Dossier Grèce : Un nouveau « bloc historique » contre l’austérité et pour une alternative ?
Par Panagiotis Sotiris, Nikos Symeonides le Dimanche, 19 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

La seule façon de décrire les récents développements socio-politiques en Grèce consiste à les caractériser comme une insurrection populaire pacifique. Les rassemblements massifs sur les places centrales des principales villes grecques continuent à dicter l’élan du mouvement. Le dimanche 5 juin, Athènes et les principales villes de Grèce ont connu les plus grandes mobilisations de masse de leur histoire récente. Plus de 100.000 manifestants se sont réunis sur la Place de la Constitution (Syntagma) à Athènes. Des dizaines de milliers ont fait de même à Thessalonique. Et des milliers d’autres ont manifesté dans de très nombreuses villes grecques. C’est une expérience unique de mobilisation sociale et une forme originale de protestation populaire qui combine des rassemblements de masse avec un processus de discussions démocratique au moyen d’assemblées populaires.

Ce qui est plus important, c’est que ces manifestations et assemblées comme un point de ralliement non seulement pour les personnes qui ont déjà pris part à des manifestations, à des grèves, à des mouvements sociaux au cours des mois passés – à l’occasion de la grande vague de protestation sociale qui répondit au programme d’austérité –, mais aussi pour d’autres personnes qui jusqu’à maintenant s’étaient abstenues de participer à des actions de masse.

Ce mouvement repose sur des expériences collectives de lutte au cours des années passées, telles que l’explosion de la jeunesse en décembre 2008, les grèves générales d’ampleur au printemps 2010, les grandes grèves dans le secteur des transports publics au cours de l’hiver 2010-2011, le combat héroïque de la population de Keratea, une petite ville qui se trouve dans le département d’Athènes (Attiki) et dont la population a lutté avec succès contre les forces de sécurité, s’opposant à des plans de l’Etat grec qui [depuis 2003] voulait faire d’une partie de la région (Omvriokastro) une décharge publique, désastreuse pour l’environnement. En même temps, des personnes sans expérience de lutte ont rejoint les nouvelles protestations du début juin, qui ne sont pas une simple imitation des manifestations et occupations dites du 15 mai en Espagne, mais qui expriment une forme de lutte plus étendue et ayant des racines plus profondes dans la société grecque.

La composition de ce mouvement est un changement important avec les luttes passées parce qu’elle met encore plus en évidence la crise ouverte de représentativité et de légitimité non seulement du gouvernement du PASOK (parti social-démocrate), mais aussi de toute la scène politique. La crise sociale, que le programme d’austérité a engendrée, se transforme actuellement en une crise politique. Nous avons atteint actuellement un point de rupture pour ce qui a trait aux rapports de force. Les mesures successives d’austérité ont miné le nivau de vie de base ; la montée du chômage, spécialement du chômage jeune, s’y ajoute ; l’annonce d’un pillage complet des biens publics au travers d’un programme de privatisations massif est un nouveau choc ; à cela s’ajoute l’appréhension qu’il n’y a pas de voie de sortie du cercle vicieux de la dette, de l’austérité et d’une récession plus profonde ; tout cela a séparé la vaste majorité de la population du PASOK et du système politique en général. Les rassemblements de masse, avec leur ouverture démocratique et le fait qu’ils apparaissent différents des syndicats et des partis traditionnels, ont fonctionné comme un débouché pour la colère et la frustration. Le peuple refuse d’être gouverné d’une telle façon et le gouvernement est incapable de le gouverner. Cette définition classique d’une crise politique est complètement manifeste en Grèce.

Les jeunes ont joué un rôle important dans les développements de ce mouvement. Mais ce n’est pas un mouvement de jeunesse. Les jeunes ont été un bras de levier pour organiser les assemblées en utilisant les réseaux sociaux, en diffusant les informations, en se proposant comme volontaires afin d’organiser ces assemblées, mais les manifestations et les assemblées constituent le point de ralliement de toutes les générations.

Bien que pas très articulées en termes de programme politique traditionnel, ces protestations sont profondément démocratiques, radicales et substantiellement anti-systémiques. Elles représentent un fort désir de changement politique ; elles traduisent la revendication pour des emplois sûrs, pour une dignité au travail, pour une démocratie authentique et pour une souveraineté populaire contre la tentative de mettre en place des mesures dictées par l’Union européenne, le FMI et la Banque centrale européenne. Elles rejettent la tentative présente d’un modèle extrême d’ingénierie sociale que le gouvernement grec et la « troïka » (UE, FMI, BCE) ont cherché à mettre en œuvre. Peut-être est-ce l’expérience de l’attaque la plus agressive contre les droits sociaux qu’un pays européen a connue depuis les « thérapies de choc » au début des années 1990 dans les pays de l’Est. Y compris l’utilisation de drapeaux grecs dans les manifestations – une pratique que certains secteurs de la gauche ont mal interprétée comme étant du « nationalisme » – est l’expression du besoin d’une souveraineté populaire, d’une cohésion sociale et d’une dignité collective.

