Qu'est-ce qu'une marchandise ?
Par A.T le Mercredi, 14 Juillet 2004 PDF Imprimer Envoyer

Le monde n'est pas une marchandise! Mais qu'est-ce qu'une marchandise? La théorie marxiste de la marchandise.

1. Introduction

L'exposé qui vous est présenté aujourd'hui est un exposé théorique. Il vous faudra faire un effort d'abstraction, et patienter un peu. Dans le troisième cours, vous verrez comment cette théorie vous permettra de comprendre l'histoire et le monde mieux que vous ne les avez jamais compris. D'ici là, il faut faire un effort. Ce n'est facile pour personne. Dites-vous bien que si c'était évident, il n'y aurait pas besoin de formations, ni de POS, et beaucoup de problèmes se résoudraient tout seuls... 

Pourquoi passer par l'abstrait pour revenir au concret ? Il en est souvent ainsi en sciences. Pas parce que les scientifiques sont des fumistes qui aiment tout embrouiller pour n'être compris par personne, mais parce que souvent l'apparence des choses est trompeuse et ne permet pas de comprendre leur mécanisme. En apparence le soleil semble tourner autour de la terre, mais celui qui se lancerait dans un voyage spatial à partir de cette apparence se perdrait dans le cosmos, car en réalité la terre tourne autour du soleil. Pour l'établir, Galilée à dû passer par toute une série d'abstractions, puis il a vérifié que ces abstractions permettaient de reconstituer le réel. C'est ce qu'a fait Marx également en tant que scientifique, dans le domaine des sciences humaines. Nous allons tâcher de suivre sa méthode. 

Le point de départ que nous vous proposons de prendre aujourd'hui - la marchandise - est exactement le point de départ que Marx avait choisi pour son livre théorique le plus important : « Le Capital ». Pourquoi Marx s'est-il intéressé à la marchandise ? Parce qu'il était révolté par l'inégalité sociale, l'inégalité dans la répartition des richesses. Or, écrivait-il, « la richesse de la société actuelle apparaît comme une immense accumulation de marchandises ». (C'est la première phrase du « Capital », et on dirait qu'elle a été écrite aujourd'hui par un militant du mouvement antimondialisation, n'est-ce pas?) Pourquoi Marx est-il parti de la marchandise dans « Le Capital » ? Parce qu'il avait acquis cette conviction : les apparences de la marchandise sont aussi trompeuses que celles du mouvement du soleil. Il faut les percer à jour si on veut comprendre les mécanismes de l'inégalité sociale, afin de supprimer celle-ci. 

2. Les deux facteurs de la marchandise : valeur d'usage et valeur d'échange (ou valeur tout court). Théorie de la valeur-travail. 

Vous pouvez acquérir une marchandise parce qu'elle satisfait vos BESOINS, vous est utile. Ce qui vous intéresse dans ce cas, c'est cette utilité, autrement dit la VALEUR D'USAGE de cette chose qui est marchandise. La valeur d'usage est liée indissolublement aux PROPRIETES de la chose elle-même, à sa QUALITE. Exemples : le livre, le kilo de sucre, l'ouvre-boîtes et le préservatif. 

Mais vous pouvez aussi acquérir une marchandise dont vous n'avez pas BESOIN. Dans ce cas vous ne l'acquérez pas parce qu'elle vous est UTILE, mais parce qu'elle est utile - ou pourrait être utile - à quelqu'un d'autre, à qui vous pourriez la revendre - en faisant un petit bénéfice - ou parce qu'elle est reconnue socialement comme SUPPORT DE VALEUR, comme incarnation de la valeur, et que vous pouvez spéculer sur l'augmentation future de cette valeur. Exemples : le marché de l'art. Dans « Vol 714 pour Sidney », de Hergé, Laszlo Carreidas acquiert des objets d'art comme pur placement financier. Dans ce cas, c'est la QUANTITE qui vous intéresse, pas la qualité. Ce deuxième aspect de la marchandise est ce que Marx appelle sa VALEUR D'ECHANGE. 

