Un nouveau monde en marche: mondialisation capitaliste et nouvel internationalisme
Par LCR le Vendredi, 20 Juillet 2001 PDF Imprimer Envoyer

Résolution du XIIIe Congrès du POS, novembre 2001.

1. LA PERIODE HISTORIQUE: D'OU VENONS-NOUS?

1.1 L'évolution des modes de production est rythmée par de longues périodes historiques qui orientent leur évolution politique, sociale et économique. L' ouverture et la fin de ces périodes sont principalement déterminés par la lutte des classes; par une participation active des masses dans le processus historique, que ce soit de façon consciente (révolutions) ou subie (guerres) ainsi que par une progression ou un recul spectaculaire des forces productives.

1.2 La dernière période historique du mode de production capitaliste fut celle ouverte par la Première guerre mondiale impérialiste et surtout par la Révolution d'Octobre 1917 en Russie. Cette dernière, en brisant la chaîne impérialiste en son maillon le plus faible, a arraché à la domination et à l'exploitation du marché capitaliste des masses humaines considérables et de vastes territoires. En incarnant aux yeux des exploités et des opprimés du monde entier une alternative socialiste concrète au système capitaliste - bien que de façon illusoire après la victoire de la contre-révolution bureaucratique -, cette révolution a profondément modifié le rapport de forces entre le capital et le travail pendant des décennies, tant à l'échelle internationale qu'au niveau des Etats pris séparément.

1.3 Cette longue période historique s'est définitivement clôturée à la fin des années '80 et au début des années '90 avec la chute du Mur de Berlin et la disparition de l'URSS et des régimes de l'est européen. Cet écroulement, bien qu'étant le fait des contradictions internes aux régimes bureaucratiques, a représenté pour le capitalisme une revanche historique lui permettant de restaurer - non sans difficulté - sa domination dans ces territoires jadis perdus. La disparition de ces régimes, certes bureaucratiques, mais non capitalistes, a eu des conséquences considérables.

1.4 Si la chute du stalinisme, à long terme, représente une libération pour le socialisme, désormais débarrassé de sa caricature, à court et à moyen terme, les effets conjugés de cette chute et de l'intégration encore plus poussée de la social-démocratie au capitalisme, ont fortement pesé en défaveur du mouvement ouvrier. Le socialisme, comme alternative de société viable et valable à opposer au capitalisme a disparu de l'horizon du possible aux yeux des larges masses. Toutes les forces progressistes, y compris les nôtres, ont subies les conséquences profondément négatives de cette crise historique du projet socialiste. Pour la classe ouvrière, cette crise a signifié un recul considérable de sa conscience, de sa cohésion et de son organisation, affaiblissant ainsi durablement sa capacité à mener des luttes offensives.

1.5 La chute des régimes bureaucratiques et la crise historique du socialisme ont ouverts une période transitoire de reclassements géostratégiques, aboutissant à l'affirmation hégémonique de l'impérialisme étasunien, et de restructuration du capital à l'échelle internationale. Les rapports de forces pour les travailleurs - déjà dégradés suite au reflux des vagues pré-révolutionnaires de la fin des années '60 et par l'introduction des premières offensives néolibérales dans les années '70 et '80 comme réponse de la bourgeoisie à la crise de surproduction - ont alors subi une nouvelle détérioration d'ampleur. Cela a permis à la bourgeoisie de déployer brutalement son offensive néolibérale dans le monde entier avec une agressivité idéologique sans précédent: la dite mondialisation néolibérale a pu alors prendre toute sa dimension.

2. LA MONDIALISATION CAPITALISTE NEOLIBERALE: CARACTERISTIQUES ET CONTRADICTIONS

2.1 Fondamentalement, la mondialisation capitaliste néolibérale actuelle représente une nouvelle méthode d'accumulation capitaliste à laquelle correspond une nouvelle phase impérialiste. A la faveur des politiques néolibérales de déréglementations, de libéralisation et de privatisations, cette nouvelle méthode d'accumulation du capital se caractérise par une extension radicale des rapports marchands - à la fois géographiquement et dans toutes les sphères de la vie sociale -; par l' autonomisation et la puissance accrue d'un capital financier parasitaire; par le transfert massif des richesses produites par les travailleurs au profit d'une classe dominante de plus en plus mondialisée; par la concentration sans précédent des moyens de production dans les mains de cette dernière et, enfin, par la mise en concurrence directe des travailleurs de tous les pays.

2.2 Cette phase particulière de l'accumulation capitaliste représente un véritable saut qualitatif. L'accumulation ne se réalise en effet plus sur une une base strictement territoriale, d'une nation particulière à partir de laquelle le capital se projette à l'échelle internationale. L'économie capitaliste n'est plus aujourd'hui simplement internationale, mais bien transnationale, traversant et ignorant les contours géographiques des Etats bourgeois. Ceci explique l'un des traits spécifique de la nouvelle phase impérialiste correspondante où la domination sur les territoires importe moins que le contrôle des marchés.

2.3 Cette mondialisation, loin d'homogénéiser l'espace économique, se traduit par un renforcement du développement inégal et combiné inhérent au capitalisme. On assiste à une hiérarchisation et une division du travail internationale extrêmement poussée autour de la triade impérialiste (Etats-Unis, Europe, Japon). Les économies des pays de la périphérie sont profondément restructurées et soumises à une dépendance accrue via les programmes d'ajustement structurel, l'échange inégal, le mécanisme de siphonage des richesses qu'est la dette; la subordination technologique (notamment à travers la pratique des brevets en faveur des multinationales), l'ouverture unilatérale de leurs marchés et leur mise en concurrence mutuelle exacerbée. Ces phénomènes provoquent la destruction des agricultures paysannes et des souverainetés alimentaires; des flux migratoires importants,des phénomènes de désindustralisation d'ampleur (Argentine) et de recolonisation financière ainsi que l'exclusion pure et simple des pays et d'ensembles de pays non «compétitifs», essentiellement en Afrique.

2.4 L'accumulation du capital ne peut donc plus se réaliser sur une base nationale, devenue trop étroite. Dans le cas de pays comme la Belgique, ce phénomène provoque la quasi-disparition du capitalisme belge. Ce découplage croissant entre la sphère économique et politico-nationale qu'induit la mondialisation capitaliste brise la cohésion territoriale des Etats-nations, qu'elle remodèle par ailleurs profondément au travers d'un double processus de désaisissement. Par le «haut», en transférant au marché des prérogatives sociales et économiques jusqu'ici sous contrôle étatique (barrières douanières, flux des capitaux et des changes, privatisations des services publics, etc.). Ce processus est d'autant plus important qu'il s'accompagne d'une intégration poussée de ces Etats dans des ensembles et des instances politico-économiques supranationales (Union européenne, ALENA, ALCA, ASEAN, OMC...). Les Etats bourgeois se désaisissent également par le «bas»: les forces centrifuges exercées par les «régions» à la faveur de leur mise en concurrence par le marché et d'une division du travail qui ne tient plus compte des frontières nationales, provoquent également à leur niveau des transferts de compétences politiques, sociales, économiques et culturelles. Outre la cohésion territoriale, c'est donc également la cohésion sociale et la légitimité démocratique des Etats qui est mise à mal par le transfert de certaines de leurs prérogatives politiques et par le démantèlement de son rôle de redistribution des richesses. La crise des Etats-nations et de la politique - qui s'exerce toujours malgré tout sur une base territoriale délimitée - trouve là son origine.

