leur implication dans le mouvement syndical. Plus tard, il a vécu avec déception, comme bien d'autres, la défaite subie par l'aile gauche anversoise après une offensive soigneusement préparée par la direction nationale de la CGSP.

Solidarité internationale

Jos Geudens s'est attelé à développer la solidarité dans de nombreux projets internationaux: solidarité avec les syndicats en Pologne en 1981, avec la révolution au Nicaragua en 1983, aide aux travailleurs de Bosnie et campagne pour l'abolition de la dette du Tiers Monde (CADTM) dans les années 90. Jos a également organisé plusieurs missions de solidarité en Palestine au cours des dernières décennies. La lutte contre le fascisme et le racisme et la montée du Vlaams Blok étaient pour lui bien sûr d'une grande importance politique et humaine. Il a été actif, main dans la main, avec Charta 91, Anvers tout à fait autrement, et a mis sur pied un comité de quartier (Mieux connaître Borgerhout).

La dernière école où il a enseigné, Omni-Mundo, est une école primaire du nord d'Anvers qui accueille des enfants du monde entier. A travers l'école, Jos est entré en contact avec de nombreux enfants sans papiers et avec leurs familles. Il s'est dès lors engagé dans le soutien aux sans papiers et à leurs enfants. Il a été le moteur et le porte-parole du mouvement des enfants sans papiers et co-fondateur de l'UDEP, ainsi que de Basta! qui lutte contre l'exclusion sociale dans le nord d'Anvers.

Ernest Mandel

Jos Geudens était un admirateur d'Ernest Mandel. Après le disparition de ce dernier, ce fut un honneur pour Jos d'être enseignant détaché à la Fondation Ernest Mandel. Jos était un militant passionné, mais aussi un intellectuel cultivé, dévoré par la lecture et passionné de cinéma.

Et pourtant ce n'était pas un bonimenteur, mais un personnage attachant et modeste, avec un grand sac à dos plein d'innombrables trésors culturels et politiques.

Afrique

Jos était aussi un type de militant qui force l'admiration, et pas seulement au sein des rangs de sa propre organisation. Son dévouement, son rire contagieux en plein essor, sa lutte quotidienne contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, dans sa rue ou ailleurs dans le monde, avaient fait de lui un camarade très respecté.

Jos est mort au Kenya. En 2006 il a pris sa pension anticipée et a choisi de se rendre en Afrique. «Profiter de ma retraite en jouissant de l'Afrique" a été sa devise. Mais il n'aurait pas été lui-même si, par la même occasion, il ne s'était pas occupé du sort des enfants.

Dans un quartier populaire de Mombassa, Jos a ouvert un Cinema Paradisio pour les enfants du voisinage qui, souvent, n'avaient à la maison ni télévision, ni électricité. Il avait un site Internet et un bulletin d'information avec des rapports réguliers en provenance du Kenya ( http://www.groetenuitmombasa.be/index.htm) Récemment, il avait développé un petit réseau internet contre les violences, contre les lois anti-avortement et contre les mouvements homophobes au Kenya.

En février 2010, Jos était encore venu dans sa bonne ville d'Anvers, participer notamment à un débat sur le sommet de Copenhague et à une manifestation de soutien aux travailleurs d'Opel.

Sa mort a été brutale. Jos disparaît beaucoup trop tôt. Mais regardons en arrière: sa vie a été bien remplie par son engagement politique.

Pour tout contact et correspondance: Remko Devroede: remko.devroede @ telenet.be - 0497.443487


En mémoire de Jos Geudens (1948-2010)

Ecrire sur le décès d’un ami, c’est comme revenir sur ses pas et refaire une partie du chemin parcouru ensemble.

Jos Geudens avait choisi une voie difficile: celle de la révolution en Belgique, ce petit pays fabriqué par les grandes puissances au début du 19e siècle. Elles ont rassemblé de bric et de broc deux peuples : les Flamands et les Wallons pour réaliser un Etat faible, tampon entre la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Jos a fait ce choix au Nord du pays, et moi au Sud. Jos était un Anversois débordant d’énergie. Pour lui, la défense des opprimés, de l’Humanité et la solidarité constituait une préoccupation constante. Mettre cela en pratique était son pain quotidien.

