Nous ne paierons pas leurs crises capitalistes! Pour un programme de luttes offensives
Par Ataulfo Riera le Lundi, 17 Novembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

La crise financière-économique et sociale actuelle s'articule avec l'aggravation d'une crise écologique sans précédent, ces deux phénomènes se combinant et exprimant les deux termes d'une seule et même crise globale du capitalisme. Ce système aberrant démontre chaque jour un peu plus et de manière dramatique l’impasse dans laquelle il plonge l’humanité. Dans cette situation nouvelle, lourde de menaces, il est nécessaire d'impulser les luttes et de les faire converger sur base d'un programme résolument anticapitaliste.

Le bilan du capitalisme

Les 30 ans d’offensive néolibérale ont provoqué un immense déplacement de richesse vers les plus riches, une dégradation continue du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital et au détriment des salariés, une destruction de leurs droits et de leurs conditions de travail et de vie. En Europe, de 1982 à 2005, la part des salaires dans le PIB a reculé de 66,3% à 58% et en Belgique elle atteint à peine les 50%. L’appauvrissement, le chômage, la précarité, sont les conséquences directes de ce partage inégal des richesses et de ces politiques néolibérales dont les femmes, les jeunes et les populations d’origine étrangères en sont les premières victimes. Cette suraccumulation de capitaux et de profits aux mains d'une minorité dans le cadre d'un système productif mondialisé jouant sur les différences salariales et la concurrence à outrance «libre et non faussée» sont à l’origine de la crise bancaire, financière, monétaire actuelle.

Celle-ci frappe désormais de plein fouet l'économie mondiale, avec une nouvelle montée du chômage, de la précarité et de la misère pure et simple qui touche en premier lieu ceux et celles qui ont été les plus fragilisé/es par ces 30 années de politiques néolibérales.

Des milliards de dollars sont partis en fumée et plus de 4000 milliards de dollars publics ont été dépensés par les gouvernements du monde afin de sauver le système bancaire et financier capitaliste. Ces sommes colossales, débloquées en un tour de main, suffiraient pourtant à pallier de manière structurelle les inégalités et les souffrances les plus criantes d'une bonne partie de l'humanité; d'après les Nations Unies, 4,75 milliards d'êtres humains sont pauvres. Le nombre de travailleurs/euses pauvres qui vivent avec moins d'un dollars par jour passera de 480 millions à 520 millions entre 2008 et 2009, soit 40 millions de plus. Les travailleurs/euses gagnant moins de 2 dollars/jour augmenteront quant à eux de 100 millions pour atteindre le chiffre de 1,4 milliards de personnes. Près d'un milliard de personnes sont au chômage dans le monde et, d'après l'OIT, 20 millions de travailleurs/euses supplémentaires vont perdre leur emploi dans les mois à venir.

120 millions d'enfants ne sont pas scolarisés alors que 875 millions d'adultes, en majorité des femmes, sont analphabètes. 45% de la population mondiale n'a pas accès à l'eau potable et chaque jour 5000 enfants meurent de soif d'après les Nations Unies. Les maladies liées à l'eau provoquent la mort d'un enfant toutes les 8 secondes. 3 milliards de personnes n'ont pas accès à des soins de santé dignes de ce nom. Près d'un milliard de personnes souffrent de la famine ou de la sous-alimentation. En Europe, le taux de pauvreté est de 16% en moyenne, soit 78 millions de personnes, 8% des travailleurs/euses vivent en dessous du seuil de pauvreté et 20% des européens/nes n'ont pas accès à un logement décent. Le bilan du capitalisme et les conséquences de sa crise actuelle donnent froid dans le dos.

En Belgique, le gouvernement Leterme a dépensé plus de 22 milliards d'euros publics pour sauver les banquiers et les actionnaires de leur propre irresponsabilité. Or, chez nous aussi la misère et la précarité augmentent de manière dramatique et rien de sérieux n'est fait pour y répondre; il y a 6% de travailleurs pauvres et plus de 25% des travailleurs ont un emploi précaire; l'écart entre le salaire brut moyen des hommes et celui des femmes est de 25%, les femmes représentent plus de 80% des travailleurs à temps partiel et plus de 95% des travailleurs en titres service. 14,7% de la population belge, soit 1,5 million de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté fixé à 860 euros par mois pour un/e isolé/e. Le relèvement de toutes les allocations sociales au niveau du seuil de pauvreté coûterait pourtant à peine 1,25 milliard d'euros et une mesure aussi minime et insuffisante que la baisse de la TVA à 6% sur l'énergie coûterait quant à elle moins d'1milliard d'euros...

On voit ainsi clairement où sont les priorités des gouvernements capitalistes et quels intérêts ils défendent. On voit également ainsi que même des revendications pourtant timorées et minimales ne sont pas satisfaites lorsqu'elles entrent en contradiction avec le partage inégal des richesses en faveur des capitalistes. Il n'y a pratiquement plus d'espace, ni même de volonté, pour des politiques purement «réformistes». La prétendue «régulation» du «mauvais capitalisme» en faveur du «bon» avancée par les partis traditionnels, de droite comme de «gauche» n'est qu'un leurre tragi-comique.