2.5 Le monopole de la violence, autre rôle fondamental des Etats bourgeois, est lui-aussi soumis à une double pression. Par le «haut», les armées nationales - pour la plupart professionnalisées - s'intègrent de plus en plus dans des coalitions multinationales militaristes (OTAN, Corps européen de réaction rapide...) qui sont les véritables bras armés de la mondialisation du capital et des multinationales. Dans ce processus de désaisissement partiel par le haut du monopole de la violence d'Etat, on peut également souligner le rôle croissant joué par le développement de multinationales de mercenaires d'un nouveau type qui, dans certains pays d'Afrique notamment, remplacent purement et simplement les armées nationales. Par le «bas», le processus se traduit par le partage ou l'octroi de nombreuses prérogatives des forces de police en faveur des firmes de sécurité et de gardienage privés, également en plein essor.

2.6 Ces processus de privatisation de la violence et de dépossession des prérogatives économiques, sociales et politiques des Etats ne traduisent pourtant pas, loin de là, une «disparition» de ces derniers. En l'absence d'un Etat supranational ou mondial, les Etats-nations restent le principal instrument pour la domination de la classe bourgeoise. La crise des Etats-nations n'implique donc pas de leur donner un rôle passif de «victime». Ces mêmes Etats sont en effet, au contraire, des participants actifs et des outils décisifs dans les prises de décisions politiques et économiques qui favorisent la mondialisation du capital. De plus, ils continuent à jouer un rôle clé - en se renforçant même par certains aspects - dans la gestion de la lutte de classes nationale à travers le contrôle social et répressif des travailleurs et des opprimés et par la criminalisation des mouvements sociaux. Ce à quoi l'on assiste, c'est donc à un processus contradictoire de profonde refonte de l'Etat bourgeois en vue de l'adapter au mode actuel d'accumulation et d'exploitation capitalistes.

2.7 Les nationalismes exacérbés par la crise des Etats-nations, les hiérarchisations entre continents, nations et régions, la concurrence exacerbée à laquelle les peuples sont soumis, tout cela provoque une augmentation des conflits et des risques de guerre. Pour les bourgeoisies des nations dominantes, l'accès aux marchés, aux matières premières, aux forces de travail, aux voies de communication ainsi que le contrôle des sources énergétiques dont elles dépendent largement dans le contexte de la mondialisation, nécessitent la possession et l'utilisation d'une puissante force militaire.

2.8 La professionnalisation des armées répond à cette nécessité de disposer de «forces de réaction rapide» capables de jouer le rôle de gendarmes pour les intérêts capitalistes partout dans le monde. Ces forces sont également des armées de guerre civile face au périls d'explosions sociales qu'impliquent les politiques néolibérales dans chaque pays. La mondialisation capitaliste est donc synonyme d'une remilitarisation du monde et d'une nouvelle course aux armements. La nouvelle phase impérialiste n'annule pas tout à fait les anciens rapports de dominations des principaux Etats capitalistes. Si l'impérialisme des Etats-nations d'aujourd'hui ne signifie plus leur extension territoriale comme ce fut le cas dans sa période «classique», ces Etats sont toujours des instruments actifs à l'étranger pour la défense de leurs intérêts économiques.

2.9 La course aux armements est d'ailleurs en grande partie le fait de la bourgeoisie des Etats-Unis puisque cette nation est la principale puissance hégémonique impérialiste et qu'elle retire le plus de bénéfices de la mondialisation dont elle se porte garante. Leur militarisation croissante (par exemple avec l'adoption du NMD) entraîne de nouveaux déséquilibres de la terreur et une escalade dans les dépenses d'armements et dans la course à la technologie militaire tant en Europe qu'en Asie ou en Russie. Ce qui ne fait qu'accroître les tensions et les rivalités économiques et géostratégiques entre ces nations, préfigurant ainsi des risques de conflits d'ampleur pour les décennies à venir.

2.10 La mondialisation semble triomphante: à de rares exceptions près, son modèle s'est imposé partout dans le monde sans rencontrer d'obstacles insurmontables. L'idéologie néolibérale est aujourd'hui politiquement hégémonique avec l'intégration poussée de la social-démocratie et celle, rapide, des partis Verts au pouvoir. Mais loin d'être totalement triomphante et encore moins «heureuse», la mondialisation capitaliste ne fait qu'aggraver, en leur donnant un caractère plus que jamais international, les contradictions inhérentes du capital. L'internationalisation (ou plutôt la transnationalisation) de la production d'une part, les mégafusions ou acquisitions en faveur de quelques multinationales d'autre part, exacèrbent la contradiction spécifique et principale du capitalisme entre la socialisation du processus productif et le caractère privé des moyens de production et d'appropriation du surproduit social. Cela fait longtemps que les conditions objectives pour un dépassement du capitalisme sont réunies. La contradiction fondamentale propre à tout mode de production basé sur l'exploitation d'une classe par une autre atteint, dans le capitalisme, des proportions jamais vues par le passé. Ainsi, les contradictions entre le développement inharmonieux des forces productives d'une part (illustrées par le caractère ambigü des progrès scientifiques et techniques ou par les crises écologiques majeures) et les rapports sociaux de production capitalistes d'autre part est telle que la survie de l'humanité est en jeu.

2.11 A la concentration et à la centralisation sans précédent du capital correspond une fragmentation, une atomisation du prolétariat. Les politiques néolibérales provoquent une précarisation croissante des travailleurs à travers l'instauration de nouveaux rapports salariaux et de nouvelles formes d'organisation du travail. Il ne s'agit pas seulement de morceler le prolétariat pour mieux exploiter sa force de travail ou d'attaquer les droits collectifs qui régulent l'achat et la vente de la force de travail. Les causes de la précarisation des travailleurs sont également politiques. La mondialisation jouit d'une très faible légitimité démocratique: aucun peuple n'a été consulté sur la libéralisation des échanges et l'ouverture de leurs marchés. De plus, elle impulse les processus de désaisissement de prérogatives étatiques importantes en matière de redistribution des richesses. Dans ce contexte, les politiques néolibérales imposées par la bourgeoisie n'ont d'autres but que de «diviser pour régner» en déchirant les tissus sociaux et en s'attaquant pratiquement et idéoligiquement aux solidarités collectives.

