État espagnol : victoire de la droite, horizon de crise majeure
Par Lluís Rabell le Dimanche, 27 Novembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Attendue, la défaite du Parti socialiste (PSOE) n’a pas été pour autant moins cinglante. Le système électoral espagnol, très éloigné de la proportionnelle, projette des images déformées… qui conditionnent tout de même fortement la réalité !

En nombre de sièges, les élections générales du 20 novembre auront vu une « victoire historique » du Parti populaire (PP), la droite conservatrice de matrice franquiste. Le PP passe de 153 députés, obtenus lors des élections de 2008, à 186 sièges, une majorité absolue écrasante.

Certes, la droite a galvanisé et mobilisé son électorat traditionnel – qui entraîne indiscutablement aussi des couches populaires. Cependant, on est loin du raz-de-marée « bleu » : le PP progresse seulement d’un peu plus de 600 000 voix à l’échelle de toute l’Espagne. Non, le basculement à droite de la majorité parlementaire est dû à l’effondrement, sans appel et lourd de conséquences, du PSOE. En termes d’élus l’échec socialiste est cuisant : 169 sièges en 2008, 110 seulement en 2011. Mais c’est surtout lorsque l’on compare le nombre de voix recueillies, qu’il est possible de mesurer toute l’étendue du désastre : le PSOE vient de perdre plus de 4 millions de voix par rapport à la précédente échéance électorale !

Ainsi, la crise économique qui secoue toute l’Europe balaye un autre gouvernement. Cette fois-ci, social-libéral. Zapatero paye le prix de ses promesses non tenues et de son alignement sur les injonctions des marchés financiers et des institutions de l’Union européenne. Avec 5 millions de chômeurs, le marché immobilier ravagé et les banques soutenues par la manne d’argent public, les mesures d’austérité qui se sont succédé depuis mai 2010 (gel des pensions, réductions salariales dans la fonction publique, coupes budgétaires, contre-réforme des retraites…) n’ont fait que provoquer la désaffection de l’électorat de gauche, tandis que le pays s’installait dans la récession et que la situation sociale se dégradait à vue d’œil. Les deux « greniers » traditionnels de voix socialistes, l’Andalousie et la Catalogne, sont passés à droite. En Catalogne, décisive dans les deux victoires de Zapatero, les socialistes sont battus par la droite nationaliste (CiU), qui arrive en tête avec un discours mêlant les appels à la souveraineté catalane en matière fiscale… à des relents populistes contre l’immigration. Au printemps, CiU avait déjà ravi aux socialistes la mairie de Barcelone, fief de la gauche depuis plus de 30 ans, après avoir conquis aussi le gouvernement régional – que détenait la gauche plurielle. La Generalitat est désormais au premier rang des attaques néolibérales contre les services publics.

Izquierda Unida (IU), coalition autour du PC, fait un important bond électoral, passant de deux à onze députés, avec une progression nette de plus de 700 000 voix. Avec un discours critique et antilibéral, IU recueille une partie des voix socialistes (néanmoins, une autre partie, notable surtout à Madrid, glisse vers des options droitières). L’impact du mouvement des IndignéEs a favorisé également la remontée d’IU, qui apparaît ainsi comme le « vote utile » à la gauche du PSOE. La tentative de lancer un projet « vert », inspiré par l’exemple d’Europe Écologie, a fait long feu. Mais la pression du « vote utile » s’est fait également sentir parmi les secteurs auxquels s’adressait la candidature « Anticapitalistes », promue, aux côtés d’autres forces et activistes, par l’organisation de la ive Internationale dans l’État espagnol. Une campagne osée, appelant à la désobéissance et ponctuée d’occupations symboliques de banques, Bourses et sièges ministériaux – ce qui a coûté une inculpation judiciaire à notre tête de liste pour Barcelone, Esther Vivas1 –, a permis cependant de populariser un programme alternatif et de réaliser une sensible percée militante. « Anticapitalistes » a rassemblé près de 25 000 voix dans les quelques provinces où la candidature a pu se présenter, surmontant les restrictions imposées par la loi électorale.

Victoire, donc, d’une droite appelée à redoubler d’attaques antisociales. Pourtant, ces dernières semaines ont vu d’importantes mobilisations de l’école publique à Madrid, une grève générale des universités à Barcelone… Sur le plan électoral, Amaiur, la candidature de la gauche indépendantiste basque, fait irruption avec un groupe au Parlement espagnol. De son côté, le mouvement du 15-M n’a pas dit son dernier mot. Au rythme saccadé de la crise internationale, un scénario d’intenses conflits sociaux et politiques se profile à l’horizon. La nouvelle configuration d’une gauche de combat sera, plus que jamais, à l’ordre du jour.

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