L'Affaire Aquiris: ne laissons pas notre eau dans les mains des capitalistes!
Par Mauro Gasparini le Mardi, 12 Janvier 2010 PDF Imprimer Envoyer

Pendant que commençait le sommet de Copenhague, une crise environnementale secouait la Belgique: Aquiris, filiale de Veolia chargée de la station d'épuration des eaux de Bruxelles-Nord, décidait d'arrêter celle-ci et provoquait une pollution massive de la Senne, la Dyle, le Rupel et l'Escaut! Une preuve de plus que les intérêts privés sont tout sauf des "partenaires" du public et des usagers...

Petit rappel des faits: en juin 2001, Aquiris, filiale de Veolia, une multinationale fournisseuse de "services à l'environnement", remporte l'appel d'offres pour la construction et l'exploitation de la station d'épuration (STEP) des eaux de Bruxelles-Nord jusqu'en 2028. Le lancement de cette STEP était prévu pour 2006 mais n'aura lieu que 16 mois plus tard. La Région bruxelloise n'a même pas cherché à obtenir les 12 millions d'euros d'amende qu'elle était en droit de percevoir pour ce retard... Aquiris avait entamé au début de l'année la construction d'une installation visant à dessabler les eaux usées, mais sans avoir au préalable obtenu un permis de la région.

En outre, sur les 701 remarques faites en 2008 par la Société bruxelloise de gestion des eaux (SBGE) sur les problèmes dans la construction de la station, 569 n'étaient pas encore réglés par Aquiris fin 2009! Aquiris engage le rapport de forces avec la région le 8 décembre 2009: prétendant qu'il était impossible de faire fonctionner correctement la STEP suite à "l'obstruction de l'entrée" de celle-ci par un "amas de gravats et de sables", elle interrompt unilatéralement le fonctionnement de la station nord jusqu'au 19 décembre, date à laquelle celle-ci est relancée suite à des menaces d'astreinte de 300000 euros par jour. Aquiris a eu le culot de présenter cette relance comme un geste positif de sa part!

Débat communautaire en eaux troubles

Suite à la grave pollution de la Senne, la Dyle, le Rupel et l'Escaut, détruisant quasiment toute vie aquatique sur des dizaines de kilomètres, le scandale se "communautarise" dans les gouvernements régionaux, la ministre flamande de l'environnement, Joke Schauvliege (CD&V) accusant son homologue bruxelloise Evelyne Huytebroeck (Ecolo) d'être responsable du désastre, aux côtés d'Aquiris et des organismes bruxellois compétents.

Veolia a obtenu pour cette affaire l'aide de l'agence américaine de relations publiques Hill & Knowlton, connue pour avoir fait de la propagande en faveur de l'industrie du tabac, du diamant, du nucléaire, ou encore...pour la première Guerre du Golfe. Le porte-parole néerlandophone de Hill & Knowlton, Peter Otten, a d'ores et déjà réussi une partie de sa mission: communautariser le débat et le détourner pour éviter qu'Aquiris ne soit trop "sali" dans les médias.

Aquiris s'est donc aussi attaquée à sa "concurrente" publique qui gère la station d'épuration du sud de Bruxelles pour le compte de la Compagnie intercommunale bruxelloise des eaux, Vivaqua, l'accusant de polluer la Senne "en amont" de la station nord en y déversant des boues d'épuration. Accusation non-fondée: l'institut bruxellois pour la gestion de l'environnement (IBGE) a constaté que la STEP sud répondait parfaitement aux normes... Il est vrai que la station nord gérée par Aquiris traite une charge organique actuellement supérieure à son dimensionnement.

Marc Laimé, collaborateur au Monde Diplomatique et spécialiste de la question de l'eau, a mené une enquête qui éclaire cette affaire sous un autre angle. Le problème provient en réalité du fait que la multinationale a, pour la première fois, développé à l’échelle industrielle à Bruxelles un nouveau procédé d’élimination des boues des STEP : l’oxydation par voie humide (OVH), qui ne convient pas aux déchets industriels. Ce système n'avait été expérimenté auparavant que comme prototype, à Toulouse, sans succès. Or, suite à un incident survenu dans une station de traitement des eaux usées située en périphérie de Milan et utilisant ce procédé, l’OVH avait déjà été suspendue "par précaution" à Bruxelles Nord. Veolia-Aquiris connaîtrait donc de graves problèmes avec le traitement des boues du nord de Bruxelles et doit expédier chaque jour des camions de boue en Allemagne, ce qui entraîne un surcoût de 450 000 euros par mois. En résumé, Veolia a tiré prétexte des gravats pour fermer la STEP nord et obtenir la remise à niveau aux frais de la région des installations de traitement de boue qui lui coûtent cher.

PPP

Cette affaire est encore un exemple typique de «Partenariat Public Privé» (PPP), très prisés par le gouvernement « Olivier » (coalition socialiste-chrétienne-écolo) ( un PPP est aussi utilisé pour la rénovation des bâtiments scolaires en Communauté française): la Région bruxelloise paiera 830 millions d'euros (hors TVA) à Aquiris en 20 ans. Le prix de l'épuration augmentera de 10 % par an entre 2010 et 2013 et la taxe sur l'égouttage de 40% en 2010. Un ménage bruxellois de 2 personnes qui consomme en moyenne 75 mètres cubes d'eau par an verra donc sa facture grimper en 2 ans de plus de 50 euros par an, atteignant les 3 euros le m3.

Conséquences de ces PPP: au fil du temps, la perte de l'expertise et de contrôle démocratique de la collectivité, la discrimination des pauvres permettant la coupure de la fourniture, l'enrichissement des entreprises privées. Le prix augmente automatiquement puisque l'eau, à la source de toute vie, est transformée en marchandise destinée à faire du profit pour des entreprises et à amener des dividendes aux actionnaires. Les multiples contrôles prévus par les pouvoirs publics sont contournés par les entreprises capitalistes, comme le montre l'affaire Aquiris.

L'eau ne concerne pas que les ingénieurs et les banquiers. L'eau est un bien commun, patrimoine de l'humanité: sa marchandisation, promue par des Veolia-Aquiris, Vivendi et autres multinationales du capitalisme prétendument "vert", constitue un crime écologique et social à Bruxelles, à Milan comme à Cochabamba.

La gestion de l'eau doit être publique, pour sortir de la logique capitaliste dangereuse, et décentralisée, afin d'éviter la concentration des pollutions et des risques dans des stations géantes. Puisque le service public ne doit pas faire de profits, le coût baisse. Un vrai service public de l'eau permet une meilleure maîtrise de l’outil de production et de distribution et une réelle prise en main par les usagers et travailleurs sur cette ressource stratégique d'un point de vue écologique et social.

Charles Picqué (ministre-président de la Région bruxelloise - PS) et Evelyne Huytebroeck (ministre de l'Environnement du gouvernement bruxellois - Ecolo), ont menacé de substituer les pouvoirs publics à Aquiris. Malgré leurs déclarations d'intention, ce ne sont pas les gouvernements "Olivier", résignés à l'adaptation au capitalisme, qui reviendront sur cette privatisation nocive. Les usagers devront donc lutter, ensemble, pour faire barrage, pour reprendre l’expression de Marx, aux "eaux glacées du calcul égoïste" capitaliste...

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