Grèce : l’hiver européen, mourir pour la démocratie et autres chroniques...
Par Grigoriou Panagiotis le Samedi, 24 Novembre 2012 PDF Imprimer Envoyer

La crise en Grèce continue de s’amplifier dévoilant chaque jour l’horrible visage du monde capitaliste dans lequel nous vivons.

Au début du mois de novembre en cours, des camarades des Jeunes Anticapitalistes (JAC) et de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), dont Céline Caudron porte-parole de la LCR, se sont renduEs en Grèce afin d’y rencontrer des militantEs politiques, des syndicalistes et des féministes engagéEs dans la lutte contre l’austérité.

A leur retour, ces camarades ont planifié l’organisation d’une série de conférences et de soirées solidarité avec le peuple grec en lutte, dont l’une a eu lieu à l’ULB le 15 novembre, et la prochaine aura lieu ce 28 novembre à Liège. L’argent récolté lors de ces soirées de solidarité sera envoyé aux militantEs grecQUEs antifascistes et aux résistanEs à l’austérité!

Ces camarades ont créé un blog « Grèce Générale ! » sur lequel ils/ELLES diffusent leurs témoignages, impressions, interviews et photos, « de quoi s'inspirer pour développer la résistance ici aussi », notent-ils/ELLES sur leur blog.

Dans le même engagement d’informer pour mieux comprendre et mieux résister, nous publions ci-après cinq articles qui traitent des multiples facettes de la crise grecque sous le règne de la Troïka.

L’auteur, Panagiotis Grigoriou, est un anthropologue, historien et blogueur grec qui voyage, observe et note. Il analyse les aspects économiques et sociaux de la crise grecque en appliquant la méthodologie du terrain observé. Il se définit lui-même comme un « blogueur de guerre économique » qui essaye de porter « un regard qui se veut à la fois ethnographique et de l’intérieur ». Vous trouverez les articles, chroniques, témoignages et notes de Panagiotis Grigoriou sur son blog http://greekcrisisnow(LCR-Web)


Grèce : l’hiver européen

Athènes a vécu un mercredi (20/11) bien maussade sous la pluie. Des mécontentements en cascade, la mauvaise ambiance et une grogne… généralisée ont ainsi marqué cette 933e journée ordinaire sous le mémorandum... sans la moindre gloire. A proximité d’un guichet automatique situé devant un supermarché à quelques kilomètres du centre-ville, des policiers en patrouille surveillaient les lieux dans l’approbation populaire spontanée : « Les voleurs ne s’attaquent plus uniquement qu’aux usagers du guichet automatique, mais aussi aux clients. Ils arrachent des mains les sacs des courses maintenant… » Tout d’un coup la sortie du parking a été bloquée. Un automobiliste avait pris la rue attenante à contre-sens, il a même tenté à s’imposer, forçant le passage. Il s’en est aussitôt suivi une bagarre entre… l’intrus et un autre automobiliste, les deux hommes s’en sont venus aux mains, provoquant l’intervention des policiers. Scène en somme banale, mais presque une caricature des mentalités du moment. Et en apparence, dirait-on loin, très loin des préoccupations de l’Eurogoupe (de sa très longue nuit du mardi à mercredi) ou de ses déchirures.

C’est vrai que dans nos immeubles, nous nous déchirons autrement, une fois de plus pour des broutilles, à savoir et notamment, sur l’immense question du moment, celle du chauffage. Les grecs se préparent à connaitre leur deuxième hiver… européen, et ce n’est pas rien. Remplir ou pas les cuves… s’entretuer pour le fioul ou alors se battre pour le bois de chauffage, voilà où nous en sommes. Pratiquement hors de tout contrôle, nos forêts disparaissent peu à peu dans nos cheminées et c’est le pays entier qui part en fumée… Plus personne ne veut, et en réalité ne peut s’approvisionner en fioul, car depuis le premier mémorandum, son prix a pratiquement triplé. Devant l’entrée d’un l’immeuble voisin, je fus le témoin d’une altercation, la deuxième du jour. Christos, le nouveau locataire du deuxième étage alors hors de lui, était en train de pousser son voisin de palier contre le mur : « Tu sais bien je n’ai plus aucune ressource, si toi ou les autres, vous vous décidez à remplir les cuves cette année, vous supporterez seuls le coût, c’est clair… »

Il y a fort à parier que la teneur et le ton de certains propos prononcés lors de l’Eurogroupe hier, n’ont sans doute guère varié. Depuis hier matin (21/11) en tout cas, nos médias boivent du petit lait, néanmoins… caillé. Les usuriers de la dette grecque s’entredéchirent visiblement (provisoirement ?), tandis que Samaras et sa Troïka de l’intérieur paniquent : « Nous avons respecté tous nos engagements, nos partenaires et nos créanciers devaient respecter les leurs », déclare-t-il (21/11) devant les cameras le Premier ministre de ce pays inexistant, comme lui. Il avait mauvaise mine Antonis Samaras, d’ailleurs. Il vient de reporter son voyage au Qatar, en attendant l’Eurogroupe de la semaine prochaine. Nos chroniqueurs à la radio, nos éditorialistes de la grande presse s’enflamment comme prévu : « Le bal masqué du dernier Eurogoroupe a pris fin. Les masques sont tombés. L’Allemagne n’admet pas de remettre… en jeu une partie de sa cagnotte d’au moins 80 milliards d’euros, ainsi générés… en instrumentalisant la crise des pays de l’Europe du sud, rien qu’en termes de taux d’intérêt [de son différentiel]. Le personnel politique de ce pays devrait enfin dire la vérité aux citoyens. Les ministres des finances de la zone euro ne sont pas parvenus à se mettre d’accord, la nuit dernière, sur le plan d’aide aide de 44 milliards à la Grèce, et c’est enfin une bonne nouvelle pour nous, même si dans une semaine on nous annoncera un soi-disant accord, retardé pour des raisons prétendument techniques. Notons aussi, que selon un récent sondage de l’institut GPO, pour Mega-TV, 62,7% des personnes interrogées se déclarent favorables au maintien de la Grèce au sein de la zone euro, ils étaient 80,9% en juin dernier. L’opinion publique, les convictions des citoyens changent alors rapidement » (Hadjinikolaou, Real-FM, 21/11).

L’Europe, ainsi que le vaste monde, ont toujours été pour nous des amours… historiquement forcés parfois ! Ces derniers jours en tout cas, j’entends énormément parler d’émigration… économique, elle retrouverait même ses allures des années 1960, d’après ce que je constate. Christos, le nouveau locataire, celui qui ne voulait plus entendre parler du fioul domestique a fini par craquer, dévoilant sa situation à ses voisins : « Comme vous le savez, je suis, ou plutôt j’étais, un petit entrepreneur dans le secteur du bâtiment, spécialiste du carrelage et des travaux de finition. Je travaillais sur les chantiers de la grande hôtellerie, ou encore sur celui des hôpitaux privés par exemple. Puis avec la crise, plus rien. J’ai quitté mon appartement car je ne pouvais plus supporter le coût du loyer. Ici… je me suis arrangé avec le propriétaire. Je lui ferai à neuf son appartement, ainsi mon loyer restera tout petit et surtout… il ne sera pas déclaré. De toute manière, il n’aurait pas loué son bien autrement… car il ne supporterait plus financièrement la nouvelle imposition sur les loyers perçus. Depuis peu, notre famille [un couple et ses deux enfants] partage cet appartement avec ma mère et ma belle mère. Nous les faisons vivre chez nous car comme mon épouse est au chômage depuis six mois, en réalité, nous survivons grâce à leurs retraites. Ce n’est pas glorieux… j’en ai honte. On vient de me proposer un gros chantier en Autriche. J’y étais il y a deux semaines, tous frais payés. C’est décidé, mon épouse et moi, partirons après les fêtes de Noël pour y rester au moins trois mois. Mon prix est imbattable, un tiers de celui habituellement pratiqué à Vienne pour la même prestation. Les autrichiens sont satisfaits, et moi, j’aurai enfin de quoi nourrir ma famille durant six mois, ensuite on avisera… je compte m’y installer peut être. Je n’ai plus d’autre choix. Sinon, s’inscrire sur les listes de la municipalité ou sur celles de l’Eglise pour bénéficier de l’aide alimentaire… nous sommes détruits dans ce pays. »

Les milliards tant retardés de l’Eurogroupe peuvent alors laisser Christos indifférent. Mercredi (21/11) justement, le nouveau quotidien anti-troïkan, « 6 Meres » [6 Jours], faisait sa « Une » sur ces 853.282 personnes officiellement inscrites sur les listes des… autorités compétentes, ainsi que sur celles de l’Eglise, pour recevoir quotidiennement de l’aide alimentaire. Dimitra, également habitante du quartier, veut sensibiliser tout le monde pour le soutien d’un orphelinat recherchant toutes sortes d’aide. Au fur et à mesure du temps de crise, le nombre d’enfants abandonnés évolue, certains parents, ne pouvant plus subvenir aux besoins de leurs enfants les confient en effet aux orphelinats. Ce n’est pas encore une pratique généralisée, car la solidarité familiale ou citoyenne n’est pas encore complètement brisée par le… Troïkanisme intégral, mais c’est déjà un signe qui ne présage rien de bon. D’ailleurs, il ne faut pas se leurrer, cette solidarité n’est pas… tellement automatique comme on aurait pu le penser, et surtout, elle ne remplacera pas les projets politiques ni leurs luttes. Elle existe fort heureusement certes, tout simplement dans certains de nos instants suspendus et somme toute, beaux. Comme l’autre jour ce père, sortant de la boulangerie du coin, qui a offert une brioche à un mendiant, sans même prononcer un seul mot.

