Derrière le Traité de Lisbonne ; la « Flexicurité »
Par Miquel Garcia le Vendredi, 04 Janvier 2008 PDF Imprimer Envoyer

Le dénommé « Traité de Lisbonne », initialement approuvé le 18 octobre dernier et officiellement adopté ce 13 décembre par les chefs d’Etat européens, représente un retour aux procédés les plus obscurantistes et antidémocratiques de l’Union européenne. La tentative de donner une « légitimation démocratique » au néolibéralisme de l’UE a fait long feu depuis l’échec de la « Constitution européenne », démocratiquement rejetée après la victoire du Non aux référendums français et hollandais.

Malgré l’échec fracassant de cette tentative, la situation ouverte par cette victoire n’a pas permise d’avancer de manière substantielle dans l’exigence d’une autre Europe, ni de déboucher sur un niveau supérieur dans la convergence des luttes sociales européennes. On ne soulignera jamais assez dans ce sens le rôle néfaste joué à gauche par les directions des partis et des syndicats majoritaires qui ont aggravé l’incapacité du mouvement ouvrier européen à élaborer une alternative de société à l’Europe capitaliste.

Aujourd’hui, l’UE a donc opté pour réutiliser la formule d’un « Traité », esquivant ainsi tout risque d’affronter l’opinion publique via des référendums démocratiques. Après son adoption du 13 décembre, le Traité sera simplement ratifié par les parlements nationaux et régionaux, une véritable gifle aux droits démocratiques des peuples et des citoyens européens.

 

Agenda caché

 

Comme plusieurs analyses l’ont déjà souligné, le contenu néolibéral de l’ancienne «Constitution européenne», tout comme le projet de construction d’une Europe-puissance impérialiste, sont quasiment intégralement maintenus dans le nouveau Traité, enrobés et masqués dans un document indigeste de 280 pages, regorgeant de technicismes et écrit dans le pur style de la bureaucratie communautaire.

 

Il suffit d’écouter des personnages tel que Valéry Giscard d’Estaing, « père » de la défunte Constitution, affirmer sans sourciller que « Les gouvernements européens se sont mis d’accord sur les changements cosmétiques à faire à la Constitution européenne afin qu’elle soit plus facilement digérée ». Et d’ajouter que « la concurrence libre et non faussée figure toujours dans le projet de Lisbonne ». Ou Angela Merkel et José Luis Zapatero, qui commentent avec satisfaction que le Traité de Lisbonne maintient « en substance la Constitution ».

 

En France, le cynisme de Sarkozy a été encore plus loin. Il a souhaité présenter le Traité devant son Conseil constitutionnel dès le 14 décembre, soit le lendemain de la signature officielle par le Conseil européen et cela afin que le parlement français soit le premier de tous les parlements européens ratifier le document. « Après avoir bloqué la Constitution » a déclaré le président de la République française, « vous comprendrez qu’en tant que chef d’Etat je ne vois que des avantages au fait que ce soit la France elle-même qui donne l’exemple aux autres pays »...

 

La « Flexicurité » arrive dans les bagages du Traité de Lisbonne

 

Parallèlement à l’accord sur le Traité, une réunion au sommet s’est également déroulée à Lisbonne entre les syndicats rassemblés dans la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et les représentants du patronat européen. Cette rencontre a débouché sur un accord de principe sur le nouveau concept de « flexicurité ».

 

Or, de la même manière que le Traité de Lisbonne tente de maquiller la nature profondément néolibérale du projet européen, avec l’introduction concertée de ce concept purement idéologique ont veut rendre plus acceptable parmi les travailleurs et les citoyens en général le processus de dérégulation, de détricotage et d’insécurisation du « marché du travail » et des droits sociaux en Europe.

 

En termes généraux, la « flexicurité » se définit - comme son nom barbare  l’indique - comme la combinaison entre une « flexibilité » plus grande des contrats de travail par « l’assouplissement » de l’embauche, des conditions de travail et des licenciements pour le patron, tout en garantissant une plus grande « sécurité » pour les travailleurs, notamment en formation professionnelle - ce qui devrait permettre l’accès à de nouveaux postes de travail tout en augmentant la compétitivité - et en allocations de remplacement afin de sauter d’un emploi à l’autre sans traumatisme. Le « modèle de référence » de ce nouveau concept mis en avant serait le Danemark.

 

Enoncée de la sorte, la «flexicurité » pourrait sembler attirante pour bon nombre de personnes. Elle semble atteindre un compromis acceptable entre l’idéologie néolibérale et sa recherche de la compétitivité à outrance tout en évitant ses principaux effets négatifs ; la précarisation du travail, le chômage, l’absence de protection sociale adéquate, etc.

 

La quadrature du cercle

 

Mais on peut raisonnablement se poser la question de savoir si une telle quadrature du cercle est tout bonnement possible en conciliant des termes aussi antagonistes. Une simple analyse, même sommaire, démontre immédiatement que cela ne peut pas être le cas et que nous avons tout simplement à faire à une construction idéologique dont le seul but est de désorienter les salariés et l’opinion publique en général.

 

Comment pourrait-il être possible de combattre « l’insécurité » sur le marché du travail lorsque le licenciement est libre et bon marché pour le patron ? Seulement en octroyant aux travailleurs des allocations de chômages suffisantes et en développant des services publics de qualité et étendus qui permettent d’assurer une formation adéquate de la main d’œuvre afin de rendre possible son « recyclage » effectif. Ainsi, au Danemark, paradigme de la « flexicurité », les chômeurs ont droit à une allocation à hauteur de 90% de leur ancien salaire et ce pendant 4 ans, ce qu’oublient d’évoquer les thuriféraires néolibéraux du « modèle ». Car la question se pose immédiatement ; d’où viendront les ressources permettant de développer une politique sociale d’une telle ampleur et caractéristiques? 

 

Il est clair que si l’ont permet aux patrons de licencier librement et à bon marché, seule une fiscalité adéquate sur le Capital peut doter les pouvoirs publiques des ressources nécessaires afin d’assumer les allocations de chômage, les services publics et les programmes de formation professionnelle. Mais, et c’est là que le bât blesse, c’est justement ce type de politique redistributive, de dépenses sociales et de fiscalité pesant sur le patronat et les couches les plus riches de la société qui est rejetée ou en train d’être détruite petit à petit par ces mêmes politiques néolibérales qui veulent nous imposer la « flexisécurité ».

 

La conclusion coule de source ; si ce n’est pas les capitalistes qui financent la « sécurité » des salariés en échange d’une plus grande flexibilité du travail, qui payera si ce n’est les salariés eux-mêmes ?

 

Il y aura bien « flexi » mais pas « sécurité »

 

On constate donc que la « flexicurité » est un concept inapplicable, surtout dans le contexte actuel. S’il devait effectivement être appliqué, seul son côté « flexibilité » (licenciement, dérégulation, bas salaires,…) sera réel tandis que la « sécurité » restera lettre morte. Tout comme le Traité de Lisbonne doit être dénoncé et rejeté en tant que rejeton légitime de la Constitution européenne, il faut combattre la « flexicurité » en tant qu’escroquerie à grande échelle visant maquiller et à imposer dans toute l’Europe une offensive en règle de flexibilisation et de précarisation des salariés.

 

Les organisations syndicales doivent refuser d’entrer dans toute forme négociation concernant l’application de la « flexicurité », elles doivent au contraire la combattre de toutes leurs forces comme un nouveau marché de dupes.

Voir ci-dessus