Travail domestique et Loi de la Valeur
Par Jesus Albarracin le Vendredi, 21 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Dans la majorité des œuvres de Marx, traduites dans diverses langues, il est possible que tous les traducteurs aient écrit "hommes" quand dans l'original on parle "d'humanité" ou "d'individus de l'espèce humaine", mais il est peu probable que Marx ait fait une distinction si subtile pour l'époque. Car aujourd'hui encore, dans la majeure partie des langues humaines, le masculin englobe le féminin quand on parle au pluriel ou dans un genre indéterminé.

Toutefois, le problème est loin d'être seulement sémantique. Pour Marx "les hommes commencent à se distinguer des animaux dès qu'ils commencent à produire leurs moyens d'existence (...) La façon dont les hommes produisent leurs moyens d'existence, dépend d'abord de la nature des moyens d'existence déjà donnés et qu'il leur faut reproduire. Il ne faut pas considérer ce mode de production de ce seul point de vue, à savoir qu'il est la reproduction de l'existence physique des individus. Il représente au contraire déjà un mode déterminé de l'activité de ces individus, une façon déterminée de manifester leur vie, un mode de vie déterminé. La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu'ils sont. Ce qu'ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu'ils produisent qu'avec la façon dont ils le produisent. Ce que sont les individus dépend donc des conditions matérielles de leur production. (1)

Une partie substantielle de la production a été réalisée historiquement par les femmes dans le cadre de la famille. Le travail domestique a joué un rôle-clé dans la production des moyens de subsistance de l'humanité, et a été en même temps, un des moyens concrets les plus généralisés de manifester la vie. Pourtant, on ne remplirait pas cinq pages avec ce qu'écrivirent Marx et Engels sur cette question. Ce n'est pas seulement que Marx avait utilisé le mot "d'homme", c'est aussi que toute sa construction théorique pêche par l'absence du concept de "femme".

Le travail domestique est donc un défi théorique. Une partie importante de l'effort productif de l'humanité reste sans explications, se trouve en dehors des circuits du marché, n'est pas régie par la loi de la Valeur, et résiste à tout traitement scientifique. Quand on aborde même cette question, les catégories utilisées habituellement conviennent mal, elles sont peu précises se rebellent et se rebiffent.

Mais le travail domestique est une réalité matérielle et doit être abordé comme telle. Ce qui suit constitue un ensemble de réflexions sur le travail domestique à la lumière de la théorie de la Valeur et de l'exploitation.

La place du travail domestique dans le travail social

La principale caractéristique du mode de production capitaliste est la production généralisée de marchandises, c'est-à-dire d'objets qui n'ont pas été fabriqués pour satisfaire une quelconque nécessité humaine (même s'ils doivent servir à les satisfaire, sinon personne n'en voudrait) mais bien avec l'objectif d'être vendus sur le marché et d'en obtenir ainsi un bénéfice. La marchandise, principal produit du capitalisme, occupe donc une place centrale dans l'analyse marxiste. Partant de leur analyse, il s'ensuit que les marchandises ne s'échangent pas sur le marché en fonction de leur utilité (leur valeur d'usage) mais selon la quantité de travail qu'il a fallu pour les produire (leur valeur d'échange), que la force de travail elle-même est une marchandise, que la plus-value est le moteur du capitalisme, etc. Tout l'édifice logique du Capital est construit sur la marchandise (2), c'est-à-dire sur le travail humain qui a une valeur sur le marché parce qu'il s'incarna dans un objet qui peut être vendu.

Pourtant, le travail consacré à la production de marchandises n'est qu'une partie, parfois la plus petite, de la totalité du travail social. Une analyse qui part exclusivement de la marchandise cl de sa principale caractéristique, sa valeur d'échange, empêchera de comprendre correctement celte partie du travail social qui n'a pas de valeur parce que ce n'est pas une marchandise, c'est-à-dire, empêchera de comprendre le travail domestique. Notre point de départ sera donc l'ensemble du travail et de la production sociale, qu'ils soient ou pas interchangeables sur le marché, c'est-à-dire, qu'ils aient ou non une valeur d'échange.

Commençons par une société primitive dans laquelle il n'existe pas d'excédent, qui, comme le disent les économistes, s'auto-reproduit. Dans cette société, tout l'effort humain est consacré à la survie de la société, et il n'y a pas accumulation. Il n'y existe pas de division sociale du travail ou de société de classe, car il n'est pas encore apparu d'excédent à s'approprier. Mais cela ne signifie pas qu'il n'existe pas une division du travail en fonction du sexe, si bien qu'une partie du travail nécessaire à la survie de la société est constitué par le travail domestique que réalisent les femmes. De plus, dans ces sociétés de subsistance, cette partie sera normalement la plus importante. car la préparation des aliments, la fabrication des vêtements, etc., tâches dévolues au femmes, constituent l'immense majorité de la production sociale. Hors du travail domestique, la production serai très faible.

L'existence d'un excédent social ne modifie pas cette donnée de base qui fait du travail domestique,, une partie du travail nécessaire à la subsistance de la société. Il nous intéresse de bien le comprendre, au risque de paraître répétitif. La somme du travail réalisé dans une société a plusieurs composantes.