On dirait cependant qu’une normalité apparente règne encore sur Athènes. Ses cafés sont assez fréquentés, tout comme son aéroport, qui aurait tout de même perdu pratiquement un tiers de son trafic en ce 2012 maudit. Apparences bien trompeuses mêlées à d’autres, devenues incontournables. Les nombreux exclus ne fréquentent plus tellement l’espace public, il faut le dire. Mes amis… plus au chômage que moi, s’enferment chez eux en attendant… l’implosion. Lorsqu’on fréquente certains lieux de la ville ou bien l’aéroport, on est en mesure de saisir la déchirure sociétale sans trop se tromper. Mercredi soir par exemple, c’était en plein centre d’Athènes, à deux pas de la place de la Constitution qu’une Fondation pour la culture appartenant... à une banque, inaugurait une exposition sur le thème du… regard (architectural) sur la ville. Un représentant du British Council (coorganisateur de l’exposition) prit même la parole. Un petit monde réuni en…. comité oasis, offrant aux rares passants un spectacle alors surréaliste par les temps qui courent. Un vieil homme, relativement bien habillé (peut-être bien pour ne pas effrayer les citadins encore normaux et surtout pour ne pas leur rappeler qu’ils peuvent aussi en arriver là, question aussi de… marketing), s’approcha du groupe : « S’il vous plaît, une petite aide, je suis un retraité nouveau-pauvre comme on dit », certains ont laissé une ou deux petites pièces…

Place de la Constitution encore, dans une salle du métro, des producteurs venus des quatre coins du pays proposaient… ce qui peut être vendu et acheté, si possible à un prix abordable, car surtout, sans intermédiaires. De nombreux passants ont goûté l’huile d’olive et les fromages de Crète ou du Péloponnèse. En d’autres temps on se focaliserait sur l’authenticité du terroir, mais des nos jours la réclame faite pour ces produits, promet « le salut pour ce temps [de crise] que nous vivons ». Ces derniers jours, nous avons aussi découvert ces nouvelles affiches d’un mouvement qui se dit anarchiste, et qui par cette voie, lance un appel « dans le but de constituer une milice antifasciste ». A travers la presse des derniers jours, on apprend que de leur côté, les « miliciens » de l’Aube dorée recrutent parmi les chômeurs, leur proposant d’abord du travail, en somme précaire, dans l’agriculture par exemple. Le ministre de la Police, Dendias, prétend que « la situation est sous contrôle, et que les récentes inculpations de certains sympathisants de l’Aube dorée pour détention d’armes et d’explosifs, prouve que les autorités font leur travail ».

Notre jardin d’acclimatation au nouveau totalitarisme… velouté ou pas, réagit finalement assez convenablement aux protocoles des banques. La néo-colonisation de la Grèce, mise en œuvre par les élites du grand pays réunifié dont 20% de la population est officiellement pauvre ne nous enchante pas forcement. Vivre en zone européenne occupée (via la dette) est en somme une situation dont nous commençons tout juste à prendre la mesure, et encore pas complètement : La carence la plus grave subie par le colonisé est d’être placé hors de l’histoire et hors de la cité, d’où la mise à mort de nos institutions démocratiques. Là où la situation nous semble plus compliquée à résoudre, c’est lorsque nous réalisons que le sort réservé aux autres peuples… élus de la zone euro ne serait guère différent à terme, et toute proportion gardée. Car ailleurs, on ne parlera pas encore d’occupation, ni de dictature en gestation, et on évoque même pour une énième fois, la prétendue fuite en avant dans la construction de l’Europe (Le Monde 22/11), sauf que les mythologies, même les plus tenaces, n’ont qu’un temps. Y compris chez certains magnats de la presse grecque, qui viennent de l’apprendre à leurs dépens.

C’est ainsi que la nouveauté de ces derniers jours, se résume à cet étonnant revirement dans les positions des « grands » journalistes ou même directeurs, appartenant à de groupes de presse (radio et télévision comprise), qui jusqu’à la semaine dernière, figuraient parmi les meilleurs défenseurs de l’ordre mémorandaire. Stavros Psycharis, le patron du groupe de presse DOL (Ta Nea, To Vima, Mega TV), a signé récemment un éditorial (« La Grèce n’est pas une colonie » – To Vima 18/11), fustigeant « l’occupation troïkane faite aux banques grecques, néfaste pour l’économie de notre pays », tandis que son journaliste ténor, Yannis Pretenteris, s’est offusqué de« cette botte allemande qui nous écrase le coup, nous laissant tout juste respirer pour enfin tout avouer, comme dans un interrogatoire, à savoir notre soumission » (Mega-TV, 19/11). Pauvres gens (riches) ! La raison apparente de cette tempête dans un verre d’eau est pourtant simple. Les banques grecques, alors en phase de passer effectivement sous le contrôle des capitaux allemands, n’accordent plus leurs largesses aux anciens piliers du système Troïkan, et du système népotiste bipartite régnant en maître en Grèce depuis presque quarante ans. C’est ainsi que Psycharis a précisé dans son article que son journal, « même réduit à deux feuillets, finira par être diffusé entre citoyens main dans la main ». Décidément, on frôle le syndrome de la grande résistance, mais c’est trop tard (les concernant).


Je crois, et je ne suis pas le seul à partager cette analyse entre Athènes et… la Béotie toute proche, que les nouveaux maîtres du pays, autrement dit Berlin et les autres usuriers conquérants moins apparents, regardent bien plus loin que la caste des Kshatriyas locaux. Le personnel politico-médiatique de la colonie est à ce point corrompu (les tenants du grand capitalisme allemand, Siemens en tête en savent quelque chose, pour n’évoquer qu’une affaire qui au moins est arrivée jusqu’aux salles d’audience des tribunaux allemands), et déconsidéré qu’il va falloir s’en débarrasser à moyen terme. C’est-à-dire, à partir du moment où on en connaîtra avec une meilleure précision les contours des structures et des institutions mises en place par la nouvelle colonisation du pays. Nos petits politiciens découvrent ainsi la face cachée de la lune, la leur, tout surpris qu’ils soient, des derniers événements de l’Eurogroupe, présentés comme dramatiques. On dirait que Samaras et les siens n’ont jamais lu une seule ligne de Thucydide ou d’Aristote. C’est dans le même ordre, issu du nouveau monde méta-capitaliste, qu’une partie de la petite bourgeoisie helladique découvre effrayée, qu’on ne lui laissera pas franchir le Rubicon (ou le Pisciatello !) du futur, alors proche. D’où le cri d’indignation (et de désespoir) de Psycharis et des siens. Quelle naïveté ! Croire que les (nouveaux) maîtres du pays continueraient à user des veilles… « blanchisseuses » historiques de notre sinistre systémisme.

Le capitalisme, et davantage même le méta-capitalisme (c’est-à-dire sa dernière mutation hystérique), n’est pas un pot de fleurs mais plutôt, une serre à… cactus. Je dirais même que la toute récente bataille entre… cactus (FMI contre U.E., autrement-dit, États-Unis contre Allemagne), prouve qu’il a urgence quant à la gestion du… jardin d’acclimatation grec. Le changement politique est imminent, suite à la mutation et destruction imposées à l’économie réelle et à la société. La question, encore une fois, consisterait à identifier les acteurs du changement avec précision (et ainsi « anticiper »). Car le, peuple, même confus, abruti, abattu, et en voie de partielle fascisation peut encore réagir et imposer ses solutions. Je constate même jour après jour, que ce peuple à travers certaines de ses représentations, devance les ténors politiques alternatifs (ou « alternatifs »), ceux de notre gauche par exemple, pour ce qui concerne la « solution européenne » à la crise, ainsi que le bon usage de la géopolitique du monde actuel.

Chez Syriza pourtant, on fait semblant d’ignorer ce paramètre. A moins que certains contacts très récents, entre cadres syrizistes et représentants du monde politique allemand et américain, placeraient ce mouvement dans une perceptive « avant-gardiste »… encore ignorée du bas peuple ! Certains camarades issus de l’aile gauche chez Syriza en sont visiblement inquiets, (au même titre que sur l’épineuse question des transfuges Pasokiens), et ils le font savoir publiquement. Nous avons ce que nous méritons, ou presque, en politique. Prenant au mot une récente affiche du parti de la Gauche Radicale (« Syriza c’est toi »), je dirais que la mobilisation citoyenne et populaire devrait (aussi) imposer un certain calendrier et surtout des limites à briser et d’autres à ne plus dépasser. C’est certes facile à dire et bien plus délicat à réaliser, surtout lorsque nous sommes environ un tiers des citoyens décidément démocrates (à bouger).

Entre-temps, le pays tourne encore ou plutôt, fait semblant. Place de la Constitution on démonte à présent les terrasses car l’hiver arrive, tandis qu’en Grèce centrale, on peut suivre un concert de la « Crisis pop music ». Au même moment, des banderoles en noir, posées devant les hôpitaux de la capitale rappellent que certaines catégories du personnel n’ont pas reçu de salaire depuis plusieurs mois : « Sans salaire, nous avons faim ». Notre nouvelle presse anti-mémorandum quant à elle, se penche sur le véritable calvaire des (rares) grévistes potentiels du secteur privé, reportage à l’appui.

Car il n’est pratiquement plus question de faire grève dans ce secteur, Spyros par exemple travaillant pour un service de l’aéroport d’Athènes et gréviste du 7 novembre, a été aussitôt licencié le lendemain. Ailleurs, les salariés grévistes, ont appris leur licenciement par SMS. D’autres entreprises, n’hésitent plus à licencier l’ensemble des salariés syndiqués pour ainsi « déminer » le terrain. Lutter au sein des entreprises (comme ne cessent de le répéter les dirigeants et cadres du parti communiste par exemple), n’est plus un casse tête pour les salaries, c’est carrément la guillotine du chômage. D’autant plus, que déjà, une presque moitié des (ex) travailleurs du secteur privé sont au chômage et que les conventions collectives sont de fait abolies. Au même titre que le débat Parlement notons-le.

C’est aussi en cela que l’on mesure l’avancement de la mise à mort du projet démocratique, car incompatible, avec la « gérance » exercée par les usuriers des dettes souveraine aux affaires (autrefois) communes des peuples et des nations. Nous nous éloignons alors rapidement de nos (naïves) certitudes d’avant. La crise… n’en est pas une, car c’est plutôt d’un changement de régime qu’il s’agit. Un Procureur depuis la Crète, a osé publiquement déclarer récemment, que « notre pays est occupé », pour aussitôt bénéficier du soutien médiatisé d’une de ses collègues. C’était sans compter sur la réaction du Procureur de la plus haute juridiction du pays, qui a entamé une procédure « visant à sanctionner, voire d’exclure les deux procureurs du corps de la justice, pour avoir tenu des propos graves et surtout incompatibles avec leurs fonctions ».

L’Union des Procureurs du pays s’est prononcée en faveur des deux magistrats, et l’affaire, comme tant d’autres, inaugurera une nouvelle petite bataille, toujours utile et significative à livrer. De nombreuses mairies restent occupées cette semaine, et certaines de nos poubelles ne sont toujours pas ramassées au centre-ville, mais on comprend. Puis, des amis travaillant au sein de la fonction publique sous contrat (CDI), attendent leur licenciement alors pressenti pour bientôt.