Toutefois, ce mouvement a au moins une demande centrale : que ne soit pas soumis au vote [le gouvernement a envisagé un référendum si la « troïka » accorde un « nouveau prêt »] le programme économique à moyen terme et que soit mis fin à toutes les politiques dictées par l’UE et le FMI. Cela est accompagné par le refus de la population de payer la dette qu’elle n’a pas créée. « Nous ne sommes pas redevables – nous ne devons pas vendre – nous ne devons pas payer », cela a été un slogan très populaire et très répandu sur les pancartes, banderoles et les autocollants. C’est exactement le contraire du chantage idéologique constant effectué par le gouvernement et les mass media avec la formule « Nous partageons ensemble le repas ».

Les gens ont réalisé que les raisons de la crise de la dite dette souveraine ne résident pas dans les salaires des fonctionnaires ou dans les dépenses sociales, mais dans la défiscalisation du monde des affaires, dans les prix gonflés de travaux publics inutiles (comme ce fut le cas pour les Jeux olympiques de 2004), dans les dépenses militaires très élevées et finalement dans la camisole de force financière et monétaire appliquée au travers de la participation à l’Eurozone. C’est pourquoi la revendication pour un arrêt immédiat du paiement de la dette et l’annulation de la dette est un point de référence qui unit les personnes, conjointement au rejet de l’austérité et des privatisations. Il est aussi important de souligner que, contrairement à l’opinion populaire traditionnellement en faveur de l’UE, de plus en plus de gens commencent à mettre en question la participation de la Grèce à l’Eurozone. Le retrait de l’euro est ouvertement discuté par les gens au lieu d’être rejeté a priori comme c’était la norme jusqu’à récemment.

Politiquement, ce mouvement est unifié autour de la demande : qu’ils s’en aillent tous maintenant. C’est un rejet non seulement du PASOK, mais de ce qui est perçu comme l’establishment politique. Voilà pourquoi il y a dans l’imaginaire collectif de ce mouvement un attrait pour les images de la Tunisie, de l’Egypte ou de l’Argentine (2001), avec le départ humiliant des premiers ministres.

Il est aussi important de souligner que si nous examinons ce qui se passe en Grèce en relation avec le printemps arabe et ses insurrections populaires, avec la nouvelle qualité de la contestation sociale en Grande-Bretagne contre les coupes sociales et l’augmentation des frais d’inscription universitaires, ou de l’occupation du Palais gouvernemental (Capitol) dans le Wisconsin, nous pouvons voir là les premiers signes d’une nouvelle phase historique marquée par la possibilité d’événements insurrectionnels.

Il est vrai que ce mouvement a manifesté une forte suspicion à l’égard des partis politiques, une suspicion aussi dirigée vers les partis de gauche. Mais avant de juger cette attitude anti-politique, nous devons aussi prendre en considération que la majorité des partis politiques grecs sont associés avec les politiques néolibérales injustes, avec la manipulation des médias, avec la corruption et les liens étroits entre eux et le grand business ; et finalement il faut noter leur attitude servile face aux organisations financières internationales. A la lumière de ce qui est dit ci-dessus, on peut affirmer que cette attitude « anti-politique » constitue exactement la fondation d’un authentique processus de politisation radical, le début pour une action politique alternative, pour une démocratie directe et pour un changement social radical.

C’est la raison pour laquelle on est témoin d’une expérience unique de démocratie à l’œuvre sur les places des villes grecques. Les assemblées massives, avec leurs règles très strictes concernant l’égalité du temps de parole et les décisions collectives, ne laissent pas de place pour la démagogie traditionnelle. Cela fournit un paradigme alternatif aux procédures d’élaboration de revendications politiques et de définition de stratégie. En même temps se met en place un nouveau paradigme d’auto-organisation et de solidarité. Si les formes potentielles de « dualité de pouvoir » doivent toujours être le résultat d’un processus de créativité collective, alors nous faisons l’expérience du début d’un tel processus.

