Où en est la révolution en Egypte? Les enjeux des luttes sociales
Par A l'Encontre, Hossam El-Hamalawy, Mahienour al-Massry le Jeudi, 28 Avril 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le 24 mars 2011, des membres de l’armée ont occupé la Faculté des médias de l’Université du Caire pour mettre fin à 18 jours de grèves des étudiants qui réclamaient le départ du directeur de ladite faculté. Le même jour, le gouvernement du premier ministre Essam Charaf promulguait un décret-loi interdisant les manifestations, les sit-in et les grèves parce que ces actions « handicapent à l’économie ». Le premier ministre insistait sur le fait que ces mouvements faisaient diversion par rapport à la tâche prioritaire de « reconstruction de l’économie ». Le Conseil suprême des forces armées avait façonné le décret-loi.

Moustafa El-Sayed, professeur de sciences politiques, soulignait dans Al-Ahram Weekly : « A nouveau, il semble que nous ayons un gouvernement qui entend faire face aux questions socio-économiques comme si elles relevaient de problèmes de sécurité. » (31 mars-6 avril 2011) Selon la même source, le ministre de la Justice, Ahmed El-Guindi, avec un certain sens de l’ironie, affirmait que la loi antigrève n’interdisait pas les manifestations ou les grèves à condition « qu’elles ne dérangent pas le travail ».

La loi a suscité une vague de protestations et de grèves. Le 12 avril 2011, le quotidien Al-Masry Al-Youm soulignait la permanence de mouvements de protestation et de grèves dans de nombreuses régions de l’Egypte. Elles portaient sur les salaires, les conditions de travail, les contrats de travail, etc. Ces mouvements touchent des secteurs très diversifiés. Par exemple des distributeurs de bonbonnes de gaz, à Daquahlia, dans le gouvernorat du Delta, protestaient contre la réduction du nombre de bonbonnes livrées par le Ministère de la solidarité sociale. Quelque 350 salarié·e·s ont organisé une manifestation devant la représentation de ce ministère dans la ville de Talkha. Au Caire, quelque 200 salariés des services de l’administration fiscale protestaient pour leur salaire.

A Alexandrie, des enseignants demandaient la suppression de leur statut de temporaires et des contrats à durée indéterminée. Dans le gouvernorat d’Ismailia, les habitants d’un village, Mahsama, manifestaient contre la décision du conseil local de fermer une boulangerie qui dessert quelque 1500 habitants. La distribution de pain subventionné est décisive pour la survie quotidienne de couches paupérisées. Enfin, les travailleurs du grand ensemble textile de Assiout – Spinning and Weaving Factory – ont engagé un mouvement contre le rachat de l’entreprise par un conglomérat de banques privées, rachat qui avait été organisé par l’ancien gouvernement.

La multiplication des protestations, des grèves, des manifestations et les diverses tendances en faveur de l’établissement de syndicats indépendants pose le problème d’une expression indépendante au plan politique des salarié·e·s. La nouvelle loi, édictée par le 29 mars 2011 dans le cadre des amendements constitutionnels, interdit clairement la création de partis établis sur une base de classe. De plus, la formation d’un parti reconnu légalement doit passer par l’adhésion de 5 000 membres au moins, et cela dans divers gouvernorats, adhésion certifiée devant notaire agréé.

Cela n’empêche pas diverses forces de s’engager pour la création de « partis des travailleurs ». Ainsi, Kamal Khalil, un des animateurs du groupe Socialistes révolutionnaires, confiait au journaliste d’Al-Masry Al-Youm (15 avril 2011) que, à l’opposé de la loi du 29 mars, « les partis ouvriers sont permis par la loi dans de nombreux pays à l’échelle mondiale ». Il ajoutait : « Je ne sais pas quelle sera la réaction des autorités face à l’établissement d’un parti enraciné dans une classe, mais à nouveau nous ne sommes pas trop en souci à ce sujet. Nous ne voulons pas un parti établi sur le papier. Nous voulons un parti enraciné dans les entreprises et les lieux de travail. Les travailleurs en grève au travers de l’Egypte ont, depuis décembre 2006, réclamé la création d’un parti qui les représente et qui défend leurs intérêts. »

Le projet défendu publiquement par Kamal Khalil vise à l’établissement d’un Parti démocratique des travailleurs qui doit réunir les salariés·e·s des secteurs public et privé, les travailleurs du secteur informel, les paysans, les étudiants, les retraités, les chômeurs et les artisans.

