"Affaire Faust": lynchage médiatique
Par Guy Van Sinoy et Edouard Depry le Dimanche, 06 Avril 2008 PDF Imprimer Envoyer
SETCa Bruxelles-Hal-Vilvorde: Lynchage médiatique, putsch, procès… les dégâts sont considérables
On reparle à nouveau dans la presse du SETCa Bruxelles-Hal-Vilvorde car la chambre du conseil de Bruxelles a prononcé une ordonnance dans le dossier du SETCa, également appelé « affaire Faust ». Plusieurs inculpés, proches collaborateurs de l’ancien secrétaire général Albert Faust, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel sous l’inculpation de faux, usage de faux et abus de confiance. La plainte avait été déposée en 2003 par le SETCa fédéral.  

Ces rebondissements judiciaires ne sont toutefois que la partie visible de la tornade qui a dévasté le SETCa Bruxelles-Hal-Vilvorde, la plus grosse centrale syndicale FGTB de la capitale. En juillet 2002, en pleine période de vacances annuelles, le SETCa fédéral avait illégalement licencié Albert Faust en l’accusant de mauvaise gestion. Le licenciement était à la fois illégal, car le SETCa fédéral n’était pas l’employeur de Faust, et illégitime car Faust venait d’être réélu par un congrès et ceux qui venait de le réélire n’ont pas été consultés pour le démettre de ses fonctions.

Derrière cette accusation de mauvaise gestion se cachait une purge politique orchestrée en sous-main par la présidente de la FGTB de l’époque Mia De Vits[1] qui supportait mal un dirigeant syndical trop à gauche comme Albert Faust. Etant donné que Faust jouissait d’un large prestige et d’un soutien auprès de nombreux militants syndicaux combatifs de la FGTB de Bruxelles, l’opération menée pour le déstabiliser et le renverser a dû s’appuyer sur deux piliers : d’une part sur une alliance de circonstance entre Mia De Vits, le SETCa fédéral (Christian Roland) et un quarteron de secrétaires syndicaux du SETCa de Bruxelles-Hal-Vilvorde[2] coalisés pour des raisons diverses ; d’autre part sur une campagne de presse qui avait pour fonction de procéder au lynchage médiatique de Faust de manière à le discréditer auprès de la masse des affiliés. 

L’élimination d’Albert Faust ne s’est toutefois pas déroulée aussi facilement que l’espéraient les putschistes car une partie des délégués syndicaux du SETCa Bruxelles-Hal-Vilvorde ont vigoureusement soutenu Faust, et un conflit public s’est déclaré, au sein du Comité exécutif du SETCa B-H-V et devant les tribunaux.

 

Albert Faust éliminé: six ans plus tard 

 

Six ans plus tard, les dégâts sont considérables. La plupart des militants syndicaux qui ont soutenu Albert Faust ont été éliminés à leur tour. A ce jour, le SETCa B-H-V est fortement affaibli. Il reste sous la tutelle du SETCa fédéral, n’a toujours pas de secrétaire général et n’est pas à la veille de retrouver un leader de l’envergure d’Albert Faust. Quand à ce dernier, il a difficilement supporté d’être traîné dans la boue et il en est mort lors de l’été 2004, sans avoir eu l’occasion de pouvoir laver son honneur devant le tribunal.

 

Comble du cynisme, au moment où les collaborateurs d’Albert Faust s’apprêtent à passer devant le tribunal, le SETCa fédéral a demandé et obtenu le statut d’entreprise en difficulté pour sa section de Bruxelles et certains secrétaires syndicaux qui s’étaient ligués pour accuser Faust « d’enrichissement personnel » partent en prépension avec une indemnité égale à 100% de leur salaire !

par Guy Van Sinoy

   

L’avis de quelques délégués syndicaux
« Je suis de parti pris… »
  
Edouard Depry,
(ancien délégué SETCa aux AMP, ancien membre du Comité exécutif du SETCa B-H-V)

"En 2002, j'ai été opposé au licenciement d'Albert Faust et pour plusieurs raisons.  

La première est que les statuts n'étaient pas respectés. L'employeur d'Albert était le Comité exécutif du SETCa Bruxelles/Hal/Vilvorde et non ceux qui l'ont jeté dehors (et le terme est bien faible). Cela faisait plus de vingt ans que je connaissais bien les différents acteurs de cette cabale. Albert aussi.  

La deuxième raison est que ceux qui l'ont licencié (pour faire simple) étaient une partie de la direction de la FGTB qui voulait en terminer avec ce type de syndicalisme trop ancré à gauche à leur goût, un syndicalisme qui ne voulait pas, entre autres, être assis sur les genoux du PS. Je n'en veux pour preuve que la fête du Premier  Mai, depuis cet événement, se fait - main dans la main - avec le PS. Si bien qu'on ne sait plus, au juste, si ce n'est pas la fête du PS plutôt que celle des travailleurs. Et puis, il y a les apparatchiks de la FGTB qui siègent au bureau hebdomadaire du PS. Il fallait un syndicalisme plus conciliant. D'ailleurs, ce n'est pas difficile, on n'entend plus les syndicats comme avant.  

