Le PSB : bouée de sauvetage d’un régime qui coule
Par Eric Corijn le Mardi, 18 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

C'est en 1885 que le POB voit le jour. Dans les années qui suivent, il va se construire comme force politique nationale au travers de nombreuses grèves pour le suffrage universel (1887, 1891, 1902 et 1913). Une fois ce droit conquis, les conditions politiques existeront pour intégrer les socialistes dans le circuit du pouvoir. Ce qui se passera dorénavant chaque fois que les rapports de force se modifieront au détriment du grand capital. Tout commencera le 4 août 1914...

14-18 : la patrie en danger

Ce jour-là, l'armée allemande franchi la frontière. Devant le parlement réuni d'urgence, le premier ministre de Broqueville demande 200 millions de crédit de guerre. Ils seront votés à l'unanimité par les députés socialistes, qui verront en échange leur leader Emile Vandervelde devenir ministre d'Etat. Le POB sera ainsi le premier parti ouvrier d'Europe à s'intégrer dans un gouvernement d'union nationale. Dans une guerre où deux blocs impérialistes s'affrontaient, dans une guerre où les masses populaires des deux camps n'avaient rien à gagner et tout à perdre, le POB assumait la boucherie en soutenant «sa» bourgeoisie, pourtant aussi criminelle que celle d'en face.

Vint 1917 et la révolution russe. Le virus révolutionnaire s'étendait en Europe et menaçait une Belgique ébranlée par une guerre qui n'en finissait pas. On avait besoin des socialistes pour éviter le pire. Ils répondirent à l'appel. Le 8 janvier 1918, un deuxième socialiste, Emile Brunet, rentre au gouvernement. Et dès les lendemains de l'armistice, un nouveau cabinet est mis sur pied avec la participation, cette fois, de trois socialistes (Vandervelde, Anseele et Wauters) à des postes - clés (justice, travaux publics et industrie, travail et ravitaillement).

Le POB restera au gouvernement dans toute la phase de montée révolutionnaire qui suivit la guerre mondiale. De décembre 1919 à novembre 1921, ils décrocheront même un quatrième portefeuille ministériel (pour Jules Destrée). Pendant ce temps, à la base, des luttes se développent. L'objectif: la réduction du service militaire à six mois. Malgré des promesses vagues, le POB n'allait pas réussir à canaliser cette revendication dans les conciliabules gouvernementaux. Le 16 octobre 1921, une grande manifestation socialiste se déroule à La Louvière en faveur des six mois. Devant le ministre Anseele présent, les anciens combattants manifestent avec le fusil brisé. Manifestation intolérable pour la bourgeoisie, alors que déjà la poussée du mouvement populaire s'affaiblissait. On allait pouvoir se passer des socialistes.

Le 20 novembre 1921, nouvelles élections. Sous les gouvernements d'union nationale, l'économie avait été relancée, le POB garantissant la passivité ouvrière. Celui-ci sera le grand perdant de l'affaire, régressant aux élections après avoir été abandonné par son aile gauche (animée par Joseph Jacqmotte et l'aile anti-militariste de la Jeune Garde Socialiste) qui avait donné naissance au Parti Communiste. Une bipartite bourgeoise catholique - libérale dirigée par Theunis se constitue. Et le congrès de 3 décembre du POB décide solennellement de plus participer à une coalition gouvernementale avec les partis bourgeois. Ce sera l'opposition.

A la rescousse

Le 5 avril 1925 changement de décor. Ce jour-là, le gouvernement tombe et provoque des élections anticipées. Ayant regagné la confiance des masses dans sa lutte contre le gouvernement, le POB en sort vainqueur avec 39,4% des voix, son plus haut pourcentage de tous les temps. Son crédit auprès des travailleurs se trouvait renforcé : il aurait pu, sûr d'être suivi, prendre la tête d'une lutte ouvrière extra-parlementaire. Il fera le contraire. Au mépris de ses propres décisions de congrès, il va s'engager dans une nouvelle expérience de coalition gouvernementale. Ce sera le gouvernement Poullet - Vandervelde, constitué le 17 juin 1925, qui gouvernera contre les libéraux et la droite catholique. Une coalition « travailliste » qui servira dorénavant de modèle...