Le Parti démocratique des travailleurs est implanté en priorité dans la région du Grand Caire, dans les villes du delta du Nil telles que Mahalla, Tanta, Kafr al-Dawar (villes où le secteur textile est fortement présent). Il a aussi une implantation dans le secteur des transports, des collecteurs d’impôts, etc. On pourrait établir une certaine analogie dans ce projet – sans négliger les différences – avec la création du Parti des travailleurs au Brésil au tout début des années 1980.

Parmi les thèmes du programme de ce Parti démocratique des travailleurs, on peut relever l’établissement d’un revenu minimal mensuel à l’échelle nationale de 1200 livres égyptiennes (quelque 190 francs suisses), la reconnaissance et la création de syndicats indépendants du contrôle de l’Etat, diverses revendications concernant les conditions de travail dans toutes les firmes et entreprises, l’opposition à la vague de privatisations qui a pris son essor particulièrement dans les années 1990, le retour sous le contrôle de l’Etat et des travailleurs de nombreuses entreprises, la révision des zones franches établies par l’ancien gouvernement, la lutte contre la corruption administrative, la mise en question des relations entre l’Egypte et Israël entre autres pour ce qui a trait à l’exportation de gaz à prix subventionnés vers Israël.

L’organisation Pour un renouveau socialiste défend aussi l’idée d’une coalition des travailleurs révolutionnaires. Fatma Ramadan déclare au quotidien Al-Masry Al-Youm : « Nous ne cherchons pas un statut de parti, mais nous visons plutôt à une coordination parmi les travailleurs, les paysans, les ONG [qui travaillent dans des secteurs paupérisés] et les organisations pour la réalisation des droits de tous les travailleurs et travailleuses indépendamment de leur affiliation politique. » Le programme de cette coalition est relativement proche de celui du Parti démocratique des travailleurs : il défend l’importance de poursuivre la mobilisation sociale pour assurer la justice sociale, le droit des travailleurs à la grève, des syndicats indépendants, un salaire minimum et un salaire maximum pour les dirigeants de firmes qui ne doit pas dépasser 10 fois le salaire minimum. Fatma Ramadan affirme que cette coalition n’est pas en concurrence avec le Parti démocratique des travailleurs et propose une collaboration entre les différents groupes liés à la défense des intérêts des salarié·e·s.

La continuation de grèves, de manifestations, les initiatives en faveur de syndicats indépendants et celles concernant l’établissement de partis traduisant au plan politique le mouvement propre du prolétariat au sens large sont un élément important de la situation sociopolitique en Egypte. Toutefois, il serait simpliste de sous-estimer le poids non seulement de l’institution militaire, mais des forces politiques qui vont occuper la scène dans les mois à venir. Des personnalités telles que Amr Moussa – président de la Ligue arabe et ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak, qui a toujours cultivé un profil d’opposant modéré – avec les appuis qu’elles peuvent réunir, sont aptes à s’imposer au plan politique dans un futur proche. A cela s’ajoute le poids des anciens partis comme le Wafd, les Frères musulmans, etc. Les évolutions sociopolitiques en Egypte sont certainement celles qui vont avoir un poids majeur dans le contexte régional du dit « printemps arabe », une formule qui, souvent, efface la diversité des situations.