La valeur d'usage ne présente pas de mystères. Il n'en va pas de même de la valeur d'échange. Car réfléchissons : si une chose peut s'échanger contre une autre, ou contre plusieurs autres, c'est qu'il y a quelque chose de COMMUN entre ces choses, c'est que ces choses si différentes entre elles peuvent êtres ramenées à quelque chose de commun qui TRANSCENDE (dépasse) leurs qualité particulières. Quand vous échangez une pomme contre une poire, vous échangez des choses qui ont en commun d'être des fruits. Qu'y a-t-il de commun entre l'ouvre-boîtes, le livre, le kilo de sucre et le préservatif ? Telle est la question qui se pose. 

Ce quelque chose de commun c'est le TRAVAIL HUMAIN. Il est pour ainsi dire « cristallisé » dans les objets. Les objets sont des valeurs d'USAGE en tant que porteurs de QUALITES spécifiques. Ils sont des VALEURS d'ECHANGE en tant que porteurs de QUANTITES de travail humain. Evidemment, il y a un lien entre les deux : un produit qui n'a AUCUNE utilité pour personne (qui n'a pas de valeur d'usage) ne sera jamais acheté, donc n'a pas de valeur d'échange. Marx dit que la Valeur d'usage est la MATIERE de la richesse, et que la Valeur d'échange (ou VALEUR tout court) est la SUBSTANCE de la richesse. 

Puisque la valeur d'échange ne compte QUE du point de vue de la QUANTITE, la MESURE de cette quantité est évidemment décisive. Autrement dit : « combien ça vaut ? » est la seule question qui se pose une fois qu'on sait « à quoi ça sert ». La réponse est: ça vaut le TEMPS DE TRAVAIL qui est nécessaire pour le faire. L'ethnographie apporte de nombreuses preuves dans des sociétés primitives où on voit, par exemple, que des paysans travaillent sur le champ du forgeron pendant le temps exact dont celui-ci a besoin pour le forger les outils qu'ils lui ont commandé. 

Objection : si la valeur représente le temps de travail, celui qui travaille lentement créerait plus de valeur que celui qui travaille vite? Non, évidemment, car ce n'est pas le temps de travail INDIVIDUELLEMENT nécessaire qui sert de mesure de la valeur, mais bien le temps de travail nécessaire EN MOYENNE (Marx dit : « temps de travail socialement nécessaire ».). De sorte que celui/celle qui produit PLUS VITE que la moyenne crée en un même temps PLUS de VALEUR que celui/celle qui travaille moins vite, et pas l'inverse. 

Dans le village primitif, avec peu d'échanges portant sur peu d'objets, chacun savait à quoi s'en tenir sur le temps de travail moyen nécessaire aux divers travaux, et les échanges se faisaient en conséquence. Dans la société capitaliste actuelle c'est beaucoup plus compliqué. Mais vous pouvez constater que tout se mesure pour établir des moyennes qui servent à juger chacun/e : le nombre de mots tapés à la minute par la dactylo, le nombre de blocs posés par jour par le maçon ou le nombre de contrats placés par semaine par l'agent d'assurances. 

De ce qui vient d'être dit découle immédiatement que la GRANDEUR de la valeur peut VARIER dans le temps. En fonction de quoi ? En fonction:

* de la FORCE PRODUCTIVE DU TRAVAIL,

* du développement de la SCIENCE,

* de la TECHNOLOGIE (= degré d'application de la science),

* des CONDITIONS SOCIALES de la production,

* ou de conditions NATURELLES. 

Au plus la force productive du travail augmente, au plus le temps de travail diminue, donc au plus la valeur diminue. 

3. Le double caractère du travail présenté par la marchandise 

Cette THEORIE DE LA VALEUR-TRAVAIL n'est pas une découverte de Marx mais une découverte d'un autre économiste : RICARDO. Or, avant Marx, la faiblesse de cette théorie était qu'elle ne permettait pas de répondre à l'objection suivante : « Admettons que la valeur (d'échange) n'est que la cristallisation du travail ; cela ne permet pas d'expliquer que des marchandises différentes s'échangent, puisque ces marchandises différentes sont le produit de travaux différents. Donc, Monsieur Ricardo, vous n'avez fait que déplacer le problème. La question resté posée : qu'y a-t-il de commun entre les marchandises qui s'échangent ? Qu'y a-t-il de commun entre le travail du dessinateur de BD, celui du chimiste qui a conçu le préservatif, celui du métallo qui a fabriqué l'ouvre-boîtes et celui du paysan qui cultive les betteraves dont est tiré le sucre ?» 

