TSCG: carton rouge de la CNE aux parlementaires
Par Felipe Van Keirsbilck le Mercredi, 19 Juin 2013 PDF Imprimer Envoyer

Le TSCG sera-t-il ratifié par la Belgique, son parlement national et ses parlements régionaux? Tout porte à croire que oui. Tout porte à croire aussi que, informée et consultée, une majorité de la population rejetterait ce nouveau traité européen qui grave l'austérité dans le marbre et fait de la régression sociale une religion. Seulement voilà: d'information et de consultation, il n'est pas question. Tous les pouvoirs, y compris le pouvoir médiatique, se liguent au contraire pour que le vote infâme se déroule en catimini, comme si de rien n'était. "Circulez, il n'y a rien à voir", nous dit-on alors que les charpentiers européens clouent le cercueil dans lequel ils veulent enterrer la dépouille de "l'Etat providence", avec ses services publics, sa sécurité sociale et son droit du travail. Ce déni de démocratie devrait ouvrir les yeux du mouvement syndical sur la gravité de la situation et le convaincre du fait que la présence du PS au gouvernement ne constitue nullement un "moindre mal". L'éditorial que Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE, signe dans le dernier numéro du "Droit de l'Employé", développe à cet égard une argumentation convaincante. Nous le reproduisons ci-dessous (LCR-web)

 

Carton rouge ! Nous nous sommes invités au Parlement ce mercredi 5 juin. Et nous y avons assisté à un scandale inouï.

Accrochée à un réverbère, devant chez moi, il y a une affiche rouge, informant les habitants du quartier : un voisin envisage d’élargir sa véranda ; nous avons le droit d’aller consulter le plan, accompagnés éventuellement d’un architecte. Tel jour il y aura une audition, tous nos commentaires pourront y être entendus, et l’auteur du projet devra se justifier s’il risque de porter préjudice à un des voisins. A-t-il des arguments solides pour défendre son projet ? Sinon, l’urbanisme le recalera. Et si j’estime que la commission communale n’a pas correctement tenu compte de mes critiques, je peux même faire un recours à la Région. Une véranda, ce n’est qu’une véranda, mais la démocratie a ses exigences…

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Ce mardi 4 juin, la CSC et la FGTB (et la plate-forme belge pour l’Alter Summit) avaient invité les partis francophones présents au Parlement à venir exposer et justifier leur position sur le « Pacte budgétaire », aussi connu sous le doux nom de « traité Merkozy ». Un traité qui, aux propres dires de Madame Merkel, imposerait aux pays qui l’adopteront « l’austérité pour toujours » (voir « En savoir plus et débattre ») ; un traité qui demande que les orientations néolibérales de la Commission, dont on voit les brillants résultats en Grèce, en Espagne, au Portugal, soient gravées dans la Constitution des Etats-membres (ou dans un texte de nature constitutionnelle).

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les représentants de ces 4 partis (le FDF ne s’était pas déplacé) étaient très mal à l’aise. Ils n’étaient d’accord sur rien, abondaient en déclarations émouvantes contre l’austérité, reconnaissaient que ce traité ne résoudrait rien et posait des problèmes fondamentaux … mais concluaient en fin de compte, avec une touchante unanimité, qu’ils voteraient « oui » à la ratification… A la curieuse exception d’ECOLO, qui tentait d’expliquer l’inexplicable, à savoir qu’ils voteraient « non » au Parlement fédéral… mais « oui » aux parlements régionaux de Wallonie et Bruxelles. Total : personne ne s’opposera vraiment à ce mortel traité.

Nous sommes, paraît-il, en démocratie. Chaque député, y compris les 4 qui ont eu le courage de se présenter à notre débat, a le droit d’avoir ses opinions. Y compris de soutenir (fût-ce avec des grimaces de dégoût…) un traité que tous les syndicats européens, tous les économistes critiques, toutes les ONG, et même les économistes libéraux honnêtes (il y en a) décrivent comme une monstruosité absolue.

Mais il y a quand même deux choses que nous sommes en droit d’exiger de nos élus. La première est la cohérence. Passons sur le MR : défendre un traité austéritaire, anti-salaires, anti-services publics et anti-social est cohérent avec la ligne de ce parti qui, de réformes fiscales en « intérêts notionnels », défend avec constance l’intérêt des grandes fortunes et des multinationales. Mais les autres ?

La même semaine, on a pu lire dans la presse une pleine page du sénateur Francis Delpérée (CDH) qui expliquait la violation grave des principes de démocratie qu’un tel traité implique. Ce qui ne l’a pas empêché de signer, « par discipline de parti ». Le lendemain, le président du PS publiait un appel à donner un autre cap à l’Europe, à refuser l’Europe de l’austérité. Ce qui n’empêchera pas les députés PS (après les sénateurs) de voter « oui » à Merkozy. Quant au vote d’ECOLO, il a été, au niveau fédéral, cohérent avec le discours de ce parti… Mais tout porte à croire que la position inverse sera adoptée dans les parlements où ECOLO fait partie de la majorité… Aucun des partis qui prétendent (même timidement, et comme honteusement) défendre encore les intérêts des travailleurs, des ouvriers, des employés, des cadres, ne fera ce qu’il dit qu’il faudrait faire. 
Cela mériterait au minimum, croyons-nous, un carton jaune.

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Mais il y a plus grave. La seconde chose qu’on peut attendre de parlementaires, c’est un tant soit peu de respect pour le débat. De ne pas fuir le dialogue avec ceux qui ont d’autres arguments… ou défendent d’autres intérêts.

Lors de notre débat, nous avions dit que nous serions présents le lendemain, au Parlement, quand la commission examinerait ce traité, et que nous demanderions l’audition des experts syndicaux. Que ce fut beau d’entendre la représentante du PS, celui du CDH et même celui du MR souligner l’importance de s’écouter, et jurer leurs grands (ou petits) dieux qu’ils tenaient plus que tout au dialogue…

Et que ce fut répugnant, 24 heures plus tard, de voir la proposition d’audition (introduite par ECOLO et Groen) rejetée par tous les partis. MR, CDH et PS ont empêché que la voix des organisations qui représentent 3 millions de travailleurs soit simplement entendue. Ce n’aurait pourtant pas été du luxe, tant la confusion et la gêne régnaient dans le débat qui a conduit à une approbation en catimini de ce traité. Fallait-ils qu’ils aient peur du débat, ces députés ?! Fallait-il qu’ils sachent profondément que le « oui » qu’ils s’apprêtaient à voter était profondément indéfendable, que leurs arguments ne tiendraient pas 10 minutes, pour que, toute honte bue, ils osent décider de ne pas entendre ?... Faut-il qu’ils méprisent le peuple (dont ils ont besoin un quart d’heure tous les 4 ans, pourtant) pour ne même pas autoriser que nos arguments soient prononcés dans le Parlement ?

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Si un voisin veut élargir une véranda, nous avons le droit d’être consultés, et entendus. C’est très bien. Pour modifier fondamentalement et pour longtemps les bases de la démocratie, pour sous-traiter aux experts anonymes de la Commission le pouvoir qui leur a été prêté (et non pas donné !) par le peuple, ces députés n’ont pas même estimé qu’une heure de débat sérieux serait utile.

Il est clair que pour ces députés (voyez la liste sur notre site), la Démocratie est une belle chose. Bien trop belle pour que le peuple y touche, avec ses sales doigts.

Cela mérite un carton rouge.

Felipe Van Keirsbilck,

Secrétaire général


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