Dossier : Acquis et défis du Mouvement des indignéEs dans l'Etat espagnol
Par Josep Maria Antentas, Esther Vivas, Sandra Ezquerra, Gonzalo Donaire le Mercredi, 15 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

Dans l’Etat espagnol, le « Mouvement des IndignéEs » est en train de passer à une nouvelle étape. Une partie des campements a été levée, comme à la Puerta del Sol à Madrid ou à la Plaza de Catalunya de Barcelone, tout en maintenant des points d’informations et des assemblées régulières sur ces lieux. Parallèlement, le mouvement d’assemblées de voisins dans les quartiers, les petites villes et les villages se développe, ainsi qu’une série de mobilisations devant les sièges des municipalités et des régions où s’installent les nouvelles majorités issues des dernières élections. A Barcelone, ce 15 juin, des députés régionaux ont dû utiliser un hélicoptère pour éviter le blocage des IndignéEs !

Il y a également une foule d’autres actions : rassemblements pour empêcher les expulsions de logements hypothéqués (plus de 500 personnes se sont ainsi rassemblées dans un quartier à Madrid) ; contre les rafles policières à l’encontre des sans-papiers dans les transports publics ; occupations de sièges patronaux et du Ministère du Travail contre les réformes du code du travail et des pensions ; actions dans les banques ou dans des grandes surfaces pour redistribuer de la nourriture aux défavorisés…

Signe qui ne trompe pas sur l’ampleur du mouvement, les médias dominants et les partis politiques traditionnels ont entamé une intense campagne pour le décridibiliser en condamnant la « violence » des indignéEs, qui est en réalité bien souvent le fait d’agents provocateurs de la police, infiltrés dans les rassemblements.

En tous les cas, deux dates de mobilisations centrales seront importantes pour évaluer l’impact de cette campagne de dénigrement sur l’élargissement et l’approfondissement du Mouvement ; ce dimanche 19 juin, avec des manifestations dans tout le pays contre le « Pacte de l’Euro » concocté par l’Union européenne; et le 15 octobre prochain. Ces deux rendez-vous sont également internationaux, avec plusieurs centaines d’actions et de mobilisations à travers l’Europe.

Nous publions ci-dessous plusieurs contributions et interviews de camarades d’Izquierda anticapitalista (Gauche anticapitaliste) sur cette nouvelle étape du mouvement et la riche expérience d’auto-organisation des campements. Nous reproduisons également un appel lancé par des syndialistes critiques du syndicat CCOO afin que ce dernier apporte un soutien actif au Mouvement du 15-M. Le lien avec les travailleurs-euses et le mouvement ouvrier organisé sera en effet déterminant pour l’avenir et l’évolution de ce mouvement. (LCR-Web)

Le Mouvement des indignéEs : Passer à l’étape suivante

Cela fait déjà quatre semaines. Quatre semaines que le paysage politique et social dans tout l’Etat espagnol a été bouleversé par l’irruption d’un mouvement que personne n’attendait. Ce mouvement a déjà à son actif quelques victoires politiques face à la Junte Electorale d’abord, et face à la tentative d’expulsion du camp de Barcelone ensuite. Et, surtout, il a mis fin à la passivité résignée face aux attaques contre les droits sociaux.

Après d’intenses journées d’activisme, la fatigue et l’épuisement laissent des traces dans les campements. Les difficultés de gestion de plusieurs d’entre eux sont notoires. Leur temps s’achève. Car ces campements et occupations de places ne sont pas une fin en soi. Elles ont agit à la fois comme symboles de référence et bases d’opération, comme des points d’appui afin d’impulser les mobilisations de demain et comme haut-parleurs pour amplifier celles d’aujourd’hui. Lever ces camps dans une position de force, volontairement, sans entrer dans une spirale en déclin comme certains signes le laissaient déjà entrevoir, tel est le pas à faire maintenant. Et c’est ce pas qui est actuellement suivi, avec difficulté, dans de nombreux campements.

