Pour que le mouvement syndical prenne l'offensive
Par Céline Caudron le Mardi, 07 Décembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Les plans d'austérité déferlent sur l’Europe et n’épargneront pas la Belgique. Déjà, le gonflement de la dette et du déficit public (évalué à plus de 25 milliards d’euros) sert d’argument massue pour sabrer de plus belle dans les dépenses sociales et les services publics et ainsi faire payer cash aux travailleurs-euses avec ou sans emploi l’augmentation des tarifs de transports publics - TEC, STIB, SNCB - ou des accises sur le gaz et mazout de chauffage... Ceci n'est qu'un avant-goût de ce qui nous attend quand un exécutif sera mis en place pour s’en prendre à des conquêtes sociales obtenues par les luttes, comme le système des pensions.

Tant les gouvernements régionaux et communautaires que le futur gouvernement fédéral, quel qu'il soit, exécutent et vont accélérer des politiques d'austérité qu'ils préfèrent appeler de « rigueur » même si, au final, le résultat est identique. C'est le monde du Travail qui paie la note, alors que le gonflement de la dette et du déficit public est avant tout le résultat des milliards offerts aux banques et de plusieurs décennies de cadeaux fiscaux au patronat et aux plus riches à travers des réductions d’impôts, des cotisations patronales et des taxes sur le Capital.

Bas les pattes de nos salaires, de nos pensions, de notre Sécu!

Les mesures antisociales pourraient très bien profiter d’un effet d’aubaine pour passer à la vitesse supérieure. C’est l’un des enjeux essentiels de cette 6ème réforme de l’Etat que tous les partis traditionnels essaient de nous concocter. Des éléments-clé de cette réforme en discussion tendent à handicaper gravement la force de frappe du mouvement syndical en minant les luttes « tous ensemble » si nécessaires aujourd’hui. Il s'agit de renforcer la mise en concurrence des travailleurs-euses de l'ensemble du pays par un dumping fiscal et social sans fin, à travers des propositions telles que la scission des allocations familiales, des soins de santé, des politiques de l’emploi - et in fine de la Sécu - ou encore la régionalisation poussée de l’impôt des personnes physiques ou des sociétés.

Ces mesures, véritables bombes à retardement, sont promues ouvertement par la N-VA. Mais elles sont aussi sérieusement envisagées par les partis socialistes, les Verts et le CDH qui, tout en jouant habilement la carte du « bouclier social contre les méchants flamands » dans leurs déclarations publiques tentent tout de même de « concilier l’inconciliable ». En se déclarant prêts à prendre leurs « responsabilités », ils assument la perspective d’une gestion plus musclée de l’austérité.

Ne laissons pas les mains libres aux partis traditionnels et aux experts. La sécurité sociale appartient au monde du Travail. Ne laissons pas les politiciens la brader, la scinder et détruire cet acquis fondamental. Car c’est en période crise, quand la population s’appauvrit, qu’on a le plus besoin de la Sécurité sociale.

Le patronat a également le vent en poupe pour continuer à s'attaquer à nos droits sociaux. En imposant sa politique du "à prendre ou à laisser", la direction de Brink's a préféré déclarer faillite plutôt que de plier devant l'exigence légitime du personnel à conserver son statut employé. Ce qui se joue dans ce conflit est à l'image de ce qui se joue pour l'ensemble du monde du travail: le patronat met les pieds dans le plat et fait fi du droit du travail pour imposer un nivellement par le bas. Dans ce contexte, les négociations en cours pour un nouvel Accord interprofessionnel (AIP) dans le privé -où seront notamment en jeu les salaires, l'index et le rapprochement des statuts- sont un premier test vérité. Comme l’a justement déclaré la FGTB wallonne lors de son congrès en mai dernier : « Il s’agit pour les travailleurs de récupérer la part des richesses, qui a sur-rétribué les actionnaires, pour financer l’augmentation des salaires bruts, la réduction collective du temps de travail, le rattrapage des allocations sociales et leur liaison au bien-être… ».

Construisons une large Opération Vérité !

Aujourd'hui, de la Grèce à l'Irlande, du Portugal à l'Angleterre, en passant par l'Italie, les grèves et les mobilisations sociales se succèdent dans plusieurs pays d'Europe, jusqu'à des records de participation inégalés depuis des décennies, pour battre en brèche l’offensive patronale et s’en prendre aux gouvernements, de droite comme de « gauche », qui multiplient et assument à fond les mesures d’austérité. Face aux attaques frontales, les résistances se reconstruisent un peu partout.

La situation belge est, bien entendu, très différente. Mais il y a ici une tradition du mouvement ouvrier riche d'expériences de luttes, avec des organisations syndicales qui regroupent près de 3 millions de syndiqué-e-s. Voilà la principale force, potentiellement capable de défendre les conquêtes sociales, de s’opposer à la logique mortelle de la concurrence, de l’égoïsme, de la course au profit et d’ouvrir la voie à une société basée sur la solidarité et la satisfaction des besoins fondamentaux de la population tenant compte des impératifs écologiques.