2.11 Malgré l'euphorie temporaire autour des nouvelles technologies, la bourgeoisie mondialisée n'a pas résolu la crise de suproduction ouverte depuis le début des années '70. En dépit de ses attaques frontales, souvent couronnées de succès, contre les droits et les conquêtes des travailleurs, elle n'a également pas pu faire subir une défaite historique à la classe ouvrière. La capacité de résistance des travailleurs s'est, malgré toutes les difficultés objectives et subjectives, relativement bien maintenue. De plus, les crises financières que connaît le modèle d'accumulation capitaliste actuel vont en se répétant et en s'aggravant sans cesse (crises asiatique en 1997, puis, mexicaine, russe, brésilienne et aujourd'hui turque et argentine). Combinée à ces crises répétées, le ralentissement de l'économie étasunienne indique probablement que l'on assiste à l'essouflement objectif de ce modèle. En tous les cas, avec l'émergence d'une contestation internationale croissante à son égard, la mondialisation capitaliste néolibérale est entrée dans une phase de crise idéologique et de légitimité majeure.

3. NOUVEAU CYCLE POLITIQUE ET NOUVELLE PERIODE HISTORIQUE

3.1 En créant partout dans le monde et dans de multiples domaines de la vie sociale les mêmes formes radicales d'exploitation et d'oppression, la mondialisation capitaliste néolibérale et ses principales institutions (OMC, FMI, BM...) ont créées les conditions objectives pour la convergence internationale des multiples résistances sociales.

3.2 Les contradictions internes à la mondialisation du capital se font jour de façon de plus en plus visible. Les crises ou les scandales liés à l'industrialisation capitaliste de l'agriculture et l'imposition des dogmes néolibéraux dans ce secteur (ESB, la dioxine, la fièvre aphteuse aujourd'hui); les désastres écologiques provoqués par les marées noires du fait de la course au profit; les tempêtes dûes au réchauffement climatique et à l'incapacité des Etats bourgeois, en tant que garants des intérêts des multinationales, à se mettre d'accord pour combattre ce dernier, tous ces faits sont des éléments décisifs en termes de prise de conscience que le modèle dominant actuel mène l'Humanité à la catastrophe. Ces crises, dont la portée et les conséquences sont mondiales, ont ainsi contribué à une prise de conscience globale des conséquences sociales, écologiques et sanitaires néfastes engendrées par la mondialisation capitaliste néolibérale.

3.3 Des résistances sociales aux politiques néolibérales ayant un impact international se sont multipliées à partir de la moitié des années '90. Une première vague est apparue avec l'insurrection zapatiste du 1er janvier 1994, date d'entrée en vigueur de l'ALENA. L'EZLN a ensuite proclamé sa lutte contre le néolibéralisme mondial et organisé la Première rencontre intercontinentale contre le néolibéralisme et pour l'humanité, au Chiapas, en 1995. En Inde, en Jordanie et en Tunisie, les masses se sont mobilisées à cette époque contre les plans d'austérité dictés par le FMI et la BM. En Amérique latine, d'importants mouvements sociaux (MST brésilien, CONAIE équatorienne) ont alors commencé à se développer. Les pays capitalistes développés ont eux-mêmes été touchés par cette vague de luttes: la grève massive de novembre-décembre 1995 en France contre la politique néolibérale de Juppé a eu un écho international retentissant, tout comme la lutte des travailleurs sud-coréens deux ans plus tard ou celle des Teamster d'UPS aux Etats-Unis. En 1997 également, les Marches européennes contre le chômage et la précarité organisaient à Amsterdam, et avec succès, la première mobilisation sociale contre l'Europe du capital. La mobilisation de Seattle en novembre 1999 contre l'OMC a été; à un niveau qualitativement supérieur, le point de départ d'une seconde vague de luttes.

3.4 Ce sont ces bases objectives et subjectives qui constituent la genèse et le vivier du phénomène nouveau qui détermine la période actuelle. Comme on l'a vu, Seattle n'est pas issu du néant: il a été préparé par les conditions objectives créées par la mondialisation néolibérale ainsi que par les multiples luttes qui, au Nord comme au Sud, avaient commencé à ébranler l'ordre capitaliste néolibéral. Mais l'événement-Seattle a constitué un tournant qualitatif décisif pour quatre raisons. Premièrement, parce qu'il s'est déroulé au coeur des Etats-Unis, la principale citadelle impérialiste. Deuxièmement, parce qu'il fut la première apparition visible d'un nouveau mouvement social de dimension internationale, pratiquant de nouvelles formes de contestation radicales. Troisièmement, du fait de la convergence des divers mouvements présents à Seattle (ONG, syndicat mouvements sociaux, écologistes radicaux, étudiants...). La diversité des luttes portées par ces mouvements ainsi que leur caractère universel, donnait à la contestation une porté sociétale apparue comme telle aux yeux de l'opinion. Enfin, la mobilisation de Seattle a en bonne partie contribué à la mise en échec de l'OMC, l'une des pièces maitresses de la mondialisation capitaliste. La principale leçon de Seattle, décisive pour le développement ultérieur du mouvement, a été que la machine pouvait être, si pas stopée, du moins sérieusement grippée.

3.5 L'émergence d'un nouveau mouvement social international, mis en avant et renforcé par la victoire de Seattle, est l'expression de l'ouverture d'un nouveau cycle politique dans la lutte des classes à l'échelle internationale. A son tour, l'ouverture de ce nouveau cycle politique explique que le mouvement est profond et durable. Ce nouveau cycle, potentiellement prometteur, est encore toutefois fort contradictoire: il n'implique pas (encore) un retournement spéctaculaire dans les rapports de forces entre le travail et le capital à l'échelle internationale: l'offensive néolibérale et ses attaques antisociales se poursuivent toujours.

3.6 La continuité de cette tendance lourde s'explique du fait de l'absence ou de la quasi-absence du mouvement ouvrier organisé dans la lutte contre la mondialisation capitaliste et, à contrario, de par la force de frappe et l'organisation de la bourgeoisie internationale qui, elle, connaît une longueur d'avance et bénéficie d'une riche expérience. Le manque d'alternative globale au capitalisme aux yeux des larges masses ainsi que la traduction politique de cette alternative dans des partis anticapitalistes larges et crédibles pèsent en outre encore trop lourdement pour inverser radicalement la balance.