D'une part, il existe un travail nécessaire à la survie propre de celte société. Un nombre déterminé d'heures de travail sera consacré à la production d'objets nécessaires pour que les membres de celte société se nourrissent, se vêlent, etc. et, en définitive, survivent. Ce sera le produit socialement nécessaire. Dans cette catégorie, est inclus le travail domestique. Sur le total d'heures de travail nécessaires à la survie, une partie sera réalisée par la femme à la maison. Du produit total nécessaire à la survie de la société, une partie est obtenue par le travail domestique.

D'autre part, il y aura un travail excédentaire, c'est-à-dire qu'un certain nombre d'heures de travail sera effectué au-delà de ce qui est nécessaire à la survie de la société. Ce travail excédentaire se matérialise par un produit excédentaire que s'approprient les classes dominantes sous forme de matières premières, de marchandises destinées à la vente ou, simplement, d'argent. Ce produit excédentaire est à l'origine de la lutte des classes.

En définitive, tout l'effort réalisé par la société pour se reproduire elle-même, constitue le travail nécessaire par lequel est obtenu le produit nécessaire. Tout effort supérieur au-dessus de celui-ci, est le travail excédentaire avec lequel est obtenu le produit excédentaire. Le travail domestique, fait partie du travail consacré à produire des moyens de subsistance, il est donc une partie du travail nécessaire. Il importe peu qu'il n'apparaisse pas dans les statistiques: il est aussi fondamental que l'autre travail qui, lui y apparaît. Mais les objets dans lesquels se matérialise le produit en excédent n'auront pas été produits par le travail domestique, mais par l'autre composante du travail nécessaire.

Travail non marchand: production de valeurs d'usages sans valeur d'échange

Avec le travail humain, toute société produit des choses qui lui servent à satisfaire ses besoins ou, simplement à accumuler pour l'avenir. Par conséquent, toutes les choses que produit une société doivent avoir une utilité ou, dit en termes de la théorie de la Valeur, tous les produits du travail humain doivent avoir une valeur d'usage. Tant le travail socialement nécessaire, que le produit excédentaire sont constitués par des objets qui ont une valeur d'usage.

Une partie du total des valeurs d'usage aura été produite par un travail réalisé hors du marché et avec la finalité fondamentale de satisfaire directement les besoins. Dans ce cas. ce seront des valeurs d'usage qui n'auront pas de valeur d'échange.

Les produits que les paysans obtiennent dans leurs jardins pour leur propre consommation n'ont pas été cultivés dans le but d'être vendus sur le marché, mais pour les nourrir, les vêtir, eux et leur famille. Le travail qu'ils y consacrent a une caractéristique non marchande, et, dans le sens strict, ces valeurs d'usage n'ont pas de valeur d'échange puisque de fait, les différents paysans d'une même société peuvent appliquer des technologies très diverses. Il n'existe aucun mécanisme social mettant en rapport la production de chacun d'entre eux avec celle des autres, elles ne sont pas régies par les mécanismes du marché. C'est pour cela qu'elle n'a pas de valeur d'échange. Mais elle pourrait en avoir. Si un paysan va au marché avec les produits de son champ, au lieu de l'auto-consommer, il verra qu'on lui en donne un certain prix. Sa valeur d'échange n'aura rien à voir avec les heures de travail qu'il a fallu - en particulier - pour les produire, mais bien avec celles qu'y consacre, en moyenne, la société dans son ensemble. Mais bon an mal an, ce sont là des valeurs d'usage qui pourraient avoir une valeur d'échange.

La division sexuelle du travail

Les produits du travail domestique sont un autre exemple de valeurs d'usages qui n'ont pas de valeur d'échange, mais il existe une différence fondamentale avec l'aulo-consommation des paysans : ils ne pourront jamais avoir une valeur d'usage parce qu'au moment même où, dans le contexte de la famille, serait produit quelque chose pour être échangé, le travail consacré à celle production cesserait d'être du travail domestique. Les femmes ne font pas la cuisine quotidiennement pour l'échanger au marché, et s'il en était ainsi, nous ne serions pas en train de parler de travail domestique mais bien d'une activité marchande.

D'autre part, si une femme prépare la cuisine quotidienne dans une famille qui n'est pas la sienne, en échange d'un salaire, nous ne sommes pas en présence d'un travail domestique mais d'un travail salarié. La caractéristique fondamentale du travail domestique c'est qu'il s'agit d'un travail qui se réalise en dehors du marché, raison pour laquelle il ne possède pas de valeur d'échange. Avec lui, la femme produit des valeurs d'usage qui n'ont pas de valeur d'échange puisqu'elles sont destinées à être consommées dans sa propre famille.

En ce sens, le travail domestique, la relation d'une femme avec son mari n'ont pas leur origine dans le marché, mais s'enracinent dans la division sexuelle du travail. De fait, la relation familiale à laquelle est soumise la femme ne relève pas de l'exploitation, puisqu'aucune plus-value n'en est extraite, mais bien de l'oppression. L'institution qui garantit cette oppression, c'est la famille.

Les formes concrètes acquises par la famille à chaque période historique ou dans chaque forme sociale ont été très variées. Mais de la même façon que la propriété privée des moyens de production est l'institution de base du capitalisme et celle qui garantit l'exploitation des travailleurs/euses, indépendamment des formes qu'elle a prises à chaque époque historique, la famille est l'institution de base garantissant l'oppression de la femme et la division du travail en fonction du sexe, indépendamment des formes qu'elle peut prendre.

