Oeil pour oeil... jusqu'à l'aveuglement?
Par LCR le Jeudi, 20 Septembre 2001 PDF Imprimer Envoyer

Déclaration du POS (ex-LCR) sur les attentats du 11 septembre à New York, septembre 2001

Les attentats terroristes du mardi 11 septembre vont avoir d'énormes conséquences dépassant de très loin les États-Unis. L'impérialisme américain, cruellement blessé, tente d'utiliser le drame pour redresser la légitimité déclinante de son hégémonie mondiale. Les retombées de ces attentats sont par conséquent éminemment négatives pour ceux et celles qui luttent contre l'exploitation et l'oppression, partout sur la planète.

Imminente, la vengeance des États-Unis ne peut qu'augmenter l'instabilité du monde. Car, comme le disent les pacifistes américains, «an eye for an eye makes everybody blind» (oeil pour oeil rend tout le monde aveugle)...

1. Nous condamnons avec force les attentats terroristes du 11 septembre. Ce sont des actes barbares, indignes de l'humanité. L'immense majorité des victimes sont des citoyens innocents, des hommes et des femmes de toutes nationalités et de toute origine : ce sont des employés d'une des nombreuses entreprises basées dans les tours du WTC, des passants ou des touristes, sans oublier les passagers et les équipages des avions détournés ainsi que les pompiers et autres sauveteurs accourus sur les lieux avant l'effondrement des tours. Nous exprimons notre solidarité à ces victimes et à leurs proches.

2. Nous refusons aussi l'indignation sélective et le «deux poids deux mesures». La souffrance de la population américaine ne diffère en rien de celle qu'Israël impose aux Palestiniens, avec le soutien des États-Unis. C'est la même souffrance que connaissent les civils Irakiens dont les enfants meurent faute de médicaments, du fait de l'embargo imposé par les États-Unis depuis dix ans. C'est la même souffrance qu'ont éprouvée les populations de Belgrade et d'autres villes yougoslaves bombardées «chirurgicalement» par les États-Unis. Les millions de Vietnamiens écrasés sous les bombes américaines au napalm et à la dioxine connaissent aussi cette souffrance. Le peuple chilien l'a connue pendant et après le coup d'État fomenté par les États-Unis. C'est la souffrance qu'ont endurée les populations civiles de Dresde, d'Hiroshima et de Nagasaki à la fin de la seconde guerre mondiale. Toutes ces actions ont tué avant tout des milliers de civils innocents, victimes du terrorisme d'État US. Il est profondément injuste que seule la souffrance des Américains suscite la compassion et donne droit à réparation. Les Arabes souffrent de l'humiliation et de la violence infligée aux Palestiniens. Si le peuple palestinien n'obtient pas justice, la spirale de la violence s'élargira à tout le monde arabo-musulman.

3. L'impérialisme américain est sur le point de nous entraîner dans cette fuite en avant. «Nous sommes en guerre» ont dit les dirigeants US avant même de savoir exactement qui est l'ennemi. Ils nous parlent d'une guerre du «Bien contre le Mal», d'une guerre de «la civilisation», de «la liberté» et de «la démocratie» (sic) contre le «terrorisme international» et «ceux qui lui offrent l'hospitalité». Quelle hypocrisie ! Depuis quand Bush junior, champion de la peine de mort et ami des intégristes religieux qui jettent des bombes contre les centres pratiquant l'avortement est-il le «défenseur de la civilisation» ? Depuis quand Ariel Sharon, boucher impuni des camps palestiniens de Sabra et de Chatila, qui collabore au gouvernement avec des ministres d'extrême-droite, est-il le «défenseur de la démocratie» ? Si Poutine rejoint Bush et Sharon dans leur croisade contre le «terrorisme islamique», devrons-nous aussi saluer comme un combattant du «Bien» ce criminel de guerre qui a écrasé la population de Grozny sous les bombes?

