Accord Interprofessionnel : DEGAGE !
Par Denis Horman le Mardi, 08 Février 2011 PDF Imprimer Envoyer

La CSC nationale a donné son feu vert au projet d’Accord Interprofessionnel (AIP), mais la FGTB et la CGSLB (le syndicat libéral) l’ont rejeté. Sous sa forme négociée entre les « partenaires sociaux », l’AIP est donc mort et enterré. Furieux de ces rejets syndicaux, Thomas Leysen, le président de la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) qui, elle, a approuvé le projet d’accord, appelle le gouvernement à prendre ses responsabilités. « Dois-je rappeler », se plaît-il à souligner, « que les dirigeants de la FGTB et de la CGSLB ont estimé que c’était un bon accord. Je pense, qu’à un moment donné, le monde politique doit prendre ses responsabilités ». Comment éviter que cet AIP, sorti par la porte syndicale, rentre par la fenêtre gouvernementale ? Place à l’action! C’est la mobilisation nationale et unitaire du mouvement syndical, autour d’un programme de revendications et un plan d’action offensif, qui peut imposer, au patronat et au gouvernement, les exigences légitimes des travaileurs-euses et des allocataires sociaux. Pas uniquement par de simples démonstrations sans lendemain, mais aussi par des grèves tournants régionales et sectorielles qui permettront de maintenir la pression sans mettre la corde au cou des travailleurs.

Prises de position et coup de semonce

Le SETCa, la plus importante Centrale syndicale de la FGTB, est monté le premier au créneau. Son Comité exécutif fédéral a rejeté à l’unanimité ce projet d’AIP « imbuvable et anti-solidaire», pas seulement parce que celui-ci opère une première détérioration du statut des employés, supportée par la sécurité sociale, mais aussi parce qu’il brise la solidarité avec les salaires les plus modestes, en ne prévoyant pas le relèvement du salaire minimum interprofessionnel, et en imposant, de surcroît, une norme salariale, qui sanctionne un blocage des salaires sectoriel, au-delà des 0,3% d’augmentation, généreusement accordés pour 2012.

Les centrales syndicales chrétiennes des employé-e-s, francophones et néerlandophones (CNE et LBC) ont emboîté le pas à leurs collègues socialistes. A titre d’exemple, une motion votée par les militant-e-s ouvriers et employé-e-s du secteur de la Santé souligne que « le projet met en place un dispositif de chômage temporaire qui n’existait absolument pas dans le Non Marchand » et que les 0,3% d’augmentation en 2012 équivalent à « un plein d’essence sur deux ans : de qui se moque-t-on ? ».

Les Métallos wallons et Bruxellois de la FGTB ont ensuite rejeté à l’unanimité le projet d’AIP 2011-2012, lançant un avertissement : « le refus de toutes mesures d’austérité, qu’elles soient présentées par le gouvernement en affaires courantes ou dans le cadre d’un gouvernement de plein exercice ». Les métallos FGTB flamands se sont également opposés au texte du préaccord.

La Centrale Générale de la FGTB, la plus grande centrale ouvrière du syndicat socialiste, a rejeté à son tour le préaccord, avertissant le patronat : « Toucher à l’index, aux prépensions et à la liberté de négocier constitue pour nous une déclaration de guerre ». Certes, le projet d’AIP ne touche pas encore à l’indexation des salaires. Mais, en signant le préaccord, les négociateurs syndicaux s’engageaient à ce qu’une étude soit réalisée sur le système d’indexation afin d’examiner les moyens d’en réduire la volatilité, particulièrement dans le domaine des prix de l’énergie. Pour le patronat, c’était déjà, en quelque sorte, un feu vert à un prochain ralentissement de l’indexation des salaires et des allocations sociales !

Au-delà des motions de rejet de ce préaccord, les régionales du SETCa de Charleroi, de Namur et de Mons/Borinage ont appelé à une grève de 24 heures, le lundi 31 janvier, grève largement suivie non seulement dans le secteur tertiaire (secteur du commerce, des Finances, dans le Non Marchand…), mais aussi dans l’industrie lourde, la sidérurgie. Dans plusieurs endroits, les employé-e-s du syndicat chrétien (CNE) se sont joints au mouvement.

Dans la région du Centre, le Comité régional interprofessionnel de la FGTB, a rejeté le projet d’AIP à plus de 90%, décidait d’une action de grève interprofessionnelle régionale de 24 heures, le 3 février, la veille de la réunion du Comité fédéral de la FGTB, qui allait devoir se prononcer sur le projet d’accord interprofessionnel.