Mais Anna et son mari, tous deux retraités de la fonction publique ne veulent plus parler politique avec nous. Ils ont toujours appartenu à l’ancien monde, celui de la Nouvelle Démocratie (la droite de Samaras) plus précisément. Ils ont perdu environ 40% de leurs revenus et surtout tout espoir. Mais ils ne changeront pas d’avis. Ils comptent même sur leurs relations auprès du parti de Samaras pour influencer la direction de l’entreprise (privé) où travaille leur fils, car cette société licencie aussi en ce moment. En Grèce nous comptons plus de trente mille nouveaux chômeurs chaque mois. C’est l’hiver européen, comme le rappelle Étienne Haug à sa manière, par son projet homonyme (et abouti) de réflexion issue d’un certain nombre de reportages réalisés sur le terrain. Temps de saison, temps historique.

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Mourir pour la démocratie

Le renversement de notre vie quotidienne sous le régime mémorandaire nous était si inimaginable il y a encore deux ans, et pourtant parfois, il l’est encore, malgré tout. Nombreux sont ceux qui « n’y arrivent pas » comme on dit, ou peut-être bien s’accrochent comme ils peuvent aux rumeurs pour enfin soupirer : « Non ce n’est plus possible, il y aura une reprise… de l’activité. Nous ne pouvons pas descendre plus bas ». Sauf que d’autres, prédisent la fin (mais alors laquelle ?) pressentie comme étant assez proche, car « il n’y a guère de doute, le but des politiques menées par le mémorandum, par la Troïka et par Angela Merkel, s’apparentent à une mise à mort lente mais certaine ». Voilà que cette dernière doxa, est en passe de devenir majoritaire chez les sujets de la première colonie bancocrate euro-allemande, officiellement décrétée.

Une prise de conscience, accélérée par l’impact des dernières déclarations du personnel politique de la métropole, suite à la « temporisation » relative au déblocage d’une tranche de l’emprunt issu du « plan d’aide plus nécessaire que jamais ». C’est ainsi que les petites et grandes phrases prononcées par nos politiciens corrompus de la Troïka de l’intérieur ne dissimulent plus rien : « Attention, car nous deviendrons l’Iphigénie de l’Europe, c’est en tout cas ce qui serait souhaitable par certains pays de la zone euro » (Yannis Stournaras, ministre de l’Economie, hebdomadaire politique Epikaira – 15/11). C’est d’ores et déjà perceptible, ce sacrifice, tant redouté par le ministre, ex-directeur du centre de recherches du patronat grec et ancien président de la Banque commerciale grecque (Emporiki Bank, entre 2000 et 2004 avant son rachat par le groupe français Crédit agricole lequel s’est retiré de la Grèce en 2012), n’apaisera pas la déesse Artémis… des finances. Bien au contraire, elle sonnera probablement le… commencement de la guerre des Troïkans. Plus terre à terre, Charalambos Athanassiou, ancien haut magistrat et actuel député Nouvelle Démocratie, a proposé l’abrogation du premier paragraphe de l’article 60 de la Constitution, à savoir, « [le] droit des députés d’exprimer leur opinion et de voter selon leur conscience [qui] est illimité ». Selon l’ancien magistrat et ami personnel de Samaras, les députés ne devraient plus s’écarter de la ligne imposée par leurs partis (Epikaira – 15/11).

Ce qui au demeurant, nous donne une idée plus précise de ce que sera la gouvernance européenne par le MES, bénéficiant de l’appui de l’ensemble des « experts », exécutants locaux (politiques ou technocrates). Il s’agira ni plus ni moins, du parti unique européen et mémorandaire déjà en gestation en Grèce, si l’on s’en tient à quelques déclarations officielles faites récemment, par le chef de la Nouvelle Démocratie et Premier ministre, ainsi que par certains ténors du pasokisme… réellement inexistant qui se déclarent prêts à rejoindre « le grand parti unique de la responsabilité ». Les anciens cadres et députés du défunt parti d’extrême droite, LAOS, ont d’ailleurs déjà intégré la (nouvelle) Nouvelle Démocratie depuis six mois. Car le mémorandum, c’est-à-dire l’Union Européenne, le FMI et la BCI, incarnant le rôle des autorités occupantes, utilisant ce nouveau type de colonisation par la dette, ont déjà imposé au moins cela : l’extrême droite populiste installée au pouvoir (LAOS), puis, celle des nazillons (Aube dorée)… étant en position de relève, plus la guerre sociale. Espérons du moins que l’attribution du Prix de la Banque de Suède (Nobel) de la Paix à l’Union Européenne, demeurera son ultime imposture morale, relevée par les historiens du futur, alors poussés à réfléchir sur les questions de l’invention (avortée ?) du totalitarisme financier au XXIe siècle.

Depuis Athènes, nous subissons déjà cette destruction ultime des démocraties (certes boiteuses, mais pourtant potentiellement prometteuses) mise en œuvre, par la bancocratie du tout dernier capitalisme encore plus métaphysique que jamais, en Europe ou ailleurs. Ainsi, imaginer une nouvelle constituante européenne, si possible ratifiée directement par les peuples, comme on se le dit déjà naïvement parfois au Parlement Européen me semble-t-il, ne sert plus à rien. Les âmes (encore) sincères de certains eurodéputés, ainsi que de nombreux citoyens des pays dits centraux (France, Belgique…), n’ont sans doute pas réalisé qu’ils traversent pour l’instant leur 1938 (et ses illusions), tandis que nous, et peut-être bien les Espagnols, les Italiens ou les Portugais, nous subissons l’hiver déjà terrible de 1942. Il y a urgence.

J’ai ainsi voulu en alerter certains de mes amis et amis du blog d’abord par mail, et ensuite via ce billet tous les lecteurs du blog (basé sur ce mail), de notre ultime situation… sans cesse dépassée. Une situation, où depuis l’adoption du mémorandum III, la méta-démocratie a considérablement renforcé son emprise sur nous et sur cette Grèce fantôme, conservant désormais une indiscutable… longueur d’avance, sur les autres fantômes de l’Eurozone. Le hasard (qui n’est est pas un), a fait que je viens de lire le dernier livre de Paul Jorion (Misère de la pensée économique, Paris, Fayard, 2012), ainsi que les récents billets de Jacques Sapir, publiés sur son blog.

Leur réflexion est claire, argumentée et même émouvante par sa force, appartenant à la tradition des humanités (ce que de nombreux économistes ne font pas). C’était pour exprimer mon sentiment et en même temps cette observation : les affaires (trop) courantes de la domination bancocrate sur nos destinées dites européennes par euphémisme, en réalité sur nos vies se précisent tout en s’aggravant. D’où certaines réactions éparses mais néanmoins en cascade, ces derniers jours. De nombreux services municipaux sont fermés, partiellement ou totalement à l’initiative des agents dont les emplois sont menacés, certains maires, ont de même rejoint le mouvement. Il y a de quoi s’alarmer.

Hier (dans la nuit de dimanche à lundi 19/11), à l’issue d’une réunion marathon, Antonis Samaras, a annoncé le nouveau décret ministériel, consacrant la mise en place d’un « mécanisme de contrôle budgétaire automatique » exigé par nos« créanciers »« mesure, qui vise - selon Le Figaro – notamment les finances jusque là largement incontrôlées des collectivités locales et grandes entreprises publiques, prévoit un suivi mensuel assorti de corrections (augmentation des impôts locaux, mutations obligatoires de personnel...) en cas d’écart, selon la presse ». Sauf que Le Figaro n’a pas lu jusqu’au bout apparemment, la presse grecque de ce matin. Car « notre » Premier ministre-pantin Merkelochrome, a également précisé que dorénavant (et selon le dictat de Berlin et des autres financiers usuriers du notre vaste… para-monde), certaines mesures (mémorandaires) seront alors adoptées par décrets en Conseil de ministres, sans validation par le Parlement. Les partis de l’opposition, Syriza en premier, se disent prêts à s’adresser au Président de la « République ».

Grèce fantôme et… triste Allemagne. La recette doctrinale du parti monétariste presque unique, de la société apeurée et divisée, des droits et des salaires des travailleurs réduits (pas encore à néant certes), cette recette appliquée déjà en Allemagne par ses élites dominantes, autrement-dit, leur vision et version du méta-capitalisme rapace, est en phase d’être imposée au reste de l’Europe, avec la complicité et la docilité des élites « nationales ». Le cas échéant, en mobilisant des arguments d’une certaine métaphysique, forcement moralisatrice de la « bonne gestion », voire ceux, issus d’un certain culturalisme néocolonial, qui à part renforcer certains stéréotypes d’un sentiment anti-allemand plus profond que jamais en Europe du Sud (déjà) depuis 1945, aura peut être le… mérite de faire exploser (ou imploser) l’Union Européenne plutôt que prévu, (par ses propres contradictions et par la nouvelle géopolitique du monde actuel). Rappelons que comme le remarque Le Figaro (!),« selon l’institut du travail de l’université de Duisbourg-Essen, plus de 6,5 millions de personnes en Allemagne, soit près de 20 % des travailleurs, toucheraient moins de 10 euros brut de l’heure. Le chiffre est surtout inquiétant concernant les très petits salaires : 2 millions d’employés gagnent moins de 6 euros de l’heure et, dans l’ex-RDA, ils sont très nombreux à essayer de vivre avec moins de 4 euros par heure, c’est-à-dire moins de 720 euros par mois pour un temps complet. La population touchée par cette précarité est celle qui n’a pas le choix de son emploi pour cause de faible qualification : les moins de ­25 ans, les étrangers, les femmes. Cette situation est unique en Europe, explique l’étude, qui rappelle que les autres pays de l’Union ont instauré presque tous une loi fixant un salaire minimum. Ce n’est pas le cas en Allemagne, où chaque branche d’activité dispose de sa propre grille de salaire, négociée avec les syndicats. Ce système est profitable aux secteurs de l’industrie très syndiqués, comme l’automobile et la métallurgie. Mais dans les services, atomisés en de multiples secteurs très différents, le système se fait au détriment des employés. C’est au cours des dix dernières années, qui coïncident avec les réformes sociales très dures de l’ère Schröder, que le phénomène s’est amplifié. Le nombre de travailleurs pauvres a ainsi augmenté de 2 millions depuis 2000, particulièrement avec le recours au travail à temps partiel. »

En attendant, cette situation n’est plus unique en Europe, les administrateurs de la Grèce en savent quelque chose, car déjà (les créanciers), « nous dictent la loi, en nous mettant le pied sur la gorge », selon la déclaration, c’est-à-dire l’aveu, du ministre de la Justice Antonis Roupakiotis (également reproduite par notre presse prétorienne). Après, il ne faut pas s’étonner des réactions, voire des résistances. Comme cet appel à l’initiative d’Aristomène Syngelakis, élu municipal à Vianno, un village martyre en Crète, ayant connu un sort analogue à Oradour sur Glane durant l’occupation allemande (de 1941). Syngelakis a appellé à boycotter la troisième conférence gréco-allemande des collectivités territoriales, organisée (la semaine dernière) comme tout le monde sait ici, par Hans-Joachim Fuchtel, Ministre allemand chargé du « portefeuille grec », autrement-dit notre administrateur colonial. Et visiblement, la conférence ne s’est pas déroulée dans un climat… propice, car certains manifestants, ont lancé (comme on sait également) bouteilles et verres en plastique sur les membres de la délégation allemande, dont le Consul de ce pays à Thessalonique, alors victime... d’un gobelet de café.