Le programme de ce gouvernement se voulait « mesuré ». Autrement dit, le POB était prêt à collaborer à une solution « nationale » pour résoudre la crise monétaire qui couvait. Comme ça ne réussissait pas, le grand capital lui signifia son congé au bout de 11 mois... ; et un nouveau gouvernement d'union nationale se constituait, dans lequel le POB jouait de nouveau un rôle d'otage. On leva pour deux milliards de nouveaux impôts, et les revendications sociales furent remisées au frigo. Sur le dos des masses, la crise monétaire fut endiguée.

En échange de sa bonne volonté, le POB espérait faire adopter son programme militaire (les six mois). Ses partenaires gouvernementaux votèrent contre un projet de loi dans ce sens et en profitèrent pour renvoyer les socialistes dans l'opposition. Le 26 mai 1929, quand eurent lieu les élections législatives régulières, le POB paya le prix de sa participation gouvernementale en tombant à 36% du corps électoral.

Troisième essai

1929, l'année du krach boursier de Wall Street. La crise économique déferle sur l'ensemble du monde capitaliste. La direction social-démocrate ne trouve pas d'alternative. Mais elle doit désormais compter sur la résistance ouvrière et sur une solide aile gauche organisée en son sein autour du journal « L'Action Socialiste ». Cette force militante fut canalisée dans une propagande pour le plan De Man (le nouvel homme fort du parti), un plan qui contenait certaines mesures radicales, telles les nationalisations du crédit et des industries de base. Des grèves ouvrières furent déclenchées pour le soutenir. Ce virage à gauche fit remonter le PSB à 37,1% lors des élections de 1932. La menace devenait trop grande pour la bourgeoisie; les socialistes devaient à nouveau être associés au pouvoir.

De Man parlera de cette époque dans ses mémoires: « Le mécontentement croissant faisait craindre une grève générale politique. Un mot aurait suffi pour déchaîner le mouvement. J'ai refusé de prononcer ce mot. Les dirigeants syndicaux et les vieux leaders réformistes apprécièrent que j'aie conjuré la grève générale et que la campagne pour le Plan, finalement, accélère le retour des socialistes au gouvernement. C'était d'ailleurs le seul moyen d'empêcher l'action pour le Plan de se transformer en un mouvement insurrectionnel de la classe ouvrière». Le 25 mars 1935, retour donc du POB, avec cinq ministres, dans une tripartite dirigée par le catholique Van Zeeland. Le nouveau gouvernement n'allait bien sûr pas appliquer le Plan. Qui mena, bien entendu, une politique d'austérité, avec dévaluation du franc et pleins pouvoirs à la clé pour le cabinet. Le passage parlementaire au socialisme échouait une fois de plus.

Le POB resta au gouvernement jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Ils prirent part à cinq gouvernements entre '35 et '39 (ce qui prouve assez l'instabilité du régime). Du 15 mars 1938 au 9 février 1939, P.H. Spaak devint même le premier des premiers ministres socialistes.

D'élections en élections, le POB perd du terrain. En 1936, leur score est encore de 32,1%; en 1939, ils se retrouvent avec 30,1%. Mais l'intégration était totale. La deuxième guerre mondiale, la grande défaite de la classe ouvrière internationale, frappait déjà à la porte. Et les socialistes continuaient à se cantonner dans les combines parlementaires et le freinage de la lutte sociale. En 1940, le président De Man estima le rôle du POB terminé: il dissout le parti.

Une première conclusion s'impose: à chaque flambée des luttes ouvrières, le POB augmentait son audience. Chaque fois, il rentrait au gouvernement pour y appliquer un programme bourgeois, pour sortir le capitalisme de l'ornière. Et aux élections suivantes, il y avait recul. Le socialisme était toujours aussi loin ; le capitalisme surmontait des crises répétées.