Rédaction du site « A l’Encontre »: www.alencontre.org, 17 avril 2011


« Les structures du régime de Moubarak sont quasiment intactes ». Entretien avec Hossam El-Hamalawy

Hossam El-Hamalawy est un des bloggueurs les plus connus d'Egypte et un militant respecté de la gauche révolutionnaire égyptienne. Marxiste déclaré, diplômé en économie et en sciences politiques de l'Université américaine du Caire, il a commencé très tôt à travailler comme journaliste pour des journaux égyptiens, ainsi que pour le Los Angeles Times, car l'Université lui a fermé les portes comme professeur à cause de ses idées et de son engagement militant. En 2000, il a été arrêté pour avoir participé à une protestation contre Israël pendant la 2e Intifadah palestinienne. Depuis lors, son nom figure sur les listes noires du régime. En 2003, il a activement collaboré à l'organisation de manifestations contre l'occupation de l'Irak. Peu après, il a laissé le journalisme pour se consacrer entièrement au militantisme. Il a créé le blog arabawy.org comme plateforme et tribune de la lutte contre Moubarak et pour les droits des travailleurs. Quand les grandes mobilisations sur la Place Tahrir ont commencé le 25 janvier, El-Hamalawy, dans son anglais impeccable, est devenu l'un des visages internationaux les plus connus de la révolution. Il collabore aujourd'hui à la création d'une nouvelle force politique, le Parti des Travailleurs, et ils soutient plus que jamais les ouvriers qui, chaque semaine, organisent des grèves dans les entreprises égyptiennes.

Es-ce que l'Egypte vit réellement une révolution?

Il s'agit bien d'une révolution. Une révolution qui ne fait que commencer et qui, bien entendu, n'est pas encore terminée. Moubarak est tombé, mais les structures de son régime sont quasiment intactes. Les généraux de Moubarak gouvernent au travers du Conseil militaire: le Maréchal Tantawi, le chef de l'Etat-Major, Sami Anan et d'autres généraux devraient êtres poursuivis en justice pour corruption, au même titre que les responsables d'autres institutions parce que ce sont eux qui ont soutenus la dictature pendant toutes ces années.

Les militaires contrôlent près de 35% de notre économie, beaucoup d'entreprises appartiennent à l'armée. Un tel niveau de contrôle démontre avec certitude leur appartenance à la machine corrompue du système.

Les personnages clés de la police secrète (connue comme la « SS » pour son sigle en anglais: State Security) sont toujours en place et la création d'une Agence de Sécurité Nationale n'est, pour l'instant, qu'un simple ravalement de façade. Le journal « Al-Ahram » a informé que 75% des anciens officiers de la « SS » étaient recasés dans d'autres départements des forces de police. Ces hommes ont pratiqué la torture, ce sont des criminels, des violeurs et des corrompus. Et les 25% restants ont intégré la nouvelle Agence de Sécurité.

De nombreux criminels qui ont été impliqués dans les affaires les plus sales de corruption du régime se retrouvent aujourd'hui au Ministère de l'Intérieur. Le numéro 2 de l'ancien directeur de la « SS », Hissam Abou Gheida, qui a activement participé à la destruction de documents compromettants suite à la chute de Moubarak et qui a été personnellement impliqué dans mon arrestation et torture en octobre 2000 et dans d'autres cas entre 2000 et 2003, vient d'être nommé assistant pour le département de sécurité et de surveillance du Ministère de l'Intérieur.

Je peux continuer ainsi longtemps et donner d'autres nom de tels personnages dans les institutions. Les gouverneurs, par exemple, sont toujours les mêmes. Ce sont les gouverneurs de Moubarak, ceux qui réprimaient la population et ont attaqué les manifestants. Et on a les mairies, l'authentique machine de corruption, parce qu'elles sont chargées d'octroyer les licences pour l'eau, pour le revêtement des rues, pour les constructions. Par exemple, dans ce quartier du Caire où nous sommes en ce moment (Nasr City), ce devait être une zone avec des maisons basses et regarde autour de toi, il n'y a que des tours.

Ainsi, oui, c'est une révolution, mais qui n'est absolument pas terminée, elle n'a fait que commencer. Si nous nous arrêtons ici, si nous écoutons ceux qui disent « arrêtons nous, retournons à notre vie quotidienne normale, ayons confiance en l'armée », alors nous sommes perdus, nous creuserions notre propre tombe.

