Venezuela: Chavez gagne les législatives sur le fil
Par Sébastien Brulez, Marcelo Colussi le Dimanche, 03 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

La célébration fut discrète dimanche soir dans le camp bolivarien, à l’image de la victoire. Ce n’est qu’à 2 heures du matin que le Conseil national électoral (CNE) a annoncé les premiers résultats. Le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) obtient 98 députés sur 165, l’opposition 65 et les ex-chavistes du parti Patrie pour tous (PPT, qui se présentait seul) 2 députés.

Évidemment, il était impossible de rééditer le score de 2005, lorsque l’appel de l’opposition au boycott du scrutin avait permis à la coalition chaviste de l’époque de remporter 100% des sièges. Mais les candidats du PSUV espéraient remporter la majorité des 2/3 du Parlement unicaméral, afin de pouvoir continuer à approuver les lois organiques, élire les magistrats du Tribunal suprême de justice ou encore les membres du Conseil national électoral.

De même, les 3/5 de l’Assemblée (99 députés) sont nécessaires pour l’approbation des lois permettant au président de la République de légiférer sans passer par le Parlement. Cette proportion n’a pas non plus été atteinte, à un siège près.

Le soir de l’élection, l’opposition a déclaré avoir gagné 52% des votes. Mais le lundi soir, le président Hugo Chávez a estimé pour sa part que le PSUV devançait de 100.000 voix la Mesa de la Unidad Democrática (MUD, Table de l’Unité démocratique, alliance des partis d’opposition), reprochant à celle-ci de comptabiliser comme siens, les votes recueillis par les partis indépendants.

Au moment où ces lignes sont écrites, le CNE n’avait toujours pas émis son deuxième bulletin avec la totalité des résultats. Mais il est certain que le score en nombre de votes est serré au niveau national. Par ailleurs, l’importante participation (66, 45% des inscrits) est une réussite pour des législatives qui en général n’attirent pas un grand nombre d’électeurs.

Mais pourquoi une si large victoire en nombre de députés si la différence en nombre absolu de voix est si courte? Parce que les États ruraux peu peuplés (en général acquis au chavisme) sont sur-représentés à l’Assemblée. De plus, un redécoupage des circonscriptions approuvé en janvier dernier a clairement favorisé le PSUV en divisant certaines de celles-ci où l’opposition était majoritaire.

Bref, le PSUV devra désormais négocier certaines décisions et la différence radicale qui existe entre les deux blocs promet des débats plus qu’animés. Mais au-delà de cette victoire sur le fil, il apparait que l’opposition remonte de plus en plus dans les votes. Celle-ci a bâti sa force, ces derniers mois, en mettant le doigt sur l’incapacité du gouvernement à répondre aux problèmes concrets de la population tels que l’insécurité et la violence urbaine, l’inflation et l’inefficacité des institutions publiques.

La révolution bolivarienne se concentre sur le discours et la bataille idéologique, tout en délaissant un important terrain de bataille: le quotidien des citoyens. C’est peut-être la leçon qu’elle doit tirer de ces élections et des signes d’érosion de sa base électorale.

Sébastien Brulez (à Caracas)


 

Un triomphe au goût de défaite

Par Marcelo Colussi

« On ne peut pas servir deux seigneurs. Ou tu sers Dieu, ou tu sers le Diable ». Lucas 16:1-13

Disons-le avec une métaphore footbalistique. Si le FC Barcelone, aujourd'hui l'équipe la plus forte du monde, gagne un parti en jouant sur son terrain, avec toutes ses stars internationales, contre une équipe minable de troisième division du Panama, par un à zéro, avec un goal marqué par penalty à la 44e minute de la seconde mi-temps... il s'agit sans doute d'une victoire. Mais, es-ce un triomphe? Autrement dit, c'est un triomphe tellement douteux qu'il en perd toute satisfaction. C'est une victoire à la Pyrhus, une victoire qui n'en est pas une.

On pourra objecter que, dans le football ce qui compte c'est le résultat, et que, même avec un « cadeau » tel qu'un pénalty, ce qui importe c'est de gagner. Point. Certes, mais en politique, les choses, sur ce point là, ne sont pas comparables. On peut gagner une élection, sans aucun doute, mais cela ne signifie pas que l'on a gagné une légitimité.

Des élections législatives viennent d'avoir lieu au Venezuela. Au-delà de la formule consacrée et usée jusqu'à la corde selon laquelle « la démocratie a triomphé, le pays a triomphé », il est important de faire une lecture attentive des résultats de cette nouvelle joute électorale.

Dans toutes les élections qui, depuis presque 12 ans de gouvernement bolivarien, ont eu lieu, on a à chaque fois affirmé qu'elles étaient les plus importantes pour la poursuite du processus, qu'elles étaient cruciales pour son avenir. Mais, peut être que cette fois ci, c'est bel et bien le cas. Et elles doivent constituer un avertissement sérieux pour la survie de la révolution.

Selon que l'on veut – ou que l'ont peut – voir les choses, les élections législatives ont été une victoire ou une défaite du chavisme. C'est souvent le cas dans la réalité: le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide? Si nous voulons nous réconforter avec la conviction que, une fois de plus, le brave peuple vénézuélien a dit massivement oui à son leader et à exprimé son soutien enthousiaste pour approfondir la révolution bolivarienne, on pourrait effectivement le faire. Mais, attention! L'objectif fixé n'a pourtant pas été atteint, c'est à dire les deux tiers des sièges de l'Assemblée Nationale. Il semble même que la population a plus voté pour les candidats non chaviste: 52% des voix. Dans ce sens, on en revient à notre métaphore footbalistique: on a gagné la majorité simple dans le Congrès, mais les doutes sont profonds.