Dans le même ordre d’idées et d’actes, il y a seulement quelques jours, la rencontre entre Venizélos (chef du Pasok), et le Gouverneur de la banque de Grèce fut annulée de fait par les manifestants-petits porteurs ruinés (lors de la décote imposée à leurs portefeuilles en février 2012). Très en colère, ils se sont attaqués à la voiture du chef Pasokien, et c’est finalement la police, non sans peine, qui a sauvé… ce grand homme politique du pays. Finalement, la rencontre reportée par la force… des choses, s’est tenue à l’intérieur du Parlement, car (selon la presse), il s’agit du bâtiment le mieux gardé à Athènes en ce moment. D’ailleurs, c’est pour cette même raison, que l’ex Premier ministre Simitis (il avait « préparé » l’adhésion de la Grèce à la zone euro), vient de déménager son propre bureau politique depuis le centre-ville, à l’intérieur du bâtiment de l’Assemblée, (un privilège, réservé à tout ancien Premier ministre).

A part la presse américaine qui a aussitôt évoqué les faits déroulés à Thessalonique (voir aussi le dernier billet sur ce blog), la presse allemande évidement lui a consacré de nombreux reportages. Angela Merkel s’en est même émue parait-il. Son diplomate n’a certes pas souhaité déposer plainte minimisant l’incident, néanmoins, trois syndicalistes ont été arrêtés et inculpés le lendemain pour « faits graves », car la presse grecque pro-gouvernementale, ainsi que le microcosme mémorandaire ont mobilisé toute leur énergie afin d’identifier les « grands coupables » qui comparaissent ce lundi après midi devant le juge à Thessalonique.

Eh oui, c’est… un peu fort de café comme on dit, mais ces dernières semaines, le mélange de désespoir, de ras-le-bol, mais aussi de volonté d’agir et de conserver notre dignité est étonnant et potentiellement détonant. Et on sait combien le pouvoir a aussi peur de nous. Samedi par exemple (17/11), lors de la manifestation en mémoire de la révolte des étudiants contre la dictature (en 1973), et pour la première fois, toutes les stations de métro du centre ville d’Athènes ont été fermées par la police. Mes amis et moi, nous avons été obligés à faire usage de la voiture pour nous rendre au centre-ville, et là, nous avons aussitôt découvert que les artères en direction du centre, étaient également bloquées par la police, ce qui nous a obligé à nous garer alors loin, pour finalement participer à la manifestation. Étrange affrontement muet : rues vides et de nombreux policiers postés aux intersections, en train d’observer les citoyens qui convergeaient vers les lieux des rassemblements, où d’ailleurs toute la gauche était présente. L’ambiance était enfin... humaniste (oui, nous avons urgemment besoin... d’humanisation). C’est dans le même ordre d’idées, que la grande manifestation d’il y a dix jours, place de la Constitution, lors de l’adoption au « Parlement » du mémorandum III a été violemment dispersée par la police.

La répression se radicalise, la pseudo-démocratie perd ses masques, pas plus tard que la semaine dernière, le ministre de l’Intérieur, Dendias, a déclaré lors d’un débat télévisée : « nous ne devons plus constitutionnaliser notre action politique à tout prix » ? C’était en réponse à une question relative à certaines décisions du conseil d’État (ainsi que d’autres juridictions), jugeant une partie des mesures du mémorandum III inconstitutionnelles. La dictature est désormais visible. Et le stade suivant (armée, police ou eurocorps ?) ne tardera pas je crois. (Sauf autre issue enfin heureuse !) Les citoyens français ou belges par exemple, ne l’ont pas encore compris me semble-t-il. Le passage à l’acte historique (et hystérique) est déjà en cours. Je reste pourtant optimiste sur le plus long terme. Une prise de conscience (certes tardive) est également en cours. Est-ce nos générations celles qui connaitront le renversement (ou le chaos final), ou celle par exemple de nos enfants (?), je l’ignore. Je suis par contre (presque) certain que le chaos (premier) c’est pour assez bientôt.

Dimanche (18/11), Syriza a organisé une rencontre citoyenne, à la mémoire de Sotiris Petroulas, ce jeune étudiant en économie de 23 ans, appartenant à la jeunesse de gauche, grièvement blessée par une grenade de gaz lacrymogène qui a explosé sur sa tête et dont la mort finale a été causée par strangulation lors d’une manifestation au soir du 21 juillet 1965. La police avait fait aussitôt disparaître le corps jusqu’au lendemain, où quelques Lambrakidès (membres de la jeunesse Lambrakis) découvrirent un groupe d’agents en train d’enterrer Petroulas à Kokkinia. Mikis Theodorakis fut alors prévenu. Aidé par la population du quartier, il réussit à se faire remettre le corps. Le lendemain, des centaines de milliers de personnes accompagnaient le mort de la cathédrale d’Athènes au cimetière. Dimanche (18/11), ses anciens camarades et acteurs directs des événements ont apporté leurs témoignages, visiblement émus. La gauche a aussi besoin de sa mémoire. L’extrême droite aussi.

Devant les locaux, un homme se déclarant proche de l’Aube dorée, a engagé une discussion animée avec les militants et sympathisants du parti de la Gauche radicale :« Alors vous, vous n’êtes pas par hasard responsables des trahisons du passé ? » - « Nous n’irons pas discuter avec toi maintenant, ceci n’a aucun sens, viens écouter au moins… ou alors rentre chez toi… » - « C’est vous les fascistes, moi, j’ai toujours voté à gauche, c’est-à-dire Pasok avant la trahison » - « Félicitations, c’est d’abord le Pasok qui a fascisé notre société, honte… » Le quartier dont la présence immigrée est importante, demeure un territoire où la Gauche radicale (et la gauche tout court) s’affronte souvent face aux adeptes de l’Aube dorée. D’ailleurs, l’affiche annonçant la commémoration, collée sur le mur du bâtiment, cachait mal un slogan aubedorien. Temps tranchants, comme (presque) toujours.

J’ai rencontré Pétros dans la salle, un vieux militant de l’aile gauche de Syriza. « Je suis triste. Mon ami Thanos, architecte connu et primé pour ses réalisations, installé depuis des années à Kastoria [au Nord de la Grèce] nous quitte pour le Canada. Il a mis fin… à son union libre avec Alexandra et il émigre à 46 ans, car enfin, il a trouvé du travail. Ici je mourrai, plus aucune activité… ». Ce même dimanche dernier, un auditeur a laissé ce message sur Real-FM : « Je vis désormais au Canada. Je suis informaticien. En Grèce je travaillais pour 700 euros par mois, dans l’indignité et désormais ma vie n’avait plus aucun sens. Je ne retournerai plus jamais en Grèce car ce pays m’a trahi, ici je gagne dignement ma vie, je demanderai même la nationalité canadienne ».

Le neveu de Sotiris Pétroulas, (et son parfait homonyme), a exposé la memoire de sa famille. « Nous avons déposé plainte contre l’Etat pour meurtre. C’est ainsi que ma famille a été condamnée à payer une forte amende. En plus, jusqu’aux années 1980, on ne nous autorisait pas à acheter une sépulture définitive pour notre Sotiris. La plaque commémorative rue du Stade a été brisée à deux reprises. Durant la période où Dora Bakoyanni (fille de l’ancien Premier ministre – Nouvelle démocratie, Constantinos Mitsotakis) était maire d’Athènes (1992-1993), elle a voulu faire disparaître les plaques commémoratives du centre ville, dont celle de Sotiris Pétroulas, particulièrement visée par cette mesure qui n’a pas été adoptée à l’époque, grâce à la mobilisation populaire ». Une camarade de lutte de Sotiris Petroulas prit la parole : « en 1965, nous revendiquions tous nos droits, et nous étions d’ailleurs conscients que le régime était pré-dictatorial. Mais nous nous considérions comme étant les enfants de la civilisation humaniste, de la dignité et de l’honnêteté. Nous étions prêts à mourir pour la démocratie. Cette culture humaniste, ses valeurs, nous ne les avons pas transmises à nos enfants, pas suffisamment en tout cas, voilà mon autocritique. D’où la situation actuelle… »

Ce lundi midi, les radios annoncent les nouvelles… nouvelles mesures. Le procès des syndicalistes du… café consulaire à Thessalonique a été reporté pour le 28 novembre, déjà les témoins policiers ne se sont présentés à l’audience. « Le Parlement est comme en exil » déclare Alexis Tsipras ce lundi, tandis que les autres partis de la gauche appellent le peuple à la désobéissance totale. Certains auditeurs sur Real-FM, estiment « qu’il faut cesser toute transaction avec l’Etat et ne plus rien payer, taxes, impôts ou cotisations, tant que la Grèce reste occupée ». Samaras s’empresse à présenter « ses » nouvelles mesures lors de l’Eurogroupe de demain. Sauf que déjà une nouvelle bataille s’annonce. Le ministre de la police, Dendias prépare ses plans d’attaque selon le reportage radiophonique, car de nombreuses administrations sont occupées. Soleil de lundi après-midi devant un café d’Athènes : « Samaras devrait rester à Bruxelles et pour toujours, basta… » Nous sommes fatigués de la Grèce fantôme. Seuls nos animaux adespotes (les éternels sans maître, errants et sans troïkans) nous observent toujours apathiques. Nos syllogismes collectifs entrent en ébullition, mourir pour la démocratie, ou mourir tout court ?

