Inde: solidarité avec les travailleurs grévistes des cimenteries du groupe Holcim!
Par V.R. Chandrachud le Vendredi, 27 Janvier 2012 PDF Imprimer Envoyer

Les ouvriers de la cimenterie ACC-Holcim dans l'État indien de Chhattisgarh, mènent depuis le mois d'avril dernier une action de protestation non-stop avec occupations de sites. Ils protestent entre autres contre la surexploitation, les salaires de misère qu'ils touchent et l'absence de contrats fixes. L'employeur, lui, c'est le groupe suisse Holcim, un des leaders mondiaux du ciment et qui exploite même de nombreux sites en Belgique, notamment à Obourg. LCR-Web


Les travailleurs des cimenteries de Chhattisgarh subissent depuis des années une  situation d’extrême injustice et de surexploitation. Depuis le début des années 1990, ils se sont organisés et luttent pour obtenir leurs droits le plus élémentaires, malgré la répression.

L’Inde est le deuxième producteur mondial de ciment après la Chine. Le secteur y connaît une progression annuelle de 11%, ce qui a poussé les principaux producteurs de ciment au monde à réaliser des investissements et des acquisitions considérables, parmi lesquels un des trois géants du ciment, le groupe helvétique Holcim, contrôlé par Thomas Schmidheiny.

L’État de Chhattisgarh, dans le centre de l’Inde – État créé en 2000 à partir de districts du Madhya Pradesh – est très riche en ressources minières. Une politique industrielle et d’exploitation minière a été lancée par le gouvernement, sans aucune politique de soutien à l’agriculture familiale, la contribution du secteur agricole à l’économie de l’Etat étant considérée comme marginale. Environ un tiers de la population du Chhattisgarh est composé d’adivasis (indigènes), traditionnellement opprimés, mais ayant une longue tradition de résistance à l’égard de la culture et la domination hindoues. Les populations locales ont dû se mobiliser et s’unir rapidement pour résister aux entreprises qui usurpent leurs terres collectives et leurs ressources (richesses minières, eau).

L’industrie du ciment est en pleine expansion dans cet État, notamment en raison des importants dépôts calcaires qui s’y trouvent. Outre ces richesses minières, les transnationales peuvent compter sur le soutien de la bureaucratie étatique et de groupements acquis à la politique néolibérale pour obtenir des conditions d’exploitation et de production qui leur permettent de réaliser un maximum de profits.

La production actuelle de ciment dans cet État est de 13,5 millions de tonnes environ. On s’attend à ce qu’elle atteigne 100 millions de tonnes par année avec la construction des nouveaux centres de production qui sont prévus.

Dans le seul État de Chhattisgarh (20 millions d’habitants), on estime que l’industrie du ciment emploie quelque 11’000 travailleurs, dont seulement 10% ont des contrats à durée indéterminée (CDI), alors les autres sont des temporaires embauchés qui peuvent être renvoyés à tout moment et qui reçoivent des salaires nettement inférieurs.

Holcim est devenu depuis une vingtaine d’années un des principaux groupes internationaux produisant du ciment en Inde, en acquérant une participation majoritaire dans  Associated Cement Company – ACC et Ambuja Cements. Holcim n’a pas tardé à dénoncer la convention collective de travail indienne de la branche dans ces filiales, tout en profitant à fond des conditions d’engagement et de salaire pratiqués dans la région, et notamment en maintenant une majorité de travailleurs temporaires.

Les agriculteurs locaux ont également des griefs à l’égard de Holcim, qu’ils accusent de n’avoir pas compensé correctement ceux et celles qui ont perdu des terres au profit des activités de la multinationale. Les emplois locaux qui avaient été promis ne se sont pas non plus concrétisés. Les liens de solidarité entre ces villageois dépossédés et les travailleurs surexploités des cimenteries se tissent donc assez naturellement.

On peut considérer que la lutte contre le travail contractuel (temporaire) a commencé en 1990 sous la direction du leader ouvrier Shankar Guha Niyogi, fondateur du parti politique Chhattisgarh Mukti Morcha (CMM). Après son assassinat en 1991, les travailleurs des usines de ciment des régions de Bhilai et de Durg ont organisé une série de manifestations qui ont culminé lorsque la police a ouvert le feu sur les manifestants en 1992. Le nouveau syndicat s’est affronté aux problèmes du travail manuel temporaire «réservé» aux «indigènes». Les travailleurs du secteur mécanisé venant, souvent, du dehors du Chhattisgarh, avaient un statut de travailleurs «stables» et étaient organisés par un syndicat fort conciliant.