La droite célèbre les sièges obtenus avec des accents triomphalistes. Mais, en face, dans le camp bolivarien, malgré les près de 100 sièges obtenus, il reste comme un goût amer. C'est une victoire qui oblige à repenser la marche du processus, et cela après une autre défaite électorale, il y a trois ans, avec l'échec du référendum pour la nouvelle constitution. On a alors parlé des « 3 R » (Révision, Rectification, Réimpulsion) comme étant le pas immédiat et incontournable afin de remettre à flot le processus. Où sont passés ces « 3 R »?

Le problème fondamental est de comprendre pourquoi on a pas gagné avec la confortable avance qui était espérée. Ce qui amène à des conclusions de fond. En rester au discours que la droite – nationale et internationale – fait tout son possible pour freiner le processus bolivarien, bien que cela soit exact – et comment donc! - ne permet pas d'expliquer entièrement le résultat. C'est l'évidence même que l'ennemi de classe fait tout ce qui est en son pouvoir dans cette lutte sans pitié. C'est la politique qui le veut ainsi, non? Qui peut croire que la lutte des classes peut se traduire dans des élections « propres et transparentes », où ce sera « le pays qui gagnera »? Comment croire que l'impérialiste cessera de lorgner sur les réserves pétrolières vénézuéliennes simplement pas bonne volonté? Penser ainsi, c'est croire en la conciliation des classes.

Ce qui est important de souligner après le résultat des législatives, ce sont les causes structurelles. Comme le dit justement Martin Guédez; « Dans une révolution, ne pas parvenir à obtenir le soutien ou l'acceptation fluide et sereine d'au moins 80% de nos compatriotes – tous ceux qui ne sont pas des bourgeois et en faveur desquels se fait la révolution – doit être pris comme un sérieux avertissement ». Ne pas le faire serait suicidaire. Nous ne pouvons nous contenter avec des « triomphes » qui ne garantissent qu'une simple majorité qui peut à tout moment être renversée.

Autrement dit, ce qui doit être rectifié en profondeur, c'est précisément ce que l'on veut construire au Venezuela aujourd'hui et qui a un rapport direct avec la citation biblique placée en tête de ce texte. Ou bien on construit effectivement le socialisme, ou bien on continue avec une sorte de capitalisme « à visage humain » (comme si cela était possible...). Mais on ne peut faire les deux choses à la fois, cela est impossible.

Si la population a voté, dans une large mesure, pour les candidats de la droite traditionnelle, empêchant ainsi un triomphe majoritaire du PSUV, cela n'est pas le reflet de l' « arriération » politique des masses, mais bien tout simplement, et entre autres choses; d'une part, qu'elle a passé la facture au chavisme officiel pour la déterioration réelle de la qualité de vie et, d'autre part, que nous ne sommes pas en train de construire dans le pays une véritable culture socialiste. Ce que les masses ont fait savoir, c'est qu'on ne peut « servir à la fois deux seigneurs »; ou bien on construit le socialisme, ou bien on ne le fait pas, les positions intermédiaires sont irrémédiablement intenables.

Les travailleurs, qui souffrent en premier de la crise capitaliste internationale qui frappe également le Venezuela, ont du faire leur choix selon le modèle classique des démocraties représentatives, mais ils ne sont pas en train de construire et d'approfondir un nouveau pouvoir populaire depuis la base. Résultat; l'Assemblée national va fonctionner selon le système du « bipartisme », où tout devra se négocier dans le plus pur style des démocraties représentatives. La droite est tout simplement en train de gagner du terrain sur les conquêtes de la révolution. Dans un tel contexte, les lois qui, à partir de maintenant, vont être élaborées dans cette Assemblée, ne pourront plus garantir la construction du socialisme.

Tout cela, en définitive, ouvre des questions de fond: est-il possible de construire le socialisme avec les instruments du capitalisme? Le figure charismatique du processus, Hugo Chavez, a fonctionné jusqu'à présent comme une garantie permettant d'équilibrer les forces. Les élections du 26 septembre posent également la question suivante: est-il possible de construire le socialisme en ne s'appuyant que sur la figure omniprésente du président? Si la situation pour les travailleurs se détériore, qui peut garantir qu'aux prochaines élections présidentielles de 2012, malgré tout son charisme, Chavez puisse à nouveau s'imposer?

Le socialisme est bien plus qu'un ensemble de slogans ou de chemises rouges rassemblées dans une manifestation de masse. Est-il possible de construire un « socialisme pétrolier » comme certains l'ont affirmé? Que se passera-t-il si Chavez ne gagne pas les élections dans deux ans: cela signifiera-t-il automatiquement la fin du processus révolutionnaire?

Toutes ces questions – qui reviennent en fait à prendre au sérieux les « 3 R » qui, aujourd'hui, sont tombés dans l'oubli – doivent être au coeur du processus immédiat après les élections législatives. La droite pourra bien sûr les considérer comme des signes de faiblesse et de fissures dans le processus révolutionnaire. Mais sans autocritique, il ne peut y avoir de révolution socialiste.

http://www.argenpress.info/2010/09/elecciones-en-venezuela-triunfo-con.html

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