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De profundis

Le sens de l’histoire en gestation, n’est pas perçu de la même manière en tout lieu ni dans toutes ses subtilités. Hier, 14 novembre, « de violents affrontements ont opposé la police aux manifestants, à Madrid et à Barcelone, au terme d’une journée de mobilisation européenne contre l’austérité ayant conduit des centaines de milliers de personnes dans les rues », selon les reportages de la… grande presse , et à Athènes, on manifestait également. Néanmoins, le nombre déjà, n’y était pas. C’est vrai aussi, qu’après une semaine de mobilisation contre le mémorandum III et contre l’adoption du budget 2013, les syndicats grecs avaient en quelque sorte… minimisé cette journée d’action internationale. Ailleurs en Grèce, dans les petites et profondes campagnes, comme on dit parfois, il régnait alors un calme apparent, tous volets fermés et toutes paupières résistantes abaissées.

Depuis le fenestron de Trikala par exemple, ville thessalienne située au centre de la Grèce, ce 14 novembre parut telle une journée des plus ordinaires… autant dire que l’univers de la crise (nous) deviendrait-il familier, voire banal. Pas une seule manifestation, ni même une seule banderole symbolique, rien. D’ailleurs, les syndicats locaux ont même « oublié » d’informer les employés et agents de l’administration régionale de la grève du jour. C’est de l’intérieur des cafés, qui ne sont plus tellement fréquentés ces derniers mois, que les clients… ont découvert la journée de mobilisation européenne contre l’austérité, c’est-à-dire en regardant la télévision. On se sent pourtant concerné malgré tout : « Ah… tiens, ils ont raison, c’est pareil partout. Au village, nous avons déjà rempli nos hangars en bois de chauffage. Makis, mon frère ainé, a déjà ramassé tout ce qui trainait du côté de la rivière, voilà comment on passe notre temps désormais. A ramasser le bois, mais aussi à espionner et à… glorifier la délation. Récemment, un médecin-vétérinaire au service de la Région a démissionné, suite à une dénonciation anonyme sur un site approprié , dont la force probante ainsi que la réputation n’est plus contestable. En tout cas, et concernant cet individu, je pense que la corruption serait facile à prouver, d’où sans doute sa démission, à deux ans seulement du départ à la retraite. Espionnite, terreur et délation, tel est le nouveau triptyque en vogue dans les administrations et même dans les écoles. Lors des dernières élections syndicales chez les enseignants, les… paterno-syndicalistes de la Nouvelle Démocratie et du Pasok ont emporté la majorité des sièges au conseil syndical, en plein mémorandum III. Tout le monde est terrorisé : Quel avenir ? Qui sera licencié de la fonction publique ? Comment payer les cours d’anglais ou le conservatoire des enfants ? Et j’en passe. Déjà que certains cafés et restaurants ont fait faillite et que plus personne ne sort, la ville est presque morte. C’est pareil au village, les gens restent cloitrés chez eux, ils regardent la télé, les plus jeunes passent leurs temps sur internet, on ne se voit plus. Avant, les deux cafés du village étaient toujours pleins, chacun payait à son tour la tournée d’ouzo, c’était un autre temps. »

Nul autre moment ne peut se targuer d’avoir développé une conscience aussi explicite de la coupure à l’égard du passé que le temps du Mémorandum, cet… extraordinaire début de l’âge méta-démocratique. Le personnel politique de Trikala, les députés du département ayant apporté leur soutien au mémorandum III, devraient en être conscients, car ils sont ouvertement menacés par des activistes (ou « activistes »), du mouvement « Désobéissance ». Le texte sur leurs affichettes a au moins le mérite d’être précis et simple : « Député de Trikala. En votant en faveur des mesures d’austérité tu deviens un ennemi du peuple. La population de Trikala ne supporte pas ceux qui trahissent le peuple. Les collaborateurs des Allemands ne sont pas les bienvenus. Nous, le peuple, nous ne mourons pas (sic) ». Sauf que ces députés ont été élus (certes en promettant la fin des mesures d’austérité), par ce même peuple. Plus personne n’y songe finalement. Notre système, disons pour faire court, représentatif, s’effondre. J’y ajouterais que nos représentations s’effondrent avec lui. La classe moyenne à Trikala est d’abord terrorisée et ensuite dissoute. Peu importe la place ou le rang tenus avant la crise, on sait que désormais, l’avenir n’appartient plus à grand monde ici. J’apprends qu’au sein de la petite élite locale, on pousse la jeune génération à quitter le pays. Manos, ingénieur, fils d’ingénieur, Menis, cardiologue fils de cardiologue, se sont déjà installés ailleurs. A Londres, à Cologne ou à Amsterdam par exemple. Le petit peuple est furieux : « Toujours les mêmes. Ils se sont enrichis à l’échelle locale, ils ont triché, ils ont été soutenus par les politiciens et voilà qu’ils arrivent au moins à sauver leurs enfants, pas nous. Mais Dieu les punira, c’est notre dernier recours à tous, riches ou pauvres », dit Maria qui est devenue avec sa belle-mère, très assidues du catéchisme.

Le… surréalisme est même tel, que certaines boutiques de la ville exhibent déjà la camelote de Noël, tandis qu’une banque, ose une promotion publicitaire, décidément culturellement obsolète. Devant ses agences, les passants relèvent évidemment la contradiction : « Ah tiens, des billets de cent euros en photo, j’en ai pas vu en vrai depuis deux ans… Ils ne vont pas bien ces gens, non seulement ils nous volent, mais ils se moquent de nous en plus, honte ». La campagne thessalienne est hypnotisée mais elle ne dort pas. Espérons au moins, qu’elle ne… médite pas son cauchemar, le nôtre par la même occasion. Pour atteindre la Thessalie profonde par le train (dont les Météores), c’est d’ailleurs le seul moyen encore abordable (moins de 40 euros A/R depuis Athènes), il faut emprunter un train de correspondance à la gare de Paléofarsalos. Avec le mémorandum II (février 2012), les trains directs (depuis Athènes) ont été pratiquement tous supprimés. Le voyage à bord des voitures issues d’un certain savoir faire international demeure néanmoins confortable. La gare de triage… culturel à Paléofarsalos a été entièrement rénovée grâce aux fonds structurels de l’U.E. à un détail près : l’électrification de la ligne Salonique- Athènes (depuis le Nord) s’interrompt en Thessalie. C’est à la petite gare proche de Domokos que toutes les rames marquent un arrêt obligatoire de dix minutes afin de changer de locomotive. Et à Paléofarsalos, le train de correspondance arrive au mieux au bout d’une demi-heure, ce qui n’a rien de dramatique en soi.

Il fait déjà froid en Grèce centrale, ainsi, les habitués du café de la gare et les voyageurs… en transit, bien au chaud comme l’autre soir, peuvent suivre un match de football à la télévision… tout autant profonde que ce pays décidément devenu… trop réel : « Ah penalty… Le saviez-vous les gars ? Un oncle de Tsipras était lié à la direction de l’équipe de Panathinaïkos durant la dictature. Ensuite, Alexis est allé raconter que son tonton faisait de la résistance. Eh, les amis… notre Panathinaïkos était une véritable équipe à l’époque, pas comme aujourd’hui… décadence ». La nuit thessalienne est déjà fraiche, la saison s’annonce donc… authentique. L’Egée et ses derniers ferries abordables sont déjà bien loin aussi. J’avais remarqué un passager assis seul à l’extrémité du wagon, il était en train de lire un journal historique de l’extrême droite, connu pour ses positions en faveur des Colonels de 1967. Son titre du jour : « Il leur faut une vraie junte », voyons, c’est bien clair encore une fois. Tout comme le tabou de l’extrême droite qui n’en est plus un dans ce pays. On remerciera (aussi) les troïkans pour l’anagramme historique. Gare de Paléofarsalos, arrêt obligatoire. Sur la porte des toilettes des hommes, un seul et unique slogan : « Sang et honneur – Aube dorée ». Sur celle des toilettes des femmes par contre, rien. Il y a de l’espoir, comme toujours.

Jeudi matin (15/11), le journaliste Trangas, ce vieux renard de la droite centriste (c’est-à-dire de celle qui n’existe plus), a rappelé à ces « jeunes et ignorants députés et sympathisants de l’Aube dorée », que lors de la révolte des étudiants de l’Ecole Polytechnique d’Athènes en novembre 1973, il y a eu un certain nombre de morts, plus précisément 24, d’après Trangas (et d’après la plupart des sources), alors jeune reporteur au moment des faits. « J’étais justement sorti en reportage la nuit du 17 novembre à l’Ecole Polytechnique. J’ai vu des civils tomber sous les balles des militaires et des policiers snipers. J’ai vu, car il était assez près de moi, ce père qui tenait son jeune enfant par la main se faire tuer par balle… J’ai aussi vu l’expression au visage de cet enfant, terrifiant. Ces gens de l’Aube dorée ne peuvent donc pas dire n’importe quoi ». Nous ne sommes pas loin du 17 novembre et des commémorations qui auront lieu comme chaque année. Les aubedoriens ont alors cru trouver le moment propice pour ainsi provoquer et surtout, insinuer une propagande d’ailleurs née en son temps, par les prétoriens du régime des Colonels. Sur certaines affiches récentes du mouvement méta-nazi on peut lire : « Trouvez-nous un seul mort de l’Ecole Polytechnique et vous serrez récompensés d’une somme d’argent ». Leur stratégie est connue : ne pas permettre un renouveau de la démocratie dans ce pays, après la fin tant espérée du régime méta-démocratique bancocrate actuel.

Et ce n’est pas parce que certains anciens de la génération de 1973 ont figuré parmi les ministres Pasokiens ou que, la speakerine de la radio libre des étudiants qui émettait depuis les locaux de la révolte, termine sa carrière politique à la Commission de Bruxelles, que l’on devrait prendre l’histoire à contre-sens. Sauf que notre époque est désormais propice à tout, nous sommes en réalité exposés à tout vent. Je devrais évoquer (comme certains médias américains l’on fait ) ce jeudi, les jets de bouteilles et de verres en plastique par les manifestants, sur les membres de la délégation allemande (dont le Consul de ce pays), à Thessalonique lors de la 3e réunion gréco-allemande, entre élus locaux de deux pays. L’initiateur de ce type de réunions est Hans-Joachim Fuchtel, Ministre allemand chargé du « portefeuille grec », autrement-dit notre administrateur colonial.