3.7 Malgré tout cela, les conséquences du nouveau cycle politique et du mouvement dont il est porteur sont extrêmements importantes et potentiellement très riches. Elles résident essentiellement en ce que, pour la première fois depuis la chute du Mur le capitalisme néolibéral mondialisé est contesté de façon visible sur tous les continents. Cette contestation globale est devenue un point de référence incontournable, reconnu comme tel par les opinons publiques, les médias et les bourgeoisies. Il a contribué à ce que, aux yeux de secteurs croissants de la société, la mondialisation néoliébrale est de plus en plus discréditée et déligitimée. C'est donc essentiellement au niveau des consciences des masses que le changement s'opère à cette étape-ci en s'accompagnant par l'apparition d'une «opinion publique mondiale», d'un «espace public international» ou encore d'une «société civile internationale» selon les termes employés par les zapatistes.

3.8 C'est sans aucun doute en Amérique latine que ce nouveau cycle politique s'exprime avec le plus de force. La plupart des pays latino-américains sont en pointe en termes de privatisations et de déréglementation des marchés, aggravant ainsi des inégalités sociales déjà criantes. Les bourgesoisies oligarchiques de ces pays souffrent d'une énorme perte de légitimité d'autant plus renforcée qu'elles sont totalement soumises à l'impérialisme yankee. Ce continent connaît donc depuis trois ans une vague de luttes populaires, ouvrières, paysannes et indigènes de grande ampleur: soulèvements insurrectionnels, grèves générales de masses, renversements de régimes, blocages et barrages des routes et des rues... Après avoir servis, dans les années '70, de champ d'expérience pour les politiques néolibérales, ces pays sont aujourd'hui les laboratoires de nouvelles formes de luttes et d'organisations de ces dernières.

3.9 Cette vague de luttes se traduit par l'émergence de mouvements politico sociaux d'un genre nouveau (EZLN, MST brésilien, la CONAIEla Bolivie plusieurs fois paralysée par des blocages de routes par les paysans indiens et les petits producteurs de coca; le Pérou où les masses ont chassé Fujimori, et enfin la Colombie où existe de puissantes forces de guérillas qui ont réussie à imposer des situations de double pouvoir territorial. Cette configuration explique l'interventionnisme militariste croissant des Etats-Unis dans cette région (avec le Plan Colombie surtout), provoquant en retour des mobilisations anti-impérialistes sur tout le continent. L'Amérique latine est également le seul continent où le mouvement contre la globalisation capitaliste compte sur un appui «institutionnel» avec le gouvernement du Parti des travailleurs dans l'Etat brésilien du Rio Grande do Sul. équatorienne, Frente social y politico colombien...). L'épicentre de cette vague de luttes se concentre aujourd'hui dans la région des Andes avec le Vénézuala du président populiste Chavez, l'Equateur où deux présidents ont été chassés du pouvoir par des soulèvements de masse impulsés par les organisations indigènes,

3.10Les phénomènes tels que l'émergence d'un nouveau cycle politique incarné par le mouvement contre la mondialisation capitaliste, la crise de légitimité accrue de cette dernière, l'essouflement économique perceptible de la mondialisation, la nouvelle configuration géostratégique et enfin la tendance vers un nouveau cycle politique du néolibéralisme à travers un retour de la droite politique la plus réactionnaire aux commandes de la politique néolibérale (victoires de Haider en Autriche, d'Aznar en Espagne, de Bush aux Etats-Unis, de Sharon en Israël, de Berlusconi en Italie, risque de victoire de la droite en France...).indiquent que la période transitoire consécutive à la chute du Mur de Berlin et qui a parcourue toutes les années '90 est désormais clôturée - même si ses tendances lourdes persistent. Nous sommes sans doute entrés dans les prémisses d'une nouvelle période historique, non encore déterminée par un événement d'ampleur, par une bataille décisive entre le capital et le travail telle que fut la Révolution d'Octobre.

4. CARACTERISTIQUES, MERITES ET LIMITES DU NOUVEL INTERNATIONALISME

4.1 Plusieurs traits importants caractérisent et déterminent la nature ainsi que l'évolution du mouvement «anti-mondialisation». Le trait le plus spectaculaire étant sans conteste le fait qu'il s'est constitué directement à l'échelle internationale et qu'il touche tous les continents. Il ressuscite ainsi de façon inédite et radicale un internationalisme militant tombé en désuétude depuis de longues années, ou dont la portée subversive s'était émoussée. Outre les conditions objectives déjà évoquées d'une «communauté de sort» créée par la mondialisation capitaliste et la conscience croissante que les enjeux étant globaux, la riposte doit s'effectuer également à cette échelle, l'émergence d'un nouvel internationalisme peut également s'expliquer par un certain «blocage» des luttes plus offensives au niveau des Etats-nations en crise.

4.2 La diversité du mouvement constitue une autre caractéristique essentielle. Né hors de tout appareil politique, syndical ou de quelque ONG ou mouvement social que ce soit, le mouvement contre la mondialisation capitaliste néolibérale est loin d'être homogène. Ce mouvement est une sorte de «bloc» hétérogène constitué de plusieurs organisations, associations, collectifs ou individus que l'on ne peut rattacher en tant que tel à une couche sociale, à une famille politique ou organisationnelle particulière. On peut toutefois le diviser en plusieurs «groupes» au sein desquels l'extrême variété est de mise. Les ONG et les coalitions d'ONG de tous types en constituent un premier, qui se distingue en disposant généralement d'une organisation et d'une pratique rôdées depuis de longues années ainsi que, pour les plus importantes d'entre elles, de moyens financiers substantiels. Un second groupe est constitué par des mouvements sociaux de masse. Ces mouvements peuvent avoir une forme politico-sociale comme la CONAIE équatorienne ou le MST brésilien ou encore « citoyens» comme ATTAC. Certains de ces mouvements ont un impact politique considérable dans leurs pays respectifs. Des syndicats paysans (Via Campesina) ou ouvriers contestataires (syndicats basques, Sin-COBAS italiens) constituent un autre ensemble, encore minoritaire dans ce dernier cas. On peut également souligner le rôle joué par des intellectuels, artistes ou spécialistes reconnus à l'échelle internationale. Des secteurs radicalisés de la jeunesse, organisés ou non, constituent quant à eux un autre groupe à part et la véritable «force de frappe» du mouvement. Bien que limités matériellement, ils sont les plus disponibles pour se mobiliser internationalement. Les partis de la gauche radicale et révolutionnaire, s'ils ne sont pas totalement absents (essentiellement aux travers de leurs militants investis dans les différents groupes précités), ont bien souvent «pris le train en marche» et n'occupent pas encore, entre autres à cause de ce fait, une place clairement définie ou reconnue comme telle par les autres composantes.

