Expulsion de sans-papiers et levée des piquets de grève: quand des crapules défendent des crapules
Par Céline Caudron et Ataulfo Riera le Jeudi, 20 Novembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

En avril dernier, lors d'une manifestation de sans-papiers, un commissaire de police lançait à un avocat: «Vous êtes des crapules qui défendent des crapules!». Il arrive ainsi souvent que, consciemment ou non, des personnes projettent sur les autres leurs propres tares inavouables. Les propos de ce commissaire de police le confirment. L'actualité nous démontre d'ailleurs que ce transfert s'étend à toute sa profession et illustre bien quel est le rôle exact joué par les forces répressives policières et judiciaires dans un Etat capitaliste et dans un contexte d'une crise économique profonde.

Ce 18 novembre, les 500 sans-papiers qui occupaient pacifiquement un bâtiment vide d'Electrabel à Ixelles ont été expulsés manu militari par les pandores, avec les habituelles marques de brutalité, d'insultes racistes et de provocations gratuites dont ils sont coutumiers. La présence de nombreuses personnes solidaires qui ont occupé les entrées du bâtiment vidé par la police a permis la libération rapide des sans-papiers arrêtés. Et d'empêcher qu'ils ne se retrouvent dans les griffes des sinistres agents de l'Office des Etrangers qui tels des charognes, accompagnent toujours ce genre d'opération policière de nettoyage social et ethnique.

Notre valeureuse police a fait courageusement son devoir sur l'injonction de nos courageux tribunaux, eux-mêmes aux ordres du courageux propriétaire Electrabel et du courageux bourgmestre d'Ixelles, le PS Decourty. Mettre à la rue, sous la pluie battante et dans le froid, des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants, dont plusieurs bébés, voilà un acte héroïque que les crapules que nous sommes ne peuvent apprécier à sa juste valeur.

Le même jour, le piquet de grève des travailleurs d'UCB à Braine-l'Alleud était levé grâce à l'intervention tout aussi courageuse d'un huissier de justice envoyé par un tribunal suite à une requête unilatérale de la direction de l'entreprise. Coupables d'avoir rejeté le «plan social» imposé par cette direction pour les licencier, le message adressé aux travailleurs est clair ; allez vous faire pendre au chômage avec l'aumône qu'on vous donne, courbez l'échine et résignez-vous! Comme à Carrefour ou à Ikea, tribunaux, police et patronat se sont une fois de plus donné la main pour briser courageusement la résistance des travailleurs en lutte pour leurs droits, leurs salaires, leurs emplois. Et leur dignité. La même dignité qui pousse les sans-papiers à résister et à lutter eux aussi pour leurs droits sociaux et démocratiques.

Que ce soit dans l'affaire de l'expulsion des sans-papiers ou dans la levée des piquets de grève, où sont alors les véritables « crapules qui défendent des crapules»? N'est-ce pas crapuleux que d'agir au service d'un gouvernement qui renie sa parole donnée et ses engagements politiques à l'égard des sans-papiers, se mettant ainsi lui-même hors la loi ? N'est-ce pas crapuleux que de défendre ces partis au pouvoir qui volent au secours des banquiers et des gros actionnaires avec des méthodes douteuses et à coups de milliards publics tandis qu'ils n'accordent que des miettes à la majorité sociale frappée par la crise? N'est-ce pas crapuleux que de protéger la propriété privée d'Electrabel qui nous vole des milliards d'euros depuis des années avec ses tarifs surélevés et les fonds publics octroyés pour amortir ses centrales nucléaires ? N'est-ce pas crapuleux que d'expulser des centaines d'adultes et d'enfants d'un des (trop) nombreux bâtiments inoccupés de Bruxelles pour les jeter à la rue en s'en lavant les mains ?

N'est-ce pas crapuleux que de défendre le soi-disant «droit au travail» de quelques-uns contre une majorité de grévistes alors que le droit au travail des 500.000 chômeurs n'est lui défendu par aucun tribunal ou huissier de justice ? N'est-ce pas crapuleux que de défendre les patrons et actionnaires d'UCB et de Carrefour qui ont engrangé des milliards de bénéfices depuis des années avec les hausses des prix des médicaments et des produits alimentaires, et qui veulent aujourd'hui faire payer à leurs salariés les pots cassés de la crise en les virant comme des malpropres ou en les exploitant avec des salaires de misère?

