Tous ensemble solidaires!
Par Guy Van Sinoy le Lundi, 08 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Pour revaloriser le pouvoir d’achat !

Fin août Didier Bellens, patron de l’entreprise publique Belgacom, a accepté une « baisse » de salaire de 33% : sa rémunération annuelle passera de 3 à 2 millions d’euros, primes et bonus compris. A ce tarif-là, j’en connais beaucoup qui accepteraient une telle « baisse » ! Chez Fortis, la prime de départ du nouveau patron Herman Verwilst pourrait s’élever à 5 millions d’euros ! De tels chiffres sont révoltants pour la partie croissante de la population qui peine à joindre les deux bouts.

Un habitant du pays sur six vit en effet en dessous du seuil de pauvreté. Un pensionné sur quatre n’a plus les moyens de vivre décemment. Il y a deux raisons à cela : d’une part parce que, quoi qu’en disent les patrons, l’indexation des allocations sociales et des salaires ne reflète pas correctement la hausse du coût de la vie, d’autre part parce que les allocations sociales n’ont pas été revalorisées depuis longtemps.

Rétablir une véritable liaison des salaires et des allocations sociales au coût de la vie

Au mois de juillet, le taux d’inflation a atteint 5,91%. Il s’agit d’un record depuis 1985. En cause, la hausse brutale du prix des produits pétroliers, de l’énergie et des aliments de première nécessité. La hausse de l’essence et du diesel de roulage plombe le budget de tous ceux qui n’ont pas d’autre solution que la voiture pour se rendre au travail (entreprises implantées dans les zonings loin de tout transport en commun, travail en équipes commençant tôt le matin).

Il n’est donc pas étonnant qu’en janvier nombre de travailleurs d’entreprises situées pour la plupart en Flandre aient spontanément fait grève pour arracher – le plus souvent avec succès - une prime de vie chère. C'était le cas chez Aldi, VLD Jonkheere (Roeselare); Bekaert (Zwevegem) ; Clemaco (Zeebrugge) ; Daikin (Oostende) ; Malysse-Sterima (Heule) ; Marine Invest (Brugge) ; Johnson Controls (Geel) ; Ford, Lear, AIC, Magna Belplas, SML, Syncreon (Genk); Bosch, D logistics Packing, Sylvania (Tienen) ; DHL (Opglabeek) ; Ekol, Galva Belgium (Houthalen) ; Hydromation (Tongeren) ; SABCA (Lummen) ; Tenneco Automotive, VCST (St-Truiden) ; Fabricom GTI (Charleroi et Liège) ; Electrabel (Tihange). L’index santé lissé, actuellement en vigueur pour l’adaptation des salaires et des allocations au coût de la vie est un indice faussé. Pour plusieurs raisons.

D’abord parce que la pondération des dépenses ne reflète pas la réalité. Le loyer compte pour 6,23% des dépenses dans le budget d’un ménage alors qu’en réalité c’est beaucoup plus. Ensuite, parce que l’indice santé, instauré en 1994, ne tient pas compte du tabac, de l’alcool, de l’essence et du diesel routier. De plus, l’index est lissé c’est-à-dire que l’application de l’adaptation salariale est différée dans le temps. Enfin, parce que dans certains secteurs (ex : la commission paritaire 218 qui s’applique aux employés des entreprises des secteurs « divers »), l’adaptation salariale ne se fait qu’une seule fois par an. Pour un salaire mensuel de 2.000 euros brut, l’application de l’index santé lissé représente une perte de salaire d’environ 45 euros brut par mois. Soit près de 600 euros par an si on tient compte de la prime de fin d’année et du pécule de vacances. Et cela, chaque année!

 

Bien entendu comme la pension est calculée sur le montant moyen de la rémunération pendant toute la carrière professionnelle dans le secteur privé, la perte de salaire se répercutera sur la pension.La première revendication à mettre en avant est le rétablissement de l’index tel qu’il existait avant 1994. « Le pétrole dans l’index ! », une revendication initiée il y a quelques années par les travailleurs de Caterpillar, est donc un mot d’ordre d’actualité. Ce qui ne signifie pas que les salaires et les allocations sociales doivent être indexées sur le prix du baril de pétrole!