Changement climatique: on va droit dans le mur!

Les modes de production et de consommation capitalistes provoquent parallèlement une crise écologique multiforme qui n’épargne aucun des secteurs vitaux pour l’humanité et qui frappera une fois de plus de plein fouet les salarié/es et les pauvres, au Nord comme au Sud. Le changement climatique, qui constitue le danger numéro un de cette crise écologique, s'accélère de manière alarmante, démontrant l'inefficacité de toutes les politiques menées jusqu'à présent. Les chiffres de 2007 sur l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre sont supérieurs aux estimations les plus pessimistes des scientifiques du Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec). Depuis 2000, ces émissions ont augmenté de 3,5%, soit quatre fois plus qu’entre 1990 et 2000, alors que le pire scénario du Giec envisageait une augmentation de 2,7 %!

Comme le souligne Daniel Tanuro, «Le fond du problème est que la course incessante au surprofit nourrit une tendance permanente à la surproduction, donc à la surconsommation. Un tel système ne peut être bénéfique à la fois « pour les entreprises, pour le social et pour l’environnement ». Le « win-win-win » est une illusion. Il est totalement illusoire d’espérer que des mécanismes de marché permettent de réduire les émissions de pays développés de 80 à 95% d’ici 2050, comme le GIEC le recommande. Cet objectif extrêmement élevé ne peut pas être atteint par plus de régulation du marché, mais en sortant des mécanismes de marché.»

Mesures d'urgence anticapitalistes et mobilisations sociales

Que ce soit face à la crise écologique ou à la crise sociale-économique, les solutions ne peuvent êtres que des solutions anticapitalistes et transitoires, qui dessinent clairement les contours d'une alternative de société écosocialiste. On ne «régule» pas un système dont la seule logique est la quête du surprofit; soit on s'y adapte en apportant quelques retouches mineures et insuffisantes «à la marge de sa marge», soit on le combat résolument, il n'y a pas de demi-mesure possible.

Face à l'ampleur et à la profondeur de la crise globale actuelle et de ses conséquences, les réponses ne peuvent être qu'à la hauteur du défi; des mesures d'urgence anticapitalistes intégrant étroitement et articulant systématiquement les revendications sociales, écologiques, féministes, démocratiques, antiracistes et anti-impérialites. Des mesures qui doivent s'appuyer sur des mobilisations de masses tout aussi déterminées afin d'affirmer que les salarié/es, les femmes, les jeunes, les pauvres ne paieront pas les frais de leurs crises et pour exiger au contraire une redistribution radicale des richesses, des mesures qui mettent concrètement en question le sacro-saint «marché libre» et la propriété privée des moyens de production.

Leurs cauchemards sont nos espoirs

Dans son discours de rentrée au Parlement, Yves Leterme a tenu ces propos on ne peut plus limpides; «Nous attendons des citoyens qu'ils respectent la législation qui a été mise au point par la voie démocratique, qu'ils remplissent leurs devoirs de citoyens». Autrement dit, qu'ils subissent la crise et ses conséquences avec la passivité et le fatalisme du bétail qu'on mène à l'abattoire. Mais cet appel à la soumission traduit également une certaine crainte de la part de la bourgeoisie, celle de voir ces mêmes citoyens dociles se dresser un jour contre toute politique qui viserait à faire porter le fardeau et les «sacrifices» sur le dos de ceux qui n'ont aucune responsabilité dans la crise actuelle.

L'heure est donc plus que jamais à la résistance. Malheureusement, en Belgique, l'inertie des directions syndicales et des grandes organisations face à la crise est ahurissante. Ce qui n'empêche pas les militants et les militantes de la LCR d'assumer leur tâche, celle d'être au coeur et à l'initiative de mobilisations unitaires pour répondre à la double crise du capitalisme; que ce soit dans la manifestation nationale pour le climat du 6 décembre avec le groupe «Climat et justice sociale» comme moteur, ou dans l'appel «Stop au capitalisme de casino» qui a rassemblé, avec le soutien de mouvements sociaux et politiques tels qu'ATTAC, Vrede, le CADTM ou le PTB, près de 150 personnes à la Bourse le 12 novembre dernier, comme première étape.

Il nous faut poursuivre dans cette voie dans les mois à venir; impulser, élargir et unifier les luttes et les résistances afin de toucher et convaincre les masses qu'il est nécessaire et possible d'agir ici et maintenant, afin d'offrir une perspective à ceux et celles qui sont à la recherche d'une issue favorable au monde du travail et pas au capital. Aux capitalistes de payer leurs crises!


Pour un programme de lutte offensif!