Police partout, justice nulle part

La crise capitaliste frappe désormais de plein fouet l'économie réelle. En Belgique, plus de 6.000 intérimaires ont perdu leur emploi précaire et ils seront bientôt 20.000 selon les estimations les plus basses. Des dizaines de milliers de travailleurs se retrouvent forcés et contraints au chômage temporaire, avec une perte nette de leurs revenus survenant après plus d'un an de hausse des prix du logement, de l'alimentation et de l'énergie. Et au lieu de modérer ces derniers, ce sont les salaires que le patronat veut bloquer dans le cadre du nouvel accord interprofessionnel.

Les drames humains et les contradictions sociales, qui atteignent déjà un niveau intolérable, vont exploser au cours des mois à venir en touchant le plus durement les plus fragilisés : les sans-papiers, les femmes, les jeunes, les pensionnés. La réponse de l'Etat capitaliste se dessine dès à présent: la bonne vieille matraque, utilisée avec toute la force et la « légitimité de la « loi » ; celle taillée sur mesure pour défendre la propriété capitaliste qui permet à une minorité de s'accaparer les richesses produites collectivement, les espaces et les moyens de production; pour défendre la liberté capitaliste d'exploiter les hommes et les femmes, avec ou sans papiers; pour défendre le droit capitaliste de les jeter à la rue et dans la misère si cela permet de maintenir les profits à la hausse. L'avenir qui nous attend se profile déjà: police partout, justice nulle part!

La police et les tribunaux ne sont ainsi que des crapules qui défendent des crapules, pour reprendre l'expression fleurie du fameux commissaire de police. Et ces crapules-là n'entendent qu'un seul langage, celui du rapport de forces. Car ils ne craignent qu'une chose; le jour où les travailleurs/euses, avec ou sans papiers, vont s'unir, s'organiser et lutter ensemble pour remettre en cause leur légitimité à user de la matraque pour appliquer ces lois capitalistes.

Régularisation de tous les sans-papiers! Bas les pattes du droit de grève! Interdiction des licenciements!


Communiqué du CAS: Expulsion et exode des sans-papiers de la Turtelb’Home

Arrivés à l’ULB, les réfugiés du 133 craignent une intervention de la police

Hier a eu lieu ce qui fut peut-être la plus grosse expulsion de l’histoire de la lutte des personnes sans-papiers en Belgique. Plus de 500 personnes ont été expulsées vers 10h du matin, à la suite d’une vaste action de délogement des anciens bâtiments d’Electrabel, au 133 chaussée d’Ixelles, occupés depuis deux semaines par des personnes en situation irrégulière pour la plupart et rebaptisée la « Turtelb’Home ». Plusieurs dizaines de personnes s’étaient fait arrêtées, mais grâce à la mobilisation, elles ont finalement été relâchées.

Les forces de l’ordre ont fait preuve d’une rare brutalité pour faire sortir pères, mères et enfants de ces lieux où ils s’étaient regroupés. Les occupants sans-papiers avaient néanmoins pris la décision de ne pas céder aux intimidations policières et revendiquaient de façon citoyenne leur droit à rester dans ce bâtiment afin d’en faire un centre d’activités, ouvert et dynamique, d’où mener leur lutte. Les forces de l’ordre n’ont pas hésité à recourir à l’usage de la violence (plusieurs personnes blessées, d’autres emmenées à l’hôpital), des menaces, ainsi que des insultes racistes et de l’humiliation. Un occupant résumait ces égards policiers en une formule amère : « Les chiens on les traite mieux que nous ! ».

Ces 500 personnes s’étaient installées dans les anciens locaux d’Electrabel afin d’en faire une plateforme d’initiatives politiques visant à dénoncer l’inactivité délibérée de la ministre de l’Immigration, Annemie Turtelboom (VLD) et dans l’ensemble du gouvernement fédéral. La ministre est effectivement devenue célèbre pour l’énergie qu’elle déploie à ne rien faire. Bien qu’elle ait été appelée à sa fonction avec la mission explicite de traduire en termes juridiques l’accord gouvernemental – un texte pourtant déjà très clair et complet – elle n’a pas avancé d’une ligne dans ce dossier en 8 mois. Cette volonté affichée de blocage et la cruelle incertitude où elle et le reste du gouvernement maintient les personnes sans-papiers ont été dénoncées à plusieurs reprises par de nombreuses associations : le Forum Asile et Migration, la Ligue des Droits de l’Homme, le Comité Laïque, le Syndicat des Avocats, l’Université libre de Bruxelles, l’UDEP, la CRER, RESF, les syndicats, le CAS, … Mais rien n’y fait ! L’irresponsabilité du gouvernement n’a d’égale que sa mauvaise foi.

