Projet d’AIP 2011-2012 : la porte ouverte à une grande offensive d’austérité !
Par Denis Horman le Jeudi, 20 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le projet d'Accord interprofessionnel 2011-2012 concocté par le Groupe des Dix, réunissant patrons et syndicats, est sur la table et le moins que l'on puisse dire est qu'il est inacceptable. La FEB (Fédération des entreprises de Belgique) n’a pas caché, à juste titre de son point de vue, sa satisfaction, même si certaines fractions du patronat (Unizo, Fedustria, Agoria) se déclarent mécontentes.

Yves Leterme, premier ministre du gouvernement en affaires courantes, y a déjà été d’une réflexion éclairante, signalant que cet accord entre partenaires sociaux témoignait « du sens de l’État » et était un indicateur pour « un assainissement durable des finances publiques ».

Les négociateurs syndicaux, présidents et secrétaires généraux de la FGTB et CSC, qui ont plaidé, eux aussi pour la confidentialité des négociations — alors que celles-ci concernaient directement l’ensemble des travailleurs/euses du privé et les allocataires sociaux — ont souscrit au dernier point de l’accord : « les partenaires sociaux demandent au gouvernement et au parlement de soutenir pleinement leur Accord interprofessionnel et d’élaborer les textes législatifs et réglementaires le plus rapidement possible ».

Anne Demelenne, secrétaire nationale de la FGTB, déclarait à chaud devant les médias : «  cet accord pourrait apporter un peu de sérénité dans les entreprises », paraphrasant ainsi les premières lignes de l’accord interprofessionnel : « le présent AIP doit contribuer à assurer la stabilité sociale dans les entreprises. Les parties signataires s’engagent à prendre toutes les initiatives nécessaires à cet effet ». Il s’agit en fait de garantir la « paix sociale » ; autrement dit de désarmer les travailleurs-euses face à un patronat qui, lui, est à l'offensive en permanence !

Claude Rolin, secrétaire national de la CSC, avait déjà annoncé la couleur avant les négociations : « nous savons que nous ne pourrons pas aller chercher de grandes augmentations de salaire ». Il va de soi que lorsqu'on se présente à des négociations avec un tel point de vue, on n'obtient pas grand chose.

0,3% d’augmentation salariale en… 2012 : une véritable provocation !

Une fois de plus, le carcan de la « loi sur la sauvegarde de la compétitivité » démontre toute sa nuisance. Les yeux rivés sur le rapport technique du Conseil central de l’Économie, tablant sur une indexation des salaires de 3,9% pour la période 2011-2012 et une évolution du coût salarial de + de 5% dans les pays de référence (France, Allemagne, Pays-Bas), les partenaires  sociaux, « conscients des difficultés particulières que connaît notre économie, en appellent à la responsabilité des secteurs pour que les éventuelles augmentations salariales ne prennent cours qu’en 2012 et conviennent que les augmentations, salariales et autres, négociées dans les secteurs et entreprises ne dépasseront pas 0,3% des coûts salariaux ». Oui, vous avez bien lu : 0,3% d'augmentation « maximale » et seulement en 2012 !

L'économie est en difficulté ? Les entreprises du Bel 20 (les plus grosses entreprises cotées en Bourse) ont pourtant bel et bien rattrapé et même dépassé la rentabilité qu’elles affichaient avant la crise, début 2008. Déjà pour le premier trimestre 2010 elles dégageaient plus de 10 milliards d’euros de bénéfices.

Le leitmotiv de la compétitivité ? Pure intox ! Une partie de plus en plus importante des bénéfices est distribuée sous forme de dividendes aux actionnaires. En juin 2010, le quotidien économique, l’Echo, signalait que, pour l’année en cours, les entreprises du Bel 20 verseraient 4,4 milliards d’euros à leurs actionnaires et près de 50% des bénéfices de ces entreprises iraient dans la poche d’actionnaires. Alors, en quoi une autre répartition de la richesse produite par les travailleurs, en quoi une austérité imposée à des actionnaires rentiers, boursicoteurs, aux avoirs planqués dans des paradis fiscaux et dépensés dans un train de vie somptueux mettraient-elles en péril la compétitivité ? Comme l’a justement souligné la FGTB wallonne, lors de son dernier congrès : « Il est temps que la marge de profit, qui alimente le dérapage actionnarial, retourne au monde du travail. Il s’agit pour les travailleurs de récupérer la part des richesses qui a sur-rétribué les actionnaires ».

Les négociateurs syndicaux, qui se targuent d'avoir « préservé l'index » ont au contraire mis le doigt dans un engrenage dangereux en acceptant qu'une « étude sur le système d'indexation » soit menée afin « d'en réduire la volatilité ».

Ouvriers-employés : gare à la division du mouvement syndical !

La lutte des travailleurs-euses de Brinks, contre la tentative de la direction de leur entreprise de les faire passer du statut employé au statut ouvrier, a remis en lumière les différences entre ces deux statuts, celui des employés étant nettement plus favorable aux travailleurs-euses. Alors que le patronat veut faire le forcing pour un alignement des statuts par le bas, les organisations syndicales plaident depuis tout un temps déjà pour un alignement par le haut.