Voilà une objection embêtante : toute cette théorie tenait si bien la route, elle permettait si facilement de comprendre l'histoire du commerce et des échanges ! Et voilà que tout est fichu par terre par une objection logique... Il fallait répondre. L'apport de Marx à la théorie économique est d'avoir résolu la difficulté, en disant ceci: le travail contenu dans la marchandise a un DOUBLE CARACTERE. De même que la VALEUR est à la fois d'usage et d'échange, de même le travail contenu dans la marchandise est à la fois TRAVAIL CONCRET et TRAVAIL ABSTRAIT. Le travail concret est celui qui produit les valeurs d'usage. Le travail abstrait est le travail producteur de valeur d'échange. Le travail concret donne leurs qualités aux choses. Le travail abstrait leur donne leur quantité de valeur. 

Cette réponse de Marx n'est pas un simple tour de passe logique. Le fondement du raisonnement est qu'il y a vraiment quelque chose de COMMUN non seulement aux différentes marchandises mais aussi aux différents travaux concrets qui ont produit ces objets. Ce quelque chose de commun, c'est que TOUT TRAVAIL, quelle que soit sa spécificité concrète, est toujours, en dernière analyse, une DEPENSE DE FORCE HUMAINE, une usure du corps, une perte d'énergie vitale. De même que la valeur d'échange efface les qualités des objets pour ne laisser voir que leur QUANTITE de VALEUR, de même le travail abstrait efface les qualités des travaux concrets pour ne laisser voir que la QUANTITE D'ENERGIE dépensée en eux (mesurable en calories, ou en Joules, comme sur votre compteur électrique !). 

On peut d'ailleurs avancer une autre démonstration de cette affirmation. Le travail concret est celui qui produit les valeurs d'usage. Il en découle qu'il y a autant de travaux concrets différents qu'il y a de valeurs d'usage différentes. C'est ce qu'on appelle la DIVISION SOCIALE DU TRAVAIL. Mais cette division sociale du travail se modifie sans cesse. Des tâches se séparent, des travaux qui étaient faits par une même personne deviennent des métiers différents faits par des personnes différentes. Et inversement : des métiers distincts hier deviennent un seul métier aujourd'hui (le regroupement des tâches de bureau du fait de l'informatique par exemple). Bref: ce sont DES TRAVAUX (concrets), mais c'est toujours DU TRAVAIL. 

Au cours prochain, on verra que ce processus de division sociale DU travail est une des clés pour comprendre l'Histoire de l'Humanité. En effet, entre la horde humaine primitive où il n'y avait PAS de division du travail et la société capitaliste actuelle où la division du travail se développe de plus en plus vite, l'humanité a connu toute une spécialisation : les femmes ont inventé l'agriculture, puis l'artisanat s'est séparé du travail agricole, puis le commerce est apparu comme activité distincte, etc, etc. 

Pour le moment, retenons ceci : c'est la mesure par le temps de la dépense du travail abstrait moyen qui détermine la grandeur de la valeur. Le travail QUALIFIE n'est qu'un multiple du travail simple que l'on peut mesurer en tenant compte non seulement de la dépense d'énergie pendant que le travail est réalisé, mais aussi de la dépense d'énergie qui a été nécessaire à l'APPRENTISSAGE du travail qualifié. 

4. Forme de la valeur (d'échange). Théorie de la monnaie. 

Une marchandise est quelque chose qui a une UTILITE POUR D'AUTRES, qui est PRODUIT pour l'ECHANGE en fonction de la QUANTITE de VALEUR qu'elle contient. Cette valeur ne prend forme QUE dans les échanges. Sans échanges, elle est insaisissable, elle n'apparaît même pas. Les objets que Robinson produisait sur son île lui demandaient une dépense de travail. On peut donc dire qu'ils avaient une « valeur »... mais on ne peut pas dire laquelle puisque Robinson n'avait personne avec qui ECHANGER ses produits. 

Pendant longtemps, dans l'Histoire, les échanges sont restés occasionnels et limités. Pourquoi ? parce que les groupes humains, peu nombreux, ne produisaient qu'occasionnellement plus que le nécessaire (ce « plus que nécessaire », Marx l'appelle le « SURPRODUIT SOCIAL »). A ce stade, les échanges pouvaient se faire sous la forme du TROC (5 peaux de bison contre un canoë, etc. ). C'est l'échange simple, ou occasionnel. Dans cet échange, les marchandises peuvent jouer des rôles différents. Si je dis : 5 peaux de bison = 1 canoë, le canoë sert d'équivalent aux 5 peaux de bison ; mais si ensuite j'échange le canoë contre un sac de tabac, c'est le sac de tabac qui sert d'équivalent au canoë, etc. Donc, toutes les marchandises peuvent servir tour à tour à exprimer et à mesurer la valeur des autres. 