Délégué-e-s et militant-e-s du mouvement syndical, allons-y, il est temps ! Exigeons de nos organisations syndicales la mise sur pied, en front commun, d’une large « Opération Vérité ». Avec une campagne qui pointe les responsables de la crise, l’arnaque de la dette publique, les dangers de la réforme de l’Etat en discussion et qui dénonce les recettes néolibérales et l’inégalité sociale. Avec un plan de mobilisations déterminé qui traverse l’ensemble du mouvement syndical, redonnant aux travailleuses et travailleurs de tous les secteurs confiance dans leur force. Avec un programme de mesures d’urgence qui impose une autre redistribution des richesses en faveur du monde du travail, en exigeant du pouvoir politique des mesures concrètes et efficaces pour établir la justice fiscale et ainsi financer les services publics et les besoins sociaux et écologiques, telles que par exemple :

  • la nationalisation des banques et des assurances, la taxation des grosses fortunes
  • un moratoire sur le service de la dette publique et l'annulation de la part de la dette provoquée par le sauvetage des banques
  • l’interdiction des licenciements
  • la réduction du temps de travail à 32h, sans perte de salaire ni augmentation des cadences et avec embauche compensatoire
  • la gratuité des transports publics
  • la création d’un service public de rénovation et isolation des habitations
  • le droit à la pré-pension à 55 ans et à la pension à 60 ans, calculées à 75% sur les 5 meilleures années de la carrière
  • Pour une gestion ouvrière d'une Sécurité sociale forte et fédérale, sans représentants patronaux ni marchandages des partis traditionnels

Pour un vaste front de résistance

Il y a 50 ans, lors de la « grève du siècle de 60-61 contre la « loi unique », nos aînés, la classe ouvrière de Belgique, a démontré avec force sa capacité d'action. Aujourd'hui, il n'y a pas de raison qu'elle n'en fasse pas à nouveau preuve, même si le contexte n'est plus le même. D'ailleurs, nous n'avons pas le choix. C'est maintenant que la mobilisation doit se construire, de manière interprofessionnelle, intergénérationelle et internationale.

Les grèves de 60-61 doivent nous enseigner l'importance de préparer ces mobilisations en développant une propagande anticapitaliste pour donner des perspectives politiques à ceux et celles qui résistent au système. Elles doivent renforcer notre conviction dans la nécessité de l'unité syndicale et de la solidarité nationale et internationale.

Aucune grève générale ne se déroule exactement comme la précédente. L’Histoire ne repasse pas les plats ! Toute grève générale reprend en général des méthodes et des formes de lutte du passé qui se combinent avec de nouvelles formes de lutte. Ainsi, en France en Mai 68, les occupations d’usine ont renoué avec la tradition des occupations d’usines de Juin 1936. Mais en 1968 la tentative de la bureaucratie de la CGT et de la CFDT de mettre fin à la grève en signant les accords de Grenelle, sur le modèle des accords Matignon de 1936, s’est heurtée à la résistance des travailleurs.

Le rejet des accords de Grenelle par les ouvriers de Renault Billancourt, une usine où la direction syndicale croyait avoir la situation en mains, a constitué un tournant important dans les luttes sociales en France. Malgré le cordon sanitaire autour des usines imposé par la bureaucratie syndicale pour préserver la classe ouvrière de la contamination gauchiste des étudiants en révolte, les aspirations démocratiques et anti-autoritaires du mouvement étudiant ont malgré tout influencé les travailleurs-euses.

Quand on voit les méthodes de lutte des travailleurs en France lors de la récente lutte contre la Réforme des retraites, avec des assemblées générales quotidiennes qui votent la grève reconductible échappant au contrôle des appareils syndicaux, on mesure le chemin parcouru depuis 1968.

Chez nous, soyons sûr que lors de la prochaine grève générale, qui ira au-delà d’un traditionnel arrêt de travail de 24 heures, remettra inévitablement sur la table la question des comités de grève pour organiser la lutte. Mais il est fort probable aussi que des outils de mobilisations expérimentés par la jeunesse ou le mouvement altermondialiste seront aussi utilisés par les travailleurs-euses pour développer la grève.

L’heure est venue, pour les syndicalistes de combat, de pousser l’ensemble du mouvement syndical à faire entendre sa voix sur le terrain politique, en toute indépendance des prétendus « amis politiques » et en front commun. Car c'est justement dans la mesure où les travailleurs-euses se mobiliseront en profondeur et commenceront à prendre activement et démocratiquement en main leur propre sort dans la lutte commune de tous et toutes contre l’austérité, que vont se créer les conditions nécessaires à des solutions respectueuses à la fois des intérêts des travailleurs-euses, du droit des gens et du droit des peuples, et à balayer ainsi toutes les formes de chauvinisme et de racisme.

Il est donc plus que temps d’impulser un vaste front de résistance, tant au niveau national qu’européen. Et il est temps de construire, avec la gauche radicale et les éléments combatifs des mouvements sociaux, féministes, écologistes, antiracistes, une alternative et la nouvelle force politique anticapitaliste qui manque aujourd'hui pour traduire sur le terrain politique les aspirations et revendications du mouvement syndical et social. Notre force réside dans notre solidarité et notre détermination !

Céline Caudron, porte-parole de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)

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