Le défi est d’être capable de gérer le succès afin de passer à la phase suivante en utilisant l’énergie et l’impulsion des campements pour continuer à avancer. Des campements et occupations des places émerge ainsi un calendrier de mobilisations immédiates. Elles doivent permettre à la fois de faire culminer la phase ouverte par le 15 Mai et marquer l’entrée dans la phase suivante, pour commencer à déplacer le centre de gravité du mouvement.

Premièrement, il y a les mobilisations qui se déroulent ce samedi 11 juin dans de nombreuses localités à l’occasion de l’entrée en fonction des nouvelles majorités régionales et  municipales, et cela à la suite des rassemblements qui ont été durement réprimés devant le Congrès (de la communauté autonome, NdT) de Valence ce 9 juin, avec l’investiture du nouveau gouvernement régional de droite.

En second lieu, il y a les mobilisations devant les sièges de plusieurs institutions contre les politiques d’austérité, à la suite des rassemblements du 8 juin face au Parlement à Madrid contre la réforme des négociations collectives, et celui du vendredi 10 juin face au siège du Ministère du Travail. Parmi les rassemblements prévus, ceux des 14 et 15 juin devant le Parlement catalan, pour y organiser un campement et un blocage, sont particulièrement importants.

Une mobilisation réussie le jour où la session du Parlement commence à discuter du budget peut constituer un moment clé dans les luttes contre l’austérité qui secouent depuis plusieurs mois la Catalogne, surtout dans les secteurs de la santé et de l’enseignement. Cela pourrait constituer une référence pour de futures mobilisations dans d’autres communautés autonomes lorsque ces dernières commenceront également à se pencher sur des mesures d’austérité à partir de l’automne prochain.

En troisième lieu, il est nécessaire de préparer la journée de manifestations du 19 juin (19J) dans tout l’Etat espagnol et dont le thème général proposé par le campement de Barcelone est « La rue est à nous. Ne payons pas leur crise ». Ce rendez-vous devrait permettre de traduire dans la rue les sympathies suscitées par les campements et les occupations et de renforcer ainsi la dimension de masse du mouvement. Le défi du 19 juin est de pouvoir montrer l’élargissement politique et social du mouvement par rapport à la journée du 15 mai.

Au-delà de ces mobilisations immédiates, il faut également fixer une feuille de route pour l’étape suivante. Il est également nécessaire d’élaborer en ensemble de revendications de base qui combinent un discours général de critique face au modèle économique actuel et à la caste des politiciens, dans l’esprit du slogan central de la journée du 15M : « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiciens et des banquiers » et avec des propositions concrètes. Faute d’un cahier de revendications communes à tous les campements, celui de Barcelone semble le plus consistant du point de vue politique et constitue un bon point de départ et de référence revendicative pour l’avenir.

Dans cette nouvelle période, on ne peut perdre de vue le caractère de référence symbolique qu’ont acquis les campements et les occupations des places. Maintenir ces symboles, en tant que « mémoire » et élément de continuité, est très important. De là la volonté de nombreux campements qui ont décidé de se dissoudre tout en maintenant une petite infrastructure sur les places (des points d’information) et d’y organiser régulièrement des assemblées.

Les chemins à prendre pour les prochains moins semblent clairs. Premièrement, renforcer l’enracinement territorial du mouvement, renforcer les assemblées locales et établir des mécanismes de coordination stables. Il sera nécessaire de trouver une méthode capable de combiner l’enracinement local et les activités unificatrices, sans tomber dans la dispersion d’objectifs. La proposition d’une consultation populaire qu’ébauchent certains activistes de la Plaza de Catalunya pourrait permettre, avec d’autres initiatives, d’atteindre un tel objectif.

Deuxièmement, établir des liens avec la classe ouvrière, les secteurs en lutte et le syndicalisme de combat et maintenir ainsi la pression sur les syndicats majoritaires, déconcertés par un changement du panorama politique et social qu’ils n’avaient pas prévu. Le défi est de porter l’indignation dans les lieux de travail, où la peur et résignation prédominent toujours.

Troisièmement, préparer la journée du 15 octobre, comme date de mobilisation unificatrice en cherchant en outre à la transformer en une journée d’action globale et un moment décisif pour l’internationalisation du mouvement.

