Pacte de l'Euro, Libye, Fukushima, Portugal, manifestations massives... L'UE dans la tourmente
Par LCR-Web, Michel Husson le Vendredi, 01 Avril 2011 PDF Imprimer Envoyer

Lors du Conseil européen de Bruxelles des 24-25 mars derniers a été adopté un « vaste ensemble de mesures (...) qui renforceront la gouvernance économique de l'Union européenne et assureront la stabilité à long terme de la zone euro dans son ensemble », selon les termes du communiqué officiel. Il s'agit du fameux « Pacte de l'Euro », baptisé initialement « Pacte de Compétitivité » et qui représente, selon l'observatoire « Corporate Europe » , « le plus grand pas en avant effectué vers un modèle de gouvernance économique patronal, qui se traduira par une attaque massive contre les droits sociaux et les niveaux de vie ». Les grands lobbies patronaux tels que « BusinessEurope » ou la Table Ronde des Industriels européens - un « forum informel qui réunit les 45 dirigeants des plus importantes multinationales européennes » - se frottent les mains. Avec ce Pacte, les patrons européens voient avec satisfaction accomplies leurs principales revendications, résumées dans leur document « L'Europe en marche. Une vision pour une Europe compétitive en 2025 ».

Le Président de la Commission européenne, Barroso, avait définit ces nouvelles mesures sur la gouvernance économique comme une « révolution silencieuse ». Jacques Delors, pourtant peu suspect de gauchisme, avait quant à lui qualifié le brouillon du Pacte comme le document « le plus réactionnaire produit par la Commission européenne ».

Qu'es-ce qui a été approuvé lors de ce sommet européen? Officiellement, il s'agit d'un compromis pour créer avant, le mois de juin, un fonds permanent destiné à « sauver » les pays en faillite; de renforcer le Pacte de Stabilité et de Croissance et le Pacte pour l'Euro dont les grandes lignes avaient été tracées lors d'un Sommet précédent. Dans la pratique, il s'agit de généraliser l'allongement de l'âge de la retraite (à 67 ans); d'une « flexibilisation » accrue du marché du travail, d'une harmonisation des taux d'intérêts pour les entreprises entre les Etats membres, d'un contrôle et d'une limitation renforcée des déficits publics et d'une adaptation des salaires à la productivité. En outre, six pays qui n'appartiennent pas à la zone euro (Bulgarie, Roumanie, Pologne, Lettonie, Lituanie et Danemark) ont approuvé un projet d'inspiration allemande baptisé « Pacte Euro Plus » qui permettra également de contrôler leurs politiques économiques en échange d'un accès au fonds de sauvetage. Cependant, quatre autres pays (Hongrie, République tchèque, Suède et Royaume-Uni) n'ont pas accepté ce Pacte. De leur côté, l'Espagne, la France, la Belgique et l'Allemagne se sont engagés à le respecter, ce qui impliquera de nouvelles mesures d'austérité.

Depuis la mise en route du Semestre européen, on assiste, selon Daniel Gros, du « Centre of European Policy Studies », a la mise en place d'une « dictature des pays créditeurs et de la Banque centrale européenne ». Maria Damanaki, Commissaire européene aux affaires maritimes et à la pêche, et membre du PASOK grec (parti social-démocrate au pouvoir, pourtant peu avare en mesure anti-sociale), a publiquement prise ses distances avec les nouveaux diktats promus par la Commission européenne, déclarant que l'enphase excéssive sur le problème de la dette publique et dans la consolidation budgétaire pourrait générer une « dégradation sociale ».

Libye

Lors de ce Sommet, les chefs d'Etat et de gouvernements de l'UE ont eu d'autres questions à l'agenda. Premièrement, la Libye, autre ligne de fracture européenne. La France et la Grande-Bretagne, qui, en novembre dernier, avaient signés un accord historique de coopération militaire, ont décidé de partir en guerre - « humanitaire » bien entendu - tandis que l'Allemagne s'est abstenue d'y participer et que l'Italie a exprimé son mécontentement face au leadership de Paris, demandant que les opérations soient commandées par l'OTAN. Rome craint surtout que la France n'emporte un trop grand morceau du gâteau constitué par l'or noir libyen, et que sa multinationale pétrolière, ENI, perde ses positions privilégiées actuelles dans ce pays. Finalement, après avoir commencé avec trois commandements distincts (italien et étatsunien ensembles d'une part, britannique et français de l'autre), les opérations militaires en Libye sont effectivement passées aux mains de l'OTAN.