La troisième raison est que les collègues d'Albert qui se sont alliés à l'appareil l'on fait, pour une part, pour être le chef à la place du chef alors qu'ils n'en avaient pas l'envergure, parce que souvent incapables de voir plus loin que le bout de leur nez.  Pour les autres, il s'agissait surtout de ne pas perdre leur place bien rémunérée, une place qu'ils étaient bien en peine d'avoir ailleurs avec les mêmes conditions. Ce type de personnage suit toujours le pouvoir et va là où le vent l'emporte. Je participais aux congrès avec eux du temps d'Albert et ils venaient me demander de poser les questions qu'ils ne se sentaient pas le courage de poser pour ne pas devoir affronter Albert.  

La quatrième raison est que je connaissais bien Albert Faust parce que j'ai travaillé pendant 20 ans à l’AMP (Agences et Messageries de la Presse), une entreprise où Albert était permanent syndical. Avec lui les travailleurs de l'AMP ont obtenus de multiples avantages qui allaient bien au-delà de ce que les autres entreprises ont obtenu. Pendant de nombreuses années j'ai eu des discussions difficiles avec Albert, mais quand on avait un accord il était respecté. Pendant ces 20 années, j'ai été pendant 10 ans un délégué élu par les travailleurs et non coopté comme c'est souvent le cas. Albert Faust était quelqu'un sur qui on pouvait compter et je peux vous affirmer que, contrairement aux « arguments » utilisés par ses adversaires, il n'y a jamais eu, chez lui, d'enrichissement personnel. Ceux qui l'on approché s'en rendaient compte tout de suite. Mais c'est là dessus qu'on l'a démoli et il en est mort.  

La cinquième raison est que s'il y avait un problème quel qu'il soit, il pouvait se régler devant ses pairs.  

Quoi qu'il en soit depuis juillet 2002, ses pairs n'ont pas de réponse et tout est loin d'être clair. J'ai posé de nombreuses questions qui n'ont jamais eu de réponse et c'est noté dans les procès verbaux. De plus, jeter Albert a permis de maintenir une opacité totale sur l'argent des syndicats. Je vais m'arrêter à cette cinquième raison bien que je pourrais aller jusqu'à la centième, si pas plus, mais le lecteur m'abandonnerait. Lui seul peut réfléchir et voir ce qui n'est pas clair dans cette affaire ... J'ai quitté tout cela et maintenant ce sont des proches qui m'informent ... ainsi que la presse. Pour ce qui est de la presse il faut toujours rester critique et se dire que, parfois, elle raconte n'importe quoi. Tout récemment, un article du Soir (19/02/2008) reprenait des infos sur la Chambre du Conseil à propos du dossier des inculpés dans l'affaire souvent appelée" Faust". Dans l'un des paragraphes le journaliste écrit, je cite: « A la suite de l'incarcération d’Albert Faust, durant quatre mois, les enquêteurs ont épluché les documents comptables. »  A lire cela, on peut supposer qu'Albert a subi 4 mois d'incarcération alors qu'il a fait 4 jours de prison. Ce sont les enquêteurs qui ont épluché les comptes pendant 4 mois!  

Messieurs les journalistes, je veux mettre en évidence qu'à force de faire ce que l'on appelle un " copié/collé" pour vos articles, cela ressemble à une histoire qui, répétée par plusieurs personnes à la suite finit par ne plus correspondre du tout à ce que la première a entendu. Cela devient l'histoire d'une vieille dame qui a eu peur d'une araignée et qui, racontée par le dernier auditeur, se transforme en histoire d'une vieille dame qui a été mangée par l'araignée. Messieurs les journalistes un peu de sérieux s'il vous plaît!"  (Mars 2008)  

 

« Le plus important est la visibilité et la ligne politique du syndicat »
Silvio Marra, (ancien délégué FGTB aux Forges de Clabecq)
 "Je sais que dans toutes les centrales syndicales, dans toutes les sections et dans toutes les régionales, partout il y a des problèmes de gestion. La gestion d’un syndicat n’est pas la même que celle de la Société générale. C’est bien sûr quelque chose d’important mais ce n’est pas la première priorité. Le plus important est la visibilité et la ligne politique de l’organisation syndicale. Et d’après moi, le SETCa de Bruxelles était un groupement d’avant-garde du syndicalisme en Belgique. Probablement la section régionale la plus avancée en Belgique. Et je pense que Faust a dans ce cadre-là joué un rôle politique essentiel, même si d’autres se proclament plus à gauche. Il ne suffit pas de se proclamer plus à gauche, la personnalité visible à gauche c’est Albert Faust. Le fait de l’avoir attaqué a eu pour effet d’avoir affaibli, peut-être même détruit, ce groupement d’avant-garde syndicale.  Il ne faut pas confondre les choses essentielles avec les choses secondaires. S’il y avait une mauvaise gestion, les autres secrétaires étaient soit coresponsables soit irresponsables de n’avoir pas assumé leurs responsabilités. Je suis convaincu que ces gens agissent de façon inconsciente parce qu’ils ont l’esprit des curés qui agissent comme si l’argent était sacré. Comme s’ils voulaient gérer l’argent des travailleurs de façon extraordinaire. Dans un syndicat l’argent sert uniquement à faire fonctionner l’organisation. Ni plus, ni moins." (Août 2002) 


[1] Après avoir décapité le SETCa de Bruxelles-Hal-Vilvorde, Mia De Vits a abandonné son poste de présidente de la FGTB pour aller faire carrière comme parlementaire européenne sous les couleurs du SP.A.

[2] Un certain nombre de ces secrétaires se sont coalisés par ambition personnelle, d’autres parce qu’ils ont cru pouvoir… dépasser Faust sur sa gauche !

Voir ci-dessus