Nous nous sommes connus au cours des années 1970 en contribuant à la construction et au renforcement d’une organisation dont le nom à lui seul exprimait notre option commune : la Ligue Révolutionnaire des Travailleurs (LRT) (1), section belge de la Quatrième Internationale. Au début des années 1980, la LRT (RAL en flamand) a pris le nom de POS (Parti Ouvrier Socialiste – SAP en flamand) pour devenir en 2008 la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) tandis que les camarades flamands conservaient l’appellation SAP. Jos est resté membre de l’organisation jusqu’à son décès.

Après quelques années, Jos et moi nous sommes retrouvés dans la Commission Enseignement de la LRT. La Commission rassemblait principalement des syndicalistes révolutionnaires affiliés au syndicat socialiste FGTB (Fédération Générale des Travailleurs de Belgique) au sein de la CGSP (Centrale Générale des Services Publics). La CGSP constituait alors un syndicat national regroupant 50 000 affiliés et ce, jusqu’aux années 1980, quand ce syndicat a été scindé en deux parties suivant une division communautaire entre les Flamands, d’un côté, et les francophones, de l’autre. Jos faisait partie de la Régionale d’Anvers, la régionale flamande la plus radicale, et moi de celle de Liège, la régionale wallonne la plus à gauche.

Nos deux régionales comptaient chacune environ 5.000 membres et avaient une véritable vie démocratique : des assemblées générales très régulières décidaient des orientations à prendre et élisaient la direction régionale et les délégations aux instances nationales de décision. Nous avions contribué à mettre en place ce que nous appelions l’axe A - B – LC – Lg, c’est-à-dire, une alliance politique entre les régionales d’Anvers, de Bruxelles, du Centre (La Louvière) et de Liège. Nous avions aussi des relais dans la province du Limbourg. Quand les délégués de ces régionales se mettaient d’accord sur une même position combative, ils arrivaient à entraîner tout le syndicat derrière eux car l’addition des affiliés de ces régionales constituait une majorité qui pouvait emporter la décision d’une grève au niveau du secteur de l’enseignement ou l’adoption d’une position politique de fond à faire ensuite partager dans l’ensemble du syndicat FGTB qui comptait plus d’un million d’affiliés. Jos jouait un rôle actif au comité de la Régionale d’Anvers.

Autres points de rencontre concernant l’enseignement: Jos était mû par la volonté de développer une pédagogie émancipatrice pour les opprimés, en l’occurrence les jeunes scolarisés d’origine populaire et/ou étrangère.

Jos a aussi participé à fond au combat des travailleurs communaux (on disait «les communaux») d’Anvers et de Liège quand ces deux villes, en particulier Liège, lourdement endettées dans les années 1980, ont été soumises à des mesures drastiques d’austérité : réduction des salaires, licenciements massifs, réduction des investissements, privatisation des services… Pendant les grèves des «communaux» liégeois, notamment celle qui a duré d’avril à juillet 1983, Jos avait emmené ses collègues anversois à Liège pour exprimer leur solidarité : il avait pris la parole lors d’une assemblée d’un millier de grévistes.

Jos était aussi un internationaliste convaincu. Là aussi, nous nous sommes constamment retrouvés : actions de solidarité avec les travailleurs polonais en 1980-1983, avec les mineurs britanniques en 1984-1985, organisation de brigades de solidarité au Nicaragua sandiniste entre 1985 et 1990, actions de solidarité à l’égard des internationalistes de Tuzla et de Sarajevo pendant la guerre de Yougoslavie dans la première moitié des années 1990, sans oublier la solidarité avec la lutte du peuple palestinien…

Ces actions ont été menées dans le cadre de l’ONG Socialisme Sans Frontières et d’un regroupement de syndicalistes de la FGTB qui s’appelait «FGTBistes pour le Nicaragua».

