3e mois d’occupation de la gare de Bressoux par les sans papiers « Il se passe ici quelque chose de spécial»!
Par France Arets et Denis Horman le Mardi, 01 Septembre 2009 PDF Imprimer Envoyer

Interview de France Arets, porte-parole du CRACPE, animatrice du comité de soutien aux sans papier de Liège, militante de la LCR. Le 18 juillet 2009, le gouvernement fédéral, légèrement remanié, approuvait une circulaire fixant une série de critères pour la régularisation de sans papiers. Après plus d’un an de tergiversations politiques, il concrétisait ainsi, d’une certaine manière, l’accord gouvernemental de mars 2008.

Que penses-tu de cet accord?

France Arets: Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une circulaire, mais d’une « instruction ». C’est le gouvernement et en particulier le nouveau secrétaire d’Etat aux Migrations, le CDH Melchior Wathelet, qui va donner ses instructions à l’Office des Etrangers pour le traitement des dossiers. Il faut souligner qu’en l’absence d’une commission de régularisation, indépendante et permanente, revendication portée depuis des années, entres autres par l’UDEP-l’Union pour la défense des sans papiers et l’OSP, Organisation des sans Papiers- et les comités de soutien, un large pouvoir discrétionnaire est à nouveau laissé dans les mains du gouvernement, du secrétaire d’Etat et surtout de l’Office des Etrangers pour interpréter ce texte, accepter ou refuser les demandes de régularisation.

En ce qui concerne « l’instruction » gouvernementale, nous considérons au sein de notre comité liégeois de soutien aux sans papiers, que celle-ci opère un « déverrouillage » de la situation. C’est une avancée, une concrétisation partielle de l’accord gouvernemental de mars 2008, mais qui laisse la porte ouverte à de multiples interprétations restrictives du texte et qui est loin de résoudre la question de la régularisation des sans papiers.

D’abord sur l’avancée limitée. L’instruction reprend surtout deux nouveaux critères de fond pour l’introduction de demandes de régularisation, critères qui étaient déjà contenus dans l’accord gouvernemental de 2008.

Le premier critère: la notion « d’ancrage local durable » pour les sans papiers. Ceux-ci devront fournir la preuve d’un séjour ininterrompu d’au moins 5 ans en Belgique, avec le tissage de liens sociaux, la connaissance d’une langue nationale, éventuellement la possession d’une qualification professionnelle et des tentatives crédibles entamées pour obtenir un permis de séjour légal. Le risque d’interprétation plus ou moins restrictive de ce premier critère pose déjà problème. En effet, comment des sans papiers pourront-ils témoigner de tentatives de demande de permis de séjour, alors qu’ils n’ont pas fait de démarches de peur d’être expulsés ? Et ce ne sont pas les patrons qui font travailler les sans papiers en noir, ni les marchands de sommeil qui vont fournir la preuve de séjour de ces personnes surexploitées ou logées dans des conditions dégradantes.

Deuxième critère : la possibilité de régularisation par le travail. Il faut pour cela résider en Belgique depuis le 31 mars 2007 et introduire à l’Office des Etrangers une copie d’un contrat de travail. Le sans papier est placé dans un cercle vicieux : permis de travail et autorisation de séjour sont liés. La preuve du contrat de travail devra être complétée par un avis positif des Régions, compétentes pour l’octroi du permis de travail B et sur base des législations en vigueur (examen du marché local de l’emploi, etc.).Toutes les Régions vont-elles collaborer ? Et, dans le contexte actuel de la crise économique, l’obligation d’obtenir un contrat de travail pour être régularisé ne pose-t-elle pas quelques problèmes? Il faut ici signaler que l’accord gouvernemental de 2008 contenait la formule « promesse » de contrat de travail, au lieu « d’obligation ».

D’autres critères se rapportent aux longues procédures et aux situations humanitaires, avec là aussi des notions plus ou moins précises. Ils concernent par exemple les familles avec enfants scolarisés en Belgique depuis 5 ans, ayant introduit une demande d’asile avant le 1er juillet 2007.

Au-delà des critères déjà limités, aux contours flous et sujets à interprétations restrictives, tu estimes que cette « instruction » est loin de résoudre la question de la régularisation des sans papiers.

Il faut bien se rendre compte que c’est une opération « one shot », pour ce qui est des deux nouveaux critères dont j’ai parlé, avec une période de trois mois seulement pour l’introduction des dossiers, du 15 septembre au 15 décembre. Et les régularisations se feront comme d’habitude sur base individuelle.

Une petite partie seulement des sans papiers est susceptible d’être régularisée. De par le fait déjà qu’il faut résider en Belgique depuis le 31 mars 2007 pour la régularisation par le travail. Les estimations pour le nombre de régularisations potentielles vont de 20 000 à 50 000 personnes. On est loin de résoudre le problème de l’ensemble des sans papiers en Belgique, estimé à quelque 150 000.

