Du SP.A-Rood à « Rood! » : « Opérer un saut qualitatif vers une nouvelle force politique de gauche». Entretien avec Erik De Bruyn
Par Erik De Bruyn, Peter Veltmans le Dimanche, 19 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

A l’occasion du Premier Mai dernier, Erk De Bruyn, leader du courant oppositionnel de gauche « SP.A-Rood » au sein du parti socialiste flamand (sp.a) avait publiquement annoncé sa rupture avec ce parti et la création d’un nouveau mouvement politique baptisé « Rood ! » (Rouge). Son initiative à reçu le soutien et la participation d’une série de forces de la gauche radicale en Flandre (LSP-PSL, CAP, S21…), dont nos camarades du SAP (nom de la LCR en Flandre). Dans cet entretien, Erik De Bruyn nous explique les raisons de sa rupture avec la social-démocratie ainsi que ses perspectives pour « Rood ! » et son processus de construction. (LCR-Web)

Comment vous sentez-vous, volant maintenant de vos propres ailes après une longue trajectoire dans le sp.a ?

Erik De Bruyn: En un mot: libéré (rires).

Beaucoup de gens à gauche se demandent pourquoi vous rompez précisément maintenant avec le sp.a.?

Eh bien, c'est en fait le produit d'une évaluation continue et d’une analyse coût-avantage depuis les élections de 2010. Il y a eu l'attitude du sp.a dans le débat sur l'Accord Interprofessionnel, où en réalité il a pris le parti des employeurs et de la ligne CSC. Il y a aussi le bilan extrêmement négatif de la présidence de Caroline Gennez, qui touche à sa fin, et où le sp.a n’a pas appris d’autre leçon que le remplacement ou le déplacement des marionnettes. Il y a eu l'annonce du nouveau "bon" livre du bourgmestre Patrick Janssens, où il échoue à nouveau à donner une véritable réponse socialiste aux problèmes d’Anvers. Il y avait aussi la stupidité des ministres successifs du sp.a Lieten et Vanden Bossche au gouvernement flamand.

En fin de compte, on s’est occupé de ce genre de questions au lieu de développer nos propres opinions politiques. L'effet cumulatif de tout cela (et bien d'autres choses dans le passé) a peu à peu commencé à peser très lourdement.

Faire de l’opposition au sein du sp.a ne devenait-il pas désespéré?

Absolument. On peut dire que dans le sp.a, la direction a créé un cordon sanitaire autour de SP.A-Rood. L'impact de l'isolement organisé par la direction est que nous ne bénéficions pas d’un millimètre de marge de manoeuvre. SP.A-Rood dansait sur une corde: d’un côté on essayait de peser sur le sp.a (ou tenter de l'influencer au moins) pour le tirer vers la gauche et d'autre part on avait une vigilance constante pour ne pas devenir une simple feuille de vigne, une caution de gauche du sp.a.

Finalement, on a été de plus en plus menacés par l'usure. La tension menaçait de devenir un blocage. Notre crédibilité diminuait. En outre, nous notons que le pouvoir d'auto-correction du parti a été pratiquement réduit à zéro par le jeu des agendas personnels de carrière et l'incapacité structurelle de penser en termes d'opposition. Le discours musclé du 1er mai sonne plutôt creux: se déchaîner contre la N-VA et en même temps insister pour participer avec ce parti en bonne et due forme au gouvernement flamand…

Certaines personnes se posent des questions sur le calendrier de votre initiative de créer un nouveau mouvement politique de gauche…

Le moment est également lié aux élections communales de 2012. Il y a certainement une pression. Nous ne pouvions pas rompre un mois ou quelques mois avant les élections. Cela nécessite encore du travail et de la préparation. Le Premier Mai était une bonne occasion de nous adresser à ceux qui nous soutiennent.

Y avait-il aussi des raisons plus profondes de votre rupture avec la social-démocratie?

Absolument! Il y a d'abord et avant tout une très profonde crise politique en Belgique. Ce n'est pas seulement une crise de "politiciens" qui n’arrivent pas à un accord et se trouvent donc dans l’impasse. Non, ça va beaucoup plus loin. L'ensemble du système politique est complètement coincé, la politique des partis est devenue invraisemblable (les partis politiques sont tous totalement creux!) Et oui, même la démocratie en tant que telle est de plus en plus remise en question.