L’attitude de la gauche grecque a été contradictoire. Au début se manifestait un scepticisme ample, résultat d’une longue tradition consistant à traiter les mouvements sociaux comme le résultat d’initiatives politiques ou partisanes et de leurs projets. Spécialement le Parti communiste (KKE) – malgré une rhétorique fortement anticapitaliste il manifeste toujours des soupçons envers les mouvements qu’il ne contrôle pas et a une tactique sectaire croissante – a mis l’accent sur le fait que le mouvement n’était pas assez « politique ». D’autres tendances de la gauche telles que SYRIZA (coalition de la gauche radicale) ou ANTARSYA (front de la gauche anticapitaliste) ont manifesté leur soutien au mouvement mais ont approché ce mouvement de masse de manière peu aisé, combiné avec un certain rejet propre à un discours traditionnel de l’extrême gauche.

Le gouvernement grec essaie d’avancer avec les mesures d’austérité, malgré la perte de toute légitimité. En même temps, les autres gouvernements européens et la machine de l’Union européenne fonctionnent comme si rien ne se passait. Toutefois, je pense qu’ils ne peuvent pas cacher leur anxiété. Il est évident que toute tentative d’appliquer ces politiques conduira à rendre la situation de plus en plus explosive. En même temps ils craignent que tout changement ou report dans l’application des mesures d’austérité pourrait avoir des effets déstabilisateurs à l’échelle de toute l’UE. Voilà pourquoi leur principal objectif est de faire passer le Programme à moyen terme par le parlement grec avec, en retour, un nouveau « paquet d’aide ». Ils savent que le gouvernement du PASOK ne sera pas capable de faire face à la pression de la colère sociale et de la révolte. Mais ils espèrent qu’en choisissant cette voie ils ligoteront tout futur gouvernement. Voilà pourquoi ils font pression sur le parti conservateur de la Nouvelle Démocratie afin qu’il offre son soutien aux mesures et qu’il aide à créer un climat de consensus. Jusqu’à maintenant, la Nouvelle Démocratie a évité de soutenir ouvertement le gouvernement, mais en même temps ce parti a cherché à calmer les représentants du capital en présentant son propre programme qui leur est très favorable.

A la lumière de ce que nous avons exposé, l’objectif le plus urgent et immédiat du mouvement est de faire croître la protestation à une hauteur telle qu’il serait impossible pour le gouvernement de voter le Programme à moyen terme, gouvernement qui alors probablement devrait démissionner face à la révolte sociale. La chute du gouvernement sous l’effet d’un tel mouvement social pourrait ouvrir la voie à des changements sociaux et politiques de plus grande ampleur. Dans de telles circonstances, la gauche ne peut pas se payer le luxe de simplement articuler des revendications pour la résistance.

Le développement effectif de ce mouvement [des indignés] crée les conditions pour une alliance sociale potentielle des forces du monde du travail avec les jeunes et d’autres couches des classes subalternes. Il ouvre la voie pour l’émergence d’un nouveau « bloc historique ». En même temps, la crise politique ouverte et la possibilité d’une chute du gouvernement sous la pression du mouvement social inaugurent une conjoncture totalement différente pour ce qui a trait aux relations de la gauche avec le pouvoir politique. La gauche a la possibilité d’apparaître comme une force contre-hégémonique, pour autant qu’elle abandonne aussi bien ses illusions réformistes dans un possible « gouvernement progressiste » que son sectarisme verbal traditionnel. Et qu’elle combine sa participation dans le mouvement de masse avec une série de demandes transitoires telles que l’arrêt immédiat du paiement de la dette et l’annulation de la dette ; la sortie de la Grèce de l’Eurozone et potentiellement de l’UE ; la nationalisation des banques et des infrastructures stratégiques et la redistribution radicale des revenus en faveur des salariés, revendication qui offre la possibilité d’une alternative anticapitaliste.

Nous vivons une expérience où l’histoire est en train de se faire. Espérons que le résultat sera le contraire des politiques néolibérales de destruction sociale et l’ouverture de la possibilité d’alternatives radicales au plan social et politique.

Panagiotis Sotiris

Paru sur A l’Encontre. Traduction A l’Encontre. Panagiotis Sotiris est enseignant au Département de sociologie, University of the Aegean (Université de l’Egée).


Le « Mouvement des places » et les perspectives qu'il crée

Un an après l'imposition du Mémorandum et des mesures antisociales et anti-ouvrières qui en ont découlé, la situation de l'économie grecque, même selon des critères capitalistes, ne s'est pas améliorée mais au contraire s'est sérieusement détériorée. Les salaires ont baissé en provocant une crise générale dans les marchés. En même temps, la dette publique, qui a servi de prétexte pour prendre ces mesures, a augmenté et les recettes de l'État sont bien en dessous des attentes.