Quatrièmement, combiner le développement d’un mouvement généraliste, le « mouvement des indignéEs » qui fait une critique de l’ensemble du modèle politique et économique actuel, et son articulation avec des luttes concrètes contre l’austérité et les politiques qui visent à faire payer la crise aux travailleurs-euses.

Une étape s’achève et une autre commence. Sans que l’on s’en rende compte, nous avons dans les mains un mouvement dont on commence seulement à découvrir tout le potentiel.

Josep Maria Antentas et Esther Vivas

Josep Maria Antentas est professeur de sociologie à l’Universitat Autónoma de Barcelona (UAB). Esther Vivas participe au Centre d’études sur les mouvements sociaux (CEMS) de l’Universitat Pompeu Fabra (UPF). Tous deux sont membres de la Gauche Anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista – Revolta Global, en Catalogne), rédacteurs à la revue « Viento Sur » et auteurs de « Resistencias Globales. De Seattle a la Crisis de Wall Street » (Editorial Popular, 2009).

http://esthervivas.wordpress.com / Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be


Plaza de Catalunya à Barcelone: « Le Mouvement du 15-M a mis dans la rue des milliers de personnes qui ne bougaient pas de leur fauteuil »

Diplômée en sociologie à l’Université de l’Oregon, Sandra Ezquerra, 34 ans, travaille comme chercheuse à l’Universitat Autónoma de Barcelona. Elle est active depuis de nombreuses années dans les mouvements sociaux, particulièrement sur les terrains féministes et alterglobalistes. Elle a participé à la dynamique du campement de la Plaza Catalunya pendant ses trois premières semaines et est toujours impliquée dans la transformation de ce camp en une mobilisation citoyenne dans les quartiers. Elle est également membre de Revolta Global – Izquierda anticapitalista, section de la IVe Internationale en Catalogne et dans l’Etat espagnol. Entretien publié dans le quotidien catalan « La Vanguardia ».

Quel a été ton rôle dans le campement ?

Les trois premières semaines, j’ai fait partie de la « commission de dynamisation » des assemblées générales. C’est elle qui prépare les ordres du jour, coordonne les informations venant des autres commissions, recueille et priorise les débats, gère les votes, etc.  Ce sont des tâches intéressantes mais écrasantes. Nous avons modéré des assemblées qui ont compté jusqu’à 10.000 personnes ! Et une assemblée normale dure en moyenne deux heures et demie.

Lors des assemblées de la « Journée de Réflexion » et après la tentative d’expulsion, on entendait à peine les modérateurs. Nous avons peu à peu perfectioné le modèle, mais il reste encore pas mal de choses à améliorer. On ne peut pas appliquer un modèle d’assemblée classique avec autant de monde. Il y a en tout 20 personnes « dynamisatrices », avec différents rôles : présenter, noter les votes, distribuer le tour de parole, assurer une sorte de service d’ordre vers l’extérieur en cas de problème…

Expliques-nous brièvement comment se prennent les décisions dans l’Assemblée

Nous commençons avec 10 minutes d’informations sur les luttes, avec la participation de personnes qui y sont impliquées ou des porte-paroles, comme ceux du campement de Sants contre les emplois précaires à Telefónica ou contre la répression au Maroc. Ensuite vient le premier plat : les commissions expliquent sur quoi elles travaillent et soumettent des propositions au vote. Et le deuxième plat c’est l’ouverture d’un tour de parole, parfois totalement ouvert et libre, parfois centré sur une seule question à trancher.

Le dessert, c’est donc le vote...

C’est une question délicate, parce qu’à Barcelone nous ne fonctionnons pas de la même manière qu’à la Puerta del Sol. La plupart des gens ignorent que les assemblées ne décident pas par majorité mais par consensus. Quand on soumet quelque chose au vote, nous demadons les votes « pour » ; « contre » et ceux qui veulent un « débat ».

Qu’implique cette troisième option ?