Il y a beaucoup de chance et aussi de menaces. Le plus grand danger est bien sûr que la population soit massivement tentée par l'apolitisme, le ressentiment anti-démocratique. Cela ouvre la possibilité d’exprimer une interprétation de la démocratie, comme cela s'est produit avec la manif Shame et de l'occupation des locaux de la NVA et du PS par le Groupe de Stockholm. Il y a un besoin urgent d'une action à gauche tout au long de cette crise. Le SP.A est donc de moins en moins un instrument utile, il est une partie du problème, pas la solution. Cela a joué un rôle dans la décision de rompre.

Cette décision de rupture cadre-t-elle dans un contexte international ?

Bien sûr. La crise financière de 2008 et ses suites ont tout clarifié. Ici aussi, nous voyons que le sp.a. a catégoriquement ignoré presque toutes les occasions de marquer des points. Vande Lanotte n'a fait que soutenir la vente des joyaux bancaires de la couronne aux Français. En plus de cela nous voyons aussi que ce «sauvetage» des banques sera finalement payé par les travailleurs, avec d’énormes mesures d’austérité. Nous n’avons pas dix ans avec la gauche pour nous préparer, et c'est à peu près le temps je crois pour que le sp.a regagne – éventuellement - sa crédibilité. C'est pourquoi nous avions besoin de rompre maintenant.

La même chose s'applique à la crise énergétique. D’une part il y a le problème d’approvisionnement en  pétrole, et d'autre part, le public (avec la catastrophe au Japon à l'esprit) n'est tout simplement pas prêt à accepter le recours à l'énergie nucléaire. La gauche devrait être en mesure de bénéficier d'une telle situation. Je suis convaincu que la nécessité d’efficacité énergétique de l'économie dans les années à venir freinera en partie la concurrence des coûts salariaux et la pression de la mondialisation (le transport consomme de l'énergie), et le mouvement ouvrier pourra prendre l'initiative de renforcer l'alliance avec les mouvement écologiques. Mais le sp.a ne va pas au-delà de tâtonnements sur les panneaux solaires. C'est pour moi une raison pour rompre maintenant et pas demain.

Certains à gauche disent que la rupture est bonne en soi mais qu’elle a été trop rapide et mal préparée…

Je conteste cela. Nous avons lancé depuis août 2010 un débat interne au sein du SP.A-Rood avec une série de discussions. Finalement nous sommes arrivés à la conclusion que 85% des membres du SP.A-Rood étaient en faveur d'une rupture avec le sp.a. Certains ont même voté avec leurs pieds: ils ont quitté le parti plus tôt. Il est vrai que nous n'avons pas convoqué de conférence ou de congrès. Mais je demande votre compréhension. Si nous l’avions fait, la décision serait publique avant qu'elle ne soit prise. En outre, certains ont voulu en faire une lutte de fraction comme d’habitude. Trop d'énergie négative et de temps perdu. Pour toutes ces raisons nous n’avons pas voulu le faire.

Rompre avec le sp.a est une chose, créer quelque chose d’entièrement nouveau, c’en est une autre, Comment voyez-vous cela ?

Eh bien, le réseau que nous avons construit avec SP.A-Rood est encore intact et nous l’emportons avec nous. A côté de cela il y a maintenant l’afflux de centaines de nouveaux intéressés. Le but que nous poursuivons est de couler tout cela ensemble, dans un nouveau mouvement qui peut combler le vide à gauche, dont à peu près tout le monde confirme l’existence. Nous voulons y procéder d’une façon ouverte, participative.

La base existe déjà, car nous avions déjà rédigé un manifeste idéologique dans le cadre de SP.A-Rood. Cela peut déjà servir de point de départ. Ultérieurement, nous devons voir comment donner forme à cet ensemble sur le terrain électoral. Ce qui est important dans ce contexte est que nous ne nous limitons pas à un simple  regroupement des (petites) organisations de gauche existantes. Attention : ces organisations ont leurs mérites! Exactement comme nous estimons que la trajectoire de SP.A-Rood a ses mérites. Personne ne doit regretter ce qu’il ou elle a fait. Seulement voilà : il faut faire autre chose maintenant. Nous devons d’une certaine façon essayer d’effectuer un bond qualitatif vers un niveau supérieur. Faire de la politique à une échelle de  masse, sans vouloir exclure pour cela qui que ce soit à l’avance.

