Italie : savoir dire non à la guerre
Par Gigi Malabarba & Franco Turigliatto le Jeudi, 01 Mars 2007 PDF Imprimer Envoyer

Nous reproduisons ci-dessous deux prises de position: celle de Gigi Malabarba (ex-Sénateur de l’Association «Gauche Critique»), qui revient sur le contexte général de la crise politique actuelle en Italie, et celle de Franco Turigliatto (sénateur démissionnaire), qui précise les circonstances et le sens de son vote contre la politique extérieure au Sénat.

Le cadre dans lequel nous devons agir

Au sein du PRC, la sensibilité de l’Unione [alliance de centre-gauche] par rapport aux conflits et aux mouvements sociaux avait été présentée comme l’élément principal de rupture de cette coalition avec le gouvernement Berlusconi. En fait, cela s’est avéré totalement faux. Nous n’avons obtenu absolument aucun résultat. Au cours des premiers mois du gouvernement Prodi, il n’y a pas eu de mobilisation forte, parce que les groupes dirigeants de différents mouvements avaient en quelque sorte délégué l’initiative au gouvernement Prodi, ou qu’ils en attentaient quelque chose.  Cependant, dès que des mobilisations ont vu à nouveau le jour – à commencer, par exemple, par la grande lutte contre la base militaire américaine de Vicenza –, le gouvernement, non seulement, n’a pas été perméable aux demandes du mouvement social, mais pire encore, il a fait preuve d’hostilité pure. Et ceci, même après la mobilisation de dizaines de milliers de personnes – la plus importante mobilisation du mouvement pacifiste depuis très longtemps – qui a réussi à se reconstruire sur un objectif très concret et à partir à la conquête d’un objectif important.

Cet élément est d’autant plus sensationnel que, d’une part, juste après la manifestation de Vicenza, Prodi a adopté clairement une position négative, opposée au mouvement social, du type «heureusement qu’il n’y a pas eu de débordements»; et que d’autre part, on a assisté à une succession de choses absolument folles. Nous savons que quelques milliers de personnes provenant directement du Val di Susa – cet autre combat impliquant le puissant collectif du «No TAV» [NON au train à grande vitesse reliant Turin à Lyon] – ont participé à cette manifestation. Or, vingt-quatre heures après que Prodi ait déclaré que la base de Vicenza serait maintenue, le Ministre des finances Paolo Schioppa a annoncé la mise en chantier de la ligne Turin-Lyon en septembre, s’opposant ainsi frontalement au second mouvement social de l’an passé.

Mais je crois qu’il faut mentionner encore quelque chose de plus: les déclarations du Ministre de l’intérieur, Giuliano Amato. La découverte de partisans du terrorisme au sein des usines et des syndicats, etc., a été exploitée directement, de manière préventive, contre les mobilisations ouvrières. La CGIL modérée de Guglielmo Epifani, de même que les luttes de la FIOM sont d’ores et déjà mises en accusation. Ainsi, le mécontentement du monde du travail – qui a crû notablement avec le vote du nouveau budget [la Finanziaria], frappant plus durement encore les couches les plus faibles de la société –, et aujourd’hui surtout les luttes du monde ouvrier face à la menace d’une nouvelle et lourde contre-réforme du système de prévoyance sociale, sont préventivement criminalisées par le ministre Amato. Et même le Président de la République Giorgio Napolitano [membre historique du PCI, ndt.] nous déclare que les luttes, les manifestations et les mobilisations peuvent constituer les preuves d’une culture terroriste. Et donc, sur toutes les questions essentielles, le cadre politique et institutionnel construit par le centre-gauche s’oppose frontalement aux mobilisations contre la politique libérale et contre la guerre.

Ceci est d’autant plus dangereux qu’il dégage ainsi un front important pour la droite. On avait déjà assisté à une forte mobilisation de la Casa delle Libertà [coalition de droite] à Rome; mais aujourd’hui, c’est le champ à des critiques antisystèmes et à des mobilisations d’une extrême droite revigorée qui s’ouvre, ce qui est particulièrement dangereux, d’autant plus qu’il faut penser aux connivences qui existent entre ces mouvements et les forces de l’ordre.

Voilà le cadre dans lequel nous devons agir. Evidemment, à côté de ces dynamiques politiques centristes, ce gouvernement n’a empoigné aucune des questions pour lesquelles il avait été fondamentalement élu: qu’il suffise de rappeler la modification, si ce n’est l’abrogation des loi Trenta [sur le travai, ndt.] et Bossi-Fini [sur l’immigration, ndt.], voire l’ensemble de la réforme Moratti [sur l’éducation, ndt.]. En somme, toutes les grandes saloperies du gouvernement Berlusconi sont restées incontestées. Et aujourd’hui, dans cette seconde phase, on en arrive à mettre de côté toutes les questions liées notamment au travail. L’ensemble de ces éléments ont été présentés comme un grand succès de la gauche, qui est pourtant restée bredouille; pire, on a même forgé le mythe d’un budget d’Etat «bolchevik». Donc, pour la population, les mesures négatives sont apparues comme des mesures prises par la gauche. Et aujourd’hui, on nous dit qu’il faut forcer la marche et passer à la phase 2. Voici les questions fondamentales.