Les minoritaires peuvent pondérer la gradation de leur opposition. Si 40 personnes, au minimum, ne veulent pas accepter la mesure votée majoritairement, parce qu’il s’agit d’une question cruciale pour eux, ils peuvent rouvrir à nouveau le débat. Ils s’engagent alors à participer à la commission où cela sera débattu. S’ils n’y participent pas, alors on considère que la chose est approuvée. S’ils y vont et qu’on y parvient pas à un consensus avec lequel ils sont d’accord, la question revient en assemblée générale sous forme du « 2x2 » : deux représentants de chaque position débattent devant toute l’assemblée, qui vote ensuite à nouveau. Ces derniers jours, et cela à créé un malaise chez certains, nous avons changé le mécanisme dans ce second tour de vote afin de décider par une majorité simple de 50% + 1.

Ainsi, pour les questions très polémiques on opte donc quand même pour l’arithmétique ?

Dans des assemblées aussi grandes, il suffit que 15 personnes - voire des provocateurs de la police - veuillent systématiquement tout bloquer pour que le consensus soit immédiatement inaplicable. Même si nous ne sommes pas pressés, cela décourage les gens. Le système d’assemblées a évidement aussi ses faiblesses et ses contradictions.

Compter les votes à main levée sur une place pleine de monde, ce n’est pas très sûr…

Souvent, cela n’a pas été nécessaire, presque toutes les mesures ont été prises facilement ou avec un consensus clairement visible. Je ne me souviens que de trois débats ardus ; sur le maintien de l’occupation de la place ; sur l’inclusion de l’autodétermination des peuples dans les revendications minimales et que faire face à la célébration de la Champions League.

Les assemblées peuvent-elles, à très long terme, représenter une alternative à la démocratie représentative ?

Oui, mais à condition qu’elles soient bien gérées. Dans les quartiers, cela fonctionne, mais ce n’est pas encore une alternative globale. Et elles peuvent aussi souffrir de dérives perverses, comme tous les systèmes. Elles doivent s’adapter à chaque contexte, il n’y a pas de recette magique.

Il a été décidé d’étendre le mouvement vers les quartiers et il y a des assemblées et des mobilisations diverses, mais tout le monde regarde toujours vers la Plaza Catalunya car c’est là que bat le cœur du mouvement…

Le camp été le point névralgique au niveau symbolique, politique et de cohésion. Transférer ailleurs toute cette énergie ne se fait pas du jour au lendemain. On a déjà décidé d’espacer les assemblées sur la Place, elles ne se font plus quotidiennement mais trois fois par semaine. Et nous en aurons sans doute bientôt une par semaine ou par mois.

Es-ce qu’il s’est produit le cas qu’une assemblée décide une chose un jour et que le lendemain, les participants n’étant plus les mêmes, on décide exactement le contraire ?

Nous avons appliqué une mesure qui réduit un peu ce risque. On ne peut voter une proposition sans la présenter d’abord dans une première assemblée, sans la publier sur internet avec des documents pour que les gens puissent y réflechir et débattre à l’avance. Ainsi les votes se font après mûre réflexion, les décisions sont pensées et prises en connaissance de cause.

Pourquoi cela a-t-il été si difficile d’inclure le droit à l’autodétermination dans les revendications minimales ?

J’ai modéré l’assemblée où cela a été débattu et il y avait des gens qui rejettaient cela sans offrir de raisons. Beaucoup d’autres ont argumenté contre ; des gens liés aux courants anarchistes anti-étatiques, une petite minorité d’espagnolistes, des gens qui confondent « autodétermination » avec « indépendance », d’autres qui pensaient que cela a une connotation violente, etc.

Sans doute que si la proposition n’avait pas inclu les mots « y compris pour le peuple catalan », le consensus aurait été plus facile. Mais je comprends également que les membres de la sous-commission qui a proposé cela ont pensé que si nous étions pour ce droit dans le cas du peuple sahraoui ou palestinien, alors pourquoi pas pour le catalan ? Je pense qu’il est difficile de s’opposer avec des arguments politiques au droit d’un peuple à décider de son propre sort et la sous-commission a été très raisonnable et est ouverte à débattre à nouveau de la question.

Es-ce que la plaza Catalunya a joué le rôle d’un aimant pour tous ceux qui défendent une cause ?