Dans cette affaire, le leadership français en a dérangé plus d'un dans le cénacle européen, tout comme l'abstention allemande. Le fait est que, depuis le Traité de Lisbonne, l'UE dispose de Catherine Ashton, comme Haute Représentante aux Affaires Etrangères, et d'un Service d'Action Extérieure, autrement dit « un véritable instrument diplomatique », composé de 6.000 fonctionnaires, de 150 ambassades et de 500 millions d'euros de budget jusqu'en 2013. Malgré cela, depuis le début des révolutions arabes, cet organisme destiné à doter enfin l'Union européenne d'une seule voix dans les relations internationales est resté mystérieusement muet. L'UE s'illustre toujours par sa cacophonie diplomatique habituelle.

Fukushima

Autre dossier brûlant qui divise: le tsunami nucléaire de Fukushima. « On a évoqué l'apocalypse, et je crois que c'est un terme particulièrement bien choisi » a déclaré le 15 mars le Commissaire européen à l'Energie, Günther Oettinger, devant la Commission du Parlement européen à Bruxelles. «Tout est pratiquement hors de contrôle », a-t-il ajouté, affirmant « ne pas exclure le pire dans les prochaines heures ou les prochains jours » au Japon.

Dix jours plus tard, le ministre de l'Energie français, Eric Besson, a vertement répliqué, en manifestant sa profonde conviction selon laquelle l'énergie nucléaire continuera à exister en Europe tout au long du XXIe siècle... La dureté de son intervention n'est pas étonnante quand on sait que la production électrique en France dépend à 76% du nucléaire (en Belgique; 56%). Seule conclusion pratique; la décision de mener des «stress tests » dans une série de centrales nucléaires, celles qui comptent avec des réacteurs VVER440, utilisés en Hongrie, Slovaquie et République Tchèque.

Portugal

Alors que la Libye et Fukushima étaient sur table du Sommet est arrivé la nouvelle du rejet par le Parlement portugais du quatrième plan d'austérité présenté par le gouvernement social-démocrate de José Sócrates et la démission consécutive de ce dernier. La Chancelière Merkel avait pourtant menacé: « Tous ceux qui ont des responsabilités au Portugal doivent s'engager à appliquer les objectifs de l'ambitieux programme » d'austérité présenté par Sócrates. Autrement dit; ou vous acceptez ces mesures, ou vous devrez accepter le troisième «plan de sauvetage » du FMI et de l'UE, après la Grèce et l'Irlande, qui représente une mise en coupe réglée de la souveraineté des pays concernés.

Cerise sur le gâteau d'un Sommet plutôt plombé, au moment où ce dernier ouvrait ses portes, on informait qu'une cyber-attaque de grande envergure  était mené contre la Commission européenne et le Service Extérieur Européen...

Résultat; si le Sommet de Bruxelles des 24-25 mars était destiné à mettre en scène l'unanimité de cette « révolution silencieuse », ce fut alors un échec. L'Union européenne prend l'eau de tout côtés: désunion sur les questions de la guerre en Libye, sur la question énergétique, fiscale, économique etc.

Le caractère « silencieux » de cette révolution néolibérale qu'on veut nous imposer a également été écorné par les manifestations syndicales qui ont rassemblé plus de 20.000 travailleurs belges pour revendiquer la solidarité contre l'austérité. Van Rompuy s'est cru obligé d'affirmer que « notre objectif ultime est la création de postes de travail ». Il ne pouvait mieux dire: c'est vraiment le dernier de leurs objectifs. Avant cela, il y a l'Euro; le mécanisme de « sauvetage » et la « gouvernance économique »!

Pour rompre avec cette Europe là: c'est dans la rue que ça se passe!

Que ce soit sur la Libye, Fukushima ou la gouvernance économique, les masques tombent: les institutions de l'UE et ses gouvernements ne sont que des valets au services des intérêts d'une minorité capitaliste. Face à cela, la seule issue passe par les luttes. Au Portugal, 300.000 personnes se sont mobilisées contre la précarité le 12 mars dernier à l'appel des jeunes chômeurs et travailleurs précaires. Le samedi 26 mars, 400.000 travailleurs ont manifesté à Londres contre les politiques d'austérité. En Allemagne, plus de 250.000 personnes ont manifesté le même jour contre le nucléaire à Berlin, Hambourg, Munich et Cologne. Dans ce pays, dont on vante tant la « rigueur salariale », depuis le mois de mars, 90.000 travailleurs des télécommunications, 90% des conducteurs de train et 1,9 millions d'agents régionaux de la fonction publique (écoles, hôpitaux, administrations, etc) mènent des actions syndicales et des grèves pour des augmentations salariales. A Rome, le 26 mars également, 300.000 manifestants ont protesté contre la privatisation de l'eau, contre le nucléaire ou encore contre la nouvelle guerre pour le pétrole. Ils étaient 8.000 manifestants à défiler à Madrid le dimanche 27 mars contre l'intervention impérialiste et la dictature en Libye. Le 9 avril prochain, les six principales organisations syndicales hongroises et les syndicats européens se mobiliseront également contre le Sommet des ministres européens des Finances (Ecofin) à Budapest

D'après un article de Gorka Larrabeiti Publié sur www.rebelion.org , traduction française et adaptation pour le site www.lcr-lagauche.be


Sur le pacte de compétitivité. Entretien avec Michel Husson

Dans l’Union européenne à 15, le nombre de chômeurs est passé, de 13 à 18,4 millions entre 2008 et 2010. L’austérité généralisée ne va-t-elle pas rajouter de la crise à la crise ?