Une autre partie de l'ensemble des valeurs d'usage de la société aura été produite par le travail salarié (3) dans le but d'être vendue sur le marché. Ce seront les marchandises qui ont simultanément une valeur d'usage et une valeur d'échange (4). Une partie des marchandises produites seront nécessaires à la subsistance des travailleurs et de leur famille.

Travail salarié : production de marchandises

Le travail domestique est insuffisant, aussi une partie de la production nécessaire à la subsistance se réalise-t-elle dans les circuits du marché, à charge du travail salarié. En conséquence, le capital doit mettre à la disposition des travailleurs les marchandises dont ces derniers ont besoin, au-delà du travail domestique, pour pouvoir subsister. Ils les achèteront sur le marché en les payant avec un salaire qu'ils ont obtenu à travers la vente de leur force de travail. Les marchandises qui restent après que celles dont les travailleurs ont besoin pour leur subsistance aient été mises à leur disposition, constituent le produit excédentaire. Cette production excédentaire aura été constituée par un ensemble de marchandises produites par le travail salarié, et non par le travail domestique. En ce sens, le travail domestique ne crée pas d'excédent mais l'excédent, n'en est pas indépendant.

En effet, même si ce n'est pas directement, la plus ou moins grande intensité du travail domestique affecte le produit excédentaire.

Le travail domestique crée-t-il de la valeur ? Une augmentation de la production de valeurs d'usage par le travail domestique pourrait permettre une diminution des marchandises nécessaires au maintien de la subsistance des travailleurs et donc, en conséquence, une augmentation du produit excédentaire. A l'inverse, une diminution de la production effectuée par la femme au sein de la famille, parce qu'elle s'intègre davantage au marché du travail par exemple, implique que le capital doit mettre davantage de marchandises à disposition des travailleurs. Si tout le reste demeure identique, cela implique une diminution du produit excédentaire. Ainsi, travail domestique et travail salarié sont directement indépendants, mais sont intimement liés. Nous verrons plus loin comment.

Dans ce qui précède, nous avons vu que le travail socialement nécessaire, c'est-à-dire, celui que la société consacre à produire ses moyens de subsistance, a différentes composantes : a) celui que les paysans consacrent à produire les valeurs d'usage qui constituent leur auto-consommation; b) le travail domestique; c) le travail salarié consacré à la production de marchandises nécessaires à la subsistance des travailleurs et de leur famille, c'est-à-dire, la partie du travail salarié qui est consacrée à reproduire la valeur de la force de travail. Tout travail qui est fait au-delà sera destiné à obtenir un produit excédentaire, que s'approprient les classes dominantes.

Le travail domestique est donc, en conséquence, un travail nécessaire pour la subsistance de la société dans son ensemble, même s'il ne produit pas de valeurs d'échange. Mars peut-on dire que l'ensemble de la production de valeurs d'usage que réalise le travail domestique définit un mode de production, patriarcal, qui se superposerait au mode de production capitaliste ?

Peut-on dire que le travail domestique crée une autre catégorie de valeur, la "valeur domestique", s'il faut lui donner un nom, de la même façon que le travail salarié crée la valeur d'échange?

Un mode de production est la forme selon laquelle une société produit les moyens de sa subsistance. Il a donc un caractère social et. en conséquence, il est nécessaire que la production d'un quelconque organe de ce système soit connectée par le biais d'un mécanisme social à n'importe quel autre organe de ce système. Dire que cela doit avoir un caractère social équivaut à dire que les formes de production concrètes des individus doivent être liées matériellement entre elles. Ce n'est pas ce qui se passe avec le travail domestique, car il n'existe aucune relation matérielle commune entre celui qui se réalise dans une famille et dans une autre. Donc, il n'est pas juste de parler d'un mode de production patriarcal.

Il ne serait également pas juste d'affirmer que le travail domestique crée une certaine sorte de. valeur. L'utilisation des instruments de la théorie de la Valeur pour les appliquer au travail domestique, en référence aux caractéristiques que doit réunir le travail social, peut nous servir à éclaircir les choses.

La valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production de telle façon que, sur le marché, quand on échange deux d'entre elles, on échange travail contre travail selon la quantité de travail qui est incorporée dans chacune d'entre elles. Si produire une veste coûte 15 heures de travail et une paire de chaussures 5 heures, on changera sur le marché une veste contre trois paires de chaussures. Mais le travail auquel nous faisons référence a des caractéristiques particulières qui tiennent au fait qu'il s'agit d'un travail social.

Le travail socialement nécessaire

En premier lieu, ce n'est pas le travail que nécessite la production de chaque marchandise concrète mais celui qui est socialement nécessaire à sa production (5). Chaque marchandise spécifique a une valeur individuelle qui sera déterminée par le nombre d'heures de travail qu'il a fallu pour la produire. Si la production d'une veste a coûté 20 heures de travail au tailleur, ce sera là la valeur individuelle de la veste. Mais ce ne sera pas sa valeur d'échange. S'il existe dans cette société un autre tailleur qui la produise en mettons, dix heures de travail, il serait grotesque que quelqu'un achète une veste à 20 heures quand il peut en acheter une à moindre coût. La valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par le travail socialement nécessaire à sa production, c'est-à-dire, non par le nombre d'heures employées à la production d'un objet concret, mais par le nombre d'heures qu'il faut pour le fabriquer dans les conditions moyennes de production de cette société. à cette époque. Avec l'exemple des vestes, si l'on en produit deux, et que l'une coûte 20 heures et l'autre 10 heures de travail, la valeur d'échange des deux sera de 15 heures. Le premier tailleur aura gâché du travail social et le second sera félicité par la société pour son efficacité.