Les personnes raflées hier ont risqué l’enfermement, voire même l’expulsion hors du pays. En effet, contrairement aux promesses du bourgmestre d’Ixelles, Monsieur Decourty, deux combis de police remplis de sans-papiers arrêtés étaient sur le point de partir du 133. Ces arrestations n’ont pu aboutir grâce à l’intervention de blocage de dizaines d’habitants d’Ixelles, d’étudiants, et de soutiens de tous horizons. Voyez avec quelle violence la Belgique traite les individus qui ont le courage de redresser la tête pour faire valoir leurs droits ! Car il ne s’agit pas – comme on ne manquera pas de le dire – d’une rafle opérée sur base de motifs juridiques mais bien de la mise en oeuvre d’une volonté politique de faire taire. La classe politique belge déteste qu’on lui rappelle qu’il existe une enclave de non-droit au coeur du système qu’elle dirige, et que des êtres humains y sont pris au piège et s’y débattent pour accéder au statut de citoyen de plein droit. Non, décidément, la classe politique belge déteste qu’on la surprenne en train de bafouer ses voeux d’humanisme ! Hier, c’est le courage de cette dénonciation que les 500 occupants de la « Turtelb’Home » paient. Et c’est au nom de ce courage que l’on peut affirmer que si arrestation il y a dans les prochains jours, ce ne sont pas des prisonniers « sans-papiers » mais bien des détenus politiques qui se trouveront en cellule.

Comment sont-ils arrivés à l’ULB ? Vont-ils y rester?

Hier, les rues d’Ixelles ont été le théâtre d’un véritable exode de ces 500 « expulsés », portant à bouts de bras leurs enfants, leur baluchon, et leur peur car la police était déployée pour effectuer une chasse aux réfugiés (un « tank à eau » à l’entrée du campus, plusieurs camions et agents en civil…). En fin de compte, épuisés, les « expulsés » ont trouvé asile dans une salle de sport de l’Université libre de Bruxelles vers 20h. Les autorités sont descendues dans la salle de sport pour signifier que ces réfugiés n’avaient pas le droit de rester au sein de notre université sans doute par crainte qu’une nouvelle occupation puisse perturber le « fonctionnement » de l’ULB (sans donner de délai néanmoins). Aucun engagement n’a été pris entre les « réfugiés » et l’ULB. Il est intéressant de rappeler l’agenda de l’ULB, la Saint-V aura lieu jeudi (cours suspendus, donc aucune perturbation de cours), « le pont » de vendredi, suivi du week-end.

La volonté des réfugiés prise en Assemblée Générale est pourtant sans équivoque. Il n’est pas question ici de lancer une nouvelle occupation, début d’une lutte politique prolongée pour réclamer la régularisation de tous les sans-papiers. En effet, nous nous sommes immédiatement mis au travail et recherchons activement un autre lieu permettant l’hébergement prolongé (et politique) de ces centaines de sans-papiers. Dans l’attente de récupérer leurs affaires éparpillées au 133, chaussée d’Ixelles lors de l’intervention brutale de la Police, et dans l’attente de trouver ce nouveau lieu (quelques jours)… les sans-papiers n’ont pas d’autre choix que de rester temporairement dans leur « refuge », à l’Université. Pour aller dans ce sens, les représentants des réfugiés et des étudiants ont déjà tenté d’entrer en discussion avec les autorités de l’ULB pour trouver un accord dans les plus brefs délais.

Tous les membres du CAS (Comité d’Actions et de Soutien de l’ULB) continuent à porter les mêmes revendications : l’arrêt des expulsions, la suppression des centres fermés et la régularisation de tous les sans-papiers. De plus, le CAS réclame la mise à disposition immédiate d’un nouveau bâtiment d’où mener la lutte des sans-papiers.

Comité d’Actions et de Soutien aux sans-papiers

Voir ci-dessus