4.3 Cette diversité, qui fait la force du mouvement, peut se révéler problématique. Ainsi, au-delà des convergences pratiques, des frictions existent pour l'exercice (illusoire) du «leadership» sur le mouvement. Des désaccords importants s'expriment également quant aux méthodes de lutte, par exemple sur les questions, forts polémiques, de la prétendue «violence» des actions directes (destructions de Mc Donald's...) opposée à la protestation pacifiste. L'opposition se marque également en ce qui concerne les revendications à avancer: réformer, mettre sous contrôle ou supprimer les institutions de la mondialisation capitaliste par exemple. Ces divergences recouvrent généralement des clivages idéologiques et politiques profond entre ces différents groupes et au sein même de ces groupes. Grosso modo, ces clivages partagent ceux qui se limitent à une stricte contestation des effets négatifs du néolibéralisme, sans remettre en cause les principes mêmes du capitalisme, et ceux qui, au contraire, avancent la nécessité d'une alternative anticapitaliste, cette dernière et les moyens d'y parvenir n'étant pas toujours clairement définis. Dans ces clivages politico-idéologiques, le groupe constitué par des mouvements sociaux de masse, les organisations de petits paysans et les syndicats ou secteurs syndicaux contestataires sont ceux qui expriment le plus clairement les intérêts du prolétariat industriel et agricole. Le groupe constitué par des secteurs de la jeunesse radicalisée est quant à lui celui qui porte le plus clairement les aspirations anticapitalistes.

4.4 La radicalisation de ces couches de la jeunesse - significatives dans certains pays - est sans aucun doute l'un des traits décisifs du nouveau mouvement social car les jeunes y jouent, de façon autonome, un rôle de premier plan. Plus que pour les autres groupes, le développement de cette radicalisation se déroule en dehors de tout cadre organisé traditionnel. Les militants les plus actifs de ces secteurs de la jeunesse sont pour la plupart organisés dans des collectifs ou des réseaux radicaux d'un type nouveau, tels que Direct Action Network aux Etats-Unis, Reclaim the streets en Grande-Bretagne, les Tutte bianche d'inspiration zapatiste en Italie, le Mouvement de résistance globale dans l'Etat espagnol ou le réseau international des cyberactivistes de l'information Indymedia. Cette jeunesse, aux aspirations souvent libertaires, n'a connue que l'unique contexte d'une «mondialisation réellement existante» tout au long de la formation de sa vie sociale consciente. Directement «branchée sur le monde» (via Internet), elle est ainsi plus que toute autre couche sociale la plus consciente des enjeux globaux.

4.5 Ces secteurs radicalisés de la jeunesse, sur lesquels ne pèsent pas les défaites du passé, ont introduits de nouvelles formes de contestation. Mêmes si elles prennent parfois un caractère «gauchiste», les actions sont généralement démocratiquement auto-organisées, radicalement astucieuses, d'une grande créativité et d'un caractère festif très prononcé. On assiste à la constitution d'une sorte de nouvelle culture militante subversive que l'on pourrait qualifier de «démocratie militante participative». Autre trait marquant imprimés par ces jeunes: l'utilisation des nouvelles technologies (GSM, e-mail, le Web), couplée à de nouvelles méthodes organisationnelles (groupes d'affinité, centre de convergence, etc.) et des tactiques d'action directe (blocage de masse...), le tout basé sur les principes de la désobéissance civile. Au-delà des affrontements systématiques avec l'appareil répressif de l'Etat bourgeois, c'est cette conjugaison qui a déstabilisé les forces de l'ordre à Seattle et ailleurs et qui donne le plus de dynamique et de «visibilité» aux mobilisations.

4.6 C'est bien évidemment parmi ce courant que la conscience anticapitaliste gagne le plus vite du terrain. Mais cette radicalisation et cette prise de conscience n'impliquent pas automatiquement, à ce stade-ci en tous les cas, un engagement dans les organisations et partis révolutionnaires anticapitalistes. Il y a souvent, dans le meilleur des cas, une indifférence ou un intérêt limité à la qualité des analyses que peuvent produire ces organisations révolutionnaires, et, dans le pire des cas, un mépris et un rejet des formes organisationelles «traditionnelles», le discours et les stratégies de ces organisations. Les partis révolutionnaires sont assimilés à la politique dans le cadre des Etats-nations. Or, ces derniers sont considérés, à tort comme on l'a vu, comme n'étant plus les lieux où des changements peuvent s'opérer. Si ce rejet (qu'on ne doit pas non plus généraliser) n'est pas étonnant de la part des mouvements libertaires habituels, il s'explique également par l'existence d'un courant théorique qui considère les «vieux schémas révolutionnaires marxistes» comme obsolètes, appartenant à un passé désormais révolu. Ces conceptions sont théorisées par des auteurs «postmodernes» ou «postmarxistes» tels que A.Negri, M. Benasayag ou par les zapatistes. Il faudra sans doute que le mouvements et ces secteurs de la jeunesse radicalisée passent par une série d'expériences et d'évolutions pour qu'un changement notable s'opère. L'orientation, l'intervention, les propositions et le discours des organisations révolutionnaires, dont la nôtre, joueront également un rôle important pour décanter les choses.

4.7 A l'image d'Internet - qui lui permet d'échanger ses expériences, ses informations, de débattre, de planifier et d'organiser ses activités à moindre coût et sans (trop de) bureaucratie - le mouvement antimondialisation capitaliste n'a pas de chefs, pas de direction centrale ni d'organisation définie. Les mobilisations sont toujours le fruit de larges coordinations ponctuelles ou limitées dans le temps. Même si un début de coordination internationale s'est constitué à l'occasion du Ier Forum social mondial de Porto Alegre, notamment au travers de l'adoption d'un agenda commun de mobilisations, la mouvance fonctionne essentiellement comme une multitude de réseaux et de sous-résaux interconnectés entre eux à une échelle ou à une autre. Ce qui explique que toute tentative de «prendre la direction quotidienne» du mouvement est totalement illusoire à cette étape-ci. Cette absence de centralisation constitue en vérité un atout, en premier lieu face à la répression ou à toute tentative «d'intégration» ou d'institutionnalisation du mouvement au système dominant. Mais elle comporte toutefois le risque que certaines ONG, ou des bureaucraties syndicales, monopolisent sa parole dans les médias de par les moyens matériels, les capacités en «relations publiques» et la «respectabilité» dont elle disposent auprès des médias.

4.8 Jusqu'à présent la jonction entre ce mouvement et la classe ouvrière organisée est pratiquement inexistante et ne s'est réalisée qu'épisodiquement Cette liaison a été effective à Seattle et, dans une moindre mesure à Québec et Porto Alegre, mais pas à Prague ou Nice par exemple. Ces absences expliquent que ces différentes mobilisations dépassent rarement quelques dizaines de milliers de manifestants. Mais étant donné ce fait et la nature même, internationaliste, des événements, ces chiffres ne sont pas dérisoires. D'autant plus que les activistes du mouvement jouissent d'une importante légitimité dans des secteurs de plus en plus larges de la société.

