Etat espagnol - Italie: la jeunesse est dans la rue!
Par Cinzia Arruzza et Espacio Alternativo le Samedi, 15 Novembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Ce jeudi 13 novembre, des centaines de milliers d'étudiant/es ont manifesté dans plus de 70 villes de l'Etat espagnol pour protester contre le processus européen de Bologne dans l'enseignement supérieur et universitaire et les conséquences en termes de privatisations et de marchandisation de l'enseignement qu'il implique. Pendant ce temps, en Italie, les mobilisations lycéennes et étudiantes se poursuivent contre le gouvernement Berlusconi et sa volonté de faire payer à la jeunesse et aux enseignants les frais de la crise.

Etat espagnol: en défense de l'enseignement public: l'éducation n'est pas une marchandise!

Par Espacio Alternativo

La jeunesse étudiante a manifesé dans plus de 70 villes de tout l'Etat espagnol ce jeudi 13 novembre dernier. A Madrid, Barcelone, Seville, Navarre, Malaga, Valence, Burgos, Grenade, Logroño, Vigo, Valladolid et un long etcétera, des centaines de milliers de jeunes ont exigé l'arrêt du Traité de Bologne qui implique une privatisation de l'enseignement public.

A Madrid, plus de 50.000 étudiant/es sont descendus dans la rue sous le mot d'ordre «En défense de l'enseignement public. Aux capitalistes de payer la crise». A Barcelone, ils étaient plus de 80.000, étudiant/es et professeurs, à protester à la fois contre Bologne et contre la Loi de l'Education de la région autonome de Catalogne sous le slogan «L'école publique n'est pas à vendre».

A Séville, où plus de 60% des lycéen/nes ont soutenus la grève étudiante, plus de 5.000 les jeunes se sont rassemblés devant l'Université aux cris de «Queremos becas, no hipotecas» («Nous voulons des bourses, pas des hypothèques») et des slogans dirigés à la fois contre le PSOE et le PP. A Grenade ils étaient plus de 3.000; à Valence 5.000; à Malaga, 1.000; à Burgos, 4.500...

Ces manifestations du 13 novembre contre le processus de Bologne sont le résultat d'un appel issu de la première Rencontre fédérale des étudiants réalisée le 26 avril dernier à Séville. Il s'agit de la première coordination d'un mouvement étudiant d'ensemble à l'échelle de l'Etat espagnol depuis les grandes mobilisation contre la réforme de la Loi organique sur les universités (LOU) appliquée par le PP en 2001.

La journée d'actions du 13 novembre a en outre été précédée par de fortes mobilisations locales tout au long de l'année 2007-2008 et qui ont culminé avec des grèves massivement suivies dans les universités de Barcelone, Séville et Madrid le 6 mars dernier. A Madrid, entre les mois d'avril et mai, une intense activité a été menée dans les Universités publiques de la capitale, avec des conférences publiques et des assemblées d'information sur le processus de Bologne et une première manifestation rassemblait déjà 15.000 étudiant/es en mai. Sous l'impulsion de cette mobilisation, les universités du Pays Basque, de Galice, de Murcie, de Valladolid, de Burgos, de Salamanque et de Valence se sont jointes au mouvement pendant le printemps tandis que celles d'Andalousie, avec les universités de Cadiz, Malaga et Grenade, se sont ajoutées au cours de la rentrée académique.

Grâce à ces luttes préparatoires et à cette coordination fédérale, les mobilisations du 13 novembre ont été un plein succès qui démontre qu'un processus de structuration et de maturité politique du mouvement de la jeunesse étudiante est à l'oeuvre. Ce mouvement s'oppose aux réformes récentes qui, sous prétexte d'adapter l'enseignement aux impératifs du marché de l'emploi capitaliste et aux désirs des entreprises, davalorise continuellement la qualité et le contenu de l'éducation. Il est également le fruit des conséquences de plus en plus palpables du processus de Bologne dans l'enseignement: un processus obscur, anti-démocratique, réalisé sur le dos de la communauté universitaire et dont l'objectif final est la marchandisation de l'éducation au profit des entreprises privées, en commençant par la privatisation d'une partie de sa gestion, par la volonté de lier étroitement la recherche universitaire avec le secteur privé, etc.

Ce mouvement marque également la désillusion face aux promesses non tenues du gouvernement social-libéral de Zapatero, qui avait annoncé le retrait de la LOU. Non seulement il ne l'a pas fait, mais il a transféré les universités des mains du Ministère de l'Education à un nouveau ministère, celui de la Science et de l'Innovation, dont le Ministre, Garmendia, provient directement de la Confédération espagnole des organisations patronales, marquant ainsi nettement la volonté de lier étroitement l'enseignement à l'entreprise pour le seul bénéfice de cette dernière.

Le mouvement étudiant actuel a plusieurs défis devant lui: renforcer et améliorer sa coordination à l'échelle de l'Etat; parvenir à un discours commun face à Bologne; relancer de nouvelles mobilisations massives avec grèves et occupations des universités afin de permettre un maximum d'unité d'action; nouer et renforcer les alliances et les coalitions avec d'autres secteurs dans les universités, les écoles supérieures et secondaires ainsi que dans la société et particulièrement parmi les salarié/es.