4. En vérité, oui, les États-Unis sont en guerre. Ils sont en guerre depuis des années, sur toute la planète. La guerre qu'ils mènent s'est accélérée depuis la Chute du Mur. Elle est militaire, comme dans le Golfe, à Panama, en Somalie, au Kosovo. Elle est aussi et surtout économique et sociale: c'est la guerre des États-Unis pour renforcer leur hégémonie néolibérale sur le monde. Cette guerre silencieuse fait un nombre incalculable de victimes dont on ne parle jamais, par exemple les 40 000 enfants du tiers monde qui meurent tous les jours de la faim et de maladies parfaitement curables. Cette guerre sous hégémonie US se heurte à de plus en plus d'ennemis. Des millions de gens, des dizaines de milliers d'organisations de toutes sortes, sur tous les continents, sont entrés en résistance : en Amérique latine, en Afrique, au Moyen-Orient en Asie, en Europe (Gênes !) et aux États-Unis même (Seattle !). Partout est contestée cette arrogance des États-Unis qui considèrent le monde comme un protectorat, dénoncent le protocole de Kyoto, quittent la conférence de Durban contre le racisme, donnent le ton dans l'OMC, le FMI, la Banque Mondiale. C'est une protestation massive, multiple, démocratique, qui n'a rien à voir avec le terrorisme.

5. Par bien des aspects, la guerre que Bush junior prépare ressemble à celle que son père a menée dans le Golfe. Le père claironnait que cette guerre était une guerre du «droit international» pour un «nouvel ordre mondial». On a vu ce qu'il en est advenu! Faut-il encore répéter que ce sont ces mêmes États-Unis, via leurs services de renseignements, qui ont formé ces terroristes, les ont entraînés et financés sans scrupules, créant ainsi de véritables Frankenstein qui se sont ensuite retournés contre eux ? Suspect N°1 des attentats du 11 septembre, Oussama Ben Laden était un agent de la CIA au temps de la guerre contre l'invasion russe en Afghanistan. Troublante similitude avec Saddam Hussein, soutenu par les États-Unis dans la guerre contre l'Iran et qui pouvait sans problèmes, à l'époque, employer des armes chimiques contre les Kurdes. Pour ne pas parler de l'ex-agent de la CIA Noriega, dictateur du Panama, qui fut ensuite accusé et arrêté pour «trafic de drogue» alors qu'il avait commencé cette activité très lucrative pour le compte de Washington, comme quantité de responsables des services secrets américains d'ailleurs.

6. La cible officielle de Bush-le-fils est «le terrorisme» et, derrière lui, l'intégrisme religieux islamique que les Talibans ont porté au paroxysme. Or, cet intégrisme religieux n'est pas sorti du néant. Il n'est pas issu du cerveau dérangé d'un milliardaire saoudien fanatique. Il est sorti de la politique des grandes puissances, en particulier des États-Unis. Ce sont ces puissances qui ont mis en place des régimes fondamentalistes comme celui d'Arabie Saoudite, du Koweït, des Émirats Arabes Unis. Le Pakistan aussi est un «ami traditionnel des États-Unis», et les USA n'ont jamais soutenu les ennemis des Talibans. Pour l'impérialisme, ce genre de régimes et de ouvements était un moyen commode d'endiguer le potentiel progressiste, laïc, émancipateur des mouvements arabo-musulmans de libération nationale. Dans cette lutte, tout faisait et fait encore farine au moulin, car il y a un enjeu économique majeur : le pétrole.

7. La croisade anti-terroriste de Bush junior est justement ce que cherche Oussama Ben Laden. En fin stratège, le Saoudien chercher à retourner la force de son adversaire contre celui-ci. Plus les États-Unis frapperont brutalement le monde arabo-musulman, plus ces «frappes» tueront de civils innocents, plus la «coalition anti-terroriste» sera large, plus il y aura de régimes arabes complices... et plus la Guerre sainte apparaîtra comme le seul moyen de lutter vraiment contre l'injustice profonde faite aux Palestiniens et, à travers eux, aux arabo-musulmans du monde entier. Ceux-ci se révolteront jusqu'au coeur des grandes villes occidentales, donnant au «djihad» toujours plus de combattants. L'histoire a déjà prouvé que ce calcul est exact. En effet, ces dernières années, sous prétexte de «lutte anti-terroriste», les USA ont bombardé les villes libyennes de Tripoli et Benghazi, et envoyé leurs missiles contre l'Afghanistan et le Soudan. Dans ce dernier cas, il s'agissait paraît-il de détruire une usine d'armements chimiques. C'était en réalité une usine pharmaceutique, établie en plein milieu d'un quartier populaire. Cette croisade n'a pas davantage éradiqué le terrorisme que la guerre du Golfe n'a créé un nouvel ordre mondial. Au contraire, le désordre augmente, et le terrorisme aussi.