Non contents de lutter contre les politiques d’austérité appliquées en Belgique sous le prétexte de rembourser la dette, nous avons créé ensemble le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) le 15 mars 1990 (2) en compagnie de camarades flamands comme Paul Verbrake (décédé), Anke Hintjens, Chris Den Hond et, du côté francophone, de Denise Comanne (3) et de bien d’autres. Il est frappant de constater que 20 ans plus tard, la dette publique au Nord est revenue sur le devant de la scène.

A la mort d’Ernest Mandel, un des principaux dirigeants de la Quatrième Internationale, nous avons participé activement à la création de la Fondation Ernest Mandel dont Jos est devenu permanent pendant quelques années.

Au cours de ces années 1990, Jos a renforcé son engagement dans la lutte antiraciste face à la montée en Flandres du Vlaams Blok, parti d’extrême droite fascisant. Le soutien aux enfants de sans papiers, menacés d’être exclus du droit d’aller à l’école, a demandé de plus en plus d’énergie à Jos.

Finalement, lorsqu’il a atteint l’âge de la retraite, Jos est allé s’installer au Kenya, le pays de son épouse. C’est là que nous nous sommes retrouvés en janvier 2007, lors du Forum social mondial tenu à Nairobi. Jos a aidé la délégation du CADTM composée d’une vingtaine de membres venus de Côte d’Ivoire, du Congo Brazzaville, de la République démocratique du Congo, du Pakistan, du Japon, de Tunisie, d’Inde, du Sénégal, du Mali, du Niger, de France et de Belgique. Lors de son passage en Belgique, trois semaines avant son décès, Jos avait encore demandé une vingtaine de livres du CADTM en anglais qu’il a remis à des organisations kenyanes parmi lesquelles Kengo et le People’s Parliament.

Bien qu’installé en Afrique, Jos se tenait systématiquement au courant de la politique en Belgique.

Avec le décès de Jos, c’est une partie de nous qui s’en va. Je suis certain de ne pas être le seul à vivre intensément sa disparition prématurée. Nous gardons le souvenir de son engagement obstiné, sérieux, mais aussi de ses éclats de rire homériques ainsi que de la grande chaleur humaine qu’il dégageait.

Eric Toussaint

(1) Personnellement, je précise que cette appellation ne me plaisait pas trop ; j’avais soutenu d’ailleurs lors de la fondation de ce parti, une autre proposition – Ligue Socialiste Révolutionnaire - car je pensais avec d’autres que le terme « travailleur » était trop étroit alors qu’il nous fallait rassembler tous les opprimés.

(2) En Belgique, les personnes morales qui ont contribué à la fondation en 1990 du CADTM sont issues d’horizons divers et témoignent du caractère pluriel du CADTM : des mouvements d’éducation populaire (Equipes Populaires — mouvement d’éducation permanente lié au Mouvement ouvrier chrétien —, Fondation Joseph Jacquemotte, Fondation Léon Lesoil, Union des Progressistes juifs de Belgique), des syndicats (deux régionales de la CGSP, Centrale générale des Services publics — celle de Liège et celle du Limbourg —, l’ensemble du secteur Enseignement de la CGSP, la régionale d’Anvers de l’ACOD Onderwijs, la Fédération des métallurgistes de la Province de Liège) des ONG (Peuples solidaires, GRESEA, Forum Nord-Sud, Centre Tricontinental, Socialisme sans Frontières, FCD Solidarité Socialiste, Oxfam Solidarité, Centre national de Coopération au Développement), de comités de solidarité (Comité Mennan Men-Haïti, Comité Amérique centrale de Charleroi), des mouvements de la paix (Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie — CNAPD —, VREDE), des partis (Parti ouvrier socialiste, Parti communiste), et une association féminine “Refuge pour femmes battues et leurs enfants”. Voir http://www.cadtm.org/spip.php?page=imprimer&id_article=21

(3) Je cite ici les membres du Conseil d’administration du CADTM publiés avec les statuts du CADTM au Moniteur - journal officiel belge - en février 1992. Paul Verbrake n’était pas membre du CA mais il avait joué un rôle actif dans le lancement du CADTM et avait ouvert avec Jos Geudens et moi le premier compte bancaire du CADTM.

Voir ci-dessus