On solde !
Par Freddy Mathieu le Mercredi, 11 Janvier 2012 PDF Imprimer Envoyer

« Prépensions : liquidation totale », « Travailleurs au rabais », « Jeunes Chômeurs : tout doit partir ! », « -50% sur les pensions » ; ce 3 janvier avec l’ouvertue des soldes, le gouvernement du papillon bleu, aurait pu installer ces affichettes dans sa vitrine...

Le contrat déchiré

On glisse, au fil du temps, d’un système d’assurance sociale vers un système d’assistance ; les allocations baissent et perdent leur liaison avec les salaires. De nombreuses allocations sont au minimum, dans des montants forfaitaires et il est difficile d’en bouger.

A titre d’exemple, aujourd’hui en moyenne, les pensionnés perçoivent seulement 32% du salaire moyen et les travailleurs qui tombent en chômage ne touchent que 26% de ce salaire moyen.

Dans le présent article nous essaierons de retracer les évolutions récentes sur trois thèmes qui constituent les attaques les plus flagrantes contre le caractère solidaire de la Sécurité Sociale : les prépensions, les pensions, et le chômage des jeunes. Et surtout de comprendre « le pourquoi et le comment » afin de mieux combattre cette offensive d’austérité. [1]


LES MESURES DE FINS DE CARRIERE

Les prépensions

Depuis 2005, ce sont surtout les systèmes de prépension qui sont en ligne de mire. Et déjà toute une série de dispositions furent prises pour en durcir les conditions d’accès.

Aujourd’hui, rebelote :

  • A partir de 2015, l’âge de la prépension à 58 ans passera à 60 ans. Mais il faudra avoir 40 ans de carrière.
  • La prépension à 60 ans (CCT17) reste mais elle pourrait passer à 62 ans à partir de 2020 et il faudra aussi 40 ans de carrière.
  • Dans les secteurs du métal et du bâtiment, ou pour ceux qui travaillent en équipes : les dérogations à 56, 57 ou 58 ans disparaîtront.
  • Les périodes de prépension compteront pour le calcul de la pension mais les périodes de prépension avant 60 ans ne seront assimilées que sur la base du droit minimum et non sur base du dernier salaire gagné.

Commentaire syndical  « Le gouvernement a unilatéralement décidé de relever les limites d’âge et les conditions de carrière requises pour la prépension sans tenir compte de la pénibilité du travail ou de l’âge auquel les personnes concernées ont commencé à travailler.[2]»

Les pensions

  • Les mesures sur les prépensions auront une influence (négative) sur le calcul des pensions
  • La pension va continuer à décrocher des salaires : les adaptations au bien-être seront automatiques mais l’enveloppe globale pour toutes les allocations sociales sera amputée de 40 %.
  • La pension anticipée à 60 ans n’est possible que si on a 40 ans de carrière (au lieu de 35 ans aujourd’hui). Dès 2016, il faudra 42 ans de carrière pour prendre sa pension à 60 ans (41 à 61 ans et 40 à 62 ans).
  • Le calcul de la pension dans le secteur public se fera désormais sur la base du traitement des 10 dernières années de carrière (contre les 5 dernières années dans la plupart des cas).
  • Plusieurs « régimes spéciaux » du secteur public sont modifiés
  • Les régimes spéciaux du secteur privé (marins, mineurs, journalistes, personnel navigant de l’aviation civile) seront progressivement alignés sur le régime général.
  • Incitants à travailler plus longtemps (carrière plus longue ou au-delà des 65 ans) et à cumuler travail et pension


LES MESURES « CHÔMAGE » (des jeunes en particulier)

  • Dégressivité plus rapide des allocations (à l’exception de la première période -3 premiers mois -où les taux d’indemnisation sont légèrement augmentés)
  • Contrôles accrus, exclusions plus faciles
  • Durcissement des critères de l’emploi « convenable »
  • Le stage d’insertion (ex-stage d’attente) passe à 12 mois avec des contrôles de la recherche active d’empli tous les 4 mois, l’indemnisation ne sera possible qu’en cas de contrôle positif.
  • Limitation de l’indemnisation à 3 ans pour les plus de 30 et les cohabitants « non-privilégiés »


Pour plus de détails n’hésitez pas à consulter les sites syndicaux…[3]

Mais l’essentiel n’est pas dans la technicité de ces mesures.


Pourquoi un tel acharnement contre les prépensionnés ?

Parlons d’abord des chiffres : qui peut penser que le colossal « défi du financement de la sécu », le sort de millions de travailleurs, pourraient être sauvés en prenant des mesures sur 116.000 prépensionnés, à peine 8% de la tranche d’âge des 50 à 64 ans ? Et qu’à lui seul, le maintien à l’emploi de l’ensemble des prépensionnés (hypothèse d’école !) parviendrait  à faire passer le taux d’emploi des plus de 55 ans de 28,1% aux 50% prévus par Lisbonne[4]. Actuellement, 70% des prépensionnés ont plus de 60 ans.