8. Le plus grand danger est donc que l'impérialisme US va exploiter froidement le choc du 11 septembre pour tenter de reconquérir dans le monde entier sa légitimité fortement ébranlée et forcer chacun à marcher au pas. Le «terrorisme international» deviendra le prétexte et l'épouvantail, les milliers de victimes américaines deviendront l'argument massue pour faire taire toute voix critique. Les États-Unis veulent utiliser le 11 septembre pour lancer une nouvelle campagne impérialiste. Et Bush junior compte en profiter pour donner un semblant de légitimité à son élection, tout en marginalisant son opposition interne.

9. Les attentats terroristes ne sont pas seulement condamnables d'un point de vue éthique. D'un point de vue politique, leur effet est désastreux. Fortement contestés, les projets de bouclier antimissiles vont être accélérés (et ce alors que leur inefficacité vient d'être démontrée de façon irréfutable !). Tout aussi inefficaces contre le terrorisme sont les grandes manoeuvres de la flotte de l'Atlantique, le rappel de milliers de réservistes, le recrutement de nouveaux soldats, etc. Ces gesticulations ont pour but de faire avaler l'augmentation prévue des dépenses militaires avec pour conséquence inévitable les restrictions dans les budgets sociaux de l'éducation, de la santé et autres besoins sociaux élémentaires. Rien de tout cela ne permettra d'éviter de nouveaux attentats, mais peu importe : les États-Unis misent sur une nouvelle course aux armements. Une victoire pour eux est d'avoir réussi à faire considérer comme applicable l'article 5 de la charte de l'OTAN, ce qui oblige tous les États membres à contribuer à l'effort de guerre, avec toutes les conséquences qui en découlent du point de vue de la militarisation de l'opinion dans les États membres.

10. Il faut être bien conscients des conséquences néfastes de ces projets aux États-Unis même. Jusqu'à présent, Bush junior n'a en rien été considéré comme un président légitime. Dans son propre pays, il est vu comme l'homme de la droite éthique abique, l'homme du lobby pétrolier et du complexe militaro-industriel. Il est confronté à une radicalisation croissante des étudiants, de plus en plus mobilisés contre les conséquences de la globalisation capitaliste et qui, depuis Seattle, jettent des ponts vers la gauche du mouvement syndical. Des secteurs syndicaux essaient de défendre les «working poors», les victimes de la récession et des licenciements qu'elle entraîne. Le mouvement des femmes s'oppose à l'offensive morale réactionnaire contre les acquis de décennies de mobilisation. La communauté afro-américaine comprend qu'elle a peu à attendre de ce Texan raciste. La grande crainte est que ces voix internes aux États-Unis soient étouffées sous une vague patriotique unanimiste, pour ne pas parler du risque d'une vague de racisme anti-arabe.

11. A la veille du pas qualitatif qu'elle se prépare à franchir sur la voie de sa transformation en puissance impérialiste upranationale, l'Union européenne (UE) est confrontée à un dilemme : si elle emboîte trop docilement les pas de États-Unis, elle peut faire une croix sur ses ambitions mondiales, pour une longue période. Ce dilemme divise les dirigeants européens. Tandis que Blair tient le même discours guerrier que Bush, l'Allemand Joska Fischer (et le Belge Louis Michel) voudraient une politique plus prudente. Pourtant, le bilan de l'Union européenne et des États impérialistes qui la composent incite à ne pas se faire d'illusions. Quand Eltsine et Poutine écrasaient Grozny sous les bombes et rayaient des villages tchétchènes de la carte, l'Union refusait toute ingérence dans ce qui n'était pour elle qu'une «affaire intérieure russe». L'UE n'est pas une «alternative humanitaire» mais un agent actif et un moteur de cette globalisation néolibérale génératrice de chaos et de guerres. Elle fait la guerre là où les intérêts impérialistes le commandent. De plus, il est à craindre que, au sein de l'UE également, le climat actuel sera exploité afin de faire passer une augmentation des budgets militaires ainsi qu'une hausse des moyens alloués aux services de police et de renseignements. Tout ceci au prix de nouvelles mesures antisociales, et avec pour revers de la médaille une restriction des droits et des libertés démocratiques.