La guerre : intermède

Après avoir dissous le parti. De Man se rangea donc aux côtés de l’« Ordre Nouveau ». Son syndicat unique (« l'Union des travailleurs manuels et intellectuels ») devint un instrument important pour le maintien de la paix sociale, la classe ouvrière avait perdu ses organisations autonomes. Et pendant ce temps, l'ancien compère de De Man, P.H.Spaak, cautionnait la politique bourgeoise du gouvernement Pierlot à Londres...

Sous l'occupation, un nouveau mouvement ouvrier se construisait, sous l'impulsion de la gauche syndicaliste (dont André Renard) et des communistes à partir de l'été '41 (date de l'invasion allemande en URSS). Il allait sortir de la guerre complètement restructuré.

En '45 comme en '18 ...

Comme après la première guerre mondiale, les lendemains de la guerre vont connaître une nouvelle poussée de luttes des classes, et ce d'autant plus que la social-démocratie a perdu son hégémonie. Elle devra se battre pendant un an pour conquérir la direction de la FGTB en cours de constitution. De son côté, la bourgeoisie se trouve confrontée à la lourde charge du redémarrage de son économie. Les problèmes épineux de la « question royale » et de l'épuration achèvent de lui empoisonner l'existence. Le moyen éprouvé d'éviter l'instabilité: l'association des partis ouvriers au pouvoir.

Ainsi, pendant les premiers gouvernements de l'après-guerre, qui organisèrent le désarmement de la résistance, la démobilisation des luttes des travailleurs et, sur cette base, la reconstruction d'un régime capitaliste stable, le POB - devenu entre-temps PSB - prit sa part de responsabilité au pouvoir (imité par le Parti Communiste). Sur le plan électoral, le scénario habituel se reproduisit. Aux élections de 1946, le PSB obtint 31,6% des voix (12,7% pour le PC). En juin 1949, le PSB tombe à 29,7% (le PC à 7,5%). Les partis ouvriers avaient fait leur travail. On pouvait les chasser du pouvoir. Et malgré cette ingratitude notoire, la direction du PSB freina tant qu'elle put la grève générale insurrectionnelle de juin '50, afin qu'elle ne menace pas le régime.

Le cartel rouge-bleu

Après 1950, la classe ouvrière belge va connaître une phase de démoralisation et se trouvera divisée en deux par la politique scolaire des nouveaux dirigeants du PSB (avec Léo Collard comme figure de proue), qui donna lieu à une « guerre scolaire » de 8 ans. Pour défendre l'enseignement public, le PSB s'engagea dans une alliance avec les libéraux. Le cartel gagna les élections de 1954 et Van Acker forma un gouvernement de coalition PSB-Libéraux, qui siégea jusqu'en juin 1958. Comme on pouvait s'en douter, la politique de ce gouvernement était loin d'être socialiste. En témoigne la radicalisation qu'allait connaître la FGTB pendant ce temps et qui déboucha sur le programme de réformes de structure de '54 et '56. En témoignent aussi les premières grèves à partir de 1957 contre la politique de Van Acker.

La crise structurelle du capitalisme belge commençait à s'affirmer. Le pacte scolaire mît un terme à ta guerre scolaire et la bourgeoisie pouvait enfin resserrer ses rangs. Après un nouveau (et désormais habituel) recul du PSB aux élections de 1958 elle se donna des gouvernements de droite homogènes, PSC seul d'abord, PSC-Libéraux ensuite, tous deux dirigés par Eyskens. C'est ce dernier gouvernement, constitué sur une base ouvertement anti-ouvrière, qui déclenchera l'offensive générale avec la loi unique.

On le sait: la classe ouvrière a réagi. A partir de la base et avec l'appui de la FGTB wallonne dirigée par André Renard, elle va mener la plus grande grève générale de son histoire. Côté bourgeois, c'est la panique. Mais la CSC, alors étroitement contrôlée par le PSC, trahit la grève... et la bureaucratie de la FGTB flamande, autour de Louis Major, fera de même, en refusant d'organiser le combat. Sur la base de cette magnifique action de masse qui fut cassée en son milieu, le PSB ne gagna que 1% aux élections, ce qui lui parut suffisant pour retourner au pouvoir avec le PSC: Ce fut le gouvernement Lefèvre - Spaak.

