Soutenir la révolution démocratique arabe et tirer les leçons d’une révolte pas si éloignée de nos préoccupations
Par Sylvia Nerina le Samedi, 05 Février 2011 PDF Imprimer Envoyer

La vague révolutionnaire qui traverse le monde arabe et que nous regardons avec attention n’est pas si éloignée de nous que nous pouvons le penser. Plusieurs responsables de l'Union européenne (UE) ont décrit la Tunisie comme un pays presque « européen » parce que les réformes de Ben Ali l'avaient fait entrer dans le grand jeu néolibéral qui est en train de fossoyer nos perspectives d’avenir, de bien-être, de conditions d’existence et de sécurité sociale (Le 1er janvier 2008, la Tunisie est devenue le premier pays du sud de la Méditerranée à avoir créé une zone de libre-échange avec l’UE pour les produits industriels, deux ans avant la date initialement prévue). Les citoyens tunisiens se sont rassemblés dans la rue pour s’opposer à un système, dont Ben Ali et le RCD ne sont que les instruments. Un système qui précarise, qui affaiblit, qui transforme l’être humain en valeur marchande.

Ce système n’est pas tellement différent du nôtre, leur précarité n’est pas tellement différente de celle d’une partie de plus en plus importante d’entre nous ; chômeurs, intérimaires, exclus du système, victimes de restructurations, sans-papiers dans les centres fermés, enfants pour lesquels on décide dès leur plus jeune âge qu’ils n’auront pas une place intéressante dans cette société… parce que cette société ne partage pas, elle ne distribue rien, elle ne sécurise rien ; elle exploite.

Tant que vous pouvez donner, tant que vous êtes "employable", vous y gardez une place. Si vous perdez le rythme (maladie, accident, situation familiale), si vous n’avez pas le profil (filles voilées, jeunes « turbulents », chercheurs d’emploi de plus de 40 ans,…), ou tout simplement si on n’a plus besoin de vous (restructuration, maximisation des profits, simplification des licenciements, à court terme, on vous rejettera sur le marché où vous devrez vous vendre pour moins que ce que vous valez.

Sans revenu suffisant, dans une société qui n’assure plus de manière publique ni la santé, ni les conditions d’existence, ni le droit au logement, que ferez-vous ? Dans une société où il n’y a de place que pour les « productifs » tant qu’ils produisent dans les conditions qu’on leur impose, que ferez-vous?

Les pays arabes sont des dictatures... et chez nous c’est la démocratie?

Les gouvernements contre lesquels se mobilisent courageusement les Tunisiens et les Egyptiens sont totalitaires. Mais que penser de la récente décision du roi de demander un gouvernement d’urgence (totalement indépendant de nos votes donc) afin de confectionner un budget pour obéir à la pression des marchés (et de l'Union européenne à leur service) qui veulent avant tout commencer l’épuration de nos droits sociaux et transformer encore un peu plus nos vies en marchandises ?

Sans comparer un régime comme celui de Ben Ali et ses 1700 prisonniers politiques avec notre propre gouvernement, force est de constater que des similitudes existent dans la dictature généralisée du capital, qui est une réalité et pas une formule de style. Ainsi, on peut constater l’amitié entre les possédants ; les amis de mes intérêts sont mes amis et donc je les soutiens, même en cas de dictature politique. Avec 150 entreprises belges qui ont délocalisé leurs activités en Tunisie, les amis politiques des patrons belges qui investissent en Tunisie (et ailleurs) sont aussi les amis de Ben Ali et de son régime-instrument.

Ces amis du capital qui ferment les yeux sur les dictatures de leurs « égaux » sont les mêmes qui ferment les yeux sur la précarité dans laquelle l’Union européenne va plonger les travailleurs. Ce sont les mêmes qui ferment les yeux sur les centres fermés, ce sont les mêmes qui demain fermeront les yeux sur les vagues de suicides dans les entreprises. La manifestation qui a mis le feu aux poudres en Tunisie réclamait les milliers d'emplois promis ; différent de chez nous ?

Vous pensez que notre situation est plus démocratique ? Vous n’êtes vraisemblablement pas un sans papier emprisonné dans un centre fermé parce qu’il n’est pas né au bon endroit ni avec les richesses adéquates.

Il y a des situations de précarité et d’injustices dans notre pays qui feraient frémir les pires personnages de Dickens et plus la situation sociale empirera, plus ces situations toucheront de personnes, car la misère n’est pas la voie vers la solidarité, que du contraire.

Et pourtant en Tunisie ils résistent, et pourtant en Egypte ils s’organisent. Et après les avoir regardés, entendus et admirés, il est temps que nous aussi nous prenions notre destin en main.

Comment ? En remettant le pouvoir là où il doit être, non plus dans les mains d’un patronat de plus en plus sûr de lui et de son autorité, non plus dans celles d’une classe politique vendue à la gouvernance qui hypothèquera jusqu’à l’avenir de nos enfants pour maintenir sa place dans le haut du panier, non plus dans les mains de « bonzes » syndicaux qui n’ont plus vu la couleur de la base depuis 15 ans.

Que faire ?

Prendre la mesure de l’urgence qui nous rattrape et nous unir pour résister. La mobilisation doit reprendre, partout, dans tous les cas et pour toutes les raisons. Nous devons refuser ce «gouvernement d’urgence » mis en place uniquement pour permettre au grand capital de laminer nos droits sociaux. Nous devons refuser cet accord interprofessionnel qui rendra les patrons encore plus arrogants. Sûrs de leur puissance, ils augmenteront la détresse des travailleurs qui, toujours plus précarisés, se sentiront moins que jamais capables de résister. Nous devons refuser cette Europe qui instaure le capital comme unique couleur de tous les drapeaux.

Ce ne sera pas facile et ce ne sera pas immédiat, mais les choix deviennent extrêmement limités entre accepter sans broncher et prendre le risque de dire non.

L’organisation syndicale doit aussi choisir son camp ; les négociations ou la rue. Pourquoi une organisation qui a un des taux d’affiliation les plus importants en Europe est-elle si faible à la table des négociations au point de « devoir accepter » un AIP qu’elle déclare elle-même  « imbuvable » ? Parce qu’elle ne fait plus le poids. Parce qu’une organisation syndicale qui n’a pas derrière elle des travailleurs prêts à tout arrêter pour montrer leur force, ce n’est qu’une coquille vide.

Parce que les travailleurs, à force de faire des manifs « presse-bouton » sans suite, sans réelle mobilisation, sans perspectives, finissent par ne plus croire en leur structure. Parce qu’une organisation qui met en priorité son rôle de négociateur devant sa mission, qui est de défendre les droits des travailleurs, n’a plus de légitimité et qu’une structure syndicale sans légitimité n’a aucun pouvoir sauf sa propre survie en tant qu’organisation.

Les organisations syndicales doivent retourner là où se trouve leur vraie place : dans la rue ; pas 24 heures pour montrer que l’organisation existe, mais de manière organisée, combinée, en organisant des grèves tournantes qui permettront à tous les travailleurs de tenir la longueur et d'arracher à nouveau des conquêtes sociales.

Le jour où l’organisation syndicale reprendra des risques pour les travailleurs, les travailleurs recommenceront à croire au syndicalisme et au rassemblement des travailleurs, des précaires, des jeunes, qui est la seule possibilité que nous aurons de résister au rouleau compresseur combiné de l’austérité européenne et de la précarisation des conditions de travail.

Le refus de l'AIP par la FGTB constituera peut-être les prémices d'un mouvement social de grande ampleur dont les travailleurs ont cruellement besoin.

Voir ci-dessus