Milquet et l'emploi : une politique néolibérale à la sauce humaniste
Par Guy Van Sinoy le Samedi, 23 Juillet 2011 PDF Imprimer Envoyer

Depuis mars 2008, Joëlle Milquet est ministre de l'Emploi et de l'Egalité des chances. Et avec Joëlle sur la passerelle, il n’a pas fallu longtemps avant que son département tire ses premières salves contre les chômeurs et les travailleurs.

La contractualisation généralisée des chômeurs

Le 11 avril 2008, Joëlle Milquet présentait une note au Conseil des ministres relative à un nouveau plan d'activation des chômeurs. Alors que dans la réglementation précédente la contractualisation ne frappait que les chômeurs et chômeuses qui avaient une évaluation négative lors de leur premier entretien, la nouvelle formule est imposée à tous et à toutes dès les premiers mois de chômage (selon des tranches d’âge).

Les jeunes sortis de l'école sans emploi et qui commencent leur stage d'attente, sont ainsi contractualisés avant d'avoir touché leurs premières allocations! Avec la contractualisation, le droit aux allocations de chômage auquel a droit tout travailleur "privé de sa rémunération indépendamment de sa volonté" cesse d'être un droit puisque le paiement des allocations de chômage devient subordonné au respect d'un contrat que l'ONEm fait signer (le plus souvent, une obligation de solliciter un emploi auprès d'un certain nombre d’employeurs qui, d'ailleurs, ne proposent pas le moindre emploi). 

Contrairement à ce que beaucoup pensent, cette aggravation de la chasse aux chômeurs ne vise pas, en premier lieu, à faire des économies dans les dépenses publiques car les chômeurs exclus se tourneront vers les CPAS. Elle vise avant tout à terroriser les chômeurs et leur faire accepter n'importe quelles conditions de travail (flexible, insalubre, mal payé, intermittent) et accessoirement à faire baisser les statistiques de chômage. Cette politique de pression sur les chômeurs sert à faire pression sur les salaires car, pour maintenir des bas salaires, les patrons ont besoin d'un volant important de chômeurs prêts à accepter n'importe quoi.

"Bonus" à l'emploi pour les petits salaires

A partir d'octobre 2008, Joëlle Milquet a fait appliquer un "bonus" à l'emploi pour les bas salaires. "Bonus", me direz-vous, "ça ne peut qu'avoir du bon et c'est toujours ça de pris!". Pas du tout! En fait, les salariés payés au salaire minimum interprofessionnel (1.335,78€ brut par mois en mai 2008) reçoivent un supplément de 143€, sans augmentation de salaire. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une prime ou d'un supplément de salaire, mais d'une diminution des cotisations sociales à la sécurité sociale. Autrement dit, Milquet pique dans les caisses de la sécurité sociale pour donner une "dringuelle" aux petits salaires en leur faisant croire qu'il s'agit d'une augmentation de salaire! Et cela ne crée pas le moindre emploi!

Nouveaux cadeaux aux employeurs

En janvier 2010, de nouvelles mesures sont appliquées aux employeurs qui engagent des jeunes dans le cadre du plan ACTIVA: une partie du salaire est carrément prise en charge par l'ONEm (1.100 euros par mois, pendant 24 mois, par chômeur de moins de 26 ans engagé et qui n’a pas un diplôme secondaire supérieur. De plus, les cotisations sociales à la sécurité sociale sont baissées de 1.000 euros par trimestre, par jeune de moins de 26 ans engagé! Prenons un exemple pour bien comprendre. Si un employeur engage un jeune de moins de 26 ans sans diplôme du secondaire, à un salaire mensuel de 1.800 euros brut, combien devra-t-il payer?  C'est simple: 1.800 euros brut, cela correspond à 1.282,40 euros net. Cet employeur peut déduire 1.100 euros du salaire net équivalent à l'allocation versée au jeune. L'employeur ne paiera donc que 182,40 euros net par mois au jeune engagé, et ce pendant 24 mois! A ce prix là, engager des jeunes, cela coûte bien moins cher au patron qu'une délocalisation au Vietnam!

Rappelons quand même que l'argent de la sécurité sociale, alimenté par les cotisations sociales, c'est l'argent des travailleurs qui doit normalement servir à payer les pensions, les indemnités de maladie invalidité, les allocations familiales, les indemnités de chômage et les congés payés. Mais cela ne peut en aucun cas servir à payer les salaires. Sinon, cela s'appelle du vol pur et simple.

Le chômage économique pour les employés

En janvier 2009, l’encre de l’accord interprofessionnel 2009-2010 n’était pas encore sèche que la FEB lançait une nouvelle revendication : instaurer le chômage partiel pour raisons économiques chez les employés. Jusqu’à présent, cette mesure n’était possible que pour les ouvriers. Malgré les protestations des organisations syndicales, la ministre Milquet s’est pliée aux exigences du monde patronal et a instauré la mesure, d’abord « à l’essai » pour une période déterminée, avant de la rendre définitive dans le cadre de l’accord interprofessionnel 2011-2012. C’est sans doute sa façon de concevoir l’harmonisation des statuts ouvriers-employés : en alignant le tout par le bas ! 