Dès que les échanges sont devenus plus réguliers, le système du troc a touché ses limites. Pour des raisons pratiques évidentes, il a fallu qu'UNE marchandise soit choisie pour remplir systématiquement le rôle d'expression et de mesure des valeurs de TOUTES les autres marchandises (ce que Marx appelle « l'équivalent général »), et uniquement ce rôle-là. 

Dans l'histoire des civilisations, plusieurs types de marchandises ont joué le rôle d'équivalent général (ce fut par exemple la vache à une certaine période dans l'ancienne Egypte). Mais, très rapidement, les METAUX PRECIEUX ont été choisis comme équivalent général. Pourquoi ? en fonction de leurs qualités propres : 

* ils sont INALTERABLES,

* de qualité UNIFORME,

* et on peut facilement les FRACTIONNER ainsi que les RECOMPOSER (en les fondant).

* De plus, une quantité déterminée de métal précieux (exprimée par son POIDS) peut servir d'ETALON pour la MESURE de la valeur des marchandises.

* A partir de ce moment, l'équivalent-général devient MONNAIE et la monnaie exprime la valeur des marchandises en quantités de métal (en poids de métal). C'est cette quantité qui est appelée PRIX.

* Donc, qu'est-ce que la monnaie ? Une MARCHANDISE parmi les autres (sinon elle ne peut pas devenir monnaie) :

* Qui donne forme à la valeur de TOUTES les autres (c'est pourquoi Marx l'appelle « équivalent général »).

* Dont une quantité déterminée (ETALON), fixée par la loi, sert d'unité de MESURE de la valeur exprimée en PRIX. 

* Qui facilite la CIRCULATION des marchandises (je peux aller au marché vendre mes cinq peaux de bison sans devoir revenir avec un canoë dont je n'ai pas besoin).

* Dont la valeur propre ne s'exprime que dans la valeur de toutes les autres marchandises.

* Qui devient le SYMBOLE de la valeur

* Qui « brouille » complètement les pistes sur la nature réelle de la valeur. (on a l'impression que « la valeur est donnée aux choses par l'argent » alors que « la valeur provient du travail »). 

Puisque nous sommes partis sur les traces de Marx pour identifier les apparences trompeuses de la marchandise, arrêtons-nous un instant sur ce dernier point : le brouillage des pistes. Ici, les pistes sont d'autant plus brouillées que, historiquement, le nom de l'étalon de poids (une livre, un franc....) a été choisi comme nom pour la monnaie elle-même, ce qui a éliminé toute trace du RAPPORT de VALEURS. Or ce rapport de valeurs est un rapport entre heures de travail, c'est-à-dire un rapport social entre les gens. La monnaie efface ce rapport SOCIAL. Ce qui permet à Marx de dire : «La magie de l'argent est que les marchandises paraissent exprimer en lui leur valeur parce qu'il est argent, alors que l'argent est argent parce que les autres expriment en lui leur valeur ». 

5. Vendre pour acheter, acheter pour vendre. La formule générale du capital. Capital marchand, capital financier et capital industriel. 

A l'origine, nous l'avons vu, les échanges étaient occasionnels. Même après l'invention de la monnaie, pendant de longs siècles, les producteurs n'allaient au marché que de temps en temps - pour vendre leurs surplus et acheter ce qu'ils ne pouvaient pas produire eux-mêmes. La production restait avant tout une production de VALEURS D'USAGES. La PRODUCTION DE MARCHANDISES était MARGINALE.

Soit un producteur qui va au marché vendre les surplus de sa production de blé. Il reçoit en échange une somme d'argent, et dépense cet argent pour acheter d'autres marchandises qu'il ne sait pas fabriquer lui-même - un rouet par exemple. Nous pouvons résumer ces opérations par la formule suivante : 

Marchandise > Argent > Marchandise.

Le producteur vend pour acheter.