Le lendemain, c’est à une large majorité (75% des voix) que la FGTB nationale rejetait le projet d’Accord interprofessionnel 2011-2012. Le syndicat libéral, la CGSLB s'est, lui aussi, prononcé contre ce projet d’Accord, à 55% des voix. Quant à la CSC, malgré le plaidoyer de la CNE pour le rejet, le Conseil général de la CSC s'est prononcé, déjà le 1er février, à 67,9% des voix, pour l’AIP. Le président de la CSC, Luc Cortebeeck, et son secrétaire général, Claude Rolin, ont pesé de tout leur poids pour l’Accord. On a ainsi appris que Luc Cortebeeck avait envoyé une lettre aux cadres syndicaux signalant que nous étions dans un pays avec des grandes difficultés institutionnelles, politiques, économiques et que, si la CSC rejetait l’AIP, ce serait un drame pour la Belgique. Commentant le résultat du vote, Claude Rolin a déclaré : «  Il s’agit surtout d’un oui de responsabilité et de raison. L’AIP contient plus d’avancées que de concessions »...

Et maintenant ?

Peter Timmermans, administrateur délégué de la FEB, qui a une conception bien singulière de la démocratie, n’y va pas par quatre chemins : « Une majorité du groupe des 10 (l’instance de négociation patrons-syndicats, NDLR) a accepté l’accord. Nous exigeons donc que le gouvernement l’applique intégralement. Je lance un appel au gouvernement et au Parlement : exécutez cet accord, ce sera un bon signal de la capacité de la Belgique de faire des réformes économiques. C’est une occasion rêvée de démontrer que le monde politique peut assumer ses responsabilités dans une situation difficile ».

Notre bon Roi Albert prend les devants : il charge le premier ministre, Yves Leterme et son gouvernement « d’union nationale » (chrétiens, libéraux et socialistes) d’élaborer et imposer, certes, avec l’aval du Parlement, un budget d’austérité et des « réformes structurelles », répondant aux « exigences européennes », autrement dit au diktat des « marchés », (qui ne sont rien d'autres que les capitalistes européens et étatsuniens). Exigences européennes ? Lors du sommet européen du vendredi 4 février, la chancelière allemande, Angela Merkel les a mises sur la table : suppression de l’index, relèvement de l’âge de la pension, harmonisation de l’impôt des sociétés vers le bas…

Cette provocation a certainement contribué encore un peu plus au rejet de l’AIP par le conseil fédéral de la FGTB, réuni le même jour à Bruxelles. Le communiqué de presse de la FGTB en témoigne : « Pour la FGTB, après le « pacte des générations », ce nouveau « Pacte de compétitivité » à l’allemande met le feu aux poudres et consacre encore un peu plus, si c’était possible, les lois de la Finance et ses diktats. Pour les travailleurs, il est temps de marquer l’opposition à un projet de société basé sur l’individualisme et le tout au profit ».

Des éléments d’un programme de revendications, adressés tant au patronat qu’au gouvernement sont là, formulés tout récemment encore, dans le cadre du rejet de l’AIP, par des centrales syndicales – comme les Métallos wallons et bruxellois de la FGTB, le SETCa et la CNE -, par le Comité fédéral de la FGTB, etc.

Relevons quelques-unes de ces revendications

L’augmentation du salaire minimum interprofessionnel, « à l’heure où les plus faibles ont plus que jamais besoin de solidarité » (communiqué de presse des Métallos MWB).

La liberté de négociation des salaires dans les secteurs, en en finissant avec la norme salariale impérative. Le blocage des salaires à 0,3% d’augmentation pour 2012 est ressenti comme une véritable provocation, « alors que les bénéfices dans différents secteurs et entreprises ont connu une augmentation considérable dont les actionnaires et les top managers ont pu pleinement profiter et que différentes entreprises bénéficiaires ne paient pas d’impôts, grâce à des immunisations fiscales considérables (cf. la déduction des intérêts notionnels qui s’élève à 5,7 MIA pour 2009) » (communiqué du Comité fédéral de la FGTB). La suppression des intérêts notionnels et le conditionnement d’aides de l’Etat aux entreprises à la création effective d’emplois, comme le réclame la FGTB.