Depuis le 5 mai 2010 on a assisté à plusieurs luttes de travailleurs mais sans résultats significatifs. En parallèle, un grand nombre de mouvements sociaux se sont développés comme la grève de la faim de 300 immigrants demandant leur légalisation, la lutte des habitants du district de Keratea contre la création d'un site d'enfouissement de déchets dans leur quartier, qui ont obtenu quelques victoires, ou encore le mouvement « Je ne paierai pas », qui se développe contre l'augmentation des prix de quasi tous les services sociaux.

Quand le gouvernement, après un an d'austérité brutale, a déclaré sans honte, que les mesures précédentes n'avaient pas apporté les résultats attendus et que d'autres allaient devoir être prises, la colère sociale a explosé et des milliers de personnes - voyant d'une part ce qui les attend mais aussi l'incapacité, ou plutôt le manque de volonté, des directions syndicales de bloquer ces mesures - ont spontanément occupé la place Syntagma, la place centrale d'Athènes.

Le mouvement de la place Syntagma crée de nouvelles perspectives pour la lutte des classes. Malgré ses contradictions et d'importantes faiblesses, c'est un développement qui apporte de l'espoir. D'un point de vue pratique, il a été inspiré par les rebellions arabes qui ont largement utilisé les nouvelles technologies (Internet, téléphones mobiles, …) pour se coordonner. Le mouvement arabe a réussi à traverser les frontières nationales et à « envahir » l'Europe comme les capitalistes européens le craignaient. L'État espagnol a été le premier pays à entrer dans le jeu, suivi d'autres capitales comme Paris, Rome, Lisbonne et bien sûr Athènes.

Ce mouvement a bien sûr souvent d'importantes faiblesses : la plupart des participants ont souvent un niveau de conscience politique assez bas (en tout cas dans les plus grandes manifestations) et il manque d'une perspective politique claire. Cependant, il est extrêmement massif : plus de 100 000 personnes ont participé à l’assemblée du 5 juin à Athènes et il y a eu d'autres assemblées importantes dans plusieurs villes grecques. Bien qu'il demeure particulièrement flou et fluide, il part d'une revendication claire : l'abrogation du Mémorandum et le départ de ceux qui l'ont adopté.

D'un autre côté, nous ne devons évidemment pas surestimer son caractère spontané et auto-organisé. Il ne possède pas encore les caractéristiques d'une révolte authentique mais il est clair que si l'idée de bloquer le parlement le jour où le nouveau Mémorandum doit être voté porte ces fruits, ce jour pourra amener une vraie révolte — surtout combiné à une grève générale.

Si nous ne pouvons pas identifier ce mouvement comme un nouveau sujet politique qui pourrait se substituer  au rôle central joué par le mouvement ouvrier, il s’agit, malgré cela, d’un champ d'interaction entre l'avant-garde du mouvement et les masses. Il offre une expérience d’organisation collective (en particulier dans les secteurs sociaux qui ont peu de possibilité de vivre ce genre d'expériences) ainsi que de la confiance s’il débouche sur quelques victoires concrètes. Il est possible qu'à travers ce mouvement beaucoup de nouveaux militants rejoignent les rangs de la gauche et les idées anticapitalistes.

En premier lieu, il est important d'essayer de caractériser la composition sociale du mouvement des « Indignés » pour pouvoir estimer les limites et les buts de notre propre intervention dans ce mouvement :

• Des sans-emplois et des travailleurs précaires, une grande partie d'entre eux n'ayant pratiquement aucune expérience d'organisation et d'action collectives, que ce soit dans les syndicats traditionnels ou dans les organisations politiques de la classe ouvrière ;

• Des secteurs de la petite bourgeoisie, qui a vu son niveau de vie écrasé. Occasionnellement ces gens voient leurs intérêts s'opposer à ceux des classes plus basses. Il est crucial pour nous de réussir à démontrer que leur intérêts coïncident avec ceux de la classe ouvrière et pas avec ceux des capitalistes et de créer des alliances entre les petits-bourgeois les plus précaires et les travailleurs ;

• Divers groupes « patriotiques » ;

• Des électeurs des deux grands partis déçus, en particulier des électeurs de droite.