Bien entendu, cette mesure a été habillée d’un discours fallacieux sur « la nécessité de sauver des emplois en période de crise ». Avec une explication de ce type, on pourrait tout aussi bien proposer de diminuer les salaires de moitié pour  « sauver l’emploi ». Il s’agit en réalité d’une mesure qui permet de rendre plus flexible l’emploi des appointés tout en faisant supporter le coût par la sécurité sociale.

L’extension du travail étudiant

Jusqu’à présent, les étudiants pouvaient travailler comme salariés pendant au maximum 23 jours pendant le troisième trimestre (de juillet à septembre inclus) et 23 autres jours pendant le restant de l’année. Pendant ces deux fois 23 jours maximum, les employeurs payaient des cotisations sociales extrêmement réduites. Ainsi, les étudiants qui travaillaient pendant les mois d’été étaient mis en concurrence avec les autres travailleurs. Quiconque a déjà travaillé comme intérimaire sait très bien qu’en été il est difficile de trouver une « mission » (c’est comme ça qu’on dit dans les boîtes d’intérims) car les étudiants passent avant tout le monde puisqu’ils ne coûtent quasi rien en cotisations sociales.

Désormais, à partir de janvier 2012, les étudiants pourront travailler 50 jours par an. De plus, la durée de leur contrat, qui était limitée à 6 mois, pourra désormais être portée à un an. On voit tout de suite l’avantage qu’en tireront les grandes surfaces qui pourront désormais, par exemple, employer des étudiants pendant un an, le samedi jour de grande affluence des clients. Et bien entendu sous le régime des cotisations sociales symboliques.

Prétendre qu’il s’agit d’une mesure sociale destinée à permettre aux étudiants, qui en ont besoin, de travailler plus longtemps est de la vaste blague. Si l’on voulait vraiment prendre des mesures sociales en faveur des étudiants qui peinent à joindre les deux bouts, on instaurerait un régime de bourses d’études permettant de vivre décemment.

Un détricotage continu des acquis sociaux

On le voit, la politique menée par Milquet au Département de l’Emploi consiste à détricoter progressivement la réglementation du travail, jugée trop rigide, pour imposer plus de flexibilité et une baisse du coût salarial. A chaque fois, on vise des groupes de travailleurs isolés les uns des autres : les chômeurs, les jeunes de moins de 26 ans, les bas salaires, les étudiants qui travaillent. Et la riposte n’est donc pas facile à organiser. 

Les seules mesures qui ont touché globalement un groupe de travailleurs sont l’extension du chômage économique aux employés et la diminution de la durée de leurs préavis. Cette fois, les employés et leurs centrales syndicales (SETCa, CNE, LBC, CGSLB) se sont opposées à ces mesures. Mais le rabotage de la durée des préavis est passé globalement avec l’Accord interprofessionnel imposé par le gouvernement en affaires courantes.

Et demain ?

Le plan d’austérité qu’on nous promet se traduira par une attaque brutale contre les conquêtes sociales. Joëlle Milquet qui a détricoté sournoisement des acquis sociaux depuis quelques années, aura-t-elle le bon profil lorsqu’il s’agira de mener des attaques néolibérales dures ? Le fouillis inextricable des négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement ne permet pas de le prédire. Mais une chose est certaine : le CDH pèse aujourd’hui relativement peu et le profil humaniste de sa présidente sera un handicap pour mener des attaques à la hache.

Si la bourgeoisie estime qu’il faut un autre casting pour mener des attaques dures, elle n’hésitera pas une seconde avant de chasser Milquet d’un coup de pied. Quelle ingratitude !


Y a-t-il une vie après l’AIP ?

Le projet d’accord interprofessionnel 2011-2012, majoritairement rejeté par les organisations syndicales - parce qu’il contenait notamment un rabotage de la durée des préavis pour les appointés et une norme salariale correspondant quasiment à un blocage des salaires (maximum 0,3% d’augmentation du coût salarial en 2012, hors index) - a finalement été imposé par le gouvernement en affaires courantes.

Comment la situation dans les secteurs et dans les entreprises où se négocient des accords a-t-elle être vécue ?

L’AIP imposé par le gouvernement a, dans l’ensemble, verrouillé les négociations dans les secteurs et les entreprises. Malgré tout, un certain nombre de conventions ont été signées incluant un dépassement de la norme dans certains secteurs ou entreprises à la fois florissants et syndicalement forts.

Ainsi, chez Evonik Degussa (dans la chimie, à Anvers), malgré la norme salariale imposée par l’AIP et l’accord sectoriel dans le secteur de la chimie, l’accord d’entreprise inclut une hausse de salaire de 1,2% en 2011 et de 1,8% en 2012.

Ailleurs, des délégations syndicales - en mobilisant le personnel et souvent en s’appuyant sur la menace de préavis de grève -  ont réussi à « compléter » la norme salariale par d’autres avantages (frais de déplacement, éco-chèques, assurance hospitalisation, etc.) ou par l’amélioration du statut des ouvriers (préavis, jour de carence).

On peut donc dire que l’action directe des travailleurs a parfois permis de débloquer la situation. Mais, globalement, les travailleurs paient très cher le refus des directions syndicales de mener un vrai combat contre l’AIP.

Voir ci-dessus