En plus, un pouvoir fort comme celui du Vatican s’en est mêlé, un pouvoir qui est en train de conditionner la politique du gouvernement au sein même de l’Unione. Donc, tous les pouvoirs déterminants qui avaient, d’une manière ou d’une autre, favorisé une alternative à Berlusconi, sont en train de promouvoir aujourd’hui un nouveau cadre politique recentré. Une sorte de grande alliance, de grande coalition, mais qui ne peut compter que sur les forces du centre gauche, puisqu’elle ne dispose pas d’un réservoir potentiel suffisant; l’élargissement très limité de la base [du second gouvernement Prodi, ndt.] au seul sénateur Follini [ex-UdC, «Italie du Milieu», ndt.] est de ce point de vue très révélateur.

Gigi Malabarba*

* Ex-Sénateur du PRC, membre de l’Association «Gauche Critique», 25 février 2007.


Défendre les revendications du mouvement de masse

La situation difficile au Sénat de la République est issue du résultat même des élections. Le centre gauche n’a pas remporté les élections au Sénat; il n’a pas une majorité suffisante et donc chaque vote peut incliner dans un sens ou dans l’autre suite à diverses incursions et opérations politiques. C’est dans ce cadre que nous sommes arrivés au vote de mercredi [21 févier, ndt.] sur la motion concernant la politique étrangère. En réalité, derrière ce vote, on retrouvait substantiellement la volonté d’encadrer et de diriger toujours plus fortement la politique de l’Exécutif vers des options particulièrement conventionnelles. En même temps, cependant, une grande manifestation populaire avait eu lieu le samedi précédent, qui mettait en discussion deux questions de fond: l’une concernait l’usage du sol – ou plutôt la dévastation du sol –, l’autre touchait à l’aménagement du territoire, en vue du développement d’une base conçue comme un élément fondamental du dispositif militaire d’intervention de l’OTAN et des Etats-Unis au Moyen Orient et en Asie. C’est dans ce cadre que s’est fait jour une pression particulièrement forte pour donner au rapport du Ministre des affaires étrangères et à sa motion la valeur d’un véritable vote de confiance.

En réalité, il s’agissait d‘une motion un peu empoisonnée, au sens où elle confirmait une orientation qui était apparue, dans le rapport présenté par d’Alema, essentiellement en continuité avec la politique atlantiste et philo-US de toujours, même si quelques éléments de différenciation par rapport à la politique poursuivie par le gouvernement Berlusconi subsistaient.  C’est pour cela, disons-le ainsi, que dès le début, je me suis orienté vers une position critique: le refus de donner un aval à un choix qui constitue en réalité une politique de guerre. Et j’ai résisté à d’infinies pressions, avant tout au chantage exprimé ainsi: «si tu fais, ça tu mets en danger le gouvernement même».

Toutefois, et justement pour répondre à cette pression, à ce chantage et à ces observations, au cours du débat, j’ai encore déclaré ma disponibilité à voter le rapport, à condition que soit introduite au moins une réaction positive à l’égard de Vicenza. Il ne s’agissait donc pas d’une demande de Franco Turigliatto ou d’un autre sénateur, mais d’une exigence de respect à l’égard de Vicenza et sa population: il fallait en somme que le gouvernement montre qu’il était prêt à une pause de réflexion, à une suspension de la décision, afin de pouvoir discuter démocratiquement avec les habitant-e-s de Vicenza. Même cela a été refusé, et c’est la raison pour laquelle j’ai considéré qu’il était nécessaire de donner, d’une manière ou d’une autre, un signal politique. Un signal qui montre que quelqu’un avait la volonté d’être cohérent avec ses propres idées, sa propre position politique, dans le cas précis, une position politique qui reprenait le programme historique de mon Parti. En même temps, cette position donnait un petit signal pour la défense des idées et des revendications du mouvement de masse pour la paix et la protection de l’environnement.

J’ai donc pris cette décision de ne pas participer au vote. En même temps, j’ai annoncé ma démission du Sénat, démission que j’ai formalisée peu après, justement parce que je voulais de cette manière marquer les rapports qui me lient à mon parti. J’ai été élu sur les listes de Rifondazione comunista, et j’ai remis, de cette manière, mon mandat dans les mains de l’organisation politique qui avait appelé et contribué à mon élection. Je crois que c’est la manière d’agir la plus correcte et la plus loyale envers la formation politique dans laquelle on a milité, y compris en termes de cohérence par rapport aux idées et aux objectifs défendus. Pour cela, je ne peux qu’être attristé, disons-le ainsi, que le Parti ait réagi à mon acte de responsabilité, tant politique qu’organisationnel, en montant une campagne assez pénible contre mes choix; en arrivant même à proposer mon éloignement, c’est-à-dire mon expulsion du Parti même. Je dois dire, néanmoins, qu’en même temps, l’heureuse surprise est venue du développement d’une solidarité très ample, pour moi tout à fait inattendue, qui a impliqué et qui implique des milliers de personnes, que ce soit dans l’accord substantiel avec les choix que j’ai faits ou dans la solidarité politique et le respect de ces choix pour leur valeur et leur cohérence.

Franco Turigliatto*

* Sénateur démissionnaire du PRC, membre de l’Association «Gauche Critique», 25 février 2007.

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