Avec une participation et une intervention variant selon les organisations, la gauche (en dehors du KKE, le Parti communiste grec), joue un rôle important dans les assemblées générales populaires se tenant tous les soirs à la place Syntagma, ainsi que dans plusieurs groupes de travail, particulièrement après les premiers jours. Le danger demeure toujours de transformer les assemblées en bataille interne entre organisations de gauche mais ce n'est heureusement pas le cas pour le moment. Une part importante des collectifs autonomes/anarchistes est absente et dénonce même le processus alors que d'autres participent activement avec plus ou moins les mêmes limitations que la plupart des organisations de gauche.

Il est crucial aussi d'essayer de codifier quelques caractéristiques politiques de base de ce mouvement afin de l'analyser en profondeur et de déterminer notre propre position dans ce contexte.

• Il est opposé à tous les partis politiques et à tout ce qui est organisé. Cependant nous devons noter que l'opposition initiale aux syndicats et aux grévistes a diminué, ce qui est un des succès majeurs de l'intervention des organisations de gauche. Ce point de vue peut en partie s'inscrire dans un cadre plus général du à l'incapacité des syndicats traditionnels à persuader que la détermination et la lutte sont nécessaires. Les directions syndicales sont extrêmement bureaucratisées, elles ont pratiquement abandonné toute lutte ouvrière depuis quelques temps et certains secteurs hésitent même à mobiliser tout court. De plus, la gauche a montré son incapacité à proposer un projet social alternatif et des perspectives convaincantes. Malgré tout cela, l'ambiance anti-organisation qui s’exprime dans ce mouvement doit clairement être identifiée comme un réflexe conservateur. En même temps si son anti-parlementarisme, bien que justifié, n'est pas remplacé par d'autres méthodes politiques, cela pourrait mener à des propositions réactionnaires (gouvernement de technocrates, leaders forts non limités par les parlementaires corrompus).

• Il a un caractère très contradictoire qui est évidemment à mettre en rapport avec sa nature massive. Il est quasi certain que cela va mener à des conflits idéologiques et politiques au sein du mouvement.

• Il révèle une ambiance d'unité nationale. Consciemment ou pas, des parties non-négligeables du mouvement proposent l'unité nationale et un gouvernement de technocrates qui agirait « pour le bien du pays » comme réponse aux politiciens officiels.

• Il a introduit des pratiques très innovantes et des formes d'organisation comme l'assemblée générale populaire du mouvement et des groupes de travails pour la discussion et l'action par rapport à des sujets spécifiques (travail/chômage, économie, éducation, etc.), mais aussi des formes de gestion collective de l'espace de vie (nourriture collective, soins médicaux, nettoyage, etc.).

• Enfin, il y a une certaine discontinuité entre les assemblées populaires locales où la gauche et les anarchistes sont plus hégémoniques et l'assemblée générale à la place Syntagma. En réalité, certains groupes anarchistes n'interviennent que dans les assemblées locales.

Il est clair que la concentration quotidienne de gens à la place Syntagma crée un terrain prometteur pour les idées anticapitalistes et révolutionnaires. Cela ne veut pas dire que la conscience de ceux qui prennent une part active au mouvement va se porter vers la gauche d’une manière déterministe. L'intervention de la gauche anticapitaliste devrait se donner pour but de proposer nos idées aux gens, que ce soit lors des assemblées générales ou par des discussions interpersonnelles et, étant donné nos limitations, se tourner en priorité vers ceux qui peuvent être les convaincus comme les sans-emplois, les travailleurs précaires et la jeunesse. Pour éviter que l'extrême-droite ne profite de l'indignation générale pour « combler l'espace politique vide » nous devons nous donner comme priorité, entre autres, de casser l'esprit d'unité nationale et de consensus et nous battre contre tout réflexe patriotique ou raciste.

Le grand défi pour nous est l'unification de ce mouvement avec les luttes des travailleurs. Cela a commencé avec la grève du 4 juin quand la manifestation des syndicats s'est terminée à la place Syntagma. Cela doit encore être le cas lors de la prochaine grève générale où les gens indignés de la place Syntagma et les syndicats doivent s'unir et se battre ensemble. Cela introduit bien sûr un autre point essentiel d'intervention : populariser l'importance de l'unité de classe et d'indépendance. Nous devons dire qu'il ne faut pas blâmer les travailleurs qui ont un salaire décent, les travailleurs immigrés, le secteur public, etc. Nous devons nous battre contre la division des travailleurs entre, par exemple, Grecs et immigrés ou secteurs public et privé quand le gouvernement est justement en train d'essayer de créer cette division en trouvant un écho chez une part non-négligeable de la population grecque. Pointer la nécessité de la solidarité internationale et de la coordination des luttes (au moins en Europe) est peut-être un peu plus facile (mais crucial) puisqu’il devient de plus en plus apparent que tout le monde fait fondamentalement face aux mêmes problèmes (en particulier dans les pays sous la supervision du FMI — Irlande, Portugal et Grèce — ou sont menacé de cette perspective — État espagnol).