4.9 Le potentiel le plus important du mouvement contre la mondialisation du capital réside pourtant en ce qu'il est une voie possible pour la reconstruction et la reconstitution du mouvement ouvrier organisé à l'échelle internationale. Une relation dialectique peut s'établir entre les protestations contre la globalisation et le malaise social croissant du prolétariat. Ce malaise, qui ne trouve aucune issue politique ou syndicale à la hauteur des enjeux, peut entrer en résonance avec le combat contre la mondialisation, à travers une solidarité de classe face à une répression brutale et sanglante par exemple, et provoquer l'entrée dans la lutte du mouvement ouvrier organisé. Quelques soient ses formes ou ses causes, cette convergence marquera inévitablement un nouveau saut qualitatif d'une ampleur décisive.

5. LES CONSEQUENCES DU NOUVEAU CYCLE POLITIQUE INTERNATIONAL EN BELGIQUE

5.1 Tous les continents sont frappés par «le souffle de Seattle», mais le mouvement touche les différents pays de manière fort inégale. Si, en Belgique, on retrouve à peu de choses près les différents groupes qui le constituent, il est cependant encore très faible comparativement au pays «latins» (France, Italie, Etat Espagnol) ou aux pays anglo-saxons (Australie, Nouvelle-Zélande, Grande-Bretagne et Etats-Unis). Mais tôt ou tard, la Belgique sera également frappé par ce phénomène: depuis Seattle et Porto Alegre, le mouvement contre la mondialisation capitaliste est en effet entré dans une véritable dynamique de croissance cumulative. Non seulement il est durable, mais il s'approfondit et s'élargit. Pas une seule des institutions économiques et politiques qui impulsent la mondialisation néolibérale n'est à l'abri de la contestation: leurs assemblées, même lorsque les enjeux ne sont pas essentiels, sont systématiquement l'objet de mobilisations dans la rue. La faiblesse actuelle du mouvement dans notre pays ne doit donc pas nous tromper. Nous devons prendre conscience (et savoir en tirer les conclusions qui s'imposent) que le nouveau cycle politique international incarné par le nouvel internationalisme va déterminer de plus en plus, non seulement notre propre agenda, mais également, dans une certaine mesure, celui des partis bourgeois, des syndicats, des mouvements sociaux progressistes.

5.2 Le mouvement syndical belge, à l'image de celui des autres pays européens, est totalement absent du combat contre la mondialisation capitaliste néolibérale. Déjà incapable de coordonner eficacement et à la hauteur des enjeux ses actions au niveau international (même lorsqu'il s'agit d'organiser les travailleurs au sein d'une même multinationale), les bureaucraties syndicales refusent pour le moment obstinément de se connecter d'une façon ou d'une autre à ce combat. Elles se cantonnent généralement à une pure dénonciation verbale des «méfaits du néolibéralisme débridé». Comme si le néolibéralisme, même bridé, pouvait avoir des bienfaits!

5.3 L'ignorance de l'importance des enjeux n'est pas la seule explication. Trois causes expliquent ce blocage. Premièrement, les bureaucraties syndicales donnent leur caution à l'Europe néolibérale telle qu'elle se construit aujourd'hui dans le vain espoir de lui donner une «touche sociale». Vient ensuite le souci traditionnel de ne pas déstabiliser les «amis politiques» qui, au pouvoir, appliquent fidèlement et sans broncher les dogmes néolibéraux. Enfin, de par leur poids numérique et leur place sociale, les syndicats considèrent «les ONG» et les mouvements sociaux comme des rivaux, des concurrents directs risquant de mettre à mal leur monopole dans l'encadrement de la contestation des travailleurs. Les sommets bureaucratiques ne sont pas seuls en cause. La faiblesse de la gauche syndicale, dans les appareils tout comme dans les entreprises, est également un facteur déterminant. De plus, parmi cette gauche syndicale prédomine la conception de la «défense du bastion ouvrier», sans connexion internationaliste.

5.4 Vu l'ampleur international du phénomène, vu le fait que la mondialisation impose un cadre nouveau aux lutte sociales, cet immobilisme risque de devenir intenable. De plus, il ne faut pas sous-estimer, dans la conscience collective des travailleurs, la valeur d'exemple que peuvent prendre les spectaculaires et radicales mobilisations du nouvel internationalisme. Surtout si elles sont courronées de succès. Opposées aux sages et traditonnels défilés bien encadrés par les bureaucraties, les actions directes de désobéissance civile peuvent notamment séduire la nouvelle couche de jeune travailleurs. D'autant plus que ces jeunes qui font aujourd'hui leurs armes syndicales et aspirent à la solidarité dans un contexte de précarisation accrue qui ne fait que la destructurer, doivent également faire face à l'arrogance patronale, à l'inertie syndicale et à l'absence de débouché politique. On peut ainsi assister à une baisse significative de l'encadrement des travailleurs par les appareils bureaucratiques.

5.5 Les raisons objectives pour pousser les syndicats à intégrer le combat du nouvel internationalisme ne manquent pas non plus. Les politiques néolibérales qu'impliquent l'accumulation actuelle du capital sont les causes principales des bouleversements et de la précarisation qui sapent la base sociale des syndicats. C'est en son nom que sont menées les principales offensives contre droits collectifs, les libertés syndicales et les conquêtes ouvrières du passé. Les syndicats doivent donc renouer avec ce qui faisait l'objet même de leur naissance: la protection du monde du travail contre la mise en concurrence directe des travailleurs. Le rappel historique est d'importance car c'est au nom de cette nécessité impérative que les premiers syndicats ont participé à la construction de la Première Internationale.

5.6 La Belgique compte depuis longtemps sur un fort tissu d'ONG de toute sortes, certaines disposant de moyens énormes et d'une grande «respectabilité» vis-à-vis des médias et de l'opinion. Le poids conjugé des syndicats et des ONG en Belgique (le tout fonctionnant d'après le principe des «piliers» idéologiques ) explique sans doute la faiblesse des mouvements sociaux dans ce pays. Certes important, le développement d'ATTAC en Belgique n'a ainsi rien de comparable à celui de son homologue français. Vu l'absence ou les faiblesses des autres composantes du nouvel internationalisme, certaines ONG jouent donc en Belgique un rôle d'avant plan. Toutefois, parmi ces dernières (vu le degré d'institutionnalisation de certaines d'entre elles) prédomine des conceptions purement adaptatrices face à la mondialisation néolibéral du capital, voir même de rejet face aux composantes plus radicales du nouvel internationalisme. Le péril est donc plus ici que ces ONG monopolise la parole et ralentissent l'émergence d'une composante radicale. A ce titre, le rôle d'une ONG internationaliste comme le CADTM est important en ce que ses revendications vont au-delà des velleités adaptatrices et que sa pratique suppose une connexion avec les mouvements sociaux et citoyens du Nord (ATTAC par exemple) comme du Sud.