C’est possible. Mais selon moi il y a un lien très clair entre la crise du modèle agricole et alimentaire, les hypothèques et le chômage. Bloquer une expulsion d’un logement n’est pas très différent que de planter un potager urbain ou de protester contre les mesures d’austérité dans la santé. Cela participe d’une même lutte commune, mais avec des gens qui se spécialisent pour approfondir chaque thématique.

Et comment s’appelle cette lutte commune ?

Une économie au service des gens.

C’est une forme plus douce de dire « anticapitalisme » ?

Non, car le mouvement est composé de gens ayant des options différentes. Certains seraient satisfaits avec des mesures de liquidation des hypothèques tandis que d’autres, comme moi, sont pour des mesures plus radicales. C’est gradué.

Es-ce que l’émergence du mouvement des indignés en Catalogne est lié au désanchantement vis-à-vis de la gauche ?

Oui, il y a un désanchantement contre la caste politicienne en général et la gauche institutionnelle en particulier, de la part des secteurs sociaux qui ont voté pour la social-démocratie. Il y a aussi une désillusion après sept années au pouvoir d’une coalition de gauche dans la Generalitat (gouvernement catalan, NdT) et face au bilan du gouvernement socialiste dans l’Etat espagnol. Ce mouvement a ouvert une brèche dans le discours monolothique selon lequel tout ce qui se passe aujourd’hui est inévitable.

Y a-t-il encore des gens de droite sur la place ?

La première semaine, il y avait une fille qui passait beaucoup dans les médias et qui était membre de « Plataforma per Catalunya » (parti de droite radicale, NdT). Cela nous a effrayé et on a même eu un débat où s’est posé la question de son exclusion, mais, finalement, je crois qu’elle est partie d’elle-même parce que dès qu’on a abordé la loi sur les étrangers elle s’est rendue compte qu’elle n’avait pas sa place ici. Je ne me souviens que de cette fille, qui était clairement de droite.

Es-ce qu’il n’en faut pas aussi afin que le mouvement soit réellement transversal ?

Transversal, il l’est déjà. Interclassiste, ça c’est autre chose. Il y a beaucoup de professions libérales et des gens des classes moyennes, mais il est clair que le mouvement a un caractère progressiste.

L’une des critiques formulées par certains intellectuels au Mouvement du 15-M est qu’il n’a pas de leaders...

La volonté que « personne ne nous représente » est très vivace.  Cela s’est vu dans les rapports aux médias qui demandaient avec insistance des porte-paroles, mais nous avons décidé qu’il n’y en aurait pas et cela n’a pas été si mal que cela. Les « dynamisateurs » des assemblées tentent de faire en sorte que ce ne soit pas toujours les mêmes personnes qui parlent tout le temps et que ceux qui assistent pour la première fois à une assemblée ou n’ont pas encore parlé ont la priorité pour la prise de parole.

Mais dans un avenir proche ou lointain, s’il faut négocier avec le Parlement, le patronat ou qui que ce soit de l’establishment, il faudra bien envoyer des délégués. Et tout le monde n’a pas le même talent de négociateur.

Nous ne voulons pas négocier avec le Parlement, nous voulons le stopper. Il n’a jamais été question de négocier. Nous venons d’horizons politiques et idéologiques distincts. Nous ne sommes pas un lobby, nous sommes un mouvement social. Il y a beaucoup de manières d’interagir avec l’establishment et c’est aussi à partir de la rue qu’on interpelle le pouvoir, avec la protestation et l’engagement citoyen. A court terme, nous voulons organiser de grandes mobilisations pour nos revendications minimales. Nous préparons également des Budgets alternatifs afin de remettre en question l’inévitabilité de l’austérité. Et nous n’écartons pas d’autres mesures, comme un référendum.

N’est-il pas préférable de donner une priorité aux revendications minimales afin d’obtenir rapidement des victoires et maintenir ainsi l’enthousiasme des participants ?

Les médias, les partis traditionnels et des intellectuels ont analysé les revendications minimales d’une manière possibiliste et à court terme. Mais ce n’est pas la seule manière de faire. La principale victoire du 15-M c’est d’avoir mis dans la rue des milliers de personnes qui ne bougaient pas de leur fauteuil. C’est la première fois que cela se passe depuis le mouvement alterglobaliste et il y a une relève générationnelle d’activistes sociaux. Rien que cela aura une répercussion importante.

