Grèce: le vent tourne; la suite sera longue et incertaine
Par Panagiotis Grigoriou le Mardi, 15 Mai 2012 PDF Imprimer Envoyer

Dans la rue, on peut désormais sourire au temps. Les mots planent partout, la moindre phrase devient significative, et surtout, elle sonne juste: «On les aura…», «Ils ont peur maintenant…», «Nous ne savions plus comment faire, mais nous trouverons le chemin…. ». Comme ces femmes, travaillant à l’accueil au sein d’une entreprise athénienne : «Il est temps de montrer nos dents à l’Europe; il y a en a assez, mais nous n’irons tout de même pas sortir de l’euro, l’euro ce n’est pas mauvais en somme, non » La réponse, par une de ses collègues n’a pas tardé: « Qu’ils aillent se faire…. et leur euro avec, ce n’est pas le nôtre. Je travaille à temps plein pour 700 euros par mois déjà, et toi Dora, tu touches déjà moitié moins». Et Dora le confirme: «Je viens d’être embauchée à temps complet pour 350 par mois, je le vois venir, tout le monde sera au même tarif… ». «Si c’est celui-là notre avenir, alors nous revoterons SYRIZA ».

Les heures tournent. Samaras, grand perdant de ces élections aussi, n’a pas réussi à former un gouvernement. Les journalistes se déchaînent sur la nécessité « d’un gouvernement responsable ». Les rumeurs les plus folles circulent sur Internet, les fausses nouvelles aussi, la guerre psychologique reprend de plus belle. La bancocratie n’est pas vaincue, et elle est encore capable d’inventer: « Attendons-nous à des surprises de taille de leur part », me disait une personne, militante au parti SYRIZA. Au KKE [PC] par contre, les camarades communistes sont amers : «SYRIZA, prendra la place du PASOK dans la social-démocratie, Kouvelis avec sa «Gauche Démocratique» le fait presque déjà; nous ne sommes pas de la dernière pluie au PC, comment veulent-ils annuler ou même rafistoler le Mémorandum sans quitter l’UE, et sans priver les capitalistes du vrai pouvoir politique et économique, car le pouvoir gouvernemental à lui seul, ne peut pas suffire ». C’est ainsi que le KKE a rejeté la proposition d’Alexis Tsipras, mardi 8 mai, encore une fois, c’est «non».

Samaras de la vieille droite, n’a pas pu former un gouvernement le lundi 7 mai, ainsi, il s’est souvenu qu’il était «parmi les premiers à critiquer le Mémorandum». Les médias affolés suggèrent des «solutions car le pays a besoin d’être gouverné», ainsi, ces journalistes – perroquets de leurs patrons, insistent sur le «drame dans lequel nous sommes plongés» depuis dimanche. Sauf qu’ils omettent de dire que nous sommes toujours gouvernés, mais par les agents des Troïkans. Car il y a le feu: lundi déjà, on a noté «l’arrivée à Athènes, de la «Task Force» de la Commission Européenne pour coordonner la réalisation des réformes et pour auditer les ministères. Elle est composée par 30 à 40 personnes, lesquels, vont contrôler les finances publiques, et surtout l’exécution du budget. Ces agents, se sont installés dans les ministères, d’où ils contrôleront les recettes et les dépenses de l’État, une par une. Au même moment, on est en train de former le nouvel Observatoire Permanent du Mémorandum (Permanent Monitoring) dans l’urgence. Le chef de cette structure séjournera de façon permanente à Athènes et ses membres, seront en contact direct avec les équipes installées au sein des ministères, en temps réel. C’est une équipe parallèle à celle du FMI; cette dernière est d’ailleurs hébergée dans un bâtiment appartenant à la Banque de Grèce » (quotidien TA NEA – 8 mai 2012).

Seulement, les Grecs savent désormais que cette fameuse «banque centrale» n’appartient pas à l’État et ne sert pas l’intérêt commun (évidemment). Alexis Tsipras et son parti SYRIZA le savent également. Sa lettre adressée aux bancocrates, c’est-à-dire aux dirigeants de l’UE, nous a fait sourire encore davantage : « Nous ne reconnaissons pas les signatures des dirigeants PASOK et Nouvelle Démocratie, nous ne reconnaissons plus le Mémorandum et les Traités entre la Troïka et la Grèce, car non seulement ces actes sont illégaux, mais désormais, le peuple dans son immense majorité les désavoue». Panagiotis Lafazanis, député SYRIZA, prévient même, que la présence de la Troika en Grèce est illégale, ses agents doivent quitter le pays rapidement.

Nous ne connaîtrons pas toutes les suites de l’histoire ce soir même (9 mai). Le système prépare sa «solution», un plan «B» peut-être avec l’aimable participation de Fotis Kouvelis (Gauche démocratique) dans un deuxième temps, qui sait? Ou encore une autre «nouveauté». Sauf que les ingrédients d’un autre futur sont déjà dans la marmite. Dans la logique instaurée par le «Mémorandisme réel», dépasser et surtout désamorcer les politiques de rigueur, puis, explorer une autre orientation économique et géopolitique pour la Grèce, oblige à sortir des traités. Ce n’est pas encore très clair, mais à travers l’opinion publique on désigne déjà «l’Europe», comme initiatrice de ces politiques, et pas qu’en Grèce. Ce n’est pas encore clair certes, mais nous y sommes déjà. «Il faut former un grand parti pro-européen», répète Venizélos (PASOK); et il sait pourquoi.