En même temps, il est important d'étendre la pratique des assemblées populaires dans les quartiers et de faire le lien avec l'assemblée centrale qui doit rester à la place Syntagma. Des cellules plus petites peuvent se maintenir plus facilement après un recul du mouvement (une possibilité que nous ne pouvons ignorer) mais favorise aussi l'organisation au niveau local et de l'espace de travail.

Au niveau des revendications immédiates ou transitoires, il est important de choisir celles qui peuvent être largement comprises aujourd'hui et peuvent mener à une première direction unifiée du mouvement de la place Syntagma comme :

• rejeter le Mémorandum, ses mesures et le gouvernement ;

• grève générale reconductible et blocage de la production (grèves, blocages des rues, occupations des bâtiments, etc.) ;

• refus de payer et annulation de la dette.

La question du pouvoir et d'un système politique et social alternatif  ne se présente plus comme une nécessité objective ni comme une question abstraite pour beaucoup de gens. Nous devons discuter en termes simples certaines idées de base d'une société (communiste) alternative et d'un système de pouvoir basé sur les assemblées. Même si pour le moment le plus urgent est d'obtenir au moins une victoire concrète qui donne confiance à la classe ouvrière et aux opprimés, nous ne pouvons pas éviter de donner des réponse à la question ; « Et puis après, quoi ? ». C'est une question récurrente dans les discussions mais aussi — bien que de manière élémentaire — dans les assemblées populaires de la place Syntagma. Au côté du devoir immédiat de mobiliser pour nos droits fondamentaux, il est important d'essayer de gagner une audience pour les idées révolutionnaires et communistes fondamentales.

Nikos Symeonides fait partie de la direction d'OKDE-Spartakos, section grecque de la IVe Internationale.

Publié dans International Viewpoint, IV Online magazine IV437 – June 2011. Traduit en français par Martin Laurent pour le site www.lcr-lagauche.be


Motion de l’assemblée populaire de la place Syntagma

Le 15 juin 2011, jour de grève générale contre les mesures d'austérité et privatisations, 200 000 manifestants ont répondu à l'appel des des syndicats et des « Indignés » et ont encerclé pacifiquement le Parlement à Athènes. La plus grande manifestation depuis la fin de la dictature des colonels.

Nous sommes des centaines de milliers de travailleurs, de chômeurs, d’étudiants, de retraités, d’immigrés à avoir encerclé le Parlement aujourd’hui et à avoir submergé la place Syntagma (1). Des milliers de grévistes ont réuni leurs voix, en affirmant qu’on ne décide plus pour nous, sans nous, que le « plan de moyen terme » (2) ne passera pas.

En même temps, dans de nombreuses autres villes grecques, des occupations des mairies et des bâtiments des conseils régionaux ont eu lieu. Ceci est un exemple d’action, une initiative qu’il faut élargir partout.

Le Parlement entouré de barrières de fer, Athènes assiégé par la police et les députés qui n’ont pu entrer au Parlement qu’accompagnés par les forces spéciales de la police ont prouvé que les dernières traces de légitimité sociale du gouvernement ont été perdues.

Les attaques policières meurtrières et la cruelle violence d’État n’ont pas fait plier les milliers de manifestants qui sont restés à Syntagma, parmi les gaz lacrymogènes. Aujourd’hui, les citoyens d’Athènes et de toute la Grèce ont écrit une page d’histoire grâce à leur détermination. C’est la première fois, depuis les Iouliana (3), que le peuple s’affronte au gouvernent. Il va de soi que nous resterons sur les places publiques jusqu’au départ définitif et le non-retour, sous quelque masque que ce soit, de tout ceux qui ont mené à l’impasse actuelle : FMI, mémorandum (4), troïka (5), UE, gouvernements, banques et tous ceux qui nous exploitent.

Le « plan de moyen terme » ne sera pas voté, quels que soient ceux qu’on ait en face de nous. On ne se laissera pas mener en bateau par les manœuvres du système politique et du gouvernement. Nous ne négocions pas et nous ne renégocions pas. Le vote de confiance au gouvernement, c’est un vote de confiance au mémorandum et au « plan de moyen terme ». La veille du vote de confiance au gouvernement, l’assemblée populaire de Syntagma devra demander à tous les syndicats, les bourses du travail, à la GSEE (6) et l’Adedy (7) de déclarer le jour du vote de confiance, jour de Grève générale, et, avec tous les travailleurs, nous encerclerons le Parlement en revendiquant la chute du gouvernement. Tous dans la rue ce jour-là pour le renverser !