De plus il faut rappeler que les prépensions « coûtent en moyenne 500€/mois de moins à l’Etat qu’un chômeur âgé car il y a paiement de cotisations sociales ».[5] Or, un travailleur de plus de 55 ans qui perd son emploi devient « chômeur âgé ». Où sont les économies projetées ?

Parlons aussi des aspects « qualitatifs » : la prépension est une sortie « en douceur » du travail (de plus en plus éreintant) ; elle fut conçue pour favoriser l’emploi des jeunes –mais les embauches compensatoires étaient difficilement contrôlables- ; en cas de restructuration, elle permet d’éviter les licenciements secs.  Economies ou recul social ?


Un peu d’histoire

2005, Le « Pacte de Solidarité entre les Générations »… qui n’avait rien d’un pacte ni rien de solidaire puisqu’il a été imposé[6] aux travailleurs malgré l’opposition de leurs organisations syndicales[7]. Le premier ministre de l’époque, Guy Verhofstadt tenait le discours suivant : « La mondialisation et le vieillissement. Ces deux évolutions mettent la pression sur notre économie et notre prospérité.»[8]

Le premier ministre d’aujourd’hui, Elio Di Rupo, s’appuyant lui aussi sur « les défis du vieillissement » tient un message assez semblable : « Nous pouvons garder confiance en l'avenir. (…) 2012 sera une année déterminante. Nous devrons transformer les difficultés en nouvelles opportunités. Il est fondamental de poser les fondations pour des lendemains meilleurs. Le gouvernement y travaillera sans relâche, avec la ferme volonté de réussir"[9] nous dit-il dans ses vœux pour 2012...


Discours idéologique et battage médiatique

Les discours dominants sont sensés nous convaincre du caractère « profitable » et « inéluctable » des mesures à prendre. Experts et médias sont appelés à la rescousse pour dramatiser la situation et ensuite exhorter les responsables à prendre  les « décisions courageuses »…

La presse : « Fermer l’autoroute des prépensions »[10], « La chasse aux prépensions est ouverte »[11], « Halte aux dérives. Le gouvernement veut lutter contre les pseudo-prépensions »[12]

Les gouvernements : 2004/2005 « Davantage de travail ou moins de prospérité ! Tel est le choix que nous devrons opérer, les prochaines années, dans notre pays. En la matière, le Conseil supérieur de l'emploi n'a pas laissé planer de doute non plus. Dans son récent rapport, il mentionne que pour maintenir notre prospérité actuelle et compenser, en même temps, les coûts liés au vieillissement, le taux d'activité devrait croître drastiquement. Selon les objectifs européens, pas moins de deux tiers des personnes âgées de 55 ans à 65 ans devront être actives d'ici 2030.[13] »

2011/2012 « À cause de la faible croissance économique, du vieillissement en hausse, du taux d’emploi bas et du taux d’endettement élevé des dernières années et même des dernières décennies, ce modèle dans sa capacité actuelle est devenu impayable. Dans plusieurs pays, les pensions sont réduites d’un tiers, voire de moitié. Les réformes des pensions sont également urgentes dans notre pays. [14]» Vincent Van Quickenborne, vice-premier ministre et ministre des Pensions.

Les patrons : «Selon l'étude 2004 de la Commission sur le vieillissement, à politique inchangée, le coût du vieillissement entraînera à moyen terme (2030) un coût supplémentaire de 3,8 pc du PIB tant pour les soins de santé que pour les pensions. Les retombées seront lourdes pour la sécurité sociale ». Pieter Timmermans, directeur général de la FEB.[15]

C’est précisément la FEB qui a lancé la charge en publiant dès juillet 2004[16] son Masterplan en 9 points, « Pour une fin de carrière plus active ». Pourquoi un tel acharnement contre les prépensionnés, nous demandions-nous ? Les réponses  à cette question (et bien d’autres) se trouvent dans ce document : suppression des prépensions, diminution des assimilations dans le calcul de la pension, interdiction des versements de toute pension complémentaire avant l’âge de la retraite, autoriser le travail de manière illimitée après l’âge normal de la pension (65 ans), verrouiller les voies alternatives par un contrôle performant des cas de maladie et d’invalidité et de la disponibilité des chômeurs âgés, démantèlement des barèmes liés à l’âge, réduction des délais de préavis, réduction des coûts salariaux… Le catalogue des horreurs, assorti d’un calendrier : pour les prépensions la note exigeait carrément de « d’ici à 2010, il ne doit plus exister de pseudo-systèmes de sortie du marché du travail avant l’âge de la pension (65 ans) ».