5.6 Au fur et à mesure que les mobilisations internationales se multiplient, le mouvement contre la mondialisation capitaliste jouit d'un écho et d'une légitimité sans cesse accrue dans des cercles de plus en plus larges de la jeunesse de ce pays. Mais cela ne se traduit pas encore sous des formes organisationelles ou des forces militantes importantes. Il existe plusieurs groupes organisés de jeunes - ou réunissant une majorité de jeunes - qui sont directement ou indirectement «branchés» sur le nouvel internationalisme. Ces groupes ne dépassent pas quelques dizaines d'activistes, ce qui n'est toutefois pas négligeable.

5.7 On peut ainsi citer les animateurs et collaborateurs du site internet belge d'Indymedia, présents pour couvrir toutes les actions ou mobilisations tant nationales qu'internationales. Un groupe informel contre la mondialisation capitaliste s'est créée suite à la mobilisation de Prague. A l'ULB, l'ancien CISCOD, association d'étudiants «tiers mondistes», s'est mué en un Collectif de résistance anticapitaliste. La présence de ces groupes est fort inégale dans le pays. Ils se concentrent essentiellement du côté francophone et à Bruxelles bien qu'à Liège s'est créé un groupe anticapitaliste dénomé Jeune à contre-courant et un groupe ATTAC-Jeunes et qu'en Flandre, des groupes écologistes-radicaux tels que Jeugbond voor Natuurbehoud en Milieubescherming (JNM) et Voor Moeder Arde intègrent la dimension de la lutte contre la mondialisation néolibérale. On peut sans doute rajouter les jeunes de squats ou de centres sociaux autonomes et les différents collectifs (sans tickets, expulsions, contre les OGM...) réunis sous le «Collectif sans noms», bien qu'ils ne soient pas directement impliqués dans le nouvel internationalisme.Dans plusieurs des groupes cités, on retrouve généralement des jeunes politisés issus des différentes organisations d'extrême-gauche (POS, JGS, PTB, Militant), des anarchistes et des indépendants.

5.8 Après le succès du Forum social mondial de Porto Alegre et les mobilisations de Nice en Europe, la plupart des organisations de la gauche radicale et révolutionnaire en Belgique ont mises le thème de la lutte contre la mondialisation à l'ordre du jour. Mais ces organisations prennent généralement «le train en marche» en usant de pratiques parfois sectaires et sans comprendre parfaitement la nature du nouvel internationalisme. Avec retard, le PTB a lui aussi commencé à agir sur ces questions, mais de façon contradictoire. Il était présent à Prague en septembre 2000, mais n'a pas mobilisé pour Nice et a à peine relaté le Forum social mondial.

5.9 Le POS a très vite discerné, analysé et rendu compte de l'importance du nouvel internationalisme. Le fait que nous soyons partie intégrante d'une Internationale, modeste mais réelle, n 'est évidemment pas étranger à cela. De plus, le fait que nous ayons joués, comme section belge de cette Internationale, un rôle moteur dans la construction des Marches européennes, que le POS, avec SSF, a été le premier à populariser l'expérience de démocratie participative pratiqué à Porto Alegre et que des camarades sont investis activement depuis ses débuts dans ATTAC et/ou dans le CADTM, une ONG en phase avec l'actuel mouvement, tout cela constitue des acquis et des atouts importants. Mais il ne faut pas tirer de ce fait quelque prétention que ce soit: notre intervention dans ce mouvement et sur cette thématique souffre de grandes lacunes: nous sommes présents sur tous les terrains de la lutte, mais snas grande cohérence interne et, surtout, notre intervention en tant que parti est quasi-inexistante.

5.10 Le nouveau cycle politique et le nouvel internationalisme vont avoir des conséquences sans doutes décisives en ce qui concerne notre perspective d'une recomposition politique anticapitaliste dans ce pays. Face à l'ampleur de la mondialisation, de ses enjeux et de ses défis, les «querelles de chapelles» paraissent assez minables aux yeux de beaucoup. De plus, c'est le processus de convergence et d'unité entre des composantes forts diverses qui est à la racine du succès des mobilisations contre la mondialisation capitaliste, ce qui donne inévitablement des idées... Enfin, parallèlement à la convergences des mouvements sociaux, des ONG, etc, on assiste - en plus des expériences réussies ou en cours de recompositions anticapitalistes dans tel ou tel pays - à des processus de convergences internationales entre les différentes organisations de la gauche radicale et révolutionnaire, y compris dans ses composantes trotskystes (où nous jouons un rôle de premier plan). Ces différents niveaux doivent donc nous servir de leviers pour notre perspective politique de recomposition.

6. COMMENT AGIR? QUELLES PERSPECTIVES?

6.1 Notre intervention doit se décliner de plusieurs façons. Il faut définir une ligne spécifique d'intervention, d'orientation et de propositions en tant que parti (comme section d'une Internationale) d'une part et d'après les différents groupes qui composent le nouvel internationalisme au travers de nos militants investis dans ces groupes d'autre part. Ces différents mode d'intervention spécifiques et adaptés à leur «milieux» doivent pourtant rester cohérents entre eux et tendre vers de mêmes objectifs car sans cela nous risquons de pratiquer des «grands écarts».

6.2 A l'étape actuelle, notre souci doit être de renforcer la composante et les revendications anticapitalistes du nouvel internationalisme et ce contre les illusions réformistes, adaptatrices, les manoeuvres opportunistes ou les tentatives de récupération social-démocrates. Il ne se s'agit pas de «dénoncer» ou de «démasquer» ceux et celles qui se limitent à contester le néolibéralisme, ni de mener une politique de rupture au sein des différents grouppes. Il s'agit surtout de démontrer la nécessité d'aller au-delà et de remettre en cause le capitalisme lui-même (ce qui est de plus en plus le cas). Le néolibéralisme n'est évidemment pas neutre: c'est une politique de domination de classe. C'est un instrument politique et idéologique hégémonique utilisé aujourd'hui par la bourgeoisie pour l'exploitation et l'oppression du prolétariat. L'antinéolibéralisme est donc insuffisant. Les concepts de «citoyen» ou de «société civile» souvent utilisés dans ces milieux, pour utiles et nécessaires qu'ils soient dans un contexte de perte de substance des démocraties bourgeoises, sont totalement inadéquats et abstraits si on ne leur donnent pas un contenu de classe. Ce n'est pas la «marchandisation du monde» qu'il faut seulement combattre, mais les rapports marchands eux-mêmes et l'exploitation capitaliste, ce qui implique de remettre directement en cause la propriété privée des moyens de production, de communication et d'échanges. Se limiter à une pure dénonciation du néolibéralisme peut également mener le mouvement à l'impasse: parce que cela implique de rester sur des positions défensives, d'idéaliser une passé «keynesien» révolu et ensuite parce que la bourgeoisie peut tout bonnement décider d'abandonner cette forme de domination politique pour une autre si son pouvoir est en danger. La lutte antinéolibérale, pour nécessaire qu'elle soit, ne peut être confondue avec l'anticapitalisme et doit donc être considérée comme une étape vers une prise de conscience supérieure qu'il nous faut favoriser.