L'harmonisation des statuts ouvriers-employés par le haut, comme l’ont rappelé le SETCa, les Métallos MWB, la CNE… et pas sur le dos de la collectivité, via la Sécurité sociale, mise en péril par cet AIP, avec le détricotage global des acquis de l’ensemble des travailleurs.

Une fiscalité fédérale plus équitable, entre autre pour renforcer des services publics de qualité (communiqué de la FGTB). Tant la CSC que la FGTB participe aux deux réseaux le « Réseau pour la Justice fiscale », côté francophone et le « Financieel Actie Netwerk », côté néerlandophone, regroupant ensemble plus de 60 organisations. Le mercredi 9 février, ces deux réseaux manifestent devant le Ministère des Finances. « On entend que le gouvernement fédéral doit faire des économies se chiffrant à 25 milliards d’euros d’ici 2015, pour retrouver l’équilibre budgétaire », souligne l’appel commun des deux réseaux. « Pour les 60 organisations membres des réseaux, l’austérité n’est pas une fatalité et des alternatives existent. Voici quelques exemples de mesures, qui pourraient rapporter 25 milliards d’euros par an au budget fédéral : impôt progressif sur les grosses fortunes, lutte contre la fraude fiscale, levée du secret bancaire, arrêt de la réduction de l’impôt des sociétés, instauration d’une taxe sur les plus-values réalisée sur les actions, obligations et options, etc ».

« A tout moment, la rue peut aussi dire non ! »

Dans Syndicats du 28 janvier, Nico Cué, Secrétaire général de la MWB-FGTB écrivait : « A quelques heures du 14 janvier, une autre Tunisie semblait encore improbable. La rue en a décidé autrement. Quelle leçon ! (…). Attention, ici aussi, la rue peut dire « non ». A tout moment ».

Il est plus que temps en effet de passer de la parole aux actes ! Le patronat redouble d’arrogance. Les partis traditionnels se couchent devant les marchés, les banquiers et les patrons. Pas seulement les partis de droite pur jus, mais également le PS et Ecolo. Au lendemain de la signature du préaccord interprofessionnel, le Parti socialiste déclarait que cet accord « démontre qu’il est toujours possible de prendre des mesures socio-économiques de fond au niveau fédéral » et  confirme « tout le sens d’une concertation sociale fédérale ». Ecolo en remettait une couche: « Alors que le contexte politique bloqué depuis plus de 7 mois provoque des incertitudes sur le terrain socio-économique et limite la marge de manœuvre, il était crucial que les partenaires sociaux confirment leur rôle d’acteurs et de stabilisateurs économiques ». La fameuse phrase de De Wever; « Mon patron, c'est la VOKA (le patronat flamand) » peut parfaitement s'appliquer aux autres partis traditionnels: « Notre patron, c'est la FEB ».

Seuls les syndicats, forts de plus de deux millions et demi de syndiqué-e-s et réunissant encore nationalement tous les travailleurs-euses et les allocataires sociaux, ont la capacité de dire NON, CA SUFFIT, de sauver nos acquis (obtenus par les luttes), comme la Sécurité sociale et d’arracher de nouvelles conquêtes sociales.

Mais, pour faire plier patronat et gouvernement, il faut s’en donner les moyens. Par un plan d’action, de mobilisation offensif, entraînant dans la lutte et dans la rue les travailleurs-euses FGTB et CSC, ouvriers-employés, avec les sans emploi.

Un plan de mobilisation accompagné d’une grande « Opération Vérité » sur les lieux de travail, les réunions syndicales, pointant les responsables de la crise, du déficit public, l’arnaque de la dette publique, les dangers de la réforme de l’Etat en discussion ; une opération qui argumente pourquoi les travailleurs-euses et les allocataires sociaux n’ont pas à payer la crise d’un système basé sur la course au profit immédiat et maximum ; une opération qui avance un programme d’urgence sociale et écologique, imposant une autre redistribution des richesses en faveur du monde du travail.

D’ores et déjà, la FGTB nationale annonce l’organisation d’une journée d’action nationale, le 4 mars. D’ici là, des rassemblements, voire des grèves tournantes régionales sont en préparation. La question de l’unité syndicale, FGTB-CSC, travailleurs flamands, wallons et bruxellois est, ici, cruciale. Toutes les ouvertures et initiatives sectorielles et de Centrales, poussant dans cette direction, peuvent s’avérer déterminantes.

Voir ci-dessus