Les crises globales du capitalisme exigent non seulement une explication pédagogique, mais également des actions et des mobilisations qui s'appuient sur un programme de revendications combatif, à la hauteur des défis et de la gravité de la situation. C'est pourquoi nous avançons une série de propositions pour un tel programme d'urgence anticapitaliste:

- Face à la perte du «pouvoir d'achat», les seules réponses efficaces sont une augmentation généralisée des salaires (et pas seulement en brut, mais aussi en net); 150 euros net en plus pour tous/tes et pas un salaire inférieur à 1.500 euros/net; pour un retour à un véritable index qui tienne compte des prix réels, de leur poids réels dans le budget des ménages et qui est appliqué automatiquement et mensuellement à tous les salaires et à toutes les allocations sociales (chômage, pensions, invalidité); pour une revalorisation radicale de toutes ces dernières (aucune allocation à moins de 1.100 euros par mois pour un isolé) et suppression de la TVA sur les biens de première nécessité.

- Pour garantir une égalité réelle entre les hommes et les femmes et abolir la précarité dont elles sont les premières victimes en général et plus encore en temps de crise; à travail égal, salaire égal; suppression du statut de cohabitant; individualisation des droits sociaux; revalorisation des pensions des femmes; conversion des emplois précaires, intérimaires, à temps partiel et titres-services en CDD, pour un service public de la petite enfance (extension et gratuité des crèches et des garderies publiques) et du troisième âge.

- Face à la crise climatique, aux prix énergétiques, alimentaires et du logement, il faut lutter pour le blocage et le contrôle public des prix et des loyers par les organisations syndicales, de consommateurs et de locataires; pour la création d'un grand service public du logement qui procède à la construction massive de logements publics et à la rénovation-isolation des habitations; pour la gratuité et l'extension de tous les transports publics; pour un service public de l'énergie, de la production à la distribution, qui développe massivement les énergies renouvelables – solaires avant tout - grâce aux sommes aujourd'hui consacrées à la recherche et à l'entretien des centrales nucléaires; pour la reconversion sous statut public des entreprises les plus polluantes. Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% d’ici 2050, comme le GIEC le recommande pour éviter le scénario catastrophe, il faut sortir des mécanismes du marché et appliquer un plan démocratiquement déterminé.

- Face aux licenciements, à la montée du chômage et aux fermetures d'entreprises, les organisations syndicales doivent lutter pour l'abolition des politiques « d'activation » et de sanctions à l'égard des chômeurs et opposer un refus catégorique à la dégressivité des allocations de chômage et à leur limitation dans le temps. Dans la lutte contre le chômage, deux instruments sont indispensables: 1) la réduction du temps de travail à 32 heures, sans perte de salaire ni augmentation des cadences et avec embauche compensatoire; 2) l'interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices, sous menace de remboursement de toutes les aides publiques reçues sous formes de subsides ou de baisse des charges patronales ou fiscales. Sans oublier, dans la défense des travailleurs/euses les plus précarisés, la nécessaire régularisation de tous les sans-papiers!

- Face à la crise financière et bancaire, il faut exiger dans un premier temps exiger la suppression des paradis fiscaux et la levée du secret bancaire comme conditions pour un contrôle public drastique et une taxe sur les transactions internationales de capitaux. Il faut exiger la création d'un service public banque-assurance et du crédit, par la nationalison de toutes les banques et institutions financières, sans indemnités pour les gros actionnaires et sans vente ultérieure des actifs, sous le contrôle des salariés du secteur et de la population. Un service public décentralisé et mutualisé qui aurait pour objectif de drainer l’épargne et de mobiliser le crédit pour satisfaire les besoins sociaux et environnementaux démocratiquement décidés par la collectivité.

- Face à l'inégalité du partage des fruits du travail, il faut imposer une redistribution radicale des richesses afin de financer les mesures décrites ci-dessous, créer des centaines de milliers d'emplois socialement et écologiquement utiles (dans la santé, l'éducation, les crèches, les transports publics, l'isolation-rénovation des logements, les énergies renouvelables et les matériaux écologiques); par la suppression des cadeaux au patronat sous forme de baisse des charges et autres intérêts notionnels; par l'établissement d'un cadastre des fortunes pour instaurer un impôt annuel de 2% sur les grosses fortunes; par une plus forte progressivité de l'impôt proportionnellement aux facultés contributives; et surtout par la réduction radicale des dividendes distribuées aux actionnaires-rentiers et leur réinvestissement dans l'augmentation des salaires et de l'emploi.

L'ensemble de ces mesures est parfaitement réalisable dans un pays tel que la Belgique, avec ses richesses énormes, accaparées aujourd'hui par une petite minorité. Il est clair également que dans le contexte d'une intégration européenne sous la houlette d'une UE néolibérale, elles doivent également s'articuler face à cette dernière, notamment parce que dans des domaines tels que la lutte contre le changement climatique ou pour la mise sous contrôle de la finance, une lutte coordonnée à l'échelle européenne est absolument indispensable.

Ces propositions paraîtront sans doute «irréalistes» aux yeux de certains, trop habitués à la routine des revendications «raisonnables» avancées dans le cadre feutré de la «concertation sociale» ou des «compromis» parlementaristes. Mais dans les conditions exceptionnelles que nous vivons aujourd'hui avec l'ampleur de la crise capitaliste et ses conséquences, ce sont au contraire ces demandes «raisonnables» qui deviennent de plus en plus irréalistes et en décalage total face à la dégradation des conditions de vie vécues par le plus grand nombre. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles!

Voir ci-dessus