Le syndicat  Pragatisheel Cement Shramik Sangh, associé au parti politique CMM, mène la lutte pour que le statut des travailleurs temporaires soit régularisé, et pour qu’ils obtiennent un salaire normal, la couverture du fonds de prévoyance et un équipement de sécurité correct. Mais cette résistance de la part des travailleurs (et des agriculteurs qui les soutiennent) a entraîné une vague de répression et de harcèlement: plusieurs dizaines de militants syndicaux ont été licenciés, des procédures judiciaires ont été entamées à l’égard de 20 travailleurs et agriculteurs accusés d’être des «éléments criminels».

Après une longue lutte pour leurs droits et une interminable procédure devant les tribunaux de l’État de Chhattisgarh, des travailleurs contractuels des cimenteries Associated Cement Co. (ACC) et Ambuja Cement, du groupe Holcim, ont réussi à obtenir, en mars 2011, un accord à un niveau national entre les usines de ciment indiennes et les syndicats. Cet accord limite le recours aux travailleurs temporaires, en nombre et en affectation et leur attribue un salaire égal à celui des travailleurs fixes.

Mais  les principales entreprises du secteur (Holcim, mais aussi le français Lafarge et l’indienne Ultratech) refusent dans les faits d’appliquer les accords tripartites (entreprises, états, syndicats).

En conséquence, des centaines de travailleurs temporaires d’une des filiales indiennes de Holcim, l’Associated Cement Co. Ltd (ACC) et leurs sympathisants organisent une «dharana», une grève continue, dans la zone industrielle de Bhilai, devant la statue de Shankar Guha Nioygi, assassiné en 1991.

Le 13 avril 2011 un groupe de travailleurs temporaires d’ACC-Holcim a entamé une grève  indéfinie pour exiger la régularisation de leur situation conformément aux dispositions légales. Le 1er mai, une grève a été organisée dans tout le district industriel de Bhilai, en solidarité avec la lutte des travailleurs de ACC-Holcim, avec les mots d’ordre suivants:

- non au travail temporaire;
- pour le droit de s’organiser;
- pour un salaire permettant de vivre;
- pour une sécurité sur la place de travail;
- pour la journée de travail de 8 heures;
- pour le respect des «valeurs socialistes» de la Constitution.

Par cette grève, les travailleurs contractuels remettent à l’ordre du jour quelques faits relatifs à la production de ciment dans la région, et plus particulièrement celle de ACC Holcim:

1. L’accord dont ACC est signataire interdit le travail à façon, temporaire dans les processus de production du ciment. Même dans les secteurs où le travail à façon est admis, notamment dans les chargements et déchargements de matériaux bruts et le conditionnement (emballage), les travailleurs doivent recevoir les mêmes salaires que les travailleurs avec un CDI. Or la production de ciment repose, depuis des décennies, sur des travailleurs temporaires qui ne perçoivent que des salaires minima.

2. Depuis 2006, les profits de Holcim-ACC, après impôts, ont toujours dépassé les  Rs1000 crores par année (soit approximativement 223 millions de dollars US).

3. Les coûts globaux de production – au sein desquels le «coût du travail» constitue qu’un tout petit pourcentage – représentent moins de la moitié (42%) du revenu total brut de la compagnie.

4. Holcim, le deuxième groupe cimentier après le français Lafarge, a obtenu un profit opérationnel (après amortissements, etc.), en 2010, de 4,513 milliards de francs suisses.

5. Holcim paye les travailleurs temporaires en Inde environ 32 fois moins que la moyenne des salariés en Europe.

6. Le PDG d’Holcim Markus Akermann touche par année, si l’on compte aussi ses divers avantages, quelque 2,3 millions de dollars. Or, si 100 travailleurs récupéraient avec effet rétroactif depuis 2000 des sommes pour que leurs salaires atteignent ceux des travailleurs ayant des contrats à durée indéterminée, cela ne coûterait que Rs 8,4 crores, environ 1,87 million de dollars.

Sur son site, le groupe Holcim déclare: «Nous attachons une grande importance au développement durable dans les domaines économique, écologique et social.» Les travailleurs de ses filiales en Inde et les agriculteurs du Chhattisgarh apprécieront. Certes, ces derniers ne sont pas au courant de l’opération de communication et de business que La Fondation Holcim a engagé avec l’Institut indien de technologie (IIT) de Bombay pour le «développement durable» dans la région Asie-Pacifique

Paru sur le site www.alencontre.org

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