Faute de commission de régularisation, indépendante et permanente, situation qui laisse dans les mains du gouvernement, du secrétaire d’Etat aux migrations et in fine de l’Office des Etrangers la décision de régulariser ou non, il faut s’attendre à nouveau à ce que nombre de sans papiers hésitent à faire la demande de régularisation, craignant une réponse négative et l’avis d’expulsion. Alors qu’ils pourraient rentrer dans les critères avancés par l’instruction gouvernementale pour la régularisation, certains risquent de rester dans la clandestinité, surexploités en noir par des patrons sans scrupules et parqués dans des logements insalubres par des marchands de sommeil, avec des loyers exorbitants.

Le nouvel accord gouvernemental ne mentionne nulle part la proposition d’une commission de régularisation, alors que celui de mars 2008 prévoyait la mise à l’étude de cette commission.

L’occupation de l’ancienne gare de Bressoux- Liège- par les sans papiers continue donc…!

F.A: L’occupation et la lutte continuent aux côtés de tous les sans papiers, ceux qui « rentrent dans les critères » et ceux qui devront encore attendre un nouveau changement de politique. Parmi les occupants de la gare, une bonne partie ne rentre pas dans les critères du nouvel accord gouvernemental.

Le comité de soutien aux sans papiers de Liège (1) va aider à préparer les dossiers individuels avec les sans papiers qui rentrent dans les critères pour la régularisation. Les occupants continuent l’action, à Liège ou ailleurs, pour la concrétisation de cette avancée, pour demander un élargissement des critères, pour la mise en place d’une commission de régularisation et surtout pour exiger, aux travers des occupations, des mobilisations, d’une lutte d’ensemble, un vrai changement de politique d’asile, d’immigration et de régularisation.

La nouvelle Ministre de l’Intérieur, Annemie Turtelboom, a tenu probablement à terminer en « beauté » comme Ministre aux migrations. Le 29 mai dernier, elle sortait une circulaire visant à améliorer l’identification des sans papiers en vue de renforcer la politique d’expulsion. Une circulaire taillée sur mesure : elle permet l’organisation d’enquêtes de voisinage à charge des bourgmestres et des chefs de corps de police pour rechercher les sans papiers. Appel est également lancé à la population pour collaborer et dénoncer !

Dans ses nouvelles fonctions, la Ministre de l’Intérieur aura toute la possibilité de mettre ses principes en application. Une raison supplémentaire de ne pas faiblir dans la solidarité et les mobilisations avec les sans papiers et d’exiger d’abord l’abrogation de cette sinistre circulaire.

Un recours au Conseil d’Etat a d’ailleurs été déposé à son encontre par le CIRE, la Ligue des Droits de l’Homme...

Tu es connue et reconnue comme une militante de longue date, dans la solidarité avec les sans papiers, comme porte-parole du Collectif de résistance aux centres fermés, le CRACPE, et une des animatrices du comité de soutien aux sans papiers de Liège. Tu es également bien connue comme militante d’une organisation politique, la LCR, Ligue Communiste révolutionnaire. Comment vois-tu et vis-tu ces deux dimensions de ton militantisme ?

F.A: Je les vis sans tension, comme deux démarches complémentaires, à des niveaux différents.

Les comités dans lesquels je milite, le comité de soutien aux sans papier de Liège ou encore le CRACPE, ce sont des regroupements les plus larges possibles, avec des personnes, des organisations qui se mettent ensemble, sur des objectifs communs, et pour aller le plus loin possible dans l’action, la lutte, la mobilisation pour une vraie politique d’immigration, d’accueil des sans papiers.

Par exemple, le comité de soutien des sans papiers de Liège milite sur un objectif commun : la régularisation des sans papiers. Pour certains, cela veut dire régularisation de tous les sans papiers, pour d’autres, il y a certaines réserves ou nuances. Le comité veut rassembler un maximum de personne, sans exclusives, pour arriver à une régularisation la plus large possible.La suppression des centres fermés est un autre objectif porté par ces comités.

Sur la question de la libre circulation, de l’ouverture des frontières, de la libre installation dans les pays de l’Union européenne, il y a des points de vue parfois différents, et qui sont en débat. L’OSP par exemple (l’Organisation des sans papiers) s’est prononcée pour « le droit de toute personne de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat  (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948). L’important, c’est de ne pas figer les choses, de mener le débat de manière ouverte et sereine. Cette question de la libre circulation renvoie à un débat sur « l’Europe forteresse » et l’ouverture des frontières au niveau de l’UE. Nous avons connaissance d’un dossier de l’UNESCO sur la faisabilité d’un monde sans frontières. C’est une belle occasion d’en débattre au sein du comité de soutien, et avec l’OSP et l’UDEP.