Objets concrets, travail abstrait

En second lieu, il s'agit là de travail abstrait, c'est-à-dire qu'il est fait abstraction de son caractère spécifique. Sur le marché, quand des marchandises sont échangées, on échange travail pour travail, selon une règle d'équivalence que réalise le marché même, en donnant plus de valeur au travail qualifié qu'au travail simple. On échange du travail abstrait et non des travaux spécifiques. De fait, dans l'exemple que nous avons pris, on échange des heures de travail de tailleur contre des heures de cordonnier, mais nous pourrions en prendre d'autres dans lequel on échangerait des heures d'ingénieur contre des heures de manœuvre. Car ce que fait le marché, c'est échanger ce que toutes les marchandises ont en commun : être le produit du travail humain, en abstraction.

Ainsi donc, la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par la quantité de travail abstrait socialement nécessaire requise pour la produire. Si le travail domestique créait un certain type de valeur. il devrait être possible de parler de travail domestique abstrait socialement nécessaire. Que signifie travail abstrait socialement nécessaire dans le cas du travail domestique ?

La caractéristique du travail abstrait est que l'on peut échanger les heures de travail d'un ingénieur avec celle d'un métallo, parce que le marché fixe l'équivalence des deux par rapport à un concept homogène : l'heure de travail abstrait. Dans le travail domestique, il n'y a aucun échange et donc, il n'existe aucun mécanisme social qui définisse "l'heure de travail domestique abstrait". Que signifie "une heure de femme au foyer"? Des choses très différentes puisque la technologie, la connaissance, les produits et les services à rendre, etc., qui existent dans chaque famille, pour ce qui est du travail domestique, sont très différents les uns des autres et qu'il n'existe aucune façon, de les faire communiquer. Il n'existe aucun mécanisme social qui puisse établir une relation entre une heure de travail domestique de la femme d'un manœuvre cl une heure de travail domestique de celle d'un ingénieur.

Mais passons au concept de travail socialement nécessaire. Dans le cas des marchandises, il a une connotation technologique : c'est le nombre d'heures qu'il en coûte en moyenne à une société pour produire une marchandise, étant donné la technologie, l'habileté de sa main-d'œuvre, etc. De nouveau, c'est le marché qui fixe la moyenne sociale. Il n'existe aucun mécanisme social qui puisse indiquer quel est le nombre d'heures de travail domestique qui est nécessaire en moyenne pour produire la nourriture d'une famille ou le nettoyage d'une maison. Plus, pour la production de marchandises, ce qui compte c'est d'économiser des heures de travail, alors que dans le travail domestique, l'objectif est l'élaboration de valeurs d'usage pour la consommation familiale (les repas quotidiens ou l'alimentation et les soins aux enfants par exemple) quel qu'en soit le prix en termes d'heures de travail. De fait, si nous appliquions le concept de travail socialement nécessaire au travail domestique, nous arriverions à la conclusion que dans la majorité des cas, il est socialement non nécessaire car, étant donné le faible intérêt qu'a le capital à l'augmentation de la productivité des familles et les connotations idéologiques de l'oppression patriarcale, les femmes emploient beaucoup plus d'heures de travail à produire la partie qui leur revient du produit nécessaire à la subsistance de la société qu'il ne serait nécessaire, vu le niveau de connaissance et de technologie actuelles.

Travail domestique et valeur de la force de travail

Comme nous venons de le voir, on ne peut parler de travail abstrait socialement nécessaire dans le cas du travail domestique parce qu'il n'existe pas de mécanisme social qui permette de le reconnaître. En conséquence, l'ensemble des valeurs d'usage que produit le travail domestique ne constitue aucun "mode de production patriarcal". Il est certain que la production de valeurs d'usage au sein de la famille coûte aux femmes de nombreuses heures de travail, et que comme nous l'avons vu, leur production est une partie substantielle du produit socialement nécessaire mais au sens strict, le travail domestique ne crée aucune valeur qui ne soit pas d'usage.

La loi de la Valeur, en fonction de laquelle le capital se dirige d'une activité moins rentable à une autre plus rentable cl qui par conséquent, est le mécanisme au travers duquel le travail salarié de la société se distribue, ne régit pas directement le travail domestique. On ne peut pas non plus énoncer une loi qui, de manière analogue à la loi de la Valeur, redistribuerait le travail domestique entre les femmes selon des critères d'efficacité sociale. Sa régulation fondamentale est faite par la famille comme institution de base du système partriarcal et sa mission consiste en ce qu'une partie de la production nécessaire à la société se réalise en dehors des circuits du marché et retombe sur les femmes.

La force de travail, une marchandise

Le travail domestique n'est pas le seul à n'ajouter aucune valeur aux choses. Le travail salarié qui s'emploie dans les secteurs non-productifs (santé, enseignement. commerce, hôtellerie, administration publique...) ne produit pas de marchandises incorporant un travail, mais des services qui n'ajoutent pas de valeur. Toutefois, ces travailleurs vendent leurs services en échange d'un salaire et, donc, sont partie prenante de la force de travail, qui a une valeur d'échange. Pourrait-on parler de la "valeur de la force de travail domestique" par analogie avec la valeur de la force de travail en général ? Existe-t-il un prix du travail domestique, c'est-à-dire pourrait-on parler d'un salaire domestique ?