Les patrons veulent, tout simplement, reprendre le pouvoir absolu dans les entreprises (la « dictature du patronat » ?) «Retrouver le contrôle des licenciements : en raison notamment de la culture de départ anticipé, les entreprises ont en grande partie perdu le contrôle des licenciements. En cas de restructuration, les licenciements sont souvent purement linéaires et fondés uniquement sur des mécanismes liés à l'âge et pas sur des critères plus appropriés tels que les aptitudes, la compétence, le comportement, la performance, etc.[17]».

« Il faut aussi que les entreprises puissent maintenir l'expérience et l'expertise en interne au prix normal du marché.»[18] note le responsable du département social à la FEB. Revoilà le marché : «à relativement court terme, des tensions apparaîtront sur le marché du travail en raison de l'entrée d'un moins grand nombre de jeunes, avec pour conséquence des tendances salariales inflatoires  et une dérive salariale résultant des pénuries. »[19]. Les patrons ne peuvent  le supporter.

Tactiquement, dans son Masterplan de 2004, la FEB n’abordait pas de front la problématique des pensions. Elle revendiquait même un statuquo pour l’âge de départ à 65 ans, laissant au PS le loisir de prétendre « que le pire avait été évité ». Le patronat avait pourtant placé ses pièces sur l’échiquier : la FGTB wallonne a relevé 27 points sur lesquels la déclaration gouvernementale de Verhofstadt reprend les revendications du Masterplan.[20]

Fin 2011, 541 jours nous séparent de la démission du Gouvernement Leterme II. Tout le monde savait que les plans d’austérité étaient en veilleuse : la note Di Rupo  du 4 juillet en traçait les contours. Dès la mise en place du gouvernement Papillon 1er, en moins de temps qu’il n’en faut pour envoyer des F-16 en Libye, sans aucune concertation, sans débat parlementaire sérieux, la réforme des pensions est emballée. Et tout le lent travail de sape du patronat est récompensé, le « pacte des générations bis » qu’il appelait de ses vœux est sur les rails.


Sur fond de crise…

Le thème du vieillissement a servi d’épouvantail, l’aile « financière » du patronat s’en servant pour ses campagnes de pub pour des pensions complémentaires, des assurances-groupes, l’épargne-pension…

Les Fonds de pension spéculaient. La bulle financière s’enflait… et la crise bancaire a éclaté. En moins de temps qu’il n’en faut pour changer une roue en formule 1 on trouva les milliards qu’il fallait pour sauver les banques. Vous savez ces milliards qu’on ne pouvait pas trouver depuis des années pour rehausser les petites pensions. Mais le(s) gouvernement(s) avaient d’autres chats à fouetter. Ils négociaient. En somme cette longue période de pseudo vide gouvernemental avait quelque chose de pratique : coincée entre la main de fer de l’Union Européenne et le pouvoir occulte des agences de notation (ou l’inverse), entre le roi et le marché-roi, en « pouvoirs spéciaux feutrés », la Belgique s’en sortait mieux que ses voisins… Qui oserait s’opposer au gouvernement qui sortirait de cette  « longue et pénible » crise, au risque de devoir tout recommencer ?


Que veut le patronat ?

Des gens qui travaillent plus, plus longtemps. Plus flexibles aussi. Ils appellent cela « relever le taux d’emploi ». Cela consiste à mettre en concurrence entre eux plus de travailleurs pour faire baisser les coûts du travail, et augmenter le taux d’exploitation et …les profits !

Ils veulent des travailleurs qui coûtent moins chers : ils ne se contentent plus d’avoir miné la santé financière de la Sécurité Sociale en empochant des dizaines de milliards de réductions de cotisations (c’est votre salaire indirect !), ils proposent que les « vieux de demain » paient dès aujourd’hui le coût de leur vieillissement : qu’ils travaillent plus pour de moindres salaires et de moindres pensions ; ils veulent que les travailleurs se décarcassent en se finançant eux-mêmes des assurances, des pensions complémentaires,… dans leurs organismes financiers. Ainsi ils pourront mettre la main sur des masses de fric pour relancer la machine de la spéculation.

Ils veulent précariser à outrance les jeunes pour faire baisser le coût du travail. Les allocations de chômage ne sont conçues que comme un complément, financé par les travailleurs eux-mêmes,  qui rend plus « digeste » les salaires de misère et la précarité.

Ils veulent des citoyens qui paient sans contrôler la dette de l’Etat, résultat de tout ce gâchis.