Beaucoup de personnes regardent aussi vers le PVDA (PTB) et observent ton attitude envers ce parti…

C’est tout à fait normal. Le PVDA est la plus grande force organisée à gauche de la social-démocratie et des verts.  Il est dès lors un partenaire de discussion important. Il va tout simplement de soi que le PVDA peut jouer un rôle important. Si ce sera vraiment le cas, cela dépendra de ce parti. J’applaudirais des deux mains la perspective que le PVDA puisse se dépasser, sans perdre ses mérites, dans quelque chose qui serait beaucoup plus ample et plus important. Pour le moment cela ne semble pas être leurs cours. Il apparaît qu ils veulent construire  le PVDA lui-même pour devenir la force de gauche de référence.

Ma crainte est qu’ils traînent trop d’histoires pour arriver à ce but. Malgré leurs mérites indiscutables et malgré le développement positif dans leurs points de vue et leur fonctionnement depuis ces dernières années, je crains que leur cours mène au bout du compte à un rayon d’action trop étriqué.

On remarque chez le PVDA un certain suivisme par rapport aux directions syndicales. Par exemple, nous n’entendons pas ou peu de critiques de ce parti par rapport à l’absence d’un plan de lutte contre l’offensive d’austérité qui se prépare. De l’autre côté, tu as signé l’ « Appel à la résistance sociale », où cette critique est avancée.

Ici je voudrais quand même défendre un peu le PVDA. Je ne pense pas qu’il appartient aux organisations politiques de dicter aux mouvements sociaux ce qu’ils doivent faire. Quand j’ai des critiques par rapport au cours mené par les directions syndicales, je les exprimerai en tant que syndicaliste. J’ai donc signé cet appel en tant que syndicaliste. Mais donc pas en tant que mouvement politique. A mes yeux il y a de l’espace pour les mouvements sociaux par rapport au mouvement politique et inversement.

Certains points de vue que tu énonces ne sont pas partagés par touTEs dans la gauche. Plus précisément tes points de vue concernant l’insécurité, les problèmes de société ou sur le port du foulard. Admettons que le mouvement Rood ! adopte, après une discussion interne, des conclusions qui diffèrent de tes points de vue. Que ferais-tu dans ce cas ?

Avant tout : Quel que soit le point de vue que tu occupes sur ces terrains, il s’agira toujours d’une discussion qui menace de nous diviser plutôt que de nous unir. Quoi qu’il en soit, dans un premier temps je défendrai – comme chacunE- mon point de vue et j’essaierai de l’éclaircir. C’est d’ailleurs nécessaire, car des tas d’idées caricaturales vivent dans cette sphère. Se reprocher les uns aux autres qu’on est raciste n’avancera pas le « schmilblick ».

Je veux d’ailleurs mener ce débat en toute ouverture et je reste ouvert aux arguments des personnes qui pensent autrement. Par exemple, j’aurai bientôt un échange avec les personnes de BOEH ! (mouvement féministe flamand qui s’oppose à l’interdiction du port du foulard, NDLR).

Evidemment, on ne peut pas continuer à discuter et expliquer. A un certain moment, une décision s’impose. S’il s’avère alors que je suis minoritaire, je me plierai en bon démocrate à la majorité. Mais je veux insister sur un débat de fond. Par exemple, un tel débat ne peut pas prendre l’Islam comme point de départ. Il vaut mieux l’ouvrir à partir de la laïcité en général, avec tout ce qui y  a trait : les droits des femmes, la séparation entre Eglise et Etat, la liberté d’expression etc.

A quoi pouvons nous nous attendre du mouvement Rood! dans un avenir proche ?