Si nous faisons abstraction du travail domestique, la valeur de la force de travail devient un concept absolu: c'est la quantité de travail socialement nécessaire pour reproduire la force de travail. En effet, dans la société capitaliste, le travailleur est obligé de vendre sa force de travail en échange d'un salaire, puisque c'est là la seule marchandise dont il dispose et qu'il puisse vendre pour acheter celles dont il a besoin pour subsister.

La force de travail est donc une marchandise de plus et, à l'égal de la valeur de n'importe quelle autre marchandise, sa valeur d'échange est déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa production, c'est-à-dire par la valeur de ses moyens de subsistance.

Produire ce qui est nécessaire pour vivre une journée requiert moins d'heures de travail qu'une journée de travail, car le travailleur peut reproduire ses moyens de subsistance avec seulement quelques heures du total de sa journée de travail et, pendant le reste du temps, il travaille pour le capitaliste, c'est-à-dire, il produit de la plus-value.

Mais si nous considérons le travail domestique, la valeur de la force de travail devient un concept relatif. Dans la société capitaliste, la production de valeurs d'usage effectuée par la femme au sein de la famille n'est pas suffisante à son entretien, voilà pourquoi il est nécessaire d'acheter des marchandises pour compléter ce dont la famille a besoin pour sa subsistance. La seule marchandise que la famille peut vendre pour obtenir les moyens nécessaires pour acheter ces marchandises, c'est sa force de travail. La famille comme institution patriarcale est chargée du maintien de la division sociale du travail : ce sera la femme qui réalisera le travail domestique et l'homme celui qui vendra sa force de travail en échange d'un salaire, qui fera le travail salarié. Dans la majorité des familles, c'est l'homme qui effectue le travail salarié, mais comme nous parlons au niveau conceptuel, qu'il y ait des familles où le travail salarié est effectué par l'homme et la femme, ou seulement la femme, ne change rien aux choses, puisque, en tous cas, ce seront les femmes qui feront le travail domestique dans l'immense majorité des cas. Rappelons nous ce que nous avons dit dans un paragraphe précédent sur la famille comme institution abstraite, garante de la division sexuelle du travail.

Travail salarié et travail domestique

Le niveau de vie des travailleurs et de leur famille sera déterminé par les valeurs d'usage qu'obtient la femme avec son travail au foyer (le travail domestique) et par les marchandises qui s'obtiennent sur le marché avec le salaire de l'homme (le travail salarié). Le premier n'entre pas dans les circuits du marché et n'est pas régi par la loi de la Valeur, ce qui fait que pour le capitaliste il n'est pas partie prenante de la valeur de la force de travail. Le capitaliste se limite à payer aux travailleurs ce qui est nécessaire pour qu'ils achètent les marchandises dont ils ont besoin pour qu'ils puissent subsister, eux et leur famille. Le travail domestique est une auto-production et une autoconsommation qui n'intéresse en rien le capitalisme.

En conséquence, on ne peut parler d'une "valeur de la force de travail domestique" puisque la valeur de la force de travail inclut non seulement les marchandises nécessaires à la reproduction du travail salarié mais aussi celles qui sont nécessaires à la reproduction du travail domestique. Quand le capitaliste paye un salaire, il paye la valeur de la force de travail qui inclut non seulement le travailleur, mais aussi sa femme et toute la famille (6). Mais le salaire d'un travailleur n'intègre pas la rétribution du travail de sa femme parce que ce dernier n'a pas de valeur d'échange.

Le rôle du travail domestique consiste à produire une partie des valeurs d'usage nécessaires à la reproduction de la force de travail en dehors des circuits du marché (7). Ce qui est incorporé à la valeur des marchandises sont les heures de travail qu'effectue le travailleur salarié. Celles qu'effectue sa femme à la maison servent à son entretien, mais les heures qu'un travailleur incorpore à une marchandise sont indépendantes de celles que sa femme a consacrées au travail domestique.

Finalement, on ne peut parler de "prix du travail domestique" ou de "salaire domestique". Le salaire du travailleur salarié sert à l'entretien de sa famille, il n'y en a pris une partie qui soit la rétribution du travail domestique de la ménagère. Mais ce dernier point requiert des précisions additionnelles.

Le travail domestique n'a pas de valeur, mais il pourrait avoir un prix. Il existe d'autres choses dans la société capitaliste qui, comme la terre stérile, n'ont pas de valeur d'échange mais qui, en revanche. ont un prix. Mais, pour qu'il existe un prix, il faut qu'il soit possible que la chose à vendre puissent avoir divers acheteurs. Ce n'est guère le cas du travail domestique.

Travail domestique, capital variable et plus-value

D'un autre côté, supposer que la femme vend ses services à son mari, le seul acheteur qu'elle puisse avoir, puisque en dehors du foyer elle n'effectuerait pas un travail domestique mais un travail salarié, seraient définir les relations patriarcales comme étant un rapport d'exploitation et non d'oppression, un concept beaucoup plus large que le premier. A l'exploitation normale que subissent tous les travailleurs, s'ajoutent pour les femmes travailleuses, l'oppression patriarcale.