Ecrivons : M-A-M 

En règle générale, dans cette formule, la valeur de la marchandise vendue est EGALE à la valeur de la marchandise achetée. Il en est ainsi parce qu'il s'agit de marchés locaux, que les produits sont relativement simples, et que si une marchandise était systématiquement cotée en-dessous de sa valeur, les producteurs de cette marchandise arrêteraient de la produire pour se recycler dans une autre activité. Le sens de l'opération est en fait d'échanger une valeur d'usage contre une (ou des) autres. La monnaie sert seulement à faciliter l'échange. 

Or, dans l'Histoire, à un certain moment, une toute autre opération est apparue : 

Argent>Marchandise>Argent.

Acheter pour vendre.

Ecrivons : A-M-A 

Cette opération est née quand certains produits sont apparus qui nécessitaient de longs déplacements vers les marchés. Alors est apparu le métier de MARCHAND. Nous verrons cela en détail la fois prochaine. Aujourd'hui, ce qui nous intéresse, c'est que cette opération n'a de sens que si la vente de la marchandise rapporte une somme d'argent PLUS GRANDE que celle qui a été consacrée à l'achat. L'opération n'a de sens que si on a 

A-M-A', avec A'>A 

Cette formule est LA FORMULE GENERALE DU CAPITAL. La différence (A'-A= ( A) est appelée la PLUS-VALUE.

Définition : Le CAPITAL, C'EST UNE SOMME D'ARGENT QUI (CHERCHE A) S'ACCROIT(RE) D'UNE PLUS-VALUE. 

Comparons en détails les deux opérations, M-A-M et A-M-A' : 

A-M-A' (Acheter pour vendre)

M-A-M (Vendre pour acheter)

La marchandise n'est qu'un intermédiaire

L'argent n'est qu'un intermédiaire

L'argent revient au point de départ (il est avancé)

L'argent sort du circuit (il est dépensé)

Le but est la plus-value

Le but est la satisfaction d'un besoin

La fin diffère du début par la quantité

La fin diffère du début par la qualité

Le mouvement est sans fin car (A s'intègre à A

Le mouvement trouve sa limite dans la consommation

A et M ne sont que des formes différentes de la valeur. Celle-ci s'identifie dans l'argent, mais sans marchandise, il n'y a pas de capital !

Les formes A et M sont indépendantes 

Le CAPITALISTE EST LE POSSESSEUR D'ARGENT QUI DEVIENT LE SUPPORT CONSCIENT DE CE MOUVEMENT. La valeur d'usage ne l'intéresse pas. 

Comment acheter pour vendre peut-il rapporter une plus value ? Essayez de vendre un objet quelconque au triple de sa valeur et vous verrez que ce n'est pas si évident... 

a) Une première manière est d'acheter des marchandises au-dessous de leur valeur pour les revendre au-dessus de leur valeur. C'est ce qu'ont fait des générations de marchands tout au long de l'Histoire. C'est pour cela que les Phéniciens, par exemple, faisaient du commerce avec des peuples « barbares », très loin du monde « civilisé » de l'antiquité. Le capital produit par cette opération est appelé CAPITAL COMMERCIAL. Mais : cette manière d'empocher de la plus-value ne crée pas de RICHESSE NOUVELLE, elle ne fait que REPARTIR AUTREMENT des richesses existantes. Or l'Histoire des sociétés, dès l'Antiquité, montre un formidable accroissement de la richesse totale, un « progrès de l'humanité » dans son ensemble, malgré le vol des barbares par les marchands. Il y a donc un autre mécanisme de production de la plus-value, un mécanisme où la plus-value n'est pas produite par l'échange mais PAR LA MARCHANDISE qu'on achète et qu'on vend. 

b) Il n'y a qu'une marchandise qui a cette capacité de PRODUIRE DE LA VALEUR : la FORCE DE TRAVAIL, l'être humain lui-même. Le marchand qui achète de la force de travail humaine, qui l'entretient, et qui vend à son profit les objets fabriqués, empoche une plus-value (à condition évidemment que la valeur des produits soit plus grande que le coût d'entretien de la force de travail) . C'est cette forme de capital qui explique l'accroissement de la richesse globale des sociétés. On l'appelle le CAPITAL INDUSTRIEL. 