Nous appelons tous les syndicats à organiser des grèves reconductibles.

Tous les jours, sur la place Syntagma, tous les soirs à l’assemblée populaire et le dimanche 19 juin tous dans la rue ! Solidarité avec les personnes blessées et arrêtées ; nous demandons leur libération immédiate.

Place Syntagma, le 15 juin 2011. Traduction et notes de Inprécor : http://orta.dynalias.org/inprecor

Notes

1 Syntagma = Constitution. La place Syntagma avec la place Omonoia marquent le centre ville d’Athènes. Le Parlement est situé à Syntagma, ainsi que le ministère des Fnances publiques. Depuis le 25 mai 2011, un rassemblement populaire massif y est maintenu.

2 « Plan de moyen terme ». Il s’agit de la cinquième tranche du plan de financement de la dette grecque par la « Troïka » UE-BCE-FMI (Union européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), qui impose des privatisations massives et contrôlées par les créanciers d’une énorme partie des actifs publics (sociétés, terres…). Ce plan était censé être voté au Parlement le 15 juin 2011, le jour où la grève générale a rejoint le rassemblement populaire à Syntagma.

3 Iouliana. Ainsi sont appelés les événements de juillet 1965, quand des manifestations populaires massives ont eu lieu à Athènes, pour dénoncer l’ingérence de la famille royale dans les « res publica » du pays. Cette période a marqué le début d’une longue instabilité politique qui aboutit au coup d’État militaire du 21 avril 1967.

4 Mémorandum. Le texte qui décrit le plan de financement de la dette grecque par le FMI, l’UE et la BCE, imposant des plans d’imposition de multiples mesures structurelles.

5 Troïka (carrosse russe à trois chevaux d’attelage), le trio UE-BCE-FMI.

6 GSEE. Confédération Générale des Ouvriers de Grèce : structure syndicale du niveau national qui regroupe les syndicats du privé.

7 Adedy. Administration supérieure des unions (syndicales) du public : structure syndicale du niveau national qui regroupe les syndicats du public.


Résolution de l’assemblée populaire de la Place Syntagma du 16 juin 2011

1. Cela fait un an que le pays est sous la coupe du Mémorandum (mesures d’austérité décidées par le gouvernement grec et la « troïka » UE-FMI-BCE, NDLR). Ils nous ont dit que ce Mémorandum était l’unique voie afin de réduire la dette. Ils nous ont dit que l’austérité et les nouveaux impôts étaient des sacrifices nécessaires afin de sortir le pays de la crise. Ils ont menti !

Chaque jour on approuve de nouvelles mesures pour réduire les salaires et augmenter les impôts. En même temps, la dette s’accroît, le chômage explose, la jeunesse émigre. Les nouveaux prêts sont destinés à payer les intérêts des prêts précédents et le déficit public de la Grèce et d’autres pays est exploité par l’Allemagne et des riches pays du nord.

Tout cela ne s’explique pas parce que l’essentiel de la dette publique serait provoqué par les salaires et les pensions, comme ils l’expliquent. Les coupables, c’est l’évasion fiscale, les subventions offertes au capital et les énormes dépenses d’armements.

Assez ! Le peuple va prendre la situation dans ses mains afin de rompre avec ce cercle vicieux ! Nous sommes déjà en faillite, quoiqu’ils en disent. Et ils continuent à adopter de nouvelles mesures d’austérité, ils se débarrassent des bons du Trésor grec qu’ils possèdent et vendent aux prix les plus bas possibles toutes les terres et les propriétés publiques.

Face à cela, nous disons :

  • Qu’ils s’en aillent avec leur Mémorandums, nous voulons être maîtres de nos vies !
  • Qu’ils n’osent surtout pas approuver le nouveau « plan d’austérité à court terme » !
  • Qu’ils s’en aillent tous ! Nous ne voulons pas de ce gouvernement du FMI ni de la troïka !

Aucune privatisation, ni vente de terres ou de propriété publiques ! Nous ne devons rien, nous ne vendons rien et nous ne payerons rien.

Rejet et annulation de la dette. Cette dette n’est pas la nôtre. Que l’on prenne des mesures pour la petite partie de la dette liée aux organismes de la sécurité sociale.