Le Front National pour la Liberté et la Justice, le Parti des travailleurs, l'Alliance populaire socialiste... de nombreux regroupements et partis de gauche sont en train de se créér. Mais ne sont-ils pas trop faibles et divisés?

Selon moi, il n'y en a pas assez. Nous en avons besoin de plus. L'Egypte est un pays de 85 millions d'habitants. Les partis que nous avions avant sont ceux que nous appellons les « partis de papier »: ils existent, mais n'ont aucune racine, aucune base sociale, ils n'étaient pas dans les rues. Nous avons également besoin de nouvelles formes d'organisation, non seulement des partis, mais aussi des syndicats, des associations étudiantes, culturelles, de voisins ou musicales, qu'importe!

J'oeuvre à la construction du Parti des Travailleurs et pour que ce dernier ait un projet révolutionnaire, mais je ne peux pas monopoliser l'échiquier et dire « pas d'autres partis! ». Nous devons laisser libre cours à toutes les initiatives spontannées de gens qui veulent créer des partis afin d'avancer. S'il en y a cinq qui se rassemblent et s'associent, cela aidera la révolution; si au lieu de cinq ils sont cinquante, c'est encore mieux. Il est bon que les gens créent des instruments contre l'oppression.

Mais avec autant de partis de gauche, il sera difficile d'obtenir des élus dans les élections de septembre...

Honnêtement, je ne me préoccupe pas trop des élections car je sais que quoi qu'il se passe, elles ne vont pas nous favoriser. Nous sommes dans un processus de transition. Si nous nous asseyons et attendons, tout restera dans les mains des généraux de Moubarak. Si nous perdons du temps à nous occuper des élections, nous perdrons la bataille sur le terrain, qui est la plus importante aujourd'hui.

Il faut concentrer tous nos efforts dans les initiatives dans la rue pour tenter de chasser les généraux. Quand nous nous seront débarassés d'eux, nous pourrons seulement commencer à parler d'élections, d'un nouveau parlement, de nouvelles institutions...

Comment y parvenir?

Je ne dis pas que nous devons nous affronter frontalement à l'armée, ce serait complètement absurde, idiot, improductif, nous leur donnerions l'excuse parfaite pour qu'ils luttent contre nous. Mais il y a d'autres méthodes qui sont actuellement appliquées et qui donnent des résultats; les protestations permanentes dans la rue, les grèves, la création de syndicats indépendants et l'union des travailleurs, qui dans certains cas sont en train de chasser leurs dirigeants corrompus et d'en désigner de nouveaux.

Si ces initiatives d'unions face aux corrompus se développent dans tout le pays, c'est tout le système actuel qui s'effondre. En outre, il faut prendre en compte le fait qu'il y a des centaines d'officiers de l'armée qui ne sont pas satisfaits avec la situation actuelle. Nous avons en face de nous en réalité deux armées et il est nécessaire que cette division se matérialiste, il faut que ces officiers et ces soldats qui croient en une Egypte meilleure et propre fassent le ménage dans leur propre institution.

De même, nous avons besoin que les étudiants nettoient la corruption dans les université et que les travailleurs le fassent dans les usines. Et c'est à cela que je me consacre avant tout.

Pourquoi es-tu aussi certain que les partis de la gauche réelle vont perdre les élections?

Ils vont les perdre non pas parce que les gens n'acceptent pas leurs idées, comme celles de nationaliser les entreprises privées, de modifier les relations avec Israël, d'expulser l'ambassadeur d'Israël, d'avoir des lois qui favorisent une redistribution juste des richesses, etc. Il est clair que les gens soutiennent de telles demandes.