Beaucoup de gens ont de la sympathie pour le mouvement, mais si elles ne voient pas de victoires dans un délai raisonnable, elles retournernont dans leur fauteuil…

Ou pas. Un des ballons d’oxygène très important a eu lieu lors de l’expulsion du camp par la police catalane. Cela a renforcé les liens entre les occupants, on a pu ressentir la solidarité ambiante et cela a ouvert les yeux à beaucoup de monde. Les gens ont pu constater dans leurs chairs que, parfois, la police réprime sans que quiconque ait fait quelque chose de « mal » ou d’ « illégal ». Ceux qui, comme moi, ont déjà dû subir cela, nous ne sommes qu’une minorité, nous le savions déjà, mais ce n’est pas le cas de la majorité. La criminalisation des mouvements sociaux de la part des médias leur avait fait croire qu’on devait forcément être très méchants pour subir des charges policières…

Publié sur http://www.anticapitalistas.org/node/7002 . Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


Puerta del Sol à Madrid: « Il y a une prise de conscience accélérée »

Gonzalo Donaire est militant à Izquierda Anticapitalista à Madrid, il nous explique le fonctionnement et l’organisation du mouvement de la Puerta del Sol.

Comment s’organise le mouvement à Madrid?

L’organisation est axée principalement sur la revendication de réappropriation de l’espace public pour reconstruire un espace de convivialité, un vivre-ensemble, essayer de recréer une communauté dans le centre même de la capitale du pays. L’occupation de l’espace public ici ou telle qu’on l’a vue en Tunisie ou en Égypte devient une Agora, un lieu d’où émergent de nouvelles générations sur la scène politique.

Le mouvement de Sol se déborde lui-même jour après jour. La grande part d’improvisation fait qu’il n’y a pas de minimum stratégique qui donnerait plus ou moins une voie vers laquelle aller. On a vu dès le début que la dynamique d’assemblées générales (AG) ne fonctionnait pas pour prendre des décisions sur le court terme. La gestion quotidienne s’est développée à travers les commissions, des groupes de gens qui répondent à des tâches concrètes pour le campement, ainsi que des groupes de travail qui se chargent des tâches d’élaboration donnant une continuité au mouvement.

Qu’est-ce que qui fait leur efficacité par rapport à d’autres expériences?

Elle vient, je crois, du fait d’avoir un espace physique permanent, au centre de la ville, qui facilite le rassemblement. On part d’expériences qui se sont développées dans le cadre du monde universitaire mais qui restaient cloisonnées. Ici, les gens apprennent à se connaître non seulement en ayant des débats mais aussi en répondant à des défis concrets.

Il faut tenir compte du fait que 80% des gens qui font partie de ce mouvement n’ont jamais participé à une assemblée ou à une commission. Ils doivent se mettre ensemble pour penser comment résoudre les problèmes et cela crée une habitude de vivre-ensemble qui renforce les groupes de travail. C’est pour ça qu’on ne peut pas exiger du mouvement qu’il répète et reprenne, dès le début, les dynamiques des expériences militantes passées car ce n’est pas du tout le profil majoritaire.

D’où viennent les financements, les possibilités pratiques, le matériel, tout ce qui est utilisé sur la place?

On a décidé dès le début qu’on n’acceptait pas d’argent sauf pour payer les amendes de ceux qui ont été arrêtés. Pour l’instant on a juste fonctionné avec des donations matérielles des gens et les infrastructures logistiques qu’ont mis à disposition différents centres sociaux qui travaillaient à Madrid et qui, en fait, étaient déjà des points de convergences des mouvement sociaux. Ils ont simplement déplacé leur travail au campement.

Comment se prennent les décisions, comme les plateformes de revendications?

Il y a une élaboration préalable au niveau des groupes de travail qui pour l’instant n’a rien donné. L’un des problèmes du mouvement est que nous avons eu pendant dix jours des AG tous les jours qui n’avaient pas vraiment de capacité de décision. Tout était révocable. On pouvait décider un truc à midi et le défaire le soir. Tous les jours, en fonction des gens qui venaient, on prenait des décisions différentes. Par conséquent, les gens ne voyaient pas de traduction concrète à leur travail et à leurs discussions.