Nationalisation des banques. L’Etat, avec ses plans d’aide, à déjà payé les banques, très au-dessus de leur valeur financière, afin qu’elle puissent continuer à spéculer.

Que l’on montre au peuple les comptes de la dette, afin qu’il sache où à a été l’argent.

Redistribution radicale des richesses et modification des impôts au profit des travailleurs. Les plus riches doivent payer plus : les armateurs, les banquiers, le Capital et l’Eglise.

Nous voulons un contrôle populaire sur l’économie et la production.

Nous savons que le chemin que nous avons choisi est difficile et que nous allons affronter de nombreuses menaces et chantages. Ils nous parlent de risques de faillite et d’isolement du pays. Nous savons que nous allons connaître de mauvais moments, mais la voie qu’ils nous imposent au travers de ces Mémorandums successifs est encore pire. Notre peuple a répété plusieurs fois « NON » Et nous le dirons à nouveau !

Avec l’auto-organisation populaire et la démocratie directe partout, sur les places, dans les lieux de travail et d’étude, et sachant que c’est notre avenir que nous gagner.

2. Nous accusons les médias publics et privés de donner de fausses informations aux citoyens et d’occulter la répression sanglante de la part de la police.

3. Nous soutenons la manifestation de protestation qui sera faite par les immigrants syriens contre le massacre auquel se livre le régime contre son peuple et nous approuvons leur participation dans nos actions.

4. Nous traduirons toutes les pancartes de la place dans d’autres langues afin que notre appel ait un impact international.

5. Nous organiserons des journées contre la xénophobie et le racisme

6. Des journées d’informations sur le commerce alternatif et sur les réseaux et communautés d’échanges seront également organisées.

Place Syntagma à Ahtènes, jeudi 16 juin 2011

Source: http://real-democracy.gr . Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


Grèce : vers la grève générale et le blocage du Parlement

Les organisations syndicales grecques appellent à 48 heures de grève mardi 28 et mercredi 29 juin et les Assemblées populaires on décidé de nouveau de bloquer ces jours là les accès au Parlement. Les députés doivent voter le « Programme à moyen terme », un nouveau plan de privatisations massives et d'extrême austérité demandé par la troïka FMI-EU-BCE et soutenu par le gouvernement de Papandréou. Il prévoit notamment la baisse des allocations chômage et des salaires de la Fonction publique. Nous reproduisons ci-dessous l'appel de l'Assemblée du peuple de la place Syntagma.

Résolution de l'Assemblée du peuple du 22 juin 2011:

Appel à l'ensemble du pays à rejoindre la place Syntagma où se trouve le Parlement la semaine prochaine pour bloquer le «Programme à moyen terme»

Voilà un mois que nous occupons les places de notre pays, réclamant le droit de décider nous-mêmes pour nos vies. Fin juin, notre lutte est maintenant à un tournant. Ce gouvernement de tolérance sociale zéro a accepté le «Programme à moyen terme». Ce programme ne doit pas passer. Nous ne pouvons accepter le pillage de notre richesse sociale, nous ne sommes pas prêts à tolérer la dégradation du niveau de vie de la majorité de la population alors qu'une minorité s'enrichit par ses profits.

Les manœuvres médiatiques, le remaniement gouvernemental bidon et le chantage du gouvernement, du FMI et l'UE ne nous impressionnent pas. Nous savons bien maintenant que le dilemme n'est pas de choisir entre le mémorandum ou un défaut de paiement, car le mémorandum nous conduira avec une certitude mathématique à la dévastation sociale.

Durant les deux jours prévus pour discuter et voter le Plan à moyen terme au Parlement, les organisations syndicales appellent à 48 heures de grève. Durant ces deux jours, personne ne doit travailler, consommer, ni accepter la moindre entorse à la grève totale. Dès le matin du premier jour de la grève, nous nous rassemblerons place Syngtagma avec les assemblées populaires de tout le pays et de toutes les banlieues d'Athènes.

Le jour du vote, nous encerclerons le Parlement, pour signifier que ce Plan de moyen terme est rejeté par le peuple.

Cela fait un mois maintenant que nous démontrons, jour après jour, que d'autre solutions sont possibles et que nous avons les moyens de faire avancer la société vers une autre direction. C'est le moment maintenant de franchir la prochaine grande étape. C'est à notre tour maintenant d'intervenir, c'est à nous de parler!

C'est eux ou nous ! La varie démocratie maintenant !

Assemblée du peuple – Place Syntagma, 22 juin 2011

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