L’accord interprofessionnel, fruit d’un pernicieux compromis, risque bien de créer divisions et tensions entre centrales syndicales, au dépens de la solidarité interprofessionnelle. Le SETCa a très rapidement réagi en qualifiant avec raison d' « imbuvable » ce projet d’AIP (voir le communiqué ci-dessous). Son comité exécutif fédéral souligne que les mesures, figurant dans le rapport du Conseil national du Travail (organe paritaire), mesures approuvées par les « partenaires sociaux » du « groupe des 10 », s’orientent vers « une première détérioration du statut des employés », avec moins de protection, avec des durées de préavis de licenciement écourtées (et légèrement augmentées pour les ouvriers !), une flexibilité accrue…, Sans parler que les coûts de ces alignements des statuts, notamment par l'extension aux employés du chômage économique, sont essentiellement reportés sur la Sécu, donc sur les travailleurs-euses.

Pour le patronat, ces mesures tombent à pic : à l'heure où se prépare une offensive d'austérité sans précédent, qui touchera sans doute en premier lieu les services publics, rien de tel que de susciter la division au sein du mouvement ouvrier, entre les ouvriers et les employés pour briser les ripostes interprofessionnelles et solidaires.

Des allocations sociales rikiki !

« L’enveloppe pour les adaptations au bien-être des allocations sociales est de 497 millions d’euros à vitesse de croisière en 2012. Dans le cadre de l’accord interprofessionnel, les partenaires sociaux ont décidé d’utiliser 60% de cette enveloppe, soit 298,722 millions en 2012. Le solde de 199,12 millions ou 40% sera décidé en négociation avec le gouvernement et destiné en premier lieu aux pensions minimales ».

Une liaison au bien-être qui, selon certaines sources, se chiffrerait par une augmentation de 2% des allocations les plus basses (pensions) et de 0,7% pour d’autres. Autant distribuer des cacahuètes !

«  Un impact budgétaire limité » a déclaré, sans rire, le premier ministre et qui va dans la bonne direction de « l’assainissement des finances publiques» !

Les négociateurs syndicaux, qui acceptent cet ersatz d’aumône, auraient-ils déjà oublié les déclarations, les prises de position syndicales sur les causes du déficit budgétaire évalué à quelque 25 milliards d’euros et sur les menaces pesant sur la sécurité sociale : le sauvetage des banques avec l’argent de la collectivité ; les cadeaux fiscaux plantureux aux entreprises et aux riches ; la baisse continuelle des impôts des sociétés, frisant le 0% pour bon nombre de multinationales ; les intérêts notionnels, privant l’État fédéral d’une rentrée annuelle de 4 à 5 milliards d’euros ; la réduction des cotisations sociales patronales qui se chiffrait à près de 5 milliards d’euros en 2010, etc.

Quelque chose de pourri dans ce Royaume…

Soulignons enfin que, contrairement aux cahiers de revendications syndicaux, ce projet d'AIP ne prévoit rien pour réduire l'écart salarial hommes-femmes ou pour relever de manière décente les salaires des jeunes et le salaire minimum.

Alors, oui, cet accord interprofessionnel est imbuvable, indigeste, inacceptable !

Tout comme le sommet du SETCa-BBTK, Herwig Jorissen, président de l'ABVV-Metaal (FGTB-métallo flamande), s'est également prononcé pour un rejet du projet d'AIP. L'opposition de ce secteur pèsera de tout son poids sur le fait que la FTGB approuvera ou non le préaccord, même s'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.

Les organisations syndicales ne peuvent mettre le doigt dans un tel engrenage. C’est dans l’unité FGTB et CSC, c’est aux centaines de milliers de travailleurs-euses directement concerné-e-s par ce préaccord, de le dire et de se mobiliser.

Avec la crise politique et les menaces qu'elle fait peser sur la Sécu, l'inévitable plan d'austérité à venir et enfin ce projet d'AIP, la situation commence réellement non pas à se gâter, mais tout bonnement à pourrir. Seule une mobilisation d'ensemble du mouvement ouvrier, autour d'un plan d'action et d'un programme ambitieux capable d'imposer les exigences légitimes des travailleurs-euses, pourra nous débarrasser de ces miasmes.

L'heure n'est plus à la négociation, mais bien à la bataille.


Premières réactions syndicales au préaccord

SETCa: Un projet d'AIP imbuvable

Le Comité exécutif fédéral, composé des responsables de l'ensemble des sections régionales du SETCa et de son secrétariat fédéral, a analysé le texte du projet d'accord interprofessionnel auquel est arrivé le Groupe des 10 dans la nuit du 18 au 19 janvier. Nous constatons que ce texte ne correspond pas, sur des éléments essentiels, au mandat que nous avions donné aux dirigeants de la FGTB et au mandat arrêté par les instances de la FGTB.