Ce n’est pas impossible, sauf que SYRIZA veut mobiliser le peuple et créer un front de gauche encore plus large et peut-être pas uniquement de gauche. J’entends autour de moi de gens qui se disent fiers de SYRIZA, «pour notre dignité retrouvée», c’est déjà un pas vers la liberté. D’autres, par contre, avouent une certaine inquiétude, comme cette personne hier matin pendue sur son mobile, dans une rame du RER (métro) athénien : «Ah, oui je sais, il n’a pas été élu député, de toute façon c’est la catastrophe donc c’est fichu, mon affaire ne marchera pas… »

L’ancien ordre politique s’effondre. Sur les ondes de la radio Real-FM, lundi 7 mai, dans l’après-midi, lors d’une émission, les deux animateurs ont fait lire les messages des auditeurs à l’antenne. Pour plus d’un tiers, ces messages concernaient l’Aube dorée [les néonazis]. Les auditeurs, tantôt ont exprimé leur indignation, tantôt les messages de sympathie n’ont pas non plus manqué:«Je ne suis pas fasciste, mais j’ai voté pour eux, j’en ai assez de ces voleurs des partis politiques, des occupants de notre pays et des immigrés clandestins qui occupent nos villes». Le raisonnement peut tourner en boucle sans entraves, sa «simplicité» également tournera en boucle, car on ne bâtit pas un projet de société humaniste qu’à partir de la seule partition du désespoir et du rejet. Il en faudra davantage, à la fois dans la sphère du réel (et de l’action), puis, dans la composition de l’imaginaire collectif, sauf qu’un tel imaginaire ne se fabrique pas en une campagne électorale après trente ans de népotisme, de corruption et de consumérisme. «J’ai participé au mouvement des indignés, l’été dernier. Finalement, le Mémorandum m’a obligé à partir. Je vous téléphone depuis Dubaï, j’y suis car c’est ici que j’ai enfin trouvé du travail, disons correctement rémunéré. Je ne souhaite cet exil pour personne, et l’Aube dorée est une honte pour notre pays, j’ai honte d’être Grec, tout en partageant la joie des amis de SYRIZA», a ajouté un autre auditeur qui suivait l’émission sur Internet.

Fait significatif, à un certain moment de l’émission, la co-animatrice, a informé son collègue, «que le standard est submergé d’appels «insistants» de certains membres de l’Aube dorée». «Fais attention à ce que tu dis», a-t-elle lancé s’adressant à son collègue. «Ne t’inquiètes pas, je connais certains de ces garçons de l’Aube dorée, car ils aiment la nuit comme moi… Les mecs sont intéressants… Certes, je suis en désaccord politique avec eux, mais nous échangeons sur bien d’autres points», a aussitôt précisé le principal animateur, l’air pourtant gêné, car ceci devint audible, rien que par le timbre de sa voix. Évidemment, il y a urgence, car entre «les mecs intéressants» des quartiers du Pirée, et ceux, tout autant «intéressants», générateurs de la politique dictée à Bruxelles ou à Wall Street, il y a de quoi faire, surtout lorsqu’on considère qu’entre le fascisme bancocrate et son alter ego de l’Aube dorée, une autre réalité doit se construire.

Notre paysage politique change enfin. Samaras et sa droite sous la panique, aspire à réunifier toutes les formations du «bloc européen», pensant aux prochaines élections. «Un piètre politicien, comme son copain de chambrée, Papandréou [Samaras et Papandréou ont été dans la même chambre lors de leurs études universitaires aux Etats-Unis: Amherts College] du temps de leurs études sur le campus de l’Université américaine, décidément cette Amérique…. », telle fut la pensée du jour, sous un abri bus, le premier lundi de la rentrée de l’espoir, et tout le monde a ri.

«Nous abrogerons les engagements du Mémorandum» a déclaré le député SYRIZA Panagiotis Lafazanis («Radio Flash» – 8 mai), «Nous n’irons pas faire entrer par la fenêtre ce que le peuple a fait sortir par la porte», a rajouté Nadia Valavani (élue SYRIZA à Athènes), interviewée par les journalistes de la «Radio skai» lundi également.

Il est évident qu’autour de SYRIZA, un nouveau mouvement s’organise déjà. «Je soutiendrai de toutes mes forces Alexis Tsipras dans ses efforts de former un gouvernement qui abrogera le Mémorandum et qui aura comme but, la reprise en main de la souveraineté nationale de notre patrie. Je lance un appel à tous les patriotes et à tous les esprits créatifs de notre pays, il faut contribuer pour que la Grèce retrouve le chemin de l’autonomie, du progrès et de la renaissance», a déclaré Mikis Theodorakis (quotidien AVGI, proche de SYRIZA, dans son édition du 8 mai).

L’empire contre attaquera sans doute, dès demain, mais il a perdu une première bataille psychologique. Nous savons que nous pouvons déjà faire basculer les places boursières, rien que par le vent qui tourne. La suite sera plus longue et plus incertaine… (9 mai 2012)

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Panagiotis Grigoriou tient un blog. Il est anthropologue et vit en Grèce.

Cet article a été publié sur www.alencontre.org

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