Femmes contre la crise
Par Femke Urbain le Mercredi, 04 Avril 2012 PDF Imprimer Envoyer

Les années 1980 ont vu la naissance d’un collectif féministe très large en Belgique. Son nom : « femmes contre la crise ». Aujourd’hui, bien des revendications de ce collectif sont toujours d’actualité. Une source d’inspiration pour des mouvements futurs ?


Propos recueillis par Femke Urbain auprès de France Arets, active à l’époque dans « femmes contre la crise » et dans d’autres groupes féministes de Liège, militante de la LCR.


"Vive la crise !", disait le titre d'une fameuse émission télévisée dans les années 1980. C'est en effet dès la fin des années 1970 que le capitalisme mondial entre en crise et que le chômage structurel refait son apparition dans les pays occidentaux. Des gouvernements néolibéraux se mettent alors en place, dont les figures sont le républicain Ronald Reagan aux USA et la conservatrice Margaret Thatcher en Grande-Bretagne...mais aussi François Mitterrand du PS

après 1983 et le "tournant de la rigueur". Chez nous, ce sont les gouvernements Martens-Gol, coalition de libéraux et sociaux-chrétiens, qui vont mener les premières réformes antisociales contre les travailleurs, les chômeurs, les femmes, les services publics et les immigrés. Des plans d'austérité très durs qui n'ont évidemment ni réglé le problème du chômage, ni celui de la dette publique. Mais peu importe, puisque le but réel de cette austérité était en fait d'attaquer durement les conquêtes sociales de la première moitié du XXème siècle.

En 1980, le chômage complet, en moyenne annuelle, a doublé par rapport à 1975 et concerne 360 000 personnes. La crise de l’emploi est structurelle. Roger De Wulf, ministre de l’Emploi (SP), prend une série de mesures modifiant la réglementation du chômage en profondeur. Parmi celles-ci, la création du statut de cohabitant, qui touche particulièrement les femmes, ou encore l’introduction d’une troisième période d’indemnisation, qui réduit les allocations perçues par bon nombre d’isolés et de cohabitants.

C’est dans ce contexte que naît « femmes contre la crise », une coordination qui rassemble des groupes féministes - notamment du courant féministe socialiste selon lequel il n’y a pas de féminisme sans socialisme et pas de socialisme sans féminisme ; les commissions femmes des deux syndicats (CSC-FGTB) ; les Femmes prévoyantes socialistes (FPS), des collectifs pour la dépénalisation de l’avortement, et encore bien d’autres, associations et partis, organisations, tel le P.O.S. (actuelle LCR) -S.A.P. Le collectif voit le jour en 1981, à l’initiative des groupes de femmes. A l’époque, il existait des structures féministes dans chaque ville belge : des groupes de femmes, des Maisons des femmes, des collectifs... Il en existait plus de septante.

Ménagères, travailleuses, chômeuses : toutes ensemble pour le pouvoir d’achat

L’idée principale de « femmes contre la crise » était d’établir le lien entre le mouvement féministe et le mouvement ouvrier ; de démontrer que les attaques contre les femmes menaçaient aussi l’ensemble du mouvement ouvrier et de lutter contre les divisions. C’est dans cet objectif que le collectif a par exemple mené des actions pour l’indexation des salaires. En 1982, il y a en effet eu un blocage temporaire de l’index pendant 10 mois ! Une attaque contre l’index qui ne peut nous empêcher aux menaces qui pèsent sur lui aujourd’hui...

La première action de « femmes contre la crise » fut une manifestation, le 7 mars 1981, qui mettait en avant une série de revendications, parmi lesquelles deux principales : premièrement de s’opposer aux attaques contre les femmes chômeuses. En effet, le gouvernement avait pris des mesures qui avaient pour effet la diminution des allocations de chômage pour les cohabitants ou les isolés, qui sont souvent des femmes. La deuxième revendication centrale de « Femmes contre la crise » était la diminution du temps de travail, avec maintien du salaire et embauche compensatoire, sans augmentation des cadences. Cette revendication s’opposait à la généralisation des temps partiels, qui touchaient (comme c’est toujours le cas aujourd’hui) essentiellement des femmes. L’’introduction du travail à temps partiel fut l’une des premières mesures importantes organisant la flexibilité et la précarisation qui concernent maintenant un très grand nombre de travailleurs. La manifestation défendait également l’égalité des salaires, la dépénalisation de l’avortement, le refus de tout salaire ménager...

Cette manifestation du 7 mars fut un succès, rassemblant environ 10 000 personnes dans les rues de Bruxelles. « Femmes contre la crise » s’organise au niveau local, avec des comités qui mènent leurs propres actions, débats ou publications et se réunit régulièrement, tandis qu’une coordination nationale permet de relier tout ça et d’organiser la manifestation nationale. Après celle du 7 mars 1981, l’expérience se répétera jusqu’en 1984, rassemblant chaque fois beaucoup de monde. En 1985, la manifestation sera remplacée par une journée de réflexion sur les inégalités dont les femmes sont victimes, avec des conférences et des groupes de travail. Les actions de soutien se multiplient, parfois au niveau international : « femmes contre la crise » se mobilise ainsi pour soutenir les femmes de mineurs en grève en Angleterre, durant l’hiver 1985-1986, organisant une récolte de fonds.

A travers les années de lutte du collectif, une revendication centrale se dessine : « Pour l’indépendance économique des femmes » (que ce soit au niveau du salaire, de l’emploi, des allocations de chômage ou du pouvoir d’achat). Aujourd’hui le collectif a disparu, mais les revendications qu’il portait sont toujours au goût du jour : les femmes sont toujours en première ligne des victimes de la crise, particulièrement visées par les mesures du nouvel accord du gouvernement (voir numéro précédent de La Gauche). Les expériences passées comme celle de « femmes contre la crise » peuvent donc nous inspirer pour nous organiser aujourd’hui, et lutter ensemble contre les attaques faites aux femmes !

La Formation Léon Lesoil propose d’en débattre dans le cadre de l’Ecole anticapitaliste de printemps. Une table ronde féministe y sera organisée avec des militantes syndicales, politiques, associatives, actives dans les années 1980 et aujourd’hui (voir le lien ci-dessous).

Femke Urbain

Pour plus d'infos sur l'Ecole anticapitaliste de preintemps et pour s'inscrire: Programme et inscription

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Voir ci-dessus