Mais non, car malheureusement, il y a beaucoup plus grave. Deux jeunes femmes se sont suicidées ces derniers jours à Athènes, après avoir été licenciées. « C’est une mort tragique choisie - note notre hebdomadaire satyrique To Pontiki – qu’a été choisie par ces deux jeunes femmes suite à leur récent licenciement. La première, alors âgée de 20 ans, s’est immolée par le feu, tandis que la seconde s’est jetée du sixième étage d’un immeuble situé à l’angle de la rue l’Hymette et Timothée à Pangrati, elle travaillait comme infirmière. Sa sœur avait essayé de la retenir et ainsi de l’empêcher de se suicider, en vain… elle lui a échappé des mains. La deuxième jeune femme s’est immolée par le feu mardi soir derrière l’hôpital Amalia Fleming, d’après nos sources, elle habitait le quartier de Melissia ». La crise. De profundis.

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Bonne presse

Nos univers sociaux s’entrecroisent sans forcement se rencontrer. Cependant, les manifestants du dimanche (11/11) place de la Constitution (pas très nombreux d’ailleurs), ont fini par se mêler aux promeneurs du soir bien plus tôt que prévu. C’est alors sans se précipiter qu’ils empruntèrent la rue de la Métropole, les banderoles soigneusement pliées et les visages crispés. Sans doute que ce dimanche soir ne fut pas... grand, c’est le moins qu’on puisse dire. Le budget 2013 a été alors adopté sans surprise. La gauche et les syndicats ont visiblement tiré une salve d’honneur aux dires des participants : « notre mobilisation de mercredi dernier était plus importante. C’est notre plus grand désir qu’il y ait encore un moyen de briser ce cercle infernal du mémorandum… nous aviserons… puis, où irons-nous maintenant prendre un verre ? »

Après tout, la vie (est) encore possible. Et lundi matin c’est par une normalité apparente, que le centre-ville d’Athènes a renoué avec un certain rythme. Les transports en commun n’étaient déjà plus en grève, tout comme les services municipaux, assurant le ramassage des ordures ménagères qui s’entassaient durant plus d’une semaine. Heureux pays… « réel » ou fantasmé. Place de la Constitution je rencontre Ismini et son compagnon Vlassis : « C’est sans doute notre dernière manifestation contre le mémorandum III et contre le budget 2013. Nous ne connaîtrons pas le mémorandum IV et certainement pas, le budget 2014. Nous aurons quitté la Grèce après Noël. Nous avons épuisé toutes nos ressources, nous ne pouvons plus attendre le changement, qui en plus, risque d’être mauvais, nous ne supportons plus la société grecque, son ineptie politique, ses réflexes fascisants. Nous avons trente ans… et rien d’autre ici. » Sans solution… notre temps devient fatalement soluble.

Toutes nos discussions relèvent désormais de l’économique et de la crise, c’est-à-dire du fait social… comptable. La plus grande réussite du régime bancocrate réside justement dans cette attitude qui érige le mémorandum en vérité tautologique. Cette dernière, émergerait alors « naturellement » de la théologie de l’austérité. La messe est dite, la leur, et la nôtre ? Pour l’instant, le mémorandum est certes accepté et « pratiqué » comme s’il était le seul et unique cadre (a)social, sauf que sa politique imposée d’en haut, n’arrive plus convaincre grand monde. Nul ne songe à le contester : dans les représentations collectives ce n’est d’ailleurs plus du fait politique qu’il s’agit, mais du crime organisé et orchestré d’en haut (conspirationnisme ambiant ou pas, peu importe). La Troïka de l’intérieur et du gouvernement tripartite devrait du reste s’alarmer, plutôt que de choisir la fuite en avant.

Notre société… se mord la queue, ce qui prouve au moins qu’elle est toujours capable de mordre : « J’en veux à tous ceux qui se sont enrichis par les magouilles grâce au clientélisme durant toutes ces années et maintenant voilà, ils font les morts. Ils ne souffrent pas comme nous, nous les connaissons pourtant bien car notre ville est petite… Ils sont tout autant responsables que les politiciens. Notre région est un mouroir économique, nous ne circulons plus, nous mijotons sur place », affirmait-il un homme, joignant la gestuelle (à défaut du geste) à la parole. Scène vécue dans un café-pâtisserie donnant sur le port à Karystos, une petite ville du sud de l’île d’Eubée samedi dernier. Notons que le sud de l’Eubée, reste pour l’instant la dernière destination disons abordable en ferry depuis la région d’Athènes (hors Salamine). La traversé dure une heure et elle coûte 37 euros A/R, véhicule compris. Dimanche après-midi, et dans le sens du retour, l’unique salon du vieux navire était d’ailleurs bien fréquenté. Car à part les athéniens (retraités et fonctionnaires) en visite, de nombreux habitants de l’île convergeaient vers la capitale, souvent pour de raisons médicales. Hospitalisations, examens compliqués, plus l’anxiété qui est de mise avant toute admission : « Quand nous savons ce qui nous attend, nous le supportons plus facilement. Mais là, une fois la porte de l’hôpital franchie c’est désormais l’inconnu. Encore heureux que nous n’ayons pas à payer pour le moment la nouvelle taxe [25 euros], elle sera bientôt exigée au préalable pour chaque admission. Je ne sais plus où on va. Je paye des taxes sur tout, nouvelles et anciennes, ma maigre retraite ne me permet plus de vivre… nous sommes finis, en trois ans, la crise a sonné notre désastre ».

Sur l’île d’Eubée durant le week-end dernier, les routes étaient pratiquement vides, signe que la crise est bien installée. L’hexis de la crise implique apparemment ce silence relatif des habitants, qui ne se montrent guère très loquaces sur leur situation : « Oui, la saison estivale n’était pas fameuse, il n’y a qu’à observer le déclin de certains établissements, hôtels, cafés ou restaurants, ils n’ont pas ouvert leurs portes depuis la saison 2011. La crise est devenue un état d’esprit général et perpétuel, finalement c’est si banal et surtout si fatiguant ». Seul l’horizon Égéen n’a pas changé et ne changera pas, y compris dans ses couleurs d’automne. Par un temps assez doux, des allemands en escapade touristique et visiblement heureux, ainsi que deux jeunes habitants de la région ont même osé la baignade, certes courte. Ailleurs, à l’intérieur de l’île par exemple, Voula, une femme âgée qui après avoir conduit le troupeau familial au pâturage la journée pour regagne la bergerie le soir pour la traite comme toujours, n’avait pas l’air de partager le même univers de la crise que les citadins : « Notre vie n’a pas beaucoup changé ici au village. Sauf sur un point, les soins et la santé. Se faire soigner redevient alors un luxe, je me rappelle du temps de mes parents, c’était alors pareil. Mais nous survivrons ».

Si l’on s’en tient à un certain remodelage des mentalités depuis presque trente ans, on doit dire que sur l’île d’Eubée également, les rêveries du passé récent, celles de la consommation ostentatoire sont bel et bien mortes. Comme ailleurs en Grèce, ou comme en Espagne, la bulle immobilière n’est plus. Seules les publicités des promoteurs immobiliers en faillite ou en quasi-faillite, rappellent encore toutes ces années folles : « Greek dreams », c’est à dire le cauchemar. Néanmoins, et à défaut d’un futur perceptible et si possible virtuellement lumineux, un passé, bien antérieur aux années « débridées », finit forcement par être idéalisé. La société a horreur du vide, mais on peut aussi... le remplir par n’importe quoi. Dans certains bistrot, aux murs décorés par une multitude d’anciennes photos des lieux (et des lieux de mémoire à l’échelle locale), cette imagerie devenu presque une fresque du… « type idéal total », rencontre un succès immense : « Ah jadis, tout était si simple, il n’y avait pas tout cela… la crise, les étrangers, internet… oh, à neuf euros le calamar frit c’est encore correct. » L’Aube dorée ne dit pas autre chose : « il nous faut retrouver la pureté et la simplicité éternelle de jadis, nettoyer la Grèce, purifier la société… »Certes, ceci n’explique pas entièrement cela, mais c’est presque un truisme que de le rappeler : le méta-nazisme c’est le nazisme protozoaire plus les humeurs… de saison, qui en aurait encore douté ?

Nos mélanges sont effectivement bien (d)éto(n)nants. Tandis que sur les chaînes de télé (guidée), les invités débattent toujours très « sérieusement » du mémorandum III dans l’indifférence totale, dans un café de la ville, certains jeunes clients feuillettent un petit livre de Noam Chomsky, offert en supplément gratuit avec le dernier numéro de la revue (anti-mémorandum) Epikaira, paru la semaine dernière. En guise de prolongement à sa thématique, on apprend par ailleurs (lundi 12/11) en consultant le site de la revue, que le frère du ministre adjoint à la Défense, Panagiotis Karambelas, s’est suicidé dimanche, « un acte tragique, vraisemblablement lié au contexte économique, car le suicidé était promoteur immobilier ». L’automne 2012 serait pourtant un temps de déclic. Lundi matin (12/11), un nouveau quotidien (« 6 Jours ») se vend en kiosque. Résolument anti-mémorandum par sa ligne éditoriale, il s’agit d’une aventure initiée par l’hebdomadaire satyrique To Pontiki. En vente depuis déjà une semaine, un autre nouveau journal, « Le quotidien des rédacteurs », se situe également à gauche dans l’échiquier des représentations, adoptant une approche des faits analogue. Dans les deux cas, les journalistes sont partiellement issus de l’ancienne équipe du quotidien historique Elefterotypia, qui a fait faillite en décembre 2011.

Il faut rappeler que parmi les grands quotidiens, Elefterotypia était le seul titre dont l’orientation correspondait assez fidèlement au mouvement anti-mémorandum de gauche. On sait aussi que le pouvoir (Papandréou) et les banques, n’ont rien fait pour permettre le sauvetage de ce quotidien, tandis qu’au même moment, certains groupes de la presse mémorandiste, pourtant tout autant endettés, ont bénéficié de la « largesse » et de la bienveillance des banques.