D'après une série d'articles publiés sur le site de nos camarades d'Espacio Alternativo

http://www.espacioalternativo.org/

Vidéo des manifestations:

http://www.youtube.com/watch?v=15olECjVEpY


Italie: Les étudiants mènent la fronde

Par Cinzia Arruzza

Un grand mouvement étudiant, allié aux enseignants du primaire et du secondaire, agite l’Italie. Les mesures adoptées par le gouvernement Berlusconi en ont été le détonateur.

En profitant de la fermeture estivale des écoles et des facultés, le gouvernement Berlusconi a fait approuver au pas de charge la loi 133/08. Prévoyant de réduire de 47 % le budget de l’université, il la justifie par l’excès de personnel, la volonté de réduire les gaspillages et la nécessité de faire face à la crise économique. Cela se traduit par 467 millions d’euros en moins pour l’université, la réduction de 10 % du fonds de financement dans les cinq prochaines années, et un blocage du turn-over des professeurs, seuls 20 % des professeurs partant à la retraite étant remplacés. Dans le primaire et le secondaire, le blocage du turn-over équivaudra à la suppression de 87 000 places d’enseignants et à 44 000 de personnel technique. Pour donner une impulsion majeure à la privatisation de l’institution, il est prévu de transformer les universités en fondations de droit privé. Ces mesures s’associent à la contre-réforme de l’école élémentaire, approuvée le 29 octobre au Parlement, en dépit de l’agitation qui secoue le pays depuis la mi-octobre.

Les manifestations, les leçons dans la rue et les sit-in n’ont cessé de se multiplier, avec une participation toujours croissante. Cette contre-réforme prévoit en effet, derrière le rideau de fumée d’un appel au retour de la discipline à l’école (avec la note de conduite et le port du tablier), le démantèlement de l’école élémentaire : le retour de l’enseignant « unique »1, la réduction des heures de classe et des écoles. Par ailleurs, en cohérence avec les politiques racistes promues par le gouvernement, la loi prévoit également l’institution de « classes d’intégration » séparées pour les enfants immigrés ou fils d’immigrés. La motivation officielle s’appuie sur la nécessité d’offrir la possibilité d’un apprentissage de la langue italienne, adapté à ceux qui ne présentent pas de compétences linguistiques suffisantes. Avec cette mesure, on introduit un élément de ségrégation dans les écoles publiques.

Le premier effet tangible de cette véritable irruption estudiantine sur la scène politique s’est traduit par le bouleversement du débat politique. Après plus de six mois dominés par l’offensive xénophobe et raciste des droites, par une véritable chasse aux sorcières à l’encontre des travailleurs de la fonction publique, accusés d’être des « fainéants », par des attaques contre les syndicats à l’occasion de l’affaire Alitalia, par l’absence de toute forme d’opposition digne de ce nom, le mouvement étudiant a imposé un message fondamental, que résume formidablement le slogan : « Nous ne paierons pas votre crise!»

Grève générale

Les contre-réformes de l’instruction et du monde du travail, qui ont touché l’Italie ces dernières années, ont engendré une génération sans futur. C’est précisément de cette absence radicale de toute perspective que cette dernière tire son courage. Le mouvement étudiant travaille à la création d’une alliance avec le monde du travail, l’objectif étant la généralisation du mouvement au reste de la société. Un document, approuvé le 31 octobre à l’université occupée de Rome, La Sapienza, invite explicitement tous les syndicats à la convocation d’une grève générale contre le gouvernement. Reste la question des perspectives de ce mouvement, de son élargissement et de son rapport à la politique institutionnelle.

Le premier élément de nouveauté est que, pour la première fois, il n’existe pas de force politique institutionnelle qui puisse servir de référent naturel au mouvement. La disparition des organisations de la Gauche arc-en-ciel du Parlement (et, évidemment, du Parti de la refondation communiste) et leur difficulté à intervenir au sein des mobilisations ouvrent un espace que le Parti démocrate tente, pour l’instant, d’occuper. Il a ainsi proposé un référendum d’abrogation de la contre-réforme, qui risque de ramener les mobilisations dans le lit de la politique institutionnelle, en en atténuant la radicalité et en tentant de désamorcer la reconstruction d’une conflictualité sociale.

En attendant, le mouvement s’est doté d’un calendrier, après la journée de mobilisation nationale du 7 novembre et la participation à la grève de l’université, le 14 novembre. Les 15 et le 16 novembre, aura lieu la première assemblée du mouvement, à l’initiative de La Sapienza de Rome. Les étudiants ont lancé le mot d’ordre. Les syndicats doivent maintenant décider de quel côté ils se placent. La mobilisation des étudiants et les conflits sectoriels déjà en cours, en premier lieu celui des ouvriers de la métallurgie (avec la grève de la Fiom, le 5 décembre), en créent les conditions. Le syndicalisme relèvera-t-il cet appel et convoquera-t-il la grève générale?

Cinzia Arruzza, traduit par Christine Barbacci

Notes:

1. L’élève italien peut avoir jusqu’à trois maîtres par niveau, du CP au CM2, qui se partagent l’enseignement en fonction de leurs compétences.

Voir ci-dessus