Oui, il y a de quoi être atterré. Toute récession fait reculer l’activité économique, augmente le chômage et creuse le déficit de l’Etat. Mais la réaction initiale avait été plutôt bien adaptée : on a injecté des liquidités pour empêcher le système financier de s’effondrer ; on a renforcé, les « stabilisateurs sociaux », tout ce qui empêche les revenus de trop plonger ; on a préservé en partie l’emploi en réduisant le temps de travail, notamment avec le recours au chômage partiel ; et on a fait des plans de relance. Le cocktail est bien sûr différent d’un pays à l’autre, mais ces mesures ont contribué à amortir (un peu) le choc. Le gros bémol concerne les aides aux banques : certes, il aurait été irresponsable de les laisser faire faillite, mais l’occasion était belle de leur imposer à chaud des règles comme l’interdiction des profits dérivés, des paradis fiscaux, etc. La solution optimale aurait été de les nationaliser afin de tout mettre à plat et de purger les créances toxiques.

Les gouvernements avaient déjà en tête l’idée qu’il faudrait dégonfler les déficits budgétaires en menant des politiques de « réforme » renforcées. Mais ils avaient compris que mieux valait attendre que la reprise soit suffisamment installée, sous peine de la tuer dans l’oeuf. C’est alors que démarre la spéculation contre les dettes souveraines des pays les plus fragilisés : la Grèce, puis l’Irlande et le Portugal. Il faut bien comprendre que cette spéculation n’a été possible que parce qu’il n’y a eu aucune mesure de contrôle des banques ni de prise en charge mutualisée des dettes à l’échelle européenne. Ce sont d’ailleurs les banques centrales qui fournissent les munitions, en prêtant aux banques à 1 % l’argent qui sera ensuite utilisé pour profiter de la hausse des taux servis par les Etats, et empocher la différence.

La réaction des gouvernements a été de « rassurer les marchés », comme l’avait dit Fillon pour justifier la réforme des retraites en France. C’est alors le grand tournant vers l’austérité avec l’annonce de plans d’une grande brutalité. Leur sévérité diffère d’un pays à l’autre, mais ils reposent sur deux principes communs : priorité aux coupes dans les dépenses et, si cela ne suffit pas, priorité à l’augmentation des impôts les plus injustes, comme la TVA.

C’est une politique insensée, indépendamment même du fait qu’elle va d’abord frapper les couches sociales les plus fragiles. En coupant dans les dépenses publiques, on fabrique de la récession qui a pour effet de réduire à nouveau les recettes fiscales. On ne retrouve donc pas à l’arrivée les coupes de départ. Et, comme tous les pays mènent cette politique en même temps, il y a un effet démultiplicateur de cette euro-austérité. Une chose est certaine : le résultat ne peut être que le maintien du chômage européen au niveau record que la crise lui a fait atteindre.

Angela Merkel propose un « pacte de compétitivité » aux pays de l’Union. Quels en sont les principes ?

Il faut d’abord souligner que ce pacte a été soutenu par Sarkozy, même si, bizarrement, on n’y parle pas de taxation des transactions financières... En réalité, il s’agit d’un deal : je participe au financement des dettes (via le Fonds européen de stabilité financière) en échange d’une Europe compétitive. Parmi les six pistes proposées, trois sont a priori acceptables : reconnaissance mutuelle des diplômes, régime de gestion de crise pour les banques, et harmonisation de la fiscalité des entreprises. Mais tout dépend des modalités, par exemple du taux d’impôt sur les sociétés.

Le reste, c’est de la provocation. Supprimer l’indexation des salaires sur les prix (ce qui concerne la Belgique, le Luxembourg, mais aussi, en pratique, l’Espagne) revient à abandonner toute garantie d’un simple maintien du pouvoir d’achat. Dans le cas français, le Smic est indexé sur l’inflation : faudra-t-il supprimer cette règle ? Affirmer que les régimes de retraites doivent s’ajuster à l'évolution démographique, c’est une lapalissade si on ne dit pas comment. La réponse est connue, et la Commission européenne a mis les points sur les i en recommandant aux « États membres qui ne l’ont pas encore fait de relever l’âge de départ à la retraite » et d’encourager « le développement de l’épargne privée complémentaire ». Enfin, le projet, repris par Sarkozy, d’inscrire dans la constitution de chaque pays une règle d’encadrement du déficit budgétaire serait une entorse grave à la souveraineté populaire que le Parlement est censé incarner en votant le budget.