Mais ce qui se passe, c'est que les forces révolutionnaires ne sont pas encore organisées, parce qu'on ne nous laissait pas agir librement pendant la dictature. Nous commençons à zéro et les élections auront lieu bientôt, en septembre. Et nos ennemis, eux, sont sans cesse plus organisés: les membres de l'ancien parti de Moubarak, certains membres de l'armée, les salafistes... Oui, il est probable que je sois pessimiste sur le résultat, mais ce n'est pas le plus important, il faut nous concentrer maintenant sur les efforts pour faire tomber le système de corruption actuel.

Ces ennemis de la révolution agissent-ils ensemble, comme l'indiquent certains analystes égyptiens?

Je crois que, au début, ils agissaient de manière spontannée. Ils perdaient leurs privilèges et luttaient pour les maintenir. Mais, jour après jour, certains secteurs sont de plus en plus coordonnés. Il y a quelques signes de cela: premièrement l'ancienne police secrète est en train d'être réformée par le gouvernement en maintenant une bonne partie de ses anciens membres et officiers. Deuxièmement, il y a une fraction du parti de Moubarak qui tente de revenir à la politique au travers des autres « partis de papier », qui existent toujours.

Et la répression n'a pas cessé. Récemment, des militaires ont dispersés des manifestants en tirant à balles réelles, avec brutalité et y compris en tuant des gens désarmés. Les arrestations et les jugements de personnes innocentes auprès de tribunaux militaires continuent.

Quel type d'aide extérieure serait utile pour vous?

Nous rejettons toute sorte d'intervention de la part des gouvernements étrangers. Nous ne voulons rien d'Obama, mais nous attendons beaucoup des syndicats étatsuniens et européens ou des défenseurs des droits humains, avec lesquels j'ai des contacts depuis de nombreuses années.

Que est le rôle actuel des Etats-Unis dans la région?

L'Egypte est le principal client arabe des Etats-Unis, après Israël, Moubarak était celui qui recevait le plus d'aide de Washington. Si son système s'effondre, si la révolution triomphe, tout le Moyen Orient tombera, parce que l'Egypte est la pierre angulaire dans la région. Israël s'en trouverait directement menacée, tout comme le flux continu de pétrole vers les Etats-Unis, le passage des navires de guerre US par le Canal de Suez, etc.

Les Etats-Unis ne peuvent pas intervenir militairement, ils ne peuvent pas envahir le Caire pour stopper la révolution. Mais ils peuvent s'impliquer dans la contre-révolution. En fin de compte, ce sont eux qui financent l'armée égyptienne. Et ils investissent beaucoup d'argent dans le secteur civil de la société, au travers d'organisations civiles démocratiques, pour capter et récupérer les gens de certains milieux.

Les dictatures qui nous entourent ne sont pas non plus intéressées à ce que la révolution triomphe. Elles sont mortes de peur en voyant ce qui s'est passé ici. Et je ne crois pas non plus que les gouvernements européens sont très heureux, ni les multinationales qui ont des intérêts en Egypte, elles ne sont pas à l'aise avec ce qui se passe.

La Libye partage une frontière avec l'Egypte. De quelle manière peut-on relier le cours de la révolution égyptienne avec l'intervention militaire en Libye?

D'après moi, l'intervention occidentale en Libye est une catastrophe, parce que les révolutions arabes se produisent justement en partie contre la présence militaire occidentale dans la région. Nous ne pouvons pas inviter les mêmes forces qui bombardent l'Afghanistan, qui collaborent à l'occupation de l'Irak, qui sont étroitement liées à Israël et aux régimes du Golfe, à intervenir.

N'importe quel gouvernement qui émergera en Libye à la suite d'une intervention militaire occidentale sera un régime pro-occidental et cela aura un impact négatif sur la révolution égyptienne.

On peut imaginer ce que la présence de troupes occidentales supposera à nos frontières: il existe déjà des rapports sur la présence de conseillers militaires occidentaux entraînant les rebelles dans l'est de la Libye, d'agents de la CIA recueillant des informations... D'autre part, s'ils sont si préoccupés que cela par le sort des civils, pourquoi n'établissent-ils pas une zone d'exclusion aérienne sur Gaza, où Israël tue des femmes et des enfants, comme ailleurs également?

