La Belgique, un des impérialismes les plus anciens
Par J.S Beek le Vendredi, 15 Avril 2011 PDF Imprimer Envoyer

La participation enthousiaste de la Belgique à la guerre en Libye pourrait surprendre certains, non seulement parce qu'elle est a été décidé par un gouvernement « en affaires courantes », mais également au vu de l'absence d'unanimité d'autres pays européens sur les bombardements menés par l'OTAN. Or, dans notre pays, le consensus parmi les partis traditionnels, PS et Ecolo en tête, est absolu. Petit pays ou pas, cette orientation militariste s'inscrit dans une longue histoire d'interventions impérialistes. Nous reproduisons ci dessous un article publié dans La Gauche en 1987 et qui retrace cette histoire méconnue. (LCR-Web)

L'intervention militaire limitée de la Belgique dans la guerre du Golfe fait sourire beaucoup de monde. A tort. Cette intervention fait partie de la politique impérialiste occidentale dans laquelle la Belgique en tant que pays impérialiste, veut jouer son propre rôle.

La petite Belgique était un des premiers pays dans lequel le capital industriel et le capital financier fusionnèrent pour former le capital financier moderne. Ce capital prospectait le monde à la recherche de profits et dans cette recherche il se heurtait au capital financier d'autres puissances impérialistes. La lutte pour la répartition du marché mondial et pour son éventuelle redistribution avait déjà commencé et continue encore de nos jours. La Belgique impérialiste était née : un pays, à dimensions modestes, mais doté d'une puissance industrielle et financière réelle.

Lors de la constitution du cartel international des chemins de fer, par exemple, le marché mondial était réparti comme suit : l'Angleterre 66%, l'Allemagne 27% et la Belgique 7%. En 1904, la participation belge augmente jusqu'à 17,7%, aux dépens du géant britannique. En 1910, la Belgique contrôlait pour 7,7 milliards de FF de valeurs investies partout dans les grandes puissances. Aujourd'hui, la Belgique est plus que jamais une puissance impérialiste.

Tradition militaire

Centre les puissances concurrentes, et contre la résistance des peuples colonisés, il fallait une défense pour ce capital financier. Lorsque la diplomatie ne suffit pas, ce sont les armes qui parlent. La Belgique pouvait s'appuyer sur une tradition militaire sérieuse, qu'elle n'avait pas acquise au cours de sa lutte d'indépendance, mais par ses interventions coloniales. Déjà en 1848, des officiers belges aidaient l'empire esclavagiste au Brésil.

En 1848 également, l'armée belge défit les troupes révolutionnaires qui venaient de France, et cette même armée soumit le peuple des Nalous du Rio Nunez en Afrique Occidentale. En 1850, la Belgique élargit sont territoire dans cette région, et y écrase en compagnie de troupes française une insurrection. A partir de 1863, des troupes belges participent à l'aventure militaire de la France au Mexique où la Belgique appuie l'empereur Maximilien, marié à une princesse belge.

L'apprentissage au Congo

C'est au Congo au 19ème siècle que le corps d'officiers belges accumule son expérience la plus importante, lorsque commence la conquête de ce territoire énorme pour le compte personnel de Léopold II. Ils chassent non seulement les commerçants arabes (commerce d'esclaves mais aussi de l'ivoire tellement recherchée), mais soumettent aussi militairement des peuples entiers comme par exemple les redoutables Batetele.

Lorsque, en 1908, le Congo devient une possession belge, l'intervention militaire de la Belgique devient également une intervention directe. Sans pitié, la Belgique écrase des insurrections paysannes, des grèves ouvrières et des mutineries de soldats congolais. De vastes territoires du Congo sont don-nés en concession à des multinationales, comme Unilever, qui y règnent sans partage, la présence militaire belge sert à contraindre les populations locales à remplir leurs devoirs d'esclaves envers ces multinationales. Le pays est définitivement ébranlé socialement suite à de soi-disant «campagnes de pacification».