Comme militante de la LCR qui est un parti politique, j’adhère au programme de mon organisation sur la question des migrations et du droit d’asile. A ce propos, notre organisation politique lutte pour la régularisation de tous les sans papiers et la liberté de circulation et d’établissement pour tous. Je suis particulièrement sensible à un autre aspect de notre programme. La LCR dénonce l’exploitation par le système capitaliste des travailleurs clandestins, surexploités. Se battre pour la régularisation de tous les sans papiers, c’est se battre pour donner plus de droits à l’ensemble des travailleurs et améliorer le statut de chacun, parce que on ne pourra plus alors trouver des travailleurs taillables et corvéables à merci.

Partis et collectifs, mouvements sociaux, ce sont des fonctions et des démarches complémentaires. L’important, c’est la transparence, le débat ouvert et le respect de l’autonomie, du rôle de chacun. Tout en soulignant qu’il n’y pas nécessairement d’opposition, ni de contradictions entre les revendications portées par les uns et les autres.

Revenons pour terminer sur l’occupation de la gare de Bressoux. Où en est-on ?

F.A: L’occupation continue avec un lien étroit entre les occupants, l’OSP et le comité de soutien. Ce qui est assez remarquable, c’est le soutien concret, matériel des autorités communales liégeoises et des différents échevinats à l’occupation. Cela s’est traduit par la signature d’une convention entre la Ville de Liège et la SNCB (propriétaire de la gare de Bressoux), engageant la responsabilité pleine et entière de la Ville pour la durée de l’occupation. Cette convention est effective depuis le 6 juin 2009 et doit prendre fin de plein droit sans tacite reconduction le 31 décembre 2009. La Ville, avec le concours de ses différents services, a effectué les travaux nécessaires pour une installation décente des occupants et leur logement : réparations d’usage notamment concernant l’électricité et les installations sanitaires, installation de douches, prise en charge financière de l’électricité et de l’eau par la Ville, etc. De plus, les services de police de la Ville ont permis aux occupants d’utiliser l’adresse de la gare comme adresse de référence pour leurs démarches administratives. Ils sont domiciliés à la gare.

Des animations (cinéma, ateliers, soirées musicales…) se tiennent sur place, avec un souci permanent : populariser l’occupation et ses objectifs.

Les occupants, parmi lesquels il y a des maçons, des soudeurs, des mécaniciens, des plombiers, des électriciens... et d’autres sans qualification souhaitent aujourd’hui bénéficier de formations. Avec l’appui du comité de soutien, des démarches sont entreprises vers l’Echevinat de l’Instruction Publique de la Ville pour discuter de formations accessibles aux sans papiers.

Au moment où, à d’autres endroits les occupants sans papiers se voient expulsés et pourchassés, cette occupation révèle quelque chose de remarquable à plus d’un titre. Comme disent les occupants « nous nous accordons pour dire qu’il se passe ici quelque chose de spécial ». Certes, cela ne tombe pas du ciel. Les expériences se sont accumulées, depuis des années, à travers les diverses occupations liégeoises (Eglise de Glain, l’Université auVal Benoit, église du Laveu, local de l’ULg , rue des Pitteurs), mais aussi la réquisition par des collectifs de bâtiments inoccupés comme la « Chauve Souris »... Il y a également le travail permanent de sensibilisation et de mobilisation porté, depuis tellement d’années déjà, par le comité de soutien liégeois aux sans papier et le CRACPE, le soutien politique de personnalités et d’organisations progressistes régionales, les initiatives d’organisations de la gauche radicale, parmi lesquelles, bien sûr, la LCR (ex-POS), tout cela a bien évidemment contribué à la mise sur pied de cette expérience particulière.

Pour terminer, je ne voudrais pas oublier le soutien en vivres pour les occupants : café, lait, sucre, riz, pain, eau de javel, etc…(2).C’est une occasion de poser un geste concret de solidarité avec les sans papiers.

(1) Le comité de soutien regroupe des personnes et des associations, comme le CRACPE – collectif de résistance aux centres pour étrangers-, Point d’Appui, des « voisins » comme les membres de pa paroisse du Laveu, les syndicats FGTB et CSC, des organisations comme Vie Féminine et les femmes prévoyantes Socialistes, des étudiants avec par exemple la Fédé de l’Université de Liège, des militant/e/s politiques de différentes tendances, CDH,PS,Ecolo, LCR, PSL,PTB, PC…

(2) Contacts avec l’OSP¨ : TL (0488 465542) ;e-mail: Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.  ; site : www.o-sp.org; compte bancaire : 083-4479876-31.

 

 

 

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