Frais de transport

La FGTB réclame la gratuité des frais de transport en commun pour tous les travailleurs qui ont la possibilité de les utiliser pour se rendre au travail. C’est déjà le cas pour les fonctionnaires fédéraux. Elle revendique en outre, là où il n’est pas pos­si­ble d’utiliser les transports en commun, l’organisation de transports collectifs par l’employeur ou l’octroi d’une indemnité de compensation financière - exonérée d’impôt pour le travailleur – là où il n’existe aucune autre solution que le recours à la voiture personnelle (Syndicats, 4 juillet 2008, p. 8). La CSC, quant à elle, réclame un meilleur remboursement des frais de déplacements vers le lieu de travail. Même si les revendications du front commun syndical sont encore à affiner sur ce terrain, la volonté existe de mieux couvrir le remboursement des frais réels de transport pour se rendre au travail tout en s’efforçant de préserver l’environnement.

TVA à 6% sur l’énergie domestique

Les hausses démesurées du prix de l’énergie domestique (gaz, électricité, mazout de chauffage) pèsent lourd dans le budget de chaque famille. Il faut noter que ces hausses sont plus importantes que dans les pays voisins.

Hausses du prix de l’énergie dans les pays voisins (Syndicats, 4 juillet 2008, p. 9)
Inflation d’avril 2007 à avril 2008 BEDLFRNL
Electricité14,5%7,2%1,1%-16,6%
Gaz30,5%3,6%5,4%7,8%
Mazout de chauffage40,5%38,8%36,8%N.C.

S’il est vrai que la Belgique a obtenu peu de médailles aux Jeux Olympiques de Pékin, il faut reconnaître qu’elle rafle toutes les médailles en matière de hausse du prix de l’électricité, du gaz et du mazout de chauffage ! Se chauffer et s’éclairer sont des besoins de première nécessité. C’est pourquoi les organisations syndicales revendiquent la baisse de la TVA à 6% sur l’énergie domestique et le mazout de chauffage. C’est aujourd’hui une revendication qui rencontre les besoins des plus démunis. (Une pétition à ce sujet, lancée à l’initiative du PTB, a recueilli plus de 100.000 signatures et a été remise à Yves Leterme.)

Revalorisation des allocations sociales

Les allocations sociales sont au plus mal. Depuis des années, elles ont décroché de l’accrois­se­ment du Produit intérieur brut (PIB). Il s’agit du montant des richesses produites dans le pays en un an. Le tableau ci-dessous en donne un aperçu : Taux de remplacement – Allocations moyenne / salaire brut moyen (Echo FGTB, décembre 2007, p. 4)
 19801990200020052007
Pensions35,5%33,9%30,7%31,7%31,8%
Indemnités d’invalidité43,9%37,0%31,9%32,7%32,1%
Allocations de chômage46,9%34,5%25,6%27,3%26,6%

Dès 1980, les allocations moyennes de chômage ont plus rapidement baissé que les autres allocations en raison de la création de trois statuts de chômeurs : chef de famille, isolé, cohabitant. Les petites revalorisations des pensions de 1990 et de 1991 ont, quant à elles, été neutralisées en 1997 par l’instauration du calcul de la pension des femmes sur une carrière de 45 ans au lieu de 40 ans. Dès septembre 1998 la FGTB et la CSC ont organisé une manifestation nationale contre l’exclusion sociale et pour la liaison des allocations au bien être.

Pour une prime de rattrapage

Même si une véritable indexation des salaires et des allocations sociales, tenant compte de l’augmentation réelle du coût de la vie, était établie il resterait à rattraper ce qui a été perdu pendant de longues années. Une prime forfaitaire de rattrapage, quel que soit le statut (salarié, chômeur, malade, invalide ou pensionné ), s’impose. Elle pourrait, par exemple, être de 150 euros brut par mois pour tous les salariés et les allocataires sociaux (c’est environ le montant mensuel brut perdu, si on tient compte de l’index santé et des sauts d’index imposés dans les années 1980). Mais il ne nous appartient pas de fixer le cahier de revendications. C’est aux travailleurs et à leurs organisations syndicales de déterminer le montant à récupérer de tout ce qui nous a été volé depuis des années.

Grève générale de 24 heures

Les manifestations syndicales de juin dernier ont rassemblé 100.000 personnes dans la rue. Il est clair que ce n’était qu’un coup de semonce. Elles annoncent un automne social mouvementé. La manière précipitée dont le gouvernement est parti en vacances, sans prendre de décision en matière socio-économique et en laissant en plan les plus démunis face à la hausse du coût de la vie, a choqué la masse de la population qui considère que le monde politique accorde plus d’importance aux querelles communautaires qu’au sort « des petits ».