Quel est le rôle des femmes et de la gauche égyptiennes?

Il y a de nombreuses femmes engagées dans la politique et dans le militantisme. Mais l'Egypte, tout comme d'autres pays dans la région, et pas seulement les pays musulmans, est un pays sexiste, machiste, où les femmes sont traitées comme des citoyennes de second ou de troisième rang.

Il existe des mouvements féministes importants, mais ils sont issus de la classe moyenne et pour la classe moyenne, ils ne s'occupent pas de la lutte des travailleuses dans les usines, ils ne pas vont pas les visiter quand il y a des grèves. Et je crois que c'est dommage. On ne peut pas ignorer le lien entre la lutte pour l'égalité de genre et la lutte des classes.

Dans toutes les protestations, les femmes de la classe ouvrière jouent un rôle très important, y compris en tant que dirigeantes. Il y a le cas des grèves de Mahalla en 2006, initiées par les femmes au cri « Les femmes sont ici, mais où sont les hommes? ». Ce fut le début de la révolution actuelle. Et les femmes ont été depuis lors sans cesse au front, jusqu'à Tahrir, où elles ont participé à l'égal des hommes et beaucoup sont mortes dans les batailles.

Ce qu'il faut obtenir, c'est que ce protagonisme dans la lutte se communique et perdure dans la vie quotidienne, dans les relations de travail. Il y a du conservatisme, du sexisme et de nombreux cas de harcèlement ou de violence sexuelles et il faut encore accomplir une révolution sexuelle. Mais pour que cette situation change, nous avons besoin d'une révolution qui englobe tout le reste.

Entretien réalisé par Olga Rodriguez pour le site « Periodismo Humano »

http://minotauro.periodismohumano.com/2011/04/25/la-estructuras-del-regimen-de-mubarak-permanecen-casi-intactas/

Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be


La révolution s’organise

Mahienour al-Massry est une jeune militante d’Alexandrie. Elle a débuté l’activité politique dans le mouvement Kifaya (http://fr.wikipedia.org/wiki/Kifaya ) en 2006, puis a rejoint les Socialistes révolutionnaires en 2008.

Sous quels angles la politique du conseil militaire est elle contestée en ce moment ?

Ce sont les généraux qui ont intérêt aux accords de Camp David et aux financements américains. Et ce sont aussi des hommes d’affaires, ils possèdent une partie de l’Égypte, or ni les petits officiers ni les soldats n’en profitent. Le 9 avril, on était très nombreux dans les rues, au Caire comme à Alexandrie et des fissures sont apparues dans l’armée. Le fait que des jeunes de l’armée aient rejoint les manifestants place Tahrir montre que le sentiment d’oppression et d’injustice est là. Ils n’en parlaient pas jusque-là, pas plus que le peuple égyptien avant que cela prenne une forme de révolution.

Un point méconnu est que la première fois que des chars de l’armée sont apparus au début de la révolution, les gens les ont attaqués! Il n’y avait pas cette ligne rouge au sujet de l’armée.

Où en est la grande mobilisation ouvrière qui a précédé et succédé la chute de Moubarak? Et le processus d’organisation indépendante des travailleurs ?

Jusqu’au 9 février, les travailleurs participaient en tant qu’individus, puis les grèves on commencé et, sans avoir été la base de la révolution du 25 janvier, ils ont accéléré le processus et mis fin au gouvernement, alors que la bataille devenait difficile. Maintenant le conseil militaire craint les grèves et leur généralisation qui pourraient poursuivre les revendications qui étaient les nôtres pendant la révolution.

En ce moment les grèves ont ralenti, on en est davantage à la phase de la construction des syndicats et ce n’est pas une mauvaise chose. Des syndicats indépendants se créent dans les secteurs les plus divers: par exemple des artisans se réunissaient il y a trois jours pour parler de la création d’un syndicat ou encore les ingénieurs du secteur pétrolier. C’est la preuve que, dans les dernières années, ce n’était pas de l’indifférence chez les travailleurs, mais de la patience.