12. Au travers de la crise, le projet de construction d'une armée européenne capable de porter les «valeurs européennes» (lisez : les intérêts des multinationales européennes) dans les Balkans, en Afrique, au Moyen Orient et où que ce soit est mis sous pression une fois de plus. Il en a été de même chaque fois qu'une crise internationale a éclaté, parce que l'Oncle Sam a donné le ton. Les dirigeants européens semblent très conscients du problème : à côté des déclarations de solidarité, des trois minutes de silence et du feu vert à l'application de l'article 5 de l'OTAN, ils semblent vouloir éviter de donner un chèque en blanc aux USA, prennent certaines distances avec les appels à la vengeance et se démarquent dans la mesure du possible des discours guerriers de Bush. Cela devient une affaire de rapports de forces et, pour construire ceux-ci face aux USA, l'UE doit apparaître comme un bloc, depuis les Britanniques jusqu'aux Grecs. Pour y parvenir, l'UE ne peut qu'accentuer son côté despotique, ce qui implique une nouvelle défaite infligée à ceux qui cultivent l'illusion d'une Europe démocratique, sociale et écologique dans le cadre actuel.

13. Les répercussions désastreuses du 11 septembre et de la réaction US risquent de devenir encore plus nettes si l'économie capitaliste passe de l'essoufflement et de la récession à la crise ouverte. Toutes les forces politiques font le maximum pour l'éviter. Mais le coup de froid semble difficilement évitable aux États-Unis. Le contrecoup en Europe ne saurait tarder : on ne peut exclure de nouvelles fermetures d'entreprises, de nouvelles restrictions des acquis sociaux, le tout dans un climat de remilitarisation, de restriction des droits démocratiques et de criminalisation des mouvements sociaux. Cela plaide pour que le mouvement syndical s'exprime ouvertement contre la logique de guerre de la Maison Blanche et de Camp David.

14. La tâche immédiate de tout progressiste est de combattre la fausse image de la lutte entre deux camps : le camp du «Bien» t celui du «terrorisme international». Notre camp est celui des millions de gens exploités et opprimés par l'impérialisme, qui n'ont pas fait le choix de l'action terroriste contre la population américaine ‹ un camp dont la majorité de cette population fait d'ailleurs partie. La tâche immédiate de tout progressiste est de montrer que ce camp existe en pratique. En luttant contre la mondialisation capitaliste, contre la nouvelle course aux armements, contre les actions de vengeance de l'impérialisme, contre les restrictions aux droits démocratiques et aux acquis sociaux. Et, surtout, en luttant pour une solution juste de la question palestinienne.

15. La logique de guerre de Bush junior et de ses alliés risque d'amener le monde au bord de l'abîme. Le front impérialiste uni qui joue sur la peur menace de précipiter tout le monde dans une fuite en avant mortelle. C'est la direction opposée qu'il faut prendre, pour donner un avenir digne de ce nom à l'humanité. La voie de la «civilisation» contre la barbarie, c'est celle que le mouvement «antimondialisation» a commencé à tracer : c'est la voie d'une autre mondialisation par l'annulation de la dette du tiers monde, la répartition équitable des richesses, la mise au pas des marchés financiers, la concrétisation effective de l'égalité des droits pour tous et toutes. La construction de cette alternative internationaliste, pluraliste, démocratique, sociale, écologique, reste la tâche prioritaire. Depuis le 11 septembre, «un autre monde» semble moins aisément «possible» qu'avant. Mais il est plus nécessaire que jamais!

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