La Commission européenne a de son côté réussi à mettre en place le « Semestre européen » : les Etats membres doivent dorénavant intégrer ses recommandations avant de faire valider leur budget, et cela commence en 2011. Mais ce n’est pas tout : elle a aussi son plan en six points, qui devrait être soumis au Parlement européen pour être voté en Juin. Les Etats se verront imposer un calendrier de réduction de leur dette publique et son non-respect sera assorti de sanctions automatiques de 0,2 % du PIB (ce qui ferait 4 milliards d’euros dans le cas français).

Une nouvelle procédure « concernant les déséquilibres excessifs » serait introduite : les États « présentant des déséquilibres macroéconomiques graves » devraient « soumettre un plan de mesures correctives au Conseil, lequel fixera des délais pour sa mise en oeuvre ». Un État membre de la zone euro qui persisterait à ne pas prendre ces mesures s'exposerait à des sanctions : amende annuelle de 0,1 % de son PIB ! Parmi les déséquilibres graves, il y aura à n’en pas douter le manque de compétitivité, mais pas le taux de chômage.

Quel en est l’objectif du fonds de secours européen ? Sauver l’euro ?

Le FESF (Fonds Européen de Stabilité Financière) avait été créé en mai 2010 pour répondre à la crise grecque. Il disposait immédiatement de 250 milliards d’euros sur les 440 annoncés, auxquels pourraient s’ajouter 250 milliards d’euros en provenance du FMI. Le 14 février dernier, les ministres des Finances ont décidé de doubler la mise et de passer à 500 milliards.

L’objectif immédiat est d’éviter un scénario catastrophe où la spéculation s’étendrait par exemple à l’Espagne, et conduirait certains pays à faire défaut, autrement dit à ne plus payer la dette. Mais il faut bien voir qu’il s’agit avant tout de sauver les banques allemandes ou françaises qui seraient directement percutées.

Ce « soutien » s’accompagne, dans la grande tradition des plans d’ajustement structurel chers au FMI, de l’imposition aux pays concernés d’une austérité d’une grande violence, mais aussi d’une grande absurdité. Ils ne pourront en effet réduire à ce point leurs dépenses publiques sans entrer dans une spirale récessive conduisant à encore plus de déficit. Le cas de l’Irlande est caricatural : le déficit représente 32 % du Pib et correspond pour l’essentiel au renflouement des banques. Il n’y a évidemment aucune raison pour que les citoyens irlandais aient à payer une telle facture, mais c’est en plus impossible.

De toute façon, tout cela ne convainc pas les « marchés » : les spreads (primes de risque) n’ont pas beaucoup baissé. La Grèce doit aujourd’hui emprunter à 10,7 % (à 10 ans), et l’Irlande à 8,2 %, tandis que l’Allemagne peut le faire à 2,5 % et la France à 3 %. En réalité, rien ne change : faute de financer directement les dettes, le fonds de soutien fera appel aux banques qui continueront à réclamer des taux d’intérêt bien supérieurs. De plus, le Conseil européen a fait une annonce absurde en admettant que les dettes pourraient être restructurées en 2013. Certes, une telle restructuration est nécessaire, et même inévitable, mais il faudrait l’imposer unilatéralement à la finance au lieu de lui donner un nouveau motif de spéculation.

Quel pourrait être l’impact politique à moyen terme si ce pacte de stabilité renforcé s’imposait à l’Europe ?

Cà passe ou çà craque. La facture de la crise ne va pas s’évaporer et l’enjeu est de savoir qui va la payer : soit c’est la finance et ceux qui en profitent, soit c’est les travailleurs. Une offensive aussi brutale peut assommer ceux qui en sont les victimes et conduire à une déstructuration sociale accrue, mais elle peut aussi déclencher une explosion sociale. Tout cela est imprévisible, et le contexte est différent d’un pays à l’autre.

Le plus grave est qu’en déplaçant au niveau européen la gestion de l’austérité, on ouvre un boulevard à une droite nationaliste et Marine Le Pen l’a compris en faisant campagne pour la sortie de l’euro. Cette impasse n’acquiert une certaine crédibilité qu’en raison du retard pris par le mouvement social dans la prise en charge d’un projet alternatif européen. Combler ce retard est une priorité. En France, l’austérité est relativement modérée par rapport à d’autres pays, parce qu’on est à un peu plus d’un an de l’élection présidentielle. Si l’on veut aller plus loin qu’une alternance résignée, il faut que se dégage une offre dessinant une autre politique.

Interview à paraître dans « L’Ecole émancipée ». Source: http://hussonet.free.fr/

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