Le gouvernement a d’ailleurs procédé de la même manière avec les sans papiers. Une grève générale de 24 heures pourrait être une première étape dans la mobilisation. L’essen­tiel est non seulement de réunir le mouvement syndical sur un cahier de revendication solide, mais aussi de ne pas casser la dynamique de mobilisation, comme en octobre 2005, quand les directions syndicales, par crainte de faire tomber le gouvernement Verhofstadt II, ont sifflé la fin du match après la deuxième grève de 24 heures contre le Pacte entre les Générations.

Que fait le PS dans ce gouvernement ?

La place d’un parti qui prétend représenter la population laborieuse devrait normalement être dans la rue avec les travailleurs en lutte pour améliorer leur pouvoir d’achat. A l’inverse, le PS est entré dans un gouvernement paralysé par ses propres contradictions en matière communautaire, sociale ou sur le dossier de la régularisation des sans papiers. Le SP.A aurait sans doute voulu faire de même, mais la raclée électorale que lui ont infligé les électeurs l’an dernier l’oblige à se refaire une santé dans l’opposition, du moins au niveau fédéral (car il continue de siéger au gouvernement flamand). On oublie souvent que PS et SP participent au gouvernement fédéral depuis 1988 (gouvernement Martens VIII).

Vingt ans, cela bétonne une couche de carriéristes et de cabinettards endurcis plus préoccupés par leur carrière que par le sort de la population. « Le PS est le parti du pouvoir d’achat des gens ! » est le slogan des Rencontres d’été que le PS vient de tenir le 31 août 2008 à Chevetogne. Chiche ! Descendra-t-il dans la rue avec le front commun syndical ?

Pas de scission de la sécurité sociale ni des conventions collectives

Un des grands mérites du mouvement syndical est d’avoir refusé de mettre le doigt dans l’engrenage des querelles communautaires. La semaine d’action de juin dernier a d’ailleurs été placée sous le mot d’ordre « Renforcez le pouvoir d’achat et la solidarité ».

Il faut continuer dans cette voie et refuser que le poison du chauvinisme ne divise les rangs des travailleurs. La scission de la sécurité sociale, de la réglementation du travail ou des conventions collectives sur une base communautaire représenterait une catastrophe sociale.

Halte à la division communautaire!

Les tensions communautaires qui paralysent le gouvernement Leterme trouvent leur origine dans le développement économique inégal du pays : renforcement de la bourgeoisie flamande, affaiblissement de la bourgeoisie nationale traditionnelle (un exemple: les avoirs de la Société Générale sont passées dans le portefeuille du groupe Suez), désindustrialisation et affaiblissement de la capacité de résistance du mouvement ouvrier en Wallonie, renforcement de la combativité ouvrière en Flandre. On l’a vu non seulement lors des grèves spontanées de janvier 2008 pour la revalorisation du pouvoir d’achat, mais aussi en octobre 2005 lors des deux grèves générales contre le Pacte entre les Générations. Casser la résistance du monde du travail, en attisant le chauvinisme, est un objectif stratégique important pour la bourgeoisie.

La priorité mise par la ministre Turtelboom au dossier de l’immigration économique constitue d’autre part une autre priorité du patronat flamand : importer des travailleurs qualifiés pour renforcer l’armée industrielle de réserve et empêcher que la pénurie de main-d’œuvre n’ouvre la voie à des augmentations de salaire. C’est d’ailleurs de la même manière que la bourgeoisie a procédé après la Deuxième Guerre mondiale en faisant appel massivement à la main-d’œuvre pour travailler dans les charbonnages et casser la combativité des mineurs wallons qui représentaient jusqu’alors l’avant-garde de la classe ouvrière.

L’excellente initiative, prise par des militants syndicaux, de lancer la pétition Sauvons la Solidarité (www.sauvonslasolidarite.be ) a été reprise par de nombreux responsables syndicaux et a récolté à ce jour près de 125.000 signatures. Cet appel vient d’être relayé par un second texte : Appel commun de progressistes solidaires néerlandophones et francophones. Le confédéralisme : dernier arrêt avant la scission de la Belgique ? Il mérite le soutien et sera sans doute massivement diffusé lors des manifestations syndicales qui s’annoncent.

Voir ci-dessus