Dans les paragraphes précédents, nous avons avancé une série d'arguments dont nous pouvons tirer une première conclusion : toute transposition mécanique au travail domestique des concepts qui sont utilisés pour le travail salarié, constitue une erreur. Au contraire de ce qui se produit avec ce dernier, le travail domestique n'a pas de valeur d'échange, on ne peut rien trouver de semblable à "un salaire domestique", il ne produit pas de valeurs d'usage qui aient une valeur d'échange, il n'ajoute aucune valeur aux choses, et en conséquence, nul n'en obtient de plus-value.

Cela est dû au fait que la régulation du travail domestique n'est pas régie par la loi de la Valeur, car elle se réalise en dehors des circuits du marché, mais par la famille, comme institution de base du système patriarcal.

Un rôle fondamental pour l'économie capitaliste

Toutefois, dans la mesure où c'est un des éléments qui détermine le niveau de vie des travailleurs et de leur famille, il joue un rôle fondamental pour l'économie capitaliste. Personne n'obtient de plus-value du travail d'une femme concrète à la maison, mais l'ensemble du système peut augmenter la masse totale de plus-value grâce au travail domestique de l'ensemble des femmes. Ainsi, le travail domestique n'est pas régulé par la loi de la Valeur mais, comme c'est le cas de toutes les choses sous le mode de production capitaliste, il n'en est pas indépendant.

La valeur d'une marchandise, qui se juge par la quantité de travail socialement nécessaire pour la produire, se compose de divers éléments. D'un côté, il faut compter le nombre d'heures de travail qu'il faut pour produire les matières premières avec lesquelles elle est fabriquée et celles qui s'y intègrent à travers l'usure de la machine utilisée pour sa production. C'est le travail mort qui s'incorpore avec le capital constant. D'un autre côté, il faut compter le nombre d'heures que le travailleur a utilisées directement dans sa production (comme nous l'avons vu auparavant, dans les conditions moyennes de productivité, savoir-faire, etc. de chaque société à chaque époque). C'est le travail vivant qui s'incorpore à la marchandise, il a, à son tour deux composantes : le capital variable, qui est la partie des heures de travail direct équivalent à la valeur des moyens de subsistance dont le travailleur et sa famille ont besoin, et la plus-value, qui est la partie des heures de travail direct que s'approprie le capitaliste. Une réduction de la valeur de la force de travail produite par une plus grande intensité du travail domestique par exemple, impliquerait une réduction de la partie correspondante du capital variable qui s'incorpore à la marchandise. Avec le même travail vivant, cela supposerait une augmentation de la plus-value.

Chaque capitaliste individuel ne peut pas faire grand-chose pour réduire la valeur de la force de travail par ce biais, car le salaire qu'il paye à ses travailleurs est indépendant du travail que leurs femmes effectuent à la maison. Mais pour le capitalisme dans son ensemble, le travail domestique permet que le travail salarié nécessaire au maintien du niveau de vie des travailleurs et de leur famille soit inférieur à celui qui serait requis en son absence. Il suppose une diminution de la valeur de la force de travail et donc, une réduction du capital variable total et, en conséquence, une augmentation de la plus-value prise globalement. Ainsi, le travail domestique contribue à la formation de la plus-value globale de la société, parce qu'il maintient le capital variable à un niveau plus bas que celui qui correspond au niveau de vie effectif des travailleurs.

Place du travail domestique dans l'économie capitaliste

Le capital peut utiliser le travail de la femme sous une forme additionnelle pour réduire la valeur de la force de travail cl augmenter la plus-value. L'intégration massive des femmes au travail salarié tout en maintenant la même quantité de travail domestique, c'est-à-dire, l'utilisation intensive de la double journée de travail, entraîne une dévalorisation de la force de travail. Car étant donné le niveau de vie des travailleurs et de leur famille, déterminé hislorico-sociologiquemcnt, l'intégration des femmes au travail salarié sans diminution du temps consacré au travail domestique équivaut à une dévalorisation du travail effectué par l'homme. En effet, pour maintenir et reproduire la même famille, il fallait auparavant une journée de travail salarié, mais avec l'intégration des femmes aux activités marchandes, il en faut deux, celle de l'homme et celle de la femme. Cela signifie qu'il faut davantage de journées de travail pour obtenir les marchandises qui constituent la valeur de la force de travail. De cette façon, le capital pourra réduire la proportion de la journée de travail que chaque travailleur utilise à reproduire les moyens de son existence propre, ce qui, se traduira donc par une augmentation de la plus-value (8).

En conclusion, même s'il n'est pas extrait directement de plus-value du travail domestique, travail domestique, travail salarié et production de plus-value, sont intimement liés pour une société dans son ensemble. Dans une société primitive, le produit nécessaire à la subsistance de la société doit être interprété au sens strict, c'est-à-dire comme la production minimum et indispensable pour que la société vive et se reproduise. Mais, dans une société capitaliste développée, il faut inclure dans ce concept, des productions qui, si elles ne sont pas nécessaires à la survie effectivement du point de vue matériel strict, le sont d'un point de vue historico-sociologique. La consommation de viande, par exemple, est excessive dans les pays industrialisés car du point de vue matériel, le niveau de production de celle denrée dans ces pays ne peut être considéré comme nécessaire pour la survie. Mais l'adoption de mesures qui signifieraient une réduction drastique de la production de viande impliquerait de graves problèmes sociaux.

