Chute du gouvernement au Portugal : Contre les mariages de raison
Par Pedro Filipe Soares, Bloc de Gauche le Vendredi, 01 Avril 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le mercredi 23 mars, José Socrates, Premier ministre portugais, membre du Parti socialiste, a démissionné suite au rejet massif par les partis d'opposition d’une dernière proposition de mesures d'austérité, censées empêcher l'économie portugaise - considérée comme la plus faible dans la zone euro - de plonger dans le chaos. L’ensemble des partis de l'opposition s’est unis pour voter au parlement le refus des propositions du gouvernement. La question est de savoir ce qui va être proposé pour les prochaines élections. Une proposition de coalition entre le Parti socialiste (PS), le Parti social démocratique (PSD, centre droite) est en discussion. Francisco Louça, le porte parole du Bloco de Gauche a déclaré que «La solution pour le pays n'est pas de rassembler le PS et le PSD pour qu’ils mettent en œuvre les politiques du FMI et qu’ils appauvrissent les travailleurs, les retraités et les jeunes précaires». Il a ajouté que, dans ces conditions, les élections seraient une fraude vis-à-vis des électeurs.

Le choix ne doit pas se poser entre l’austérité du PS ou du PSD, et cela avec ou sans le CDS (parti nationaliste conservateur). Le choix se pose entre opter pour réduire le déficit public ou répondre aux besoins sociaux des gens, entre l’emploi et les bénéfices, entre la croissance économique et la récession.

L’Europe s’est mise d’accord sur un nouvel ensemble de mesures d’austérité. Présentées par Merkel comme un « pacte de compétitivité », il a été rebaptisé sous le nom de « Pacte pour l'Euro ». Toute ressemblance avec le programme des deux principaux partis portugais, auxquels on fait de plus en plus référence comme au « Bloc central » (pour ne pas dire de « droite »), est purement fortuite...

Le chantage a commencé et les menaces se précisent. Les appels pour une coalition entre le PS, le PSD, avec ou sans le CDS, est en discussion. Dans chacun des partis, des voix se lèvent pour appeler à une telle coalition, mais on voit aussi certains lauréats se distinguer comme potentiels représentants de ce « mariage de raison ». Des personnalités telles que l’ex-président Mario Soares, les anciens ministres du PS Luis Amado et Antonio Vitorino, ainsi que les leaders de l’aile droite du PSD Marcelo Rebelo de Sousa et Alberto Joao Jardim.

Le Premier Ministre José Socrates, récemment désavoué, n’a pas de programme au-delà de l’austérité. Il s’est engagé à l’appliquer à Bruxelles, lorsqu’il a voté pour le « Pacte de l'Euro ». Beaucoup d’éléments des plans d’austérités récemment rejetés se retrouvent dans ce Pacte qui représente une attaque frontale contre les conditions de vie des gens, avec le blocage des salaires, l’adoption de limites imposées aux dettes publiques, une augmentation de l’âge de la retraite, un engagement pour l’harmonisation de l’impôt des sociétés, etc. Cet accord contribuera à rendre le Portugal et l’Europe dans son ensemble encore plus inégaux d’un point de vue social et vont prolonger la crise.

Le leader du PSD, Passos Coelho, a rédigé une déclaration à propos du marché international. Rédigée en anglais, elle a été présentée à un auditoire allemand. Par cette déclaration, il veut montrer que son programme d’austérité n’est pas très différent de celui de Socrates. On voit bien maintenant que ses promesses sont ouvertement contredites pour montrer son adéquation aux attentes de Merkel. Il s’était en effet engagé à ne pas toucher au taux de TVA, mais promet maintenant de l’augmenter à 25%. De plus, après que le PSD ait voté contre le Programme de Stabilité et de Croissance à l’Assemblée Nationale, Passos Cohelo s’est rendu à Bruxelles pour y déclarer que les éléments qu’il contient serviraient de base à son propre programme.

Le PS évoquera les dangers de l'arrivée au pouvoir de la droite, mais c’est avec la droite qu’il veut former un gouvernement après les élections. Le PSD traitera le PS d’incompétent, mais envisage en réalité de suivre les mêmes mesures, tout en ne se sentant pas spécialement à l’aise avec l’idée de devoir participer à la large majorité appelée par l’ancien ministre des finances Teixeira dos Santos. Le Président du PSD, Cavaco Silva, a déjà rencontré les autres partis pour convenir d’une élection début juin. Il mendie un grand bloc central qui réunirait le PS et le PSD.

Chaque jour qui passe, le scénario est plus limpide. Cavaco, le PS et la droite veulent un gouvernement fort pour imposer l’austérité. La gauche se mobilise pour combattre l’austérité dans son ensemble. Le choix est donc entre l’austérité du PS et celle du PSD, avec ou sans l’aile droite du CDS. Le choix est entre le déficit et les gens, entre le travail et les bénéfices, entre la croissance économique et la récession. Personne à gauche ne pourra éviter cette bataille !

25 mars 2011

Pedro Filipe est membre du Parlement portugais et de la direction nationale du Bloc de Gauche. Traduction française par Sylvia Nerina pour le site www.lcr-lagauche.be


Résolution de la direction du Bloc de Gauche

La « Table nationale » (direction nationale) du Bloc de Gauche s'est réunie le 26 mars pour analyser la situation politique. La résolution suivante y a été adoptée:

1- Le Bloc de Gauche a rejetté le PEC4 présenté par le gouvernement. Ce programme, lié aux précédents et aux budgets correspondants, imposait des mesures d'austérité supplémentaires dans les dépenses sociales en 2011 et de nouvelles mesures de ce genre pour 2012 et 2013, incluant notamment le gel des pensions - et y compris leur réduction pour certaines d'entre elles - l'augmentation des prix des transports publics, de nouvelles taxes, des économies dans le Service National de Santé et dans les investissements publics.

