La vraie signification de la révolution de 1830
Par A.Vilain le Mardi, 18 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Une analyse marxiste de la révolution de 1830 qui donna naissance à la Belgique...

LES DATES

27, 28, 29 JUILLET : ce sont les « Trois Glorieuses » à Paris : la Révolution de Juillet faite par le peuple parisien qui supprime le régime autoritaire des Bourbons, restauré après Waterloo. Un des piliers de la réactionnaire Sainte-Alliance, autrement dit de la contre-révolution, est abattu. La bourgeoisie instaure une monarchie libérale avec Louis-Philippe.

25 JUILLET 1830 : Représentation de La Muette de Portici à la Monnaie. Des émeutes se produisent et l'effervescence perdure jusqu'au...

23 AU 26 SEPTEMBRE : ce sont les « Journées de Septembre ». Les troupes hollandaises ne réussissent pas à prendre Bruxelles : la révolution triomphe.

BOURGEOISIE ET BLOUSONS BLEUS

De quelle nature sont les griefs des Belges à la veille de la révolution, au moment où bourgeois, catholiques et libéraux font l'«union des oppositions» ? D'ordre politique incontestablement. Ces griefs concernent l'emploi des langues dans les provinces belges, la répartition des emplois publics, le régime scolaire et la liberté de la presse.

Des griefs politiques, il n'y en a guère. Pirenne n'écrit-il pas qu'« A la veille de la révolution de 1830, le royaume des Pays-Bas semble bien avoir été l'Etat le plus prospère de l'Europe continentale, et cette prospérité se manifeste d'une manière plus éclatante encore dans sa partie belge que dans sa partie hollandaise. C'est là en grande partie l'œuvre personnelle du roi Guillaume, fondateur et principal actionnaire de la Société Générale.

La situation est loin d'être aussi tendue que lors de la crise de 1817, au moment où les industries du sud n'ont pas encore retrouvé des débouchés pour remplacer le marché français perdu après Waterloo et la formation des Pays-Bas, et où l'évêque de Gand est condamné par contumace à la déportation.

L'opposition politique de la bourgeoisie méridionale « reste donc sur le terrain constitutionnel, elle vise au, renversement du ministère, jugé trop peu belgophile ». Elle ne s'assigne ni la séparation administrative, ni l'autonomie vis-à-vis des Hollandais. Elle n'est pas guidée par le principe des nationalités, notion qui sera conçue et émise vingt ans plus tard. La monarchie et la personne royale elle-même sont hors de question. Guillaume est accueilli avec calme par la bonne société bruxelloise, lorsqu'il visite l'exposition de Bruxelles le 10 août 1830.

Du côté du prolétariat, la situation est différente. L'impôt sur la mouture et l'abattage, instauré en 1822, n'est supprimé qu'en 1829, sauf à Bruxelles où il est maintenu par la municipalité. D'autre part, l'essor économique et le développement de la concurrence qui amènent l'introduction de 218 machines rien que pour Liège et le Hainaut en 1929, sont des faits qui aggravent sérieusement la misère de la classe ouvrière.

Il est ici incontestable que le spectacle donné à la Monnaie, le 25 août, fut l'étincelle qui fit exploser la poudre, dans une atmosphère surchauffée due au succès des « trois glorieuses » à Paris. Mais l’historien Bologne note, d'après Huybrecht, que dès le 24 et dans la journée du 25 août, des bandes d'ouvriers sans ouvrage s'adonnent à des manifestations.

Les émeutiers s'en prennent à l'autorité et à ses suppôts (ministre, bourgmestre, chef de police. Journaux d'opinion gouvernementale). Deux mémorialistes, Niellon et De Wargny, défendent formellement le peuple contre l'intention de pillage qu'on lui prête.

Mais le lendemain, 26 août au matin, l'action prend une tournure significative : des ouvriers réduits au chômage, la « canaille », saccagent des fabriques à Cureghem, à Halle, à Forest où fonctionnent des installations mécaniques. C'est « la scission entre les blousons bleus et la bourgeoisie » comme le note une publication imprimée en 1830.

LA GARDE BOURGEOISE

Aussitôt se constitue la Garde bourgeoise, « institution conservatrice » qui se charge, selon la formule consacrée, de protéger les personnes et les biens, et dont les premiers coups ne sont nullement pour les Hollandais, mais pour les travailleurs en révolte. Apprenant ce fait, Gendebien, leader des annexionnistes francophiles, regrette qu'on perde ainsi « notre chair à canon ».

Pendant près d'un mois, la bourgeoisie s'efforce, par l'intermédiaire de délégations et du prince d'Orange» de négocier un arrangement avec le Roi, qui n'oppose pas un refus catégorique aux revendications présentées, mais ne veut pas s'incliner sous l'effet de la menace et prétend utiliser la voie légale et parlementaire. Ce despote éclairé, homme d'affaires avisé, a raison de croire qu'il peut arriver à s'entendre avec sa bourgeoisie méridionale, mais il ignore la puissance des travailleurs en révolte.

