Un premier bilan de la résistance anti-nucléaire
Par Léo Tubbax le Samedi, 21 Juillet 2012 PDF Imprimer Envoyer

Trois options

Depuis la mise en production des centrales nucléaires, un courant large de refus de l’énergie nucléaire existe en Belgique. Des manifestations de masse se sont opposées à la construction et la mise en production, à Doel et à Chooz. Chooz est une centrale quasiment belge car elle est presque entourée de territoires belges, puise son eau de refroidissement dans la Meuse à l’endroit ou celle-ci franchit la frontière et elle appartient pour moitié d’Electrabel.

Face à l’impossibilité de démonter les centrales comme se démonte un Mac Donald, trois options politiques se sont développées dans la résistance au nucléaire, généralement de façon complémentaire. Nous ne parlons pas ici de nos ennemis des  3 partis qui défendent le libéralisme économique et donc le nucléaire (le bleu, l’orange et le rose).

Nous voulons entamer ici un débat stratégique avec nos amis dans le mouvement antinucléaire.

Greenpeace est sans doute l’organisation antinucléaire la plus connue. Elle trouve son origine dans la lutte antinucléaire, contre les explosions de bombes nucléaires dans le Pacifique.  Greenpeace a obtenu un succès médiatique indéniable des actions de pointe : pénétration dans les domaines des centrales, escalade de bâtiments etc.

Elle a développé des interventions humoristiques via l’internet. Greenpeace a surtout développé un impressionnant  travail de lobbying, en établissant des liens forts dans le monde politique établi.

ECOLO a été un point d’appui  solide pour Greenpeace en relayant sur le terrain politique les revendications et les initiatives de Greenpeace. C’est le parti ECOLO qui est apparu comme le porte-drapeau francophone de la lutte antinucléaire, AGALEV/Groen jouant ce rôle du côté flamand. En s’introduisant dans les structures de l’Etat ce parti se faisait fort de pouvoir infliger la politique énergétique du Royaume et de le mener sur la voie de l’abandon de cette source d’énergie mortifère.

La troisième option, défendue par la gauche qui était d’emblée présente sur ce terrain était de mener des actions directes combinés à des mobilisations de masse.

Greenpeace désorienté ?

Greenpeace fait une contribution énorme au combat antinucléaire. Dans les périodes de reflux du mouvement, son appareil  solide de permanents et sa puissance financière permettent de maintenir la braise de la résistance. Les études de Greenpeace concernant le nucléaire font autorité dans la matière. Cependant le danger est grand de voir ce type d’appareils d’ONG s’autonomiser. Les succès de l’ONG dans ces efforts de lobbying, grâce aussi aux entrées d’ECOLO dans la sphère institutionnelle ont ouvert beaucoup de portes…dont certaines mènent à l’enfer. La campagne « Stop and Go », menée en collaboration avec le WWF, IEW et BBL, a récolté 100.000 signatures, mais elle s’est enfermée dans le carcan de la loi de sortie du nucléaire de 2003. Greenpeace s’interdit la participation aux actions de masse en mettant la barre très haut d’emblée : ils semblent croire qu’il serait négatif de participer à une mobilisation de moins de dix mille personnes. Les deux campagnes menées pendant ce printemps et cet été pêchent à notre sens par un manque de discernement  à propos du rôle du  Parti Socialiste. Il va de soi pour les observateurs de la politique énergétique que ce n’est pas à l’insu de M. Di Rupo que le Ministre Magnette, étoile montante du PS à l’époque, a négocié l’accord illégal de 2009 avec Electrabel, qui prolongeait –déjà !- la durée d’exploitation des centrales nucléaires de dix ans, contre paiement d’un impôt  spécial sur la rente nucléaire. Aucune action du PS contre le nucléaire n’a été répertoriée à ce jour. Par contre, M. Di Rupo s’est rendu extrêmement impopulaire par les mesures antisociales brutales et injustes que ce gouvernement a imposées aux 99%. Quand Greenpeace a organisé une « flash-mob » sur le thème E.L.I.O. – Elio-Go !, peu d’activistes se sont senti.e.s concerné.e.s, et l’action na pas connu le succès espéré.  Peu de temps après, des militants de Greenpeace ont escaladé le siège d’Electrabel et y ont déployé une banderole clamant « La maffia nucléaire et nous c’est fini – signé PS ». La vidéo très réussie diffusée via Youtube au même moment montre un Elio Di Rupo, victime d’un enlèvement par la maffia nucléaire.

Est-ce que la direction de Greenpeace Belgique  a suffisamment d’interlocuteurs dans les mouvements sociaux ?  Les dernières campagnes ne tiennent pas assez compte de la lutte des classes qui se déroule dans le pays. Le gouvernement d’Elio Di Rupo impose la misère à des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses, pensionnés ou au chômage et à leurs ménage. En passant à côté des  liens évidents  entre le combat antinucléaire et la lutte pour une vie et des revenus décents, par exemple en mettant en exergue le montant scandaleusement élevé de la facture électrique des ménages, cette direction affaiblit les deux luttes.