La FEB a totalement raison quand elle déclare « à politique inchangée, le coût du vieillissement entraînera à moyen terme (2030) un coût supplémentaire de 3,8 pc du PIB tant pour les soins de santé que pour les pensions. Les retombées seront lourdes pour la sécurité sociale ». [21]

En effet il faut stopper cette politique d’austérité.



Sauver les banques ou les pensions ?

Le coût du sauvetage de DEXIA & Cie =17,6 milliards d’euros

La Cour des comptes vient de calculer le coût net : 17,6 milliards d’euros. Ce montant risque à tout moment d’être considérablement alourdi par l’ensemble des garanties offertes par l’État belge aux institutions financières.

« Il fallait sauver les petits épargnants »… Et les 2 millions de pensionnés ils ne méritent pas d’être soutenus?


La fraude fiscale = 45 milliards d’euros

Dont des recettes non perçues de 20 milliards  : ce que cela représente et ce que l’on pourrait en faire selon la FGTB :

Sur la base de 20 milliards de recettes non perçues, la fraude coûte, en fait, 150€/mois à chaque citoyen (= 600€/mois pour une famille de 4 personnes).

Avec 10 milliards, on pourrait déjà rencontrer la proposition FGTB d'augmenter les pensions d'un quart en relevant progressivement le pourcentage de calcul de 60 à 75% du salaire promérité pour les travailleurs du secteur privé (coût, 2,4 milliards) et on pourrait aussi payer les pensions de demain (avec les 7,6 milliards qui restent).




[1] Nous ne reviendrons pas dans le détail des mesures qui ont déjà été évoquées dans ces colonnes : Céline Caudron : « Les chômeurs-euses en ligne de mire »  et Peter Veltmans : « Un réel appauvrissement des pensionnés, des travailleurs et des chômeurs » La Gauche n°55

[2] . Communiqué de Presse du Front Commun FGTB/CSC/CGSLB assorti d’un cahier de revendications adressé au nouveau gouvernement et au patronat. 14/12/2011

[3] Les organisations syndicales proposent sur leurs sites des modules d’aides pour les calculer. Consulter notamment le site http://www.lesconsequences.be/ (CSC), http://www.fgtb.be cliquer sous « Budget 2012, qu'est-ce qui m'attend? » et www.jugezparvousmeme.be

[4] Sommet des Chefs d’Etat à Lisbonne, 23 et 24 mars 2000

[5] Selon Thierry Bodson de la FGTB Wallonne (lors de sa rentrée politique, le 15/09/21011)

[6] Loi du 23 décembre 2005

[7] Notons néanmoins au passage qu’à la différence du plan d’austérité actuel du socialiste Di Rupo, les mesures du Pacte des Générations furent précédées d’une longue concertation dans laquelle les partenaires sociaux n’étaient pas parvenus à un accord en matière de fin de carrière. Le gouvernement avait donc décidé seul.

[8] Le 11 octobre 2005, le Premier ministre Guy Verhofstadt dans sa déclaration de politique fédérale prononcée au Parlement (http://premier.fgov.be/fr/politics/declaration_pol_fed.html) :

[9] Belga. 01/01/2012

[10] Le Soir, 10 juin 2005.

[11] La Libre Belgique, 10 juin 2005.

[12] La Dernière Heure, 10 juin 2005.

[13] Déclaration de politique générale du Premier ministre Verhofstadt op cit.

[14] DOC 1964/003 Chambre des représentants de Belgique.

[15] http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/175152/fin-de-carriere-la-feb-ouvre-le-debat.html

[16] Masterplan FEB http://vbo-feb.be/media/uploads/public/_custom/files/fr_masterplan_feb.pdf

[17] Masterplan FEB p12

[18] http://www.lalibre.be/economie/actualite/article/175152/fin-de-carriere-la-feb-ouvre-le-debat.html

[19] Masterplan FEB p10

[20] Vieillissement, fins de carrière et pensions : Choisir la Solidarité ou Subir la « Pensée Unique » - p41 à p46 -CEPAG : http://www.cepag.be/sites/default/files/publications/04-12_-_vieillissement_fins_carriere__pensions.pdf

[21] En 2004, le Comité d’étude sur le vieillissement a indiqué que le coût économique du vieillissement sera, dans 25 ans, équivalent à 3,4% d’un PIB qui sera alors passé d’une valeur actuelle de 100 à une valeur de 142,8 (avec un rythme de croissance annuelle moyen de 1,5%). Ce coût qui nous est présenté comme argument justifiant les mesures radicales représente moins, en termes de PIB, que les décisions gouvernementales prises en cinq années pour réduire les cotisations sociales et financer la dernière réforme fiscale !

Les réductions de charges sociales sont passées de 756 millions d’euros en 1994 à 4 milliards d’euros en 2004 et à plus de 8 milliards d’euros en 2011


Voir ci-dessus