Dans l'Histoire, le capital est donc apparu très tôt. Nous avons déjà parlé du capital marchand des commerçants Phéniciens. Le capital « industriel » est déjà présent dans l'antiquité également. Dans la Grèce antique, par exemple, les riches propriétaires d'esclaves qui faisaient travailler leurs esclaves dans leurs mines ou dans leurs ateliers, et qui vendaient la production, exploitaient déjà un « capital industriel ». 

c) Il y a encore une troisième forme de capital, également très ancienne : le Capital usuraire. Le capital usuraire est l'ancêtre du capital financier actuel. C'est un cas particulier du capital marchand, car le cycle de l'opération s'écrit simplement: 

Argent- Plus d'argent

Prêter avec intérêt

Ecrivons : A-A' 

Cela signifie-t-il que LE CAPITALISME existe depuis l'Antiquité ? Non, il faut faire une différence entre LE CAPITAL et LE CAPITALISME.

a) Le Capital, c'est A-M-A', c'est l'extorsion et l'accaparement d'une plus-value grâce au vol commercial (capital marchand) et surtout grâce à l'exploitation du travail humain (capital industriel). Autrement dit : le capital n'est PAS UNE CHOSE mais UN RAPPORT SOCIAL. Or, dans l'antiquité, comme au long du Moyen-Age, ce rapport social, tout en se développant, est resté marginal au sein des sociétés. (Les gens étaient exploités, mais autrement.) L'immense majorité de la production restait une production de valeurs d'usage, avec vente des surplus sur les marchés locaux. La PRODUCTION DE MARCHANDISES, c'est-à-dire la production de VALEURS D'ECHANGE restait minoritaire. On ne peut donc pas dire que ces sociétés étaient « capitalistes». 

b) LE CAPITALISME, c'est une société caractérisée par LA PRODUCTION GENERALISEE DE MARCHANDISES. Autrement dit une société : 

* dans laquelle le RAPPORT SOCIAL capitaliste domine, contamine et absorbe toutes les autres formes de rapports sociaux 

* dans laquelle la production de VALEURS D'ECHANGE supplante, voire élimine la production de valeurs d'usage.

Nous verrons la fois prochaine dans quelles conditions historiques TRES PARTICULIERES une telle société a pu naître. 

6. Le fétichisme de la marchandise 

Revenons un peu en arrière, à notre comparaison entre A-M-A' et M-A-M. De cette comparaison, l'opération M-A-M sort « moralement » gagnante à nos yeux : l'argent n'est qu'un intermédiaire, le but est la satisfaction d'un besoin, la qualité prédomine, etc. Tout cela semble tellement sympathique que certains aimeraient en revenir à ce genre de société que Marx appelle la PETITE PRODUCTION MARCHANDE. 

Mais attention ! le « besoin » que le producteur veut satisfaire dans cette petite production marchande est son besoin INDIVIDUEL, et, pour y parvenir, il livre une concurrence farouche aux autres producteurs. La qualité, qui prime, est la qualité de l'objet qu'il achète, moins celle de la marchandise qu'il vend. Etc. Il n'y a vraiment pas lieu d'idéaliser cette société. 

Nous avons dit au début que nous voulions percer à jour les APPARENCES TROMPEUSES pour saisir les vrais mécanismes de la société. Nous avons vu que l'apparence qui nous trompe sur les rapports sociaux culmine quand la monnaie nous donne l'illusion que c'est l'argent qui donne leur valeur aux choses, alors que cette valeur n'est que la cristallisation du travail. Or, réfléchissons : cette apparence trompeuse existe déjà dans l'échange des marchandises. Très vite, dès que l'échange des marchandises est important, LES RAPPORTS SOCIAUX ENTRE LES GENS PRENNENT L'APPARENCE DE RAPPORTS ENTRE LES CHOSES. Au lieu que le forgeron, la cultivatrice, l'éleveur, etc. coopèrent et maîtrisent ensemble leurs relations sociales, leur division du travail apparaît comme un rapport entre leurs marchandises, réglé par le marché. C'est ce que Marx appelle le « FETICHISME DE LA MARCHANDISE ». 

La loi de la valeur inclut en germe la production pour la valeur. A-M-A' est l'enfant légitime de M-A-M. Le monde à inventer est un monde débarrassé de la marchandise, un monde où les producteurs et productrices associés détermineront démocratiquement les valeurs d'usage à produire pour la satisfaction de leurs besoins.

Voir ci-dessus