La dernière nouvelle, ou plutôt rumeur, étonnante du moment, veut que Mania Tegopoulou (elle a la propriété du titre), serait en mesure de rééditer son journal très bientôt. On évoque même la date du 29 novembre comme étant celle du probable nouveau lancement. Tout en se réjouissant de cette éclosion de la presse (enfin) anti-mémorandaire, nous nous demandons enfin (et dans quelle mesure), comment se fait-il que des capitaux qui jusque là faisaient cruellement défaut, deviennent par « miracle » disponibles. L’avenir fera sans doute apparaitre la vérité, d’autant plus, qu’il y a de doutes quant à la viabilité simultanée de ces projets parallèles. Certaines autres rumeurs, issues de la nuée du microcosme journalistique, assurent que le quotidien « 6 Jours » bénéficierait du soutien direct de Syriza, dans une stratégie évidente de conquête du pouvoir gouvernemental par la Gauche radicale. Nous n’en savons rien pour l’instant et ce n’est sans doute pas notre plus grande préoccupation du moment, sauf qu’indéniablement, le temps du déclic c’est en ce moment.

Ce n’est d’ailleurs pas par hasard, si l’éditorial inaugural et fondateur du quotidien « 6 Jours » sous le titre : « La fin des illusions » souligne d’emblée « que la Grèce change d’époque. La période très dure, initiée par le mémorandum I en 2010 et qui a érigé la Troïka en pouvoir suprême du pays se termine, avec l’effondrement de sa mythologie du salut. Ceux qui, consciemment ou inconsciemment ont menti, récoltent désormais le fruit très amer de leurs promesses et surtout de leurs actes : leur vote au Parlement en faveur du mémorandum III et en faveur du budget 2013 a décisivement scellé cette identification du gouvernement tripartite à la seule volonté de la dynastie des créanciers. Sauf que c’est en même temps la fin des illusions. La société acculée dos au mur fera bientôt preuve d’auto-défense. Elle n’a guère d’autre choix. Nous considérons que désormais telle est sa volonté face aux mesures d’austérité, face aux clans familiaux qui dirigent le pays, face à la corruption, et enfin, face à la tentative de ressusciter le nazisme chez nous. Notre nouveau quotidien arrive justement à cet instant historique où le nouveau paysage politique est en train de naître, sauf que de nombreuses questions demeurent ouvertes. Nous serons présents à notre manière durant cette période où le peuple grec revendique enfin sa dignité, exige la refondation du pays, tout comme la sortie de la crise. Pour nous, il n’y a plus aucun dilemme… »

Le ton est donné. « L’affrontement est imminent (…) les acteurs gouvernementaux aux réflexes politiques nécrosés, estiment sans doute que la société est vaincue, et de ce fait, elle serait assurément gérable. Mais ils se trompent. Ils pensent pouvoir décider (et continuellement) contre la volonté de la société mais c’est sans compter sur la colère populaire, immesurable. Nous ignorons quelles seront les formes politiques et pratiques de la réaction ainsi que son intensité (…) » (« 6 Jours », p. 2). « Samaras, a voulu joindre par téléphone Angela Markel, il l’a tenté à plusieurs reprises ce dimanche mais en vain. On comprend l’angoisse du Premier ministre, car son dernier mensonge ne peut plus être dissimulé. En dépit de l’adoption du budget 2013 et du mémorandum III, le montant du plan d’aide, censé nous sauver, immédiatement en plus, n’a pas été débloqué » (« 6 Jours », p. 16).

Nos deux nouveaux quotidiens, opèrent enfin cette jonction plus nécessaire que jamais, entre les histoires parallèles des pays et des peuples qui subissent la guerre sociale inaugurée par certaines élites européennes et nationales. On apprend par exemple (« 6 Jours », p. 32) la nouvelle de l’immense retentissement du suicide d’Amaya Egana, cette ancienne élue socialiste de 53 ans, qui s’est suicidée vendredi au Pays basque, alors qu’elle était sur le point d’être expulsée, se trouvant dans l’incapacité de rembourser son emprunt immobilier. Elle s’est jetée par la fenêtre du quatrième étage, mourant sur le coup, quand les huissiers se sont présentés chez elle. Encore une fois, aux cris de « banquiers assassins », des milliers de personnes ont depuis manifesté en Espagne, obligeant le pouvoir sur place à un certain… recadrage, même de façade. On apprend aussi, comme par hasard, qu’Angela Merkel est déclaréepersona non grata par le peuple portugais (« Le quotidien des rédacteurs » – 12/11). Décidément, les hostilités à l’égard des peuples, entreprises par certaines élites allemandes (et pas seulement) en Europe du Sud, finiront par cristalliser tôt ou tard, le rejet de l’euro, de l’Union Européenne et de leurs mythologies. Ce processus en gestation, depuis Athènes en tout cas, est déjà bien perceptible.

Nos mentalités se figent alors pour le meilleur ou pour le pire. Sur les murs d’Athènes, les affiches et les slogans dénonçant la mascarade de l’euro trouvent désormais un écho de plus en plus favorable auprès de la population. D’ailleurs, les méta-nazis de Mikhaliolakos, toujours en bon surfeurs-kairoscopes, ont déjà saisi cette dernière mutation dans l’air du temps. Précisant (ou plutôt rectifiant) ses positions dimanche (11/11) devant le Parlement, le chef de l’Aube dorée s’est déclaré prêt à soutenir l’abandon de l’euro, à partir du moment où son maintient deviendrait préjudiciable pour la Grèce : « Si effectivement, il faut choisir entre l’euro et la Grèce, alors nous choisirons la Grèce. D’ailleurs, l’Allemagne découvrira bientôt à son tour à quel point sa gestion de l’euro lui est également préjudiciable » (En direct du Parlement sur la radio Real-FM, 11/11, cité de mémoire). Mikhaliolakos a par la même occasion « adopté » (pour la première fois officiellement), l’idée de Manolis Glezos qui consiste à exiger de l’Allemagne, le remboursement de l’emprunt obligatoire datant de la période d’occupation des années 1940. Lorsqu’on connaît le paroxysme des attaques (et insultes) récentes proférées par les députés aubedoriens visant le grand résistant et député Syriza, on réalise alors mieux le sens de la tactique de l’Aube dorée. Là encore finalement rien de très nouveau, ils adoptent (ou plutôt ils font semblant d’adopter) certaines idées de la gauche, plus sa rhétorique : « Nous sommes un mouvement résolument nationaliste et anti-capitaliste », déclara Mikhaliolakos, dimanche soir au Parlement.

Et tandis que certains hebdomadaires faisant dans le sensationnel, (im)posent la question : « Tsipras ou les chars ? [la dictature] », chez Syriza on fera tout, sauf se radicaliser. Les militants de l’aille gauche du parti (rencontrés place de la Constitution la semaine dernière) sont en colère : « Tsipras croit courtiser le centre politique et social du pays mais il se trompe. Dans un processus de mise à mort de la classe moyenne le centre explose. D’où certainement la mort du Pasok. Sauf que certains transfuges pasokiens chez nous, bien malins comme toujours, sont en train de brouiller les pistes, Alexis Mitropoulos par exemple. Ensuite, Tsipras et Dragasakis[député issu de l’aille droite chez Syriza] évitent le débat sur l’euro et sur l’Union Européenne. Depuis juin, nous ne sommes plus à l’avant-garde du débat sociétal, mais plutôt derrière lui. Les gens se radicalisent, ils veulent l’affrontement, si possible motivé par des positions claires et nettes. Le plan B doit être dit et annoncé : si besoin, sortir de l’euro, voire de l’U.E. ». Au petit salon du bateau qui nous amena en Attique depuis l’île d’Eubée, certains passagers lisaient Avgi, le journal officiel de Syriza. Ils avaient l’air bien pensifs et pour tout dire préoccupés. Espérer prendre son destin en main après tant d’années d’hétéronomie complète débouchant aux temps de l’esclavage pour tous et de la gloire pour les seuls adeptes de l’Ecole de Chicago, n’a certes rien de rassurant en soi. Déjà que cette nouvelle conscience n’est pas encore partagée au même degré par tous les grecs.

Aux pieds de la statue du poète Palamas au centre d’Athènes, le slogan est sans équivoque : « La révolte maintenant ». Pourtant, les usagers quotidiens de la ville lui sont en apparence indifférents. On se rappellera au moins qu’en octobre 1940, le grand poète avait lancé un message célèbre, c’était au début de l’occupation allemande : « Je n’ai qu’une chose à vous dire. Enivrez-vous du vin immortel de 1821 », [c’est-à-dire, « révoltez-vous »]. Le 27 février 1943, les funérailles nationales de Palamas ont donné lieu à un poignant appel à la résistance par le poète Angelos Sikelianos, et une immense foule reprit en chœur l’hymne national.

Mais à part la grande histoire, les petits événements marquent aussi à leur manière notre trivialité et ses évidences. Sur les marchés de l’agglomération, les oranges de saison sont déjà arrivées, preuve infaillible que l’hiver c’est pour bientôt. A Athènes comme sur l’île d’Eubée on stocke du bois car le fioul domestique n’a plus la côte, au même titre que le Pasok de Venizélos, alors devenu… une ferme (au mieux) pédagogique. Dans nos quartiers au moins, on sait encore s’occuper des vrais animaux adespotes (qui n’ont pas de maîtres). Espérons aussi, que le temps de l’animalité politique finira… sans pour autant laisser sa place à l’animalité et au cannibalisme social prôné par certains.

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Asphyxies structurelles

L’asphyxie devient incontestablement un élément essentiel et structurant du temps troïkan ainsi que de sa « gérance ». Tout y passe, les institutions démocratiques (certes déjà suffisamment parodiées), l’économie réelle, le monde du travail et ses règles, nos vies, nos rêves, nos projections imaginaires. Finalement, c’est l’hologramme de nos anciennes existences devenu « hésitant », qui doit disparaitre asphyxié, nous emportant avec lui. Et si possible, avant le futur mémorandum VI. Hier soir (07/11) maudit en tout cas, lors de la présentation et du débat au « Parlement » du texte de loi-cadre « de grande orientation politique, ce nouveau plan de rigueur pluri-annuel réclamé par nos bailleurs internationaux, l’UE et le FMI », autrement-dit du mémorandum III, nous avons assisté au rituel désormais « acquis » : la répression par l’asphyxie de notre manifestation (très massive), place de la Constitution.