Par ailleurs, la bourgeoisie, inventant commissions et comités, tente de contenir le prolétariat par les concessions (suppression des taxes d'abattage et de mouture), les cadeaux (carte de pain gratuit aux indigents) et les menaces (retrait de cette carte aux « attroupés»).

Le 23 septembre, tous les députés belges participent à la réunion des Etats généraux, à La Haye, et y arborent la cocarde orange. Le peuple, méfiant, redouble de vigilance: rassemblé tous les jours, il fait pression sur les assemblées en dénonçant les intentions de trahison et, surtout, il s'arme tant bien que mal. La marche sur Bruxelles s'organise (pourtant La Gauche n'existait pas encore!) au départ du Borinage, du Limbourg, des Flandres, de Liège et du Brabant wallon.

N'empêche, lorsque le 21 septembre les colonnes hollandaises font leur apparition aux portes de la ville, la résistance est bien mal préparée. A l'exception d'Hoogvorst, les « noires casaques » après avoir délibéré d'une éventuelle soumission de la Garde bourgeoise, détalent dans tous les sens: Rogier, Gendebien, Merode et d'autres. Nombreux sont ceux qui éprouvent le besoin d'aller chercher le renfort des Borains très loin vers le sud, à Lille ou à Valenciennes.

LE PEUPLE SAUVE LA REVOLUTION

Pendant ce temps, « le peuple de Bruxelles, la canaille, s'est conduit héroïquement. Depuis des jours, ils se battent comme des lions. Il n'y a ni capitaine, ni général, ni rien. Tout s'improvise à la minute, par petits pelotons. « Ce sont ces petits pelotons qui ont assuré, dès le premier jour, la victoire de Bruxelles et l'indépendance de la Belgique. » (De Bavay)

La résistance du jeudi 23 septembre fut, en effet, décisive; elle dérouta et démoralisa les Hollandais à qui trois jours supplémentaires de bataille n'apporta pas le succès escompté de la prise de Bruxelles.

Il est extrêmement intéressant de noter, avec Léon Defuisseaux, dans « Les Hontes du Suffrage censitaire » que sur la liste publiée par lui des 137 tués ce premier jour de bataille, figurent 134 ouvriers dont la profession est nettement caractérisée. Voilà qui en dit long sur le rôle de la bourgeoisie dans « sa » révolution !

Autre remarque curieuse faite par Bologne: à ce moment, l'organisation militaire de Bruxelles n'est plus aux mains d'Hoogvorst, mais d'un jeune savant minéralogiste de 22 ans, Engelspach, dit Larivière. Après les combats, le gouvernement provisoire le nommera agent général aux armées, mais il mourra un an plus tard. Pas plus que pour Robespierre à Paris, le nom de ce héros national n'a été donné au moindre bout de rue de notre capitale. Ingratitudes significatives !

Dès le 24 septembre, tandis que les renforts de provinces affluent, Rogier rentre à Bruxelles, suivi de près par d'autres et, le 25, se produit ce que Bologne appelle « le coup d'Etat des chefs bourgeois » qui crée une commission d'où sortira le Gouvernement provisoire. Là aussi, les combattants de la onzième heure surent organiser la victoire.

Dans les jours et les semaines qui suivent, l'insurrection se propage dans les villes de province pour amener la libération d'Anvers à la fin d'octobre. Des émeutes se produisent même parmi les ouvriers d'Aix-la-Chapelle, ce qui démontre l'action du prolétariat plus que celle du peuple belge cher à Pirenne.

EPILOGUE

Mais revenons en arrière. Le 27 septembre arrive à Bruxelles De Potter, le journaliste proscrit, démocrate progressiste, Saint-Simonien, tant de fois réclamé par la foule qui voit en lui son chef. Le Gouvernement provisoire l'incorpore immédiatement. Ce gouvernement ne perd pas de temps. Dès le 10 octobre, il fixe par arrêté les modalités de l'élection des députés au Congrès national. A titre transitoire, on garde les bases de l'ancien système censitaire. Le Congrès national ainsi élu admettra l'élection directe et l'éligibilité sans condition de sens, mais évitera soigneusement d'adopter le suffrage universel. Un demi-siècle de luttes politiques, de peines et de sang sera ensuite nécessaire pour réparer le désastre...

Dans ses souvenirs personnels, De Potter, parfaitement lucide, écrit : (Bol. p. 58) « Je ne doutai pas le moins du monde qu'en prêtant à ces messieurs tout l'appui de ma popularité qui était immense alors, je m'ôtai à moi-même la possibilité de la conserver, puisque n'ayant qu'une voix au Conseil, j'assumais sur moi la responsabilité entière des actes même les plus impopulaires du gouvernement, que je les eusse ou ne les eusse pas voulus. Car le peuple ne voyait que moi. La faute que je fis en acceptant une place au Gouvernement provisoire, est la plus grande que je pusse faire: elle m'enleva tout moyen, et j'en avais à cette époque de fort efficaces, de faire le bien, et elle fit peser sur moi tout le mal qui fut fait. » Puisse cette leçon être méditée par ceux qui représentent aujourd'hui la classe ouvrière !

La Gauche n°33, 26 août 1961

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