Le rôle colonialiste et impérialiste de la Belgique au Congo Zaïre continue encore de nos jours. Lorsque, en 1959, une partie de la bourgeoisie belge veut, suite à la grande insurrection populaire à Kinshasa, commencer une guerre coloniale, elle se heurte à la résistance des USA et de ses partenaires de l'OTAN. La Belgique se soumet et un an plus tard, le Congo est pro-clamé indépendant. Mais aujourd'hui, la Belgique continue à veiller de près à ses intérêts coloniaux, en utilisant la force militaire quand il le faut. Immédiatement après l'indépendance, la Belgique intervient, et appuie la sécession de la province minière du Katanga-Shaba (avec là derrière la Société Générale), et aide à liquider Patrice Lumumba. En 1964, elle écrase l'insurrection populaire de Stanleyville, et en 1977-1978 elle sauve la région minière de Kolwezi des mains des rebelles qui combattent Mobutu. La Belgique dispose d'une force d'intervention coloniale rapide et bien rodée.

Guerres mondiales et contre-révolution

Dans les guerres mondiales aussi, la Belgique a joué un rôle précis. En 1914-18, elle était du côté des impérialismes français et britannique. Le petit front qui lui restait permit aux généraux belges de conduire les soldats au carnage de la folle guerre des tranchées. Dans cette même guerre, les troupes belges en Afrique utilisèrent les Noirs comme chair à canon contre les troupes allemandes en Afrique de l'Est et en Ouganda. Encore de nos jours, les populations y disent à quelqu'un qui se comporte de façon injurieuse : «ne te comporte pas comme un Belge». Cette participation militaire rapporta à la Belgique deux nouvelles colonies, le Rwanda et le Burundi.

Lorsque la révolution d'Octobre mit fin à la participation russe au carnage de la 1ère guerre mondiale, la Belgique participa à la guerre contre la jeune république ouvrière, à côté des Britanniques, des Français, des Américains, et de contre-révolutionnaires russes. Bien que la Belgique ne joue pas un rôle direct dans la conclusion du Traité de Versailles qui imposait à l'Allemagne des réparations impossibles, elle fut quand même récompensé, en obtenant les cantons de l'Est. En plus en 1923, la Belgique occupe avec des troupes françaises la Ruhr, ce coeur industriel de l'Allemagne, afin d'imposer le paiement des réparations, dont la charge reposait évidemment sur le dos des travailleurs allemands. Des troupes belges furent engagées dans le Ruhr contre des grèves révolutionnaires et contre la résistance ouvrière.

1939 et après

À la veille de la deuxième guerre mondiale, la Belgique dénonce son accord militaire secret avec la France et se déclare neutre. Lors de l'invasion allemande, la bourgeoisie belge est divisée. .Une partie choisit le camp de l'impérialisme allemand et de l'Allemagne hitlérienne, une autre se retrouve du Sté de l'empire impérialiste britannique. Cette dernière fraction de la bourgeoisie belge met à la disposition des Britanniques les matières premières du Congo et fournit l'uranium pour la fabrication des bombes atomiques qui allaient frapper les populations de Hiroshima et de Nagasaki. A partir du Congo, la Belgique participe à la campagne contre les troupes italiennes au Soudan et en Ethiopie.

Après la guerre, la Belgique est un des grands partisans d'une force militaire européenne visant l'ex-allié qu'était l'Union Soviétique et qui avait détaché une partie importante de l'Europe du marché mondial capitaliste. Les succès des révolution chinoise et vietnamienne transforment la Belgique en un partisan convaincu de l'Otan, alliance militaire des impérialismes occidentaux. La dernière intervention. militaire de la Belgique sur une grande échelle fut celle de Corée en 1950-53, afin de maintenir ce pays dans la zone capitaliste.

Intérêts propres et politique militaire propre

Dans toutes ces interventions militaires, l'Etat belge est intervenu de son propre gré. On ne peut pas dire que la Belgique a été entraînée ou forcée de le faire par l'une ou l'autre grande puissance. Il va de soi que la Belgique en tant que pays aux moyens militaires réduits est contrainte de chercher des alliés et de choisir, lors de grands conflits, un des camps impérialistes. Mais ce qui oriente ses choix est toujours la protection ou l'élargissement de ses intérêts impérialistes propres.

Dans l'OTAN, il s'agit d'une politique à double tranchant. La Belgique doit remplir une série d'obligations, mais en même temps elle peut compter sur le soutien de ses alliés, comme on l'a vu lors de ses aventures congolaises et que la France et les USA lui ont prêté main-forte.

Publié dans "La Gauche", 17 novembre 1987

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