Les AG font de plus en plus figure de «happening», pour les médias, pour leur montrer qu’on est très démocratiques – ce qui est vrai – ainsi que pour un besoin autoréférentiel, pour se compter.

Nous essayons de débloquer cette situation, et l’implantation réelle dans les quartiers de la ville va peut-être nous y aider en apportant de nouveaux questionnements.

Quelles sont les forces organisées présentes?

Le discours est plutôt: «on ne veut pas de partis, on ne veut pas de syndicats». Les militants qui participent ici, même s’ils sont organisés, le font en tant qu’individus. Le campement a commencé avec surtout des gens de «Democracia real ya!», qui est déjà un groupe assez hétérogène. Ensuite il y a des militants de l’autonomie ouvrière, qui gèrent pas mal les centres sociaux, c’est un courant qui a une force importante.

Il y a des gens plus proches de l’anarchisme, qui gèrent d’autres centres sociaux et qui ont aidé à la partie logistique. Après il y en a d’autres mais on ne les connaît pas, on a du mal à les reconnaître et à les identifier. Il y a enfin les syndicats indépendants et des militants de partis politiques comme nous.

Les mouvements des différentes villes sont-ils coordonnés?

Au début c’était très spontané mais au bout d’une semaine on s’est rendu compte que l’outil de communication n’était pas suffisant, qu’il fallait un outil d’extension pour se coordonner avec d’autres campements, surtout ceux qui commençaient à avoir une puissance importante comme Barcelone – qui est quasiment devenue la ville référence depuis les événements du 27 mai – ou Valence. La plupart des autres villes ne sont pas autonomes. Elles suivent l’exemple de Sol, en calquant le fonctionnement parfois de manière caricaturale. De la même manière, leur destin dépend en grande partie de Madrid et Barcelone.

Quelles sont aujourd’hui les principales limites du mouvement?

Il y en a plusieurs: une expression de rage et de révolte comme celle-là est insoutenable sur le long terme si on ne lui donne pas une certaine continuité, c’est-à-dire une vision stratégique qui pourra la canaliser. Mais dans la mesure où l’on commence à construire cette vision stratégique à partir du point minimum, on va commencer à voir les différences politiques entre les uns et les autres.

Par ailleurs, c’est peut-être cette illusion pré-politique qui a poussé les gens à sortir le 15 mai et à maintenir le campement. Elle produit un rejet de toute forme d’organisation ou de mobilisation qui peut ressembler à ce qu’on avait avant. Si on veut relier le campement à une mobilisation sur la question sociale, le chômage par exemple, on va entendre dire: «ça ressemble à l’action syndicale, on n’en veut pas».

Mais face à cela, il y a une prise de conscience accélérée, le temps peut permettre de résoudre cette question, même s’il reste un énorme travail à faire pour surmonter cette méfiance.

Propos recueillis par Flora Marchand et Amaël François

Publié sur le site du NPA le vendredi 3 juin : http://www.npa2009.org/


Manifeste : « Prenons la rue nous aussi : Syndicalistes pour le 15-M »

A la direction confédérale et aux affiliés du syndicat CCOO

Nous, syndicalistes des Commissions Ouvrières, nous assistons avec un espoir renouvelé au réveil d’un mouvement de masse. Les mouvements sociaux qui ont provoqué la naissance de notre organisation syndicale et lui ont permis d’être ce qu’elle est émergent à nouveau sur la scène publique pour défendre ce qui constitue le cœur de notre lutte syndicale, sociale et politique quotidienne.

Le mouvement du 15-M nous montre l’indignation et le ras-le-bol de centaines de milliers de personnes contre la situation actuelle. Il s’alimente en outre d’un processus de contagion sociale, également international, qui a mis le feu aux poudres de la protestation et de la révolte parmi une myriade de personnes exclues et exploitées par le système dominant. C’est, et cela ne fait aucun doute, un sentiment que nous partageons et avec lequel nous sympathisons.