Nous sommes en train de travailler avec les centaines de marques de soutien que nous avons reçues, et nous élaborons une déclaration de principe et des conditions d’adhésion. Quand ce sera fait, nous rassemblerons toutes ces personnes dans des réunions. A partir de là, tous ensemble, nous allons donner forme à notre nouveau mouvement de gauche.

Entretien réalisé par Peter Veltmans. Traduction française : Louis Verheyden et Daniel Liebmann


Une présentation concise de Rood! de socialisten, un nouveau mouvement politique de gauche en Belgique néerlandophone

Rood! veut former un mouvement combatif et moderne, avec ses racines dans la base, visant à la collaboration afin d’offrir une alternative socialiste au climat dominant de droite actuel.

La situation politique en Belgique risque d’exploser. Notre pays voit sa survie menacée. Un an après les élections il n’y a toujours pas de gouvernement. Le N-VA séparatiste essaie de compléter la déstabilisation du pays et d’amener les esprits vers la droite. Il incombe à la gauche de formuler une réponse fondamentale à la politique néolibérale et sa variante Nationaliste – Flamande qui veulent toutes les deux ébrécher la solidarité de façon radicale et irréversible. Les nationalistes aspirent à une Flandre indépendante et de droite et à la destruction de la Belgique et sa protection sociale. La réforme d’état se voit réduite à une division continue des compétences et des différents niveaux administratifs, sans regard pour la pertinence ou la raison. L’impasse politique mine la confiance dans la politique et même dans la démocratie. Le peuple devient indifférent. Socialistes, nous sommes partisans d’une grande réforme d’état. Mais une réforme d’état qui rende le pays plus démocratique et plus transparent. L’autonomie régionale ne peut pas amener le dumping fiscal et la démolition de la solidarité.

La Flandre indépendante est présentée comme solution miraculeuse pour tous les problèmes. Ainsi on masque le programme ultralibéral: la démolition de la sécurité sociale, la prolongation de la semaine de travail et la privatisation des services publics. La pression des marchés financiers sur les taux d’intérêt deviendra l’alibi pour un programme d’austérité jamais vu. Déjà maintenant une partie de plus en plus importante de la population n’a plus accès aux soins de santé, à l’énergie, à l’enseignement et à une habitation convenable. Les banques, sauvées par les interventions de l’état, se remettent à payer des bonifications sans égale. Entretemps, l’argent des impôts sert à combler les déficits. Les privatisations complètes ou partielles dans le secteur de l’énergie, la poste et les communications n’ont rapporté aucun avantage aux hommes et femmes de la rue. Les alternatives pour la démolition de notre protection sociale, pour le système financier malade et pour la politique d’énergie démente doit venir de la gauche.

La base électorale a soif d’une averse de gauche. La gauche complétée d’un relent de populisme, dans le sens d’une politique que les gens comprennent, qui est honnête et qui se tourne vers l’avenir. Impressionné par le succès électoral de la droite, le sp.a n’ose pas attaquer le nationalisme de front. Le sp.a se consacre surtout à ses problèmes intérieurs, à assurer des positions pour ses dirigeants, à une politique à court terme. Et ceci en dépit d’une série de défaites électorales, avec un résultat historiquement bas de 14% en 2010. Le nombre de membres fond et, beaucoup plus important, le parti n’oppose aucune défense contre l’offensive idéologique et politique de la droite populiste. Pendant cinq ans SP.a Rood a essayé de ramener le sp.a du centre vers la gauche et de rétablir le lien avec un arrière – ban qui aujourd’hui  se sent orphelin. Mais l’aile gauche du parti est abusée comme de la chair à canons électorale et ne peut formuler aucune critique.

Nous ne voulons pas attendre plus longtemps que le sp.a sorte du coma. C’est pour cette raison que nous mettons en chantier un mouvement politique. Rood! Ne veut pas devenir le énième nouveau parti. La formation d’un front commun de gauche et écologique s’impose. Notre mouvement nouveau a pour but de faire réentendre des voix socialistes dans la Chambre: des voix de la base, du peuple. En union avec des syndicalistes, des gens actifs dans les mouvements sociaux, ensemble avec ceux qui veulent présenter une réponse de la gauche. Nous voulons sortir la gauche de l’impasse, tout en renforçant la gauche Européenne.

ROOD !

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