6.3 Pour autant, au sein même du «camp anticapitaliste», un combat idéologique et théorique fraternel est également nécessaire contre les courants libertaires, «postmodernes» ou «postmarxistes» que l'on pourrait qualifier, avec prudence toutefois, vu l'aspect paternaliste de la formule, de «maladies infantiles de l'anticapitalisme». Car il faut être conscients que ces courants sont parfois novateurs ou perspicaces pour la compréhension de phénomènes sociaux nouveaux, qu'ils peuvent donc nous apprendre beaucoup de choses. Mais leurs orientations stratégiques essentielles, lorsqu'elles existent, sont profondément erronées car des concepts clés tels que les classes sociales, leurs lutte et le rôle de premier plan qu'y occupe le prolétariat et le mouvement ouvrier organisé; la nécessité d'une situation et d'une rupture révolutionnaire via la prise du pouvoir à l'échelle des Etats-nations et, dans ce cadre, la nécessité d'une ou d'organisation(s) révolutionnaires, tous cela, à un degré ou à un autre, est totalement nié.

6.4 Nous devons donc réaffirmer, tout en les actualisant, ces nécessités, ce qui revient à souligner avec force le rôle indispensable du marxisme-révolutionnaire compris comme un outil créateur et non-dogmatique de compréhension du monde et de guide pour l'action révolutionnaire. Dans ce cadre, la compréhension et la richesse d'élaboration théorique et revendicative autour des dites «nouvelles questions» est une priorité vitale. Alors que le débat sur les «alternatives» est en cours depuis le Forum social mondial, il nous faut avancer avec conviction le fait que le socialisme démocratique à l'échelle mondiale est la seule et unique alternative globale viable à opposer au capitalisme. Mêmes si elles sont insuffisantes, la perspective de la mise en commun des moyens de production; l'abolition du salariat et l'extinction des classes sociales, des Etats et des armées permanentes sont les bases indispensables pour construire véritablement «un autre monde», débarrassé de toute forme d'exploitation et d'oppression de classe, de genre et de «race».

6.5 Pour fraternel qu'il doit être, le débat et la confrontation d'idées tout comme l'expérience pratique dans les luttes amèront à des clarifications et à des décantations qui s'accompagneront inévitablement de ruptures avec les courants et les individus les plus «opportunistes» ou les plus «gauchistes». Vis-à-vis de ces deux courants, la formule léniniste du «gauchisme maladie infantile» et de «l'opportunisme comme maladie sénile» est particulièrement juste en ce que la première maladie est guérissable, ce qui n'est pas toujours le cas de la seconde...

6.6 Dans notre intervention dans les différentes composantes du nouvel internationalisme, nous devons sans cesse mettre en avant l'auto-organisation démocratique en leur sein et à leur rythme, sans forcer la question de la centralisation. Il faut également éviter de tomber dans le piège du débat sur la prétendue «violence» des actions radicales. La principale violence est évidemment celle du capital, de ses institutions internationales et de ses forces étatiques répressives. Lors des mobilisations - comme à Québec où les manifestations avaient été divisées en zones aux couleurs différentes qui permettaient d'identifier clairement leur caractère - il faut privilégier un mode d'organisation qui permette aux différentes sensibilités de s'exprimer comme elles l'entendent, sans se nuire mutuellement.

6.7 Un autre souci constant doit être l'intervention spécifique en tant que parti dans le nouvel internationalisme. Cette nécessaire visibilité ne doit pas signifier une quelconque arrogance de donneurs de leçons ni une omniprésence envahissante comme c'est le cas pour d'autres organisations d'extrême gauche. Cette intervention ne peut dépendre de nos seules forces: il nous faut impérativement renforcer la coopération, la cohérence et la visibilité de la IVe Internationale pour en faire un acteur et un pôle attractif dans la lutte contre la mondialisation. En Europe, cela peut se concevoir à travers l'adoption d'un logo et d'un nom commun pour les sections européennes ainsi que l'adoption d'un matériel de campagne et d'intiatives publiques communes systématiques. Face à la construction d'une Europe capitaliste néolibérale, nous devrions avancer ensemble et comme thème central le mot d'ordre des «Etats-Unis socialistes d'Europe.» Cette revendication est importante car face aux défis qu'imposent la mondialisation du capital, les réponses ne peuvent se limiter au stricte cadre national.

6.8 Ce dernier ne doit pourtant pas être oublié ni négligé. Si le terrain de la lutte de classe s'est fortement transposé à l'échelle internationale et impose donc de se placer à ce niveau, il ne faut pas opposer ce combat aux luttes nationales et locales devenues prétendument obsolètes. Objectivement, il n'y a pas de cloison étanche entre les luttes «ici» et «là-bas», mais bien une dialectique de plus en poussée du fait même de l'internationalisation du capital. Il nous faut plaider et agir activement pour que la lutte du nouvel internationalisme s'ancre également en profondeur dans les réalités nationales et locales. Parmi nos atouts, la «démocratie participative», à condition qu'elle soit comprise comme un instrument de contre-pouvoir face à la démocratie formelle bourgeoise, a une importance stratégique pour articuler harmonieusement le «global» et le «local». Le succès de cette expérience à Porto Alegre ainsi que l'écho et l'intérêt international qu'elle suscite, le fait que c'est dans cette ville que s'est tenu le Premier Forum social mondial, tout cela en est la plus parfaite illustration.

6.9 Dans le mouvement en tant que tel, nous devons intervenir pour favoriser partout l'auto-organisation et la nécessité d'un minimum de centralisation et de coordination démocratiques. A cette étape-ci, il ne s'agit pas pour autant de créer un «état-major» international, qui de toute façon ne sera pas reconnu comme tel par toutes les composantes. Il s'agit, tout en respectant les formes actuelles du mouvement, de contribuer à créer une capacité de coordination des luttes de façon permanente et à susciter en son sein les nécessaires clarifications revendicatives qui devront se cristalliser programmatiquement. Nous devons également plaider pour que le mouvement interpelle et s'associe autant que possible au mouvement ouvrier organisé (ce qui doit également être une tâche pour nos camarades investis dans les organisations syndicales). Nous devons enfin plaider pour la nécessaire traduction politique de cette lutte, sans quoi elle s'essouflera tôt ou tard. La convergence avec le mouvement ouvrier et la construction d'une alternative politique internationale qui devra s'incarner dans une nouvelle Internationale, anticapitaliste et de masse regroupant toutes les composantes du nouvel internationalisme et du mouvement ouvrier avancé, telle est notre perspective stratégique.

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