En même temps, le gouvernement cherchait à appliquer, avec la complicité des organisations patronales, de nouvelles mesures pour assouplir et faciliter les licenciements, imposant dès cette année la réduction des indemnités de licenciement – étendue à tous les types de contrat de travail - tout en créant un fonds destiné à financer ces licenciements à partir d'une réduction des salaires.

Le Bloc de Gauche a voté, comme toujours, contre ces mesures et son projet de résolution rejettant le PEC a été adopté par l'Assemblée de la République (parlement national, NDLR). La direction du Bloc tient à préciser que la partie du texte qui indiquait des alternatives concrètes fut rejettée tant par le PS que par le PSD, tandis que la partie qui proposait le rejet du PEC constitue l'unique résolution approuvée à la majorité parlementaire.

La direction du Bloc rend responsables le PS et le PSD des accords et plans antérieurs qui ont plongé l'économie portugaise dans la récession, augmenté le chômage et appauvri les travailleurs. Le PS et le PSD ont ainsi aggravé la crise. Leur budget a déterminé l'augmentation de la TVA, la suppression des aides à 509.000 familles, la réduction d'autres aides sociales et des salaires dans la fonction publique. Le résultat de ce budget en vigueur, c'est une perte de 2 milliards d'euros dans l'économie portugaise et l'explosion du chômage.

2.- La gigantesque mobilisation du 12 mars a démontré à la fois l'isolement social du gouvernement et l'indignation croissante contre ses politiques. En mettant en avant la précarité comme thème central dans l'agenda politique national, les jeunes qui ont organisé cette mobilisation ont apporté une contribution essentielle à l'entrée en lutte de nouveaux protagoniste en défense des droits sociaux aujourd'hui menacés. Saluant les causes de la mobilisation, le Bloc de Gauche constate qu'elles coïncident avec les fondements de la Motion de censure présentée il y a deux jours au parlement.

La continuité de ce mouvement et de l'activité sociale des jeunes précaires constituent également un puissant stimulant pour la transformation du mouvement populaire et syndical, pour son élargisselent, sa démocratisation et le renforcement de sa capacité dans le combat contre la récession. La Bloc salue également la manifestation du 19 mars et le refus de la CGTP (Confédération générale des travailleurs du Portugal, NDLR), de souscrire à l'accord conclu entre le gouvernement et les organisations patronales afin de faciliter les licenciements.

3.- Le Bloco participe activement à la mobilisation pour les manifestations du 25 avril et du 1er Mai, en soutenant en particulier le « May Day », qui exprime la lutte des travailleurs précaires.

Tout en rejettant toute conception de « courroies de transmission » dans les mouvements sociaux et dans le mouvement syndical en particulier, les militants du Bloc s'engagent à contribuer de toutes leurs forces à la rénovation générationnelle, à la démocratisation et au renforcement de la capacité de lutte sociale. C'est pour cela qu'il est important qu'un nombre sans cesse plus important d'activistes apprennent, agissent et se responsabilisent dans ces mouvements, en particulier comme dirigeants, délégués syndicaux et membres des Commissions des Travailleurs (équivalant portugais des comités d'entreprises, NDLR).

4.- Suite au rejet du PEC, le gouvernement a démissionné, provoquant l'organisation d'élections législatives anticipées dont la date sera connue au début de la semaine prochaine (ce sera le 5 juin, NDLR). La démission du gouvernement survient à peine 12 jours après la discussion de la Motion de censure présentée par le Bloc de Gauche, confirmant ainsi son opportunnité et sa raison d'être: la déchéance de la majorité qui a approuvé le Budget, les PECs et la politique libérale du gouvernement, ainsi que l'urgence d'une clarificacion dans la politique portugaise.

Le Bloc de Gauche participera à ces élections avec une plateforme d'urgence qui répond à la crise financière et sociale, pour renforcer la gauche, combattre les politiques de droite et pour répondre tout particulièrement au modèle de gouvernance préféré des grands intérêts économiques qui se dessine aujourd'hui: une « grande coalition » PS/PSD élargie au CDS. Les alternatives que le Bloc mettra en avant seront discutées en détail lors de sa 7e Convention (Congrès national, NDLR).

5.- Le Bloc de Gauche salue le soulèvement démocratique des peuples arabes, de la Tunisie au Barheïn en passant par le Yémen, la Libye et aujourd'hui par la Syrie. Il condamne, tant au Parlement européen qu'au Parlement national, l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne en Libye ainsi que toute intervention militaire sur le territoire de ce pays.

Les derniers événements confirment nos pires craintes; l'OTAN dirige aujourd'hui une intervention que nous condamnons et dont l'objectif n'est même plus celui fixé par le Conseil de sécurité de l'ONU – empêcher le massacre de civils –, mais bien le changement du régime. Si le Bloc de Gauche est favorable à l'isolement international de la dictature de Kadhafi et à la solidarité avec l'insurrection, il condamne l'idée selon laquelle la démocratie peut s'imposer dans un pays à coup de bombardements. La conquête de la démocratie dans le monde arabe peut seulement être le résultat de la lutte du peuple et jamais un cadeau empoisonné offert par ceux qui, pendant des années, ont défendus les dictatures et les cleptocraties de ce monde au nom de leurs affaires et de leurs intérêts. (...)

Bloc de Gauche, 26 mars 2011

Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

http://www.bloco.org/index.php?option=com_content&task=view&id=2634

Voir ci-dessus