Quelles sont les spécificités d’Alexandrie du point de vue du mouvement et du réseau politique en son sein?

Alexandrie est une ville de pêche, mais aussi industrielle avec une tradition qui remonte au début du XXe siècle. C’est la première ville pour les Frères musulmans, et les Salafistes sont très nombreux. Il y a aussi un fort mouvement de jeunes qui a débuté avec Kifaya et s’est développé avec le drame de Khaled Saïd (en juin 2010).

Avant cela, on pensait globalement que si tu n’es pas impliqué en politique, ni trop religieux, ni trop pauvre, le système ne te fera rien. Or Khaled Saïd était tout cela, et pourtant la police l’a tué. Cela a impliqué beaucoup de gens, tout particulièrement de la classe moyenne. Jusque-là quand il y avait 100 personnes dans une manifestation c’était un grand succès, et on a atteint 6.000 personnes. Le jour où la photo de Khaled Saïd est sorti sur Internet, des jeunes se sont rassemblés devant la section de police, prêts à faire face.

La différence à Alexandrie c’est que les jeunes dominent le mouvement. Des Frères musulmans à nous en passant par les libéraux, on travaille ensemble tout en gérant nos différences. Ainsi on a créé en mai 2010 un bureau de coordination (1) et tous les membres ont entre 15 et 33 ans. On est un petit nombre donc on a besoin les uns des autres, mais on n’efface pas les différences idéologiques pour autant, on débat en permanence. On a travaillé comme ça jusqu’à la révolution, ou plutôt l’étape révolutionnaire. Et à partir du 25 janvier, mais plus sérieusement à partir du 27, c’est ce groupe qui a organisé le mouvement à Alexandrie.

Après cela des problèmes sont apparus avec les Frères musulmans pour leur orientation réformiste, et puis avec la constitution (2). Plus encore au sujet de la prise de la Sécurité nationale (3). On s’est retrouvés avec des jeunes militants du mouvement, la gauche et les Salafistes, sans libéraux, et les Frères musulmans ont refusé de participer.

Ils sont néanmoins un bout de la révolution, il serait faux de le nier, comme de nier qu’ils participent à la contre-révolution maintenant.

Où est-ce que vous, les Socialistes révolutionnaires, intervenez?

Les syndicats indépendants sont une base de notre programme, on pense qu’il n’y aura pas de véritable changement sans que les travailleurs soient libérés de la domination de l’État dans leurs organisations.

Ensuite il y a les comités populaires de défense de la révolution (4), qui tirent leur origine des comités de défense de quartier. Après l’étape révolutionnaire, les jeunes, qui étaient restés ensemble pendant toute cette période, ont vu que leur rôle était aussi politique. Ces comités sont des moyens pour porter la voix et fourniront des candidats pour les élections municipales ou locales. Ils organisent aussi un groupe de défense des manifestations.

Dans les deux cas, ce ne sont pas des organisations socialistes mais on y pratique une démocratie par en bas, on conjugue des revendications démocratiques et sociales. Ainsi s’il y a un nouvel ébranlement, on aura des outils pour obtenir des victoires pour le peuple, ce qui a manqué pendant la révolution.

Propos recueillis par Melanie Souad. Publié dans l'Hebdo du NPA « Tout est à nous! » n°99 du 21/04/2011

1. Composé des Frères musulmans, al Ghad, le parti al Gabha, le Mouvement du 6 avril,

Al Karama, la Justice et la liberté, Al Hachd (mouvement populaire démocratique) et les Socialistes révolutionnaires.

2. Les Frères musulmans se sont alliés au conseil militaire pour soutenir le oui aux amendements constitutionnels, contre la gauche et une partie des libéraux.

3. Le 4 mars, le bâtiment de la Sécurité nationale à Alexandrie a été pris d’assaut par les manifestants, ouvrant la vague dans le pays.

4. Il y a 40 comités de 7 à 8 personnes chacun à Alexandrie.

Voir ci-dessus