Nous assistons avec satisfaction à un mouvement qui prend massivement et activement les rues, après une longue période d’absence de mouvements citoyens orientés vers le changement. Un mouvement qui expérimente et mûri des méthodes d’auto-organisation et de travail démocratique et participatif, qui élabore dans des assemblées et des commissions de travail un panel de propositions et d’initiatives de transformation qui remettent en question les différentes facettes du système politique, économique et social actuel.

Ce mouvement pratique un mécanisme de participation qui génère des expériences permettant de renforcer la conscience de personnes de tous les âges et conditions, bien que la jeunesse et la condition ouvrière du mouvement caractérisent son identité. C’est une nouvelle génération militante qui émerge, avec un vaste secteur de travailleurs-euses, de jeunes sans logement, de personnes endettées et au chômage. Une brèche s’est ouverte pour la régénération démocratique d’un système qui, par la manière dont il est manipulé, a montré toutes les carences du système électoral existant.

C’est dans ce présent que s’écrit l’avenir. Et nous ne pouvons pas passivement regarder passer le train.

Sans l’ombre d’un doute - mis à part l’exigence d’un changement du système électoral ou la dénonciation de la corruption politique associée à l’abus des acteurs financiers et patronaux qui manipulent les mécanismes de décision politique - l’indignation est clairement dirigée contre l’offensive néolibérale menée contre nos droits sociaux historiques.

Certains secteurs du mouvement revendiquent ainsi l’abrogation de la réforme régressive du Code du travail ; l’amélioration du système public de pensions ; la défense du secteur public et la création d’un secteur bancaire public sous contrôle social et démocratique ; une réforme fiscale progressive ; la réduction du temps de travail et la répartition entre tous et toutes des emplois ; le développement d’une économie au service des besoins sociaux... Toutes ces revendications, que nous défendions dans un contexte défavorable du point de vue des rapports de forces, prennent aujourd’hui une nouvelle force. Il est probable qu’on assiste à un changement social qui favorise un nouveau cycle de luttes et de récupération des idées de gauche rendant possible de nouvelles conquêtes sociales.

Le Mouvement du 15-M est - et peut être - beaucoup de choses. Si les participants à ce mouvement ne sont pas affiliés à notre organisation, il est pourtant des nôtres. C’est un mouvement que nous devons soutenir, accompagner et avec lequel nous devons collaborer, sans aucune intention de nous approprier quoi que ce soit. Si nous ne le faisons pas, il risquera peut être de perdre de sa vigueur et de sa continuité, il sera durement réprimé ou oublié. C’est maintenant ou jamais que nous devons démontrer notre engagement sans faille en faveur de la participation solidaire.

Nos syndicats doivent assumer leurs responsabilités face à la situation actuelle. Nous n’avons pas été efficaces dans la lutte contre la précarité, nous n’avons pas donné priorité au travail avec les jeunes et notre pratique syndicale n’a pas facilité la participation. En outre, le Pacte Social signé il y a quelques mois a creusé une brèche entre notre syndicat et la génération qui est en grande partie protagoniste du 15-M. Une brèche qu’il sera difficile de surmonter.

Jeter les ponts nécessaire entre le mouvement ouvrier et le 15-M, afin d’offrir une vaste issue sociale à partir d’en bas à la crise et aux attaques néolibérales, ne sera possible qu’au travers d’une profonde réflexion à l’intérieur des CCOO qui amène à une rectification de l’orientation syndicale, mais aussi des méthodes de participation au sein de notre syndicat. Nous, signataires, demandons à notre direction, dans la ligne du manifeste récemment publié et à la chaleur du mouvement actuel, qu’elle exprime publiquement sa solidarité avec le mouvement du 15-M et appelle à y participer, tout en respectant les modes de fonctionnement de ce dernier. Il s’agit de contribuer, avec les forces du mouvement ouvrier, à la construction d’un nouvel acteur socio-politique capable d’affronter les défis dont souffrent les citoyens et la classe ouvrière, afin de les surmonter favorablement du point de vue de leurs intérêts.

http://tomemoslacalletambien.blogspot.com/


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