Sur la suppression des discriminations ouvriers-employés

En matière de licenciement, la période de transition qui est prévue dans le texte prévoit une prise en charge quasi exclusive à charge de la Sécurité sociale, des améliorations pour les ouvriers. Dans le même temps, une première détérioration du statut des employés est prévue.

Le texte prévoit à terme, de manière à peine voilée, un statut unique dont les principes sont clairement exprimés dans le texte. Reste à remplir les détails de ce régime définitif qui offrira moins de protection pour les employés, plus de coûts pour la Sécurité sociale et rendra le licenciement bon marché pour les employeurs (entre autre, une diminution substantielle de la protection des employés qui dépassent le plafond de 2.250 € bruts/mois, ce que certains appellent les « employés supérieurs », mais qui regroupent en fait la grande majorité des employés. Cette catégorie d'employés passera purement et simplement à la trappe).

Le chômage temporaire sera définitivement généralisé, sans critères économiques restrictifs, pour les employés, ce qui apporte une flexibilité supplémentaire pour les employeurs à charge de la collectivité.

Le SETCa rappelle que la prise en charge par la Sécurité sociale revient à une prise en charge par les travailleurs eux-mêmes, parce que la Sécurité sociale est pour la toute grande partie financée par les travailleurs, directement ou indirectement. En plus, le SETCa constate que la complexité de ce qui a été élaboré est telle que la sécurité juridique sera rendue impossible.

Sur la formation des salaires

En ce qui concerne la marge salariale, nous considérons ce qui est prévu dans le texte du projet, à savoir 0,3 % maximum d'augmentation salariale à négocier en 2012 est insuffisante, d'autant que de plus en plus d'entreprises génèrent de nouveau des bénéfices.

Par ailleurs, ce principe d'augmentation salariale « maximale » est en totale contradiction avec la logique de norme indicative. Si nous constatons que le système d'index est maintenu pour les 2 ans à venir, le projet d'accord sous-entend que des changements importants seront apportés après 2012.

Notre système d'index n'est donc pas à l'abri, et les déclarations d'UNIZO ne laissent d'ailleurs aucun doute à ce sujet !

La revendication d'augmentation du salaire minimum interprofessionnel n'a pas trouvé du tout sa place dans cet accord interprofessionnel. Or, un accord interprofessionnel se doit d'être d'abord un accord de solidarité qui permet d'améliorer les conditions de travail et de rémunération des moins bien protégés.

Le 26 janvier prochain, nous réunissons notre Comité fédéral, composé des militants de tout le pays. A l'ordre du jour de ce comité fédéral : quelles réactions prévoir ?

Oui à une amélioration du statut des ouvriers, mais sans recul pour les employés !

Erwin De Deyn - Président SETCa

Myriam Delmée - Vice Présidente SETCa

CNE: AIP : Ce sont les militants qui décideront

Nous avons pu prendre connaissance du projet d’accord interprofessionnel (AIP) 2011-2012. Une lecture rapide suffit pour comprendre que ce texte est très loin de nos priorités et des attentes de nos affiliés.

Certes, avoir un AIP dans le contexte institutionnel que l’on connaît aujourd’hui est une bonne chose : nous tenons à l'unité de la Belgique, et au système de concertation sociale, et nous souhaitons le faire fonctionner.

Certes, avoir sauvé l’index est très important et ce n’était pas gagné d’avance, loin s’en faut : nous nous réjouissons que les revenus de tous, y compris des allocataire sociaux, soient ainsi protégés.

Certes, les employés conservent jusqu'à nouvel ordre un préavis convenable, tant au niveau du montant que de son rôle de protection contre le licenciement. Par contre, nous regrettons que l’évolution du préavis des ouvriers durant la période transitoire se fasse pour l'essentiel aux frais de la Sécu.

Néanmoins, au-delà de l’index, la marge de négociation des salaires est proche de zéro (rien en 2011, 0,3% en 2012) : l'absence de progrès vers plus d'égalité dans les salaires (écart salarial hommes femmes, salaires des jeunes, salaire minimum) est un réel échec, dont les négociateurs patronaux portent la responsabilité.

Néanmoins, pour ce qui est de l’harmonisation des préavis, les balises traçant les contours d’un accord à trouver d’ici fin 2012 suscitent de nombreuses inquiétudes. Tant au niveau du coût pour la sécurité sociale, qu'au niveau du montant et de la durée du préavis. Nous craignons que soit mis à mal lerôle du préavis comme protection contre le licenciement : seul un préavis réellement payé par l'entreprise qui veut licencier joue un rôle dissuasif ; laisser la Sécu subventionner les licenciements est une piste suicidaire.

La généralisation du chômage économique sans conditions est par ailleurs très négative, tant pour les employés que pour la sécurité sociale.

Toujours est-il que nous laisserons le soin à nos militants de définir la position de la CNE sur ce texte. Un bureau national CNE se réunira ce vendredi 21 janvier 2011 pour organiser les consultations, qui se feront dans les régions durant la semaine du 24 janvier. La décision finale sera prise lors d’un comité national CNE qui se tiendra le lundi 31 janvier après-midi.

Voir ci-dessus