Le règne de la concertation

Sous sa responsabilité, la loi unique fut appliquée par petits morceaux. Des lois anti-grèves furent votées. La paix sociale fut organisée. Résultat: le 23 mai 1965, le PSB perd 8,6% de ses voix aux élections (28,3%)!

Et il retourne au pouvoir ! De cette période (le gouvernement Harmel-Spinoy), on retiendra surtout la sanglante répression contre la grève de Zwartberg, organisée par le ministre socialiste de l'Intérieur Alfonse Vranckx. Le PSB fut chassé du gouvernement autour d'un différend sur l'assurance-maladie, mais il ne combatit pas l'équipe de rechange, le gouvernement des pleins pouvoirs Van den Boeynants-Declercq. Dame, il ne fallait pas se brouiller avec les inévitables partenaires de demain... Ce fut le mouvement étudiant, parti de Louvain, qui mit fin au règne de VdB. Aux élections du 31 mars 1968, le PSB perdra encore 1,1% des voix: le prix de son insistance à s'incruster au pouvoir.

Ici, changement de scénario. La crise communautaire mine les forces politiques de la bourgeoisie de l'intérieur. En outre, pour prévenir la récession qui s'annonce, celle-ci désire renforcer les mécanismes d'intégration du mouvement ouvrier dans le système. Pour cela, elle fait une fois de plus appel au PSB. Dans le nouveau cabinet Eyskens, celui-ci sera représenté par les personnalités de sa gauche, Merlot et Cools (un autre scénario habituel). Cette coalition avec le PSC sera reconduite, bien qu'entre-temps, aux élections de novembre '71, le PSB devait encore perdre 0,8% des voix, tombant à 26,4%.

Fait nouveau, pendant que le PSB recule au thermomètre électoral, la lutte des travailleurs connaît une remontée, du moins à partir de 1970. Pour la bourgeoisie, il s'agit de compromettre au maximum les directions ouvrières afin de couper coûte que coûte les ailes à cette nouvelle radicalisation. Au niveau gouvernemental, cette nécessité vit l'avènement du gouvernement « trpartite » de Leburton, où, à côté des libéraux et des sociaux-chrétiens, siégeaient en bonne place Glinne et Calewaert, chefs de file de la gauche social-démocrate.

Puis vint Tindemans. La crise économique qui s'aggrave, les marges de manœuvre du grand capital qui s'amenuisent, la nécessité impérieuse de refaire l'unité de toutes les forces politiques bourgeoises, la tentative de museler le mouvement ouvrier en s'appuyant uniquement sur la droite syndicale chrétienne flamande... Aujourd'hui, l'échec est éclatant. Et au chevet du régime malade, on appelle à nouveau le PSB. Ce 13 novembre, en congrès, il allait dire oui, comme d'habitude...

Cocu et content

Depuis la fin de la première guerre mondiale, la Belgique a connu 41 gouvernements. les socialistes y ont participé 26 fois (et les communistes 5 fois, quand c'était vraiment nécessaire). Chaque fois, ils se sont employés à freiner la lutte des masses et à renforcer l'Etat capitaliste. Chaque fois que leur influence déclinait, en conséquence de leur propre comportement démobilisateur, on les chassait du pouvoir. Jusqu'au moment où la bourgeoisie se heurtait à une résistance trop vive des travailleurs. Et où elle les rappelait au pouvoir.

En 17 élections, nos social-démocrates n'ont décidément rien appris. Ils se sentent bien dans leur rôle de bouée de sauvetage de la bourgeoisie. Et aujourd'hui, comme De Man avant la première guerre mondiale, comme Spaak dans les années '30, comme Merlot après '60-'61, comme Cools en '68, comme Glinne et Calewaert en '73, l'aile gauche n'a offert aucune résistance. C'est aussi pour cela que le PSB ne pourra être réformé de l'intérieur. Pour cela que le combat pour le socialisme passe par un nouveau parti ouvrier, un parti révolutionnaire.

La Gauche, 18/11/1976

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