Stabilité sociale et niveau de vie

A long terme, dans certaines limites, le capital peut agir sur ce que la société considère comme produit socialement nécessaire, mais à court terme, c'est une donnée. Le niveau de vie des travailleurs. la valeur de la force de travail cl le salaire de subsistance sont également déterminés par des facteurs historiques et sociologiques. Le salaire ne peut être simplement la contrepartie des marchandises nécessaires à la subsistance, mais il doit être suffisant pour que le niveau de vie des travailleurs puisse inclure des valeurs d'usage comme l'automobile, si l'on veut obtenir une certaine stabilité sociale; il existe un salaire indirect que constitue la prestation de certains services indispensables, comme la santé ou l'éducation, auxquels le capital doit consacrer une partie de la plus-value, etc.

Si nous faisons abstraction du travail domestique, une réduction du niveau de vie des travailleurs implique une baisse de la valeur de la force de travail, et, en conséquence, une augmentation de la plus-value. Toutefois, à l'instar de ce qui se passe avec le produit socialement nécessaire, le capital ne peut agir significativement sur ces facteurs qu'à long terme.

C'est précisément là un des objectifs de la politique d'austérité. La réduction du pouvoir d'achat des salaires qu'elle comporte, a pour but d'augmenter la plus-value relative en réduisant la valeur de la force de travail ce qui, de fait, se traduit par une réduction de la consommation des travailleurs. Mais à court terme, ses effets ne peuvent être très significatifs. C'est pour cela qu'à long terme, le capital essaye de faire en sorte que les travailleurs acceptent dans leur niveau de vie, la suppression de certains biens ou la réduction des services sociaux. Les attaques contre la Sécurité sociale ou la rentabilité de l'enseignement que recherchent les gouvernements n'ont pas d'autre but.

Nous incluons le travail domestique dans celle analyse. La composition du niveau de vie des travailleurs et de leur famille, partagée entre travail domestique et travail salarié, est une variable qui affecte la plus-value et donc, le taux de profit. En effet, même si le niveau de vie ne changeait pas, une variation de cette composition dans le sens d'accroître (ou de diminuer) la proportion de travail domestique signifierait une réduction (ou une augmentation) de la valeur de la force de travail. C'est là une variable qui a une relative importance pour le capital mais. comme c'est le cas avec le produit socialement nécessaire ou le niveau de vie des travailleurs, la composition de ce dernier est également déterminée par des raisons historiques et sociologiques.

L'histoire du mode de production capitaliste est l'histoire de la mercantilisation croissante de la production sociale. Quand il a éjecté l'artisan de la production familiale pour le transformer en salarié, il a réduit la production de la famille elle-même et l'a obligée à acheter des marchandises sur le marché. Quand, au XIXc siècle, il établit un impôt sur les habitants des colonies et les obligea ainsi à vendre leur force de travail pour obtenir un salaire avec lequel ils le payaient, il les a obligés à réduire leur propre production et à acheter des marchandises. Le travail domestique n'a pas échappé à ce processus.

La mercantilisation des activités domestiques

La production de valeurs d'usage qu'effectue la femme dans sa maison n'a pas de valeur d'échange, mais le travail domestique comprend des activités qui peuvent être mercantilisées et devenir rentables pour le capital. Ainsi, le capital a éliminé la production pour l'auto-consommation, en grande partie réalisée par les femmes, les obligeant à acquérir ces produits sur le marché ; il a énormément développé l'industrie de l'alimentation pratiquement inexistante auparavant, allégeant une partie du travail domestique, et a converti la fabrication des vêlements qui, jusqu'alors était à la charge des femmes, en une de ses industries fondamentales.

Au stade du capitalisme tardif, où l'on enregistre une forte tendance à l'industrialisation des services, la tendance à la mercanlilisation de certaines productions du travail domestique s'est accentuée. En conséquence, on peut enregistrer une tendance à la réduction de la production de valeurs d'usage par le travail domestique.

Toutefois, cela ne signifie pas qu'il y a eu une tendance parallèle à l'augmentation de la valeur de la force de travail. L'histoire du capitalisme est aussi celle de l'augmentation de la productivité du travail salarié. Une augmentation de la productivité dans les industries qui produisent des marchandises pour les travailleurs implique une réduction de la valeur de la for-ce de travail, c'est-à-dire une dévalorisation du travail salarié.

A l'heure actuelle, le capitalisme met beaucoup plus de marchandises à disposition des travailleurs qu'il y a 100 ou 150 ans, tant en conséquence de l'élévation du niveau de vie. que de la mercantilisation du travail domestique. Mais l'augmentation de la productivité a été considérable, ce qui s'est traduit par une réduction de la valeur de ces marchandises, qui a dû être compensée par leur augmentation en nombre.

Hausse de la productivité et baisse du travail domestique

Bien que le capitalisme ait arraché des pans de travail domestique pour les introduire dans l'activité marchande, les travailleurs reproduisent aujourd'hui la valeur des marchandises qu'ils doivent acquérir sur le marché avec une proportion de leur journée de travail moindre qu'auparavant.