ECOLO : la longue marche vers le cœur du système

Les partis verts ont accompli leur voyage vers le cœur des institutions en entrant dans le gouvernement « Arc en Ciel » de 1999 à 2003, le premier gouvernement Verhofstadt, dont on connait la politique antisociale. Olivier Deleuze y fut secrétaire d’Etat à l’Energie, ce qui lui donnait quand même quelques moyens  pour infléchir la politique énergétique belge, après avoir dirigé Greenpeace de 1989 à 1995. Deleuze a mis à son actif la loi dite « de sortie du nucléaire » qui prolongeait la durée d’exploitation de dix ans (encore !) en échange d’une sortie du nucléaire en 2015 pour les trois réacteurs les plus vieux et des autres vers 2020-2025. ECOLO pensait avoir réglé le problème, et le mouvement antinucléaire a abandonné la rue et s’est mis en veilleuse. Malheureusement, ce qui était sûr et acquis était le prolongement de la durée de vie des réacteurs et le quasi-monopole de production d’électricité d’Electrabel. Ce qui n’était pas sûr du tout était…la sortie du nucléaire. Le premier assaut de M. Magnette et Electrabel a été mentionné plus haut. Le deuxième a été mené par le gouvernement Di Rupo et Electrabel en juillet 2012. ECOLO a donné son feu…vert  à cet assaut par une déclaration d’Emilie Hoyos, qui co-préside ECOLO aux côtés d’Olivier Deleuze. La direction du parti vert a vraiment renié l’engagement antinucléaire de principe des débuts.  Après avoir affirmé que « nous (Ecolo) sommes responsables » elle déclare que «si (elle était) à la place de M. Wathelet, (elle) devrait sans doute dire qu’on ne peut pas fermer (les trois réacteurs) tout de suite ». La loi Deleuze de 2003 ne nous a pas sorti du nucléaire, c’est le nucléaire qui a fini par sortir de la loi !

Seule la mobilisation de masse paye

Le mouvement antinucléaire a repris de la vigueur à l’initiative de l’association « Climat et Justice Sociale-Klimaat en Sociale Rechtvaardigheid », qui, lassé de se voir opposer l’argument fallacieux du nucléaire propre lorsqu’elle plaidait pour sauver le climat, pas le système. Une première manifestation a eu lieu le jour de Pâques de 2011, 25 ans après la catastrophe de Tchernobyl, 6 semaines après Fukushima. Ce fut un premier succès modeste : 2000 personnes défilèrent à Bruxelles. Une deuxième manifestation de Huy à la centrale de Tihange à l’initiative de « Nucléaire STOP Kernenergie » en collaboration notamment avec le mouvement antinucléaire allemand avait lieu le 17 septembre 2011. Une troisième, avec le même initiateur  s’est déroulée le 11 mars 2012 à Bruxelles. Si le nombre de participants ne décolle pas des 2000, les répercussions dans les médias et dans l’opinion publique de ces manifestations sont devenues de plus en plus importantes. Chacun peut constater que le nombre de voitures qui portent l’autocollant « tournesol » antinucléaire à la vitre arrière a clairement augmenté. Un sondage très utile réalisé par IPSOS en novembre 2011 à l’initiative Greenpeace montre que 60 à 66 % de l’échantillon étaient favorables à la fermeture des centrales selon le schéma de la loi de 2003. Il est donc possible de réunir dix fois plus de manifestants si des organisations comme Greenpeace et Inter-Environnement s’engagent dans cette voie avec toute leur puissance médiatique et logistique.

S’il était possible de réguler l’action de GDF-Electrabel, le CREG et l’AFCN, les organismes qui essaient de réguler le prix de l’énergie et la sécurité nucléaire,  n’auraient pas l’air si misérable. S’il était possible de maîtriser l’énergie que déploie Electrabel à fouler les lois du Royaume aux pieds, la loi de « sortie du nucléaire » de 2003 aurait dû régler l’affaire. Malheureusement, il n’en est rien. Les efforts déployés par les militant.e.s de Greenpeace et des partis verts sont souvent très utiles et appréciés de tous. Il faut cependant bien constater à ce moment dans le temps que les stratégies qui essaient de trouver une voie vers la sortie du nucléaire sans construire un mouvement de masse dans la durée mènent la résistance nucléaire dans une impasse. Pour sortir du nucléaire, il faudra casser le pouvoir de GDF-Electrabel, le monopole de production du courant en Belgique. Pour construire un mouvement capable de développer une telle puissance, il est indispensable de le lier, de l’allier politiquement aux mouvements sociaux, tout en préservant jalousement son autonomie et son originalité. La construction d’un mouvement de masse peut se combiner parfaitement avec les actions de pointe, avec les coups médiatiques, avec les chœurs et les danses de masse.  L’exemple du mouvement antinucléaire allemand, qui vient d’engranger un succès important, peut nous servir d’exemple dans cette voie par son implantation en profondeur, sa capacité de réunir en son sein des activistes verts, rouges, noirs et indépendants et de déployer une gamme de moyens d’action qui vont de la promenade du lundi  à la mise hors d’usage des voies ferrées. 


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