Inéluctablement la répression policière… se systématise mémorandum après mémorandum comme dans un rite de passage… conduisant à l’âge de l’Achéron social. Le régime bancocrate introduit en Grèce par l’U.E., le FMI, et par l’essentiel des élites du pays, se radicalise dramatiquement au fil des mois, imposant « un état d’exception » qui ne dit pas encore son nom (en entier). Nous l’avons (une fois de plus) bien senti ce soir devant le « Parlement », rien que pour avoir eu l’audace de manifester pacifiquement. Le mémorandum III a été adopté tard dans la nuit de mercredi à jeudi à une courte majorité de 153 députés des partis conservateur et « socialiste », soutenant l’exécutif de la coalition tripartite. Les élus Nouvelle Démocratie et Pasok, ont avalisé ces mesures… de l’asphyxie structurelle finale (le Parlement monocaméral grec est composé de 300 élus). Les députés issus des rangs de la « Gauche démocratique » (qui participe au gouvernement) se sont abstenus, tandis que six députés Pasok et un élu de la Nouvelle Démocratie, qui ne se sont pas exprimés en faveur du mémorandum III, ont été « automatiquement » exclus de leurs partis.

N’en déplaise aux troïkans de l’extérieur comme de l’intérieur, nous étions fort nombreux à occuper les rues du centre-ville dès l’après-midi (07/11), plus de cent mille manifestants. Les premiers rassemblements « préparatoires » à proximité de la place Syntagma, comme à Monastiraki (Syriza – Gauche radicale) ou à Omonoia (KKE – Parti communiste) par exemple, ont convergé vers la place de la Constitution vers 18h. Devant le Parlement, des journalistes scandinaves par exemple, ont eu l’occasion d’interviewer certains retraités, devenus figures emblématiques de l’asphyxie ambiante : « Non monsieur, nous ne pouvons plus vivre d’une retraite de 210 euros par mois… S’il vous plaît, je crois qu’il faut bien transmettre ce message chez vous… »Pratiquement toute la sociologie de la gauche avec ses codes et ses manières convergeait pour une fois (presque) unie, et je dirais même assez joyeuse. J’ai remarqué par exemple que certains militants Syrizistes ont salué l’arrivée place Syntagma du cortège communiste. Certains, reconnaissaient leurs amis et ainsi se précipitèrent les saluer « à la base », un militant Syriziste a même reconnu son ex-épouse : « je savais que mon ex ne quitterait jamais le PC, en tout cas bravo, ils sont là… et ils sont bien organisés, mieux que nous ».

Un monde courageux de tout âge et surtout beaucoup de jeunes occupèrent la place. J’ai pu aussi reconnaître certains militants de la petite droite anti-mémorandum (« Grecs Indépendants »), ainsi que les « motards du refus », arrivés tôt sur la place, « les taxis en colère », et pour finir… le mouvement incessant des vendeurs ambulants, immigrés ou pas, habitués des lieux et des circonstances. Peu avant 20h, quand la pluie a commencé à tomber, les manifestants n’ont pas bougé, déterminés à rester, tandis qu’au même moment, les vendeurs ambulants toujours… prévoyants, se sont aussitôt transformés en vendeurs de parapluies. Sauf que les parapluies ne protègent pas des gaz asphyxiants lancés par la police sans trop tarder, et sans attendre l’arrêt complet de la pluie. Entre manifestants, nous nous sommes alors protégés grâce aux moyens habituels, masques et mouchoirs, une femme offrit à tout le monde son mélange d’eau et de Maalox « fait maison », à base de ce médicament antiacide contenant de l’hydroxyde d’aluminium et de l’hydroxyde de magnésium permettant de réduire ou de neutraliser l’acidité de l’estomac humain, ainsi que celle des vomissements du monstre bancocrate et des prétoriens du moment. Nous avons hélas l’habitude.

La manifestation s’est terminée comme tant d’autres depuis 2010. Nous avons trouvé provisoirement « refuge » dans un café rue de la Métropole, honorant par la même occasion une sociabilité qui de plus en plus nous fait défaut. Certains Syrizistes du courant gauche de leur mouvement ainsi que les autres « clients-refugiés politiques » du café, ont été du moins d’accord sur un point : « la lutte conventionnelle ne mène plus à rien. Nos députés et les autres du KKE devraient quitter le bâtiment et rejoindre la manifestation. Le peuple de gauche et pour tout dire le peuple tout court, réalise que les manifestations et les grèves quasi impossibles n’ont en rien entravé la poursuite de la politique du mémorandum. Les mesures adoptées peuvent être jugées anti-constitutionnelles, les tenants du pouvoir passent toujours outre. Plus rien ne les arrête, hormis les élections et encore… Lorsque Tsipras gouvernera, car on peut toujours rêver, le pays n’existera plus et notre société aura implosé. Le totalitarisme doux s’installe… sans nous attendre. Je suis enseignant et je remarque depuis juin que mes collègues n’osent plus faire grève. Un climat de peur et de suspicion prédomine sur nos actes et sur nos pensées désormais. Sans compter sur la pression exercée sur nous par certains élèves, se réclamant de l’Aube dorée. Envers eux, nous devons rester calmes, humains et pédagogues, même s’ils nous demandent de comptes politiques et idéologiques. Ensuite, et c’était il y a seulement deux jours, un nouveau décret du ministère, vient d’abolir de fait, nos titularisations. Suivant les besoins du service nous pouvons être mutés n’importe où. On sait que par ce type de mesures on peut par exemple ainsi punir les enseignants qui résistent – ce n’est plus un scenario mais une réalité. Pour que la situation change enfin, il va falloir accepter le sacrifice de nos vies même. C’est dramatique mais je crois qu’il faut en arriver là pour espérer. Je le dirai aux proches du camarade Tsipras, il ne faut plus miser que sur la… vie parlementaire… »

C’est vrai que durant un court moment, les députés Syriza ont quitté la parodie parlementaire pour prendre un bain de foule parmi les manifestants, est-ce vraiment un signe ? Mais nous autres, manifestants anonymes, poursuivis… par l’asphyxie propagée, nous sommes descendus jusqu’à la place de Monastiraki, point de départ de la manifestation quatre heures auparavant. Nous avons aussi appris que les militants communistes ont été repoussés par la police jusqu’à la place Omonoia, lieu initial de leur rassemblement. En dépit de la répression, la manifestation a pris fin sous le signe de la fierté, de la dignité et de la colère soutenue : « leur heure arrivera » a dit une femme les larmes aux yeux. Les députés ont enfin rompu leurs rangs, tandis que les journalistes du matin suivant, préparaient sans doute déjà leurs papiers plus éclairants que jamais.

A l’heure bien tardive de l’adoption du mémorandum III, la place était totalement « évacuée » et on respirait parait-il mieux aussi du côté du gouvernement. Pas nous. Je me souviens de cet homme âgé, franchissant à la hâte la porte du bistrot pour éviter les gaz de la police. « Je suis asthmatique, c’est chronique… comme notre nouvelle dictature ». Mais en quelques minutes à l’intérieur du bistrot aux portes pourtant fermées, l’air devint irrespirable. Nous avons été contraints d’évacuer les lieux, laissant notre sociabilité d’urgence sur place, inachevée. « Encore heureux les amis, la dernière fois, des policiers ont même chargé à l’intérieur des bistrots et des tavernes ». Aux yeux de tous, l’essentiel de la journée d’hier, relève de « l’urbanisme politique » du fait (instituant) accompli. La nouvelle cité mémorandaire est désormais fondée. L’asphyxie ab urbe condita. Finalement, cette nuit de la résistance n’aurait pas été si longue. Celle de l’imbroglio parlementaire non plus. Seule la nuit du mémorandum III risque d’être interminable.

« Hier soir, nous avons assisté à la mort clinique de la démocratie… préparons alors nos passeports et quittons le pays », tel fut le message d’un auditeur sur la radio Real-FM ce (mercredi) matin. Hier soir, place de la constitution, certains jeunes manifestants dressaient de leur côté la liste des absents : « Ah oui, Mina et son compagnon Dimitri, je me souviens bien d’eux, ils étaient parmi nous encore l’année dernière, nous avons fait ensemble toutes les manifs depuis 2010. Ils avaient campé à Syntagma au moment du mouvement des Indignés. Ils ont quitté la Grèce après les élections de juin. Mina poursuit ses études à Londres, Dimitri a trouvé un job sur place… » Ce mercredi matin à la télévision, certains députés de la « majorité », peut-être imprudemment, se sont empressés d’exprimer leur grande satisfaction du jour d’après. Sauf que c’est la deuxième fois en deux ans que ce « Parlement », (certes élu mais sous l’emprise de la… « meilleure mécanique sociale » possible depuis longtemps), perd sa légitimité. Il se trouverait même, que les acteurs de ce théâtre du politique parodié aient incarné l’avant-dernier, voire le dernier acte d’une tragédie qui également les concerne.

L’heure du jugement premier s’approche. Aucun peuple européen (sauf en Europe de l’Est), n’a subi une telle destruction de son niveau de vie, de ses droits sociaux et de ses représentations si rapidement, sauf en temps de guerre. Le système mémorandaire, imposé par nos élites, et par le TINAlisme de l’U.E. sous l’emprise des élites allemandes est un projet qui s’inscrit visiblement dans la longue durée. Il y a à parier que la longue nuit du nouveau temps historique… mort se comptera en décennies. Pas pour tout le monde. La dépouille d’un homme disparu depuis fin août dans une région montagneuse du Nord de la Grèce, vient d’être retrouvée par un berger. Elle appartient à Georges Hadjis, un ancien ouvrier à la retraite. Selon le reportage de la presse locale et nationale, l’homme alors âgé de 60 ans s’est suicidé après avoir appris la diminution drastique de sa retraite. « Je n’ai plus rien à apporter à mes proches. Je ne reviendrai plus à la maison », aurait-il déclaré, prenant à témoin, les employés du service des retraites à l’antenne locale de la Sécurité (?) sociale avant de disparaître. Ce matin, dans un quartier d’Athènes, un petit boucher affirme devant ses clients habitués, posséder désormais une arme « car les temps changent ». Effectivement, de 3,8 milliards d’euros en juin dernier, les nouveaux impayés (taxes, imposition, TVA…) relevés par le ministère de l’Economie ont atteint 10 milliards d’euros en septembre. Asphyxies structurelles, loin de l’Europe des Lumières. Nuit d’hier, nuits prochaines ?


Ces cinq articles et les photos les illustrant ont été publiés sur le blog de l’auteur : http://greekcrisisnow.blogspot.fr


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