Le travail qu'effectue la société pour maintenir le niveau de vie des travailleurs et de leur famille s'est réduit avec le développement du capitalisme, parce que la part de ses deux composantes a été réduite. Mais la proportion qui est due au travail domestique aurait pu ne pas être réduite. D'un côté, l'augmentation de la productivité du travail salarié a été considérable. De l'autre, comme nous l'avons mentionné auparavant, le capitalisme avait beaucoup moins d'intérêt à augmenter la productivité du travail domestique, précisément parce qu'il s'effectue en dehors des circuits du marché. En fin de compte, la façon de faire la soupe ou les soins que requièrent un petit enfant ne sont pas si différents de ce qu'ils étaient voilà 100 ans. Surtout si on les compare avec les changements qui se sont produits dans le travail salarié.

Inprecor, septembre 1988

1) Ce paragraphe est extrait de L'idéologie allemande (Editions sociales, Paris 1966) mais on peut trouver beaucoup d'autres exemples. Le paragraphe classique de la Préface à la contribution de la critique de l'économie politique qui se réfère au mode de production capitaliste est un autre exemple de comment Marx, non seulement se réfère aux "hommes" ("Dans ta production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté. (...) Ce n'est pas ta conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience" Editions sociales, Paris, 1966); mais, aussi comment son analyse n'intègre pas le problème. Les polémiques postérieures pour savoir si les relations patriarcales sont comprises dans les rapports de production ou dans les superstructures idéologiques, si l'on même parier de rapports de production, etc., en sont une bonne preuve.

2) Le rôle que la marchandise occupe dans l'analyse économique de Marx est manifeste des le premier paragraphe du Capital : "la richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises. L'analyse de la marchandise, forme élémentaire de cette richesse sera par conséquent le point de départ de nos recherches" (Le Capital, livre I, chapitre I. Editions sociales, Paris, 1972). A partir de là, dans le reste du Capital, le travail domestique n'ayant pas un caractère marchand, est tout simplement ignore.

3) Dans une société capitaliste, le travail marchand, c'est-à-dire celui qui se réalise dans le cadre du marché, est de deux types : travail salarié (celui qu'effectuent toutes les personnes qui sont obligées de vendre leur force de travail en échange d'un salaire) et le travail non-salarié (qu'effectuent ceux qui sont leur propre patron).

Dans le mouvement féministe, il est courant d'appeler "travail salarié" ce qui ne relève pas du travail domestique, mais, on peut le déduire de ce qui précède, il serait plus correct de l'appeler "travail marchand". Dans cet article, nous avons décidé de faire abstraction du travail non-salarié, ce qui ne change en rien fondamentalement les choses.

4) Nous faisons abstraction pour simplifier, du fait qu'une partie du travail salarié n'est pas consacré à produire des marchandises, mais à prêter des services sur le marché, comme c'est le cas du commerce, de la santé, de l'enseignement, etc. Ce dernier travail a une valeur d'échange, puisque qu'il se réalise sur le marché, mais ne crée pas de valeur, bien qu'il soit indispensable au fonctionnement du système capitaliste. Une partie du produit excédentaire est consacrée à la rétribution de ce travail.

5) Nous sommes ici en présence d'une de ces catégories mal précisées, auxquelles nous faisons référence au début. Depuis Marx, la valeur d'échange d'une marchandise ou simplement la valeur, est "la quantité de travail socialement nécessaire pour la produire". D'autre part, dans la tradition marxiste, le produit indispensable à la subsistance de la société est également nommé "socialement nécessaire" et c'est ainsi que nous avons procédé dans le texte. Evidemment, l'expression "socialement nécessaire" peut signifier des choses très différentes dans beaucoup de cas. C’est une confusion qui ne favorise en rien le traitement du travail domestique. Voilà pourquoi nous avons maintenu l'expression "socialement nécessaire" pour définir celle partie du produit ou du travail social qui sont indispensables pour la société, et nous avons défini la valeur d'échange comme la quantité de travail "socialement nécessaire" pour produire une chose. Ce sont des synonymes mais ils ont une charge idéologique très différente.

6) Marx le reconnaît ainsi dans Le Capital quand, en parlant du travail féminin et infantile comme moyens d'augmenter la plus-value, il dit : "La valeur de ta force de travail n'est pas déterminée par te temps de travail nécessaire à ta subsistance de l'ouvrier adulte individuel, mais par celui qui est nécessaire à la subsistance de la famille ouvrière" (Le Capital. Livre I, chapitre XIII, 3e paragraphe).

7) Marx considère la famille bourgeoise comme un instrument de plus de la société capitaliste. Son rôle est la production d'une partie des valeurs d'usage dont la société a besoin pour subsister cl toutes les autres caractéristiques de la famille, les liens affectifs, le rôle subordonné des femmes en son sein, etc. ont comme seul objectif fondamental, l'augmentation de l'exploitation. C’est pourquoi, la famille bourgeoise cl, il faut le supposer, l'oppression des femmes, disparaîtra avec l'abolition de la propriété privée. En ce sens, dans Marx, l'oppression de la femme dans le capitalisme est son "exploitation" à travers la famille. Voir 1 ce sujet, le Manifeste communiste, dans le paragraphe consacré aux "Prolétaires et communistes" où celte conception de la famille semble la plus claire.

8) Cest là une des formes d'utilisation de la femme pour réduire la valeur de la force de travail et augmenter la plus-value relative qui a été traitée en particulier par Marx (voir Le Capital, Livre I, chapitre XIII). Il est extrêmement intéressant de le lire aujourd'hui, à la lumière de certaines des polémiques dans le mouvement féministe.

Voir ci-dessus