Le PCF pendant la seconde guerre mondiale et à la Libération
Par Patrick Fresnel le Samedi, 14 Octobre 2000 PDF Imprimer Envoyer

La question de la guerre a toujours divise dans le mouvement ouvrier, les réformistes partisans de la défense nationale et les marxistes-révolutionnaires qui prônent le défaitisme révolutionnaire. En Août 1914, la IIème Internationale sombre dans le chauvinisme de l'Union Sacrée que dénonce une poignée d'internationalistes.

Face à la guerre 1939-1945, le Parti Communiste Français a pris toutes les positions possibles. A chaque fois, elles lui étaient imposées par l'Internationale Communiste. L'intérêt de cette période troublée est donc double: connaître l'attitude du PCF face à la guerre, mais aussi et surtout, étudier les rapports de ce parti avec le Komintern.

 

A l'approche de la guerre, le parti communiste mène une intense propagande pour dénoncer le danger hitlérien. Au moment de Munich, il n'avait pas crié à la victoire de la paix comme l'ensemble des forces politiques, mais à la capitulation devant les exigences de Hitler. Cette ligne antifasciste n'est pas si ancienne. Jusqu'en 1935, le PCF était contre la défense nationale. Maurice Thorez déclarait à la Chambre des députés le 15 juin 1934: "Nous ne voulons pas croire un seul instant à la défense nationale. Nous en sommes restés, nous communistes, à la phrase du Manifeste Communiste de Marx: « Les prolétaires n'ont pas de patrie ».(1) Le 15 mars 1935, il faisait une déclaration analogue: "Les communistes ne s'en tiendront naturellement pas à une simple propagande contre la guerre. Nous sommes résolus à accomplir sans défaillance et en dépit de la répression' la tâche antimilitariste. Nous sommes résolus à préparer les conditions des futures fraternisations".(2)

 

Quinze jours plus tard, il annonçait toujours à la tribune de la Chambre: "Nous invitons nos adhérents à pénétrer dans l'armée afin d'y accomplir la besogne de la classe ouvrière qui est de désagréger cette armée". Un mois après cette fracassante déclaration, Laval est à Moscou pour signer un pacte franco-soviétique d'assistance en cas d'agression allemande. Après avoir mené par sa politique criminelle livrant la classe ouvrière allemande à la capitulation sans combat devant le nazisme triomphant, la direction de l'Internationale Communiste commence à s'inquiéter du danger hitlérien pour l'Union Soviétique. Le tournant est pris. L'URSS entre à la Société des Nations (1934), Staline passe des alliances avec les démocraties bourgeoises. Le communiqué final des entretiens Laval-Staline déclare: "M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité".

 

Pour le PCF c'est la fin de la politique de défaitisme révolutionnaire. Il proclame: Staline a raison. D'ailleurs l'antifascisme rencontre un puissant écho dans les masses populaires. C'est l'un des principaux ferments de la constitution du Front Populaire. Jusqu'à la guerre, le parti communiste va être à l'avant-garde de la lutte antifasciste. Il y va de son intérêt (cette politique provoque un fort développement du parti) et de celui de l'URSS (puisqu'il s'agit de la défense de la patrie du socialisme).

 

Le pacte germano-soviétique

 

Craignant, non sans raison, que les démocraties bourgeoises, la France et l'Angleterre passent un compromis avec Hitler, et laissent l'Union Soviétique seule face à l'Allemagne, Staline prend les devants. Le 23 août 1939, un pacte de non-agression est signé par Ribbentrop et Staline qui déclare en levant son verre "Je sais combien la nation allemande aime son Führer, c'est pourquoi j'aurai plaisir à boire à sa santé".(3) Le PCF a toujours affirmé que la signature du pacte était une manœuvre tactique destinée à faire gagner du temps à l'Union Soviétique. Les travaux des jeunes historiens soviétiques, le rapport Krouchtchev au XXème Congrès ont montré que loin de considérer le pacte comme provisoire, Staline croyait à une entente prolongée avec l'Allemagne hitlérienne. On ne peut comprendre autrement l'impréparation totale de l'Armée Rouge lors de l'attaque allemande ou les accords commerciaux aux termes desquels l'URSS livrait à Hitler de l'acier et du blé.

 

Mais plus grave, le pacte proprement dit était accompagné d'un protocole secret qui fut révélé au procès de Nuremberg et qui ne prête à aucune équivoque. C'était bel et bien un traité qui prévoyait le partage des zones d'influence entre l'URSS et l'impérialisme hitlérien. La signature du pacte surprend complètement la direction du PCF. Dans le parti, c'est le désarroi complet. Dans un premier temps, le parti communiste approuve le pacte qui est présenté comme une victoire de la paix. Le 25 août, on lit dans l'Humanité: "L'action de l'Union Soviétique, par le pacte de non-agression avec l'Allemagne, concourt à raffermir la paix générale". Cependant la ligne de défense nationale est maintenue. L'Humanité du 26 août rapporte les propos qu'a tenus Thorez à la réunion du groupe parlementaire communiste ; "Si Hitler, malgré tout, déclenchait la guerre, qu'il sache bien qu'il trouverait devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l'indépendance des peuples. C'est pourquoi notre parti approuve les mesures prises par le gouvernement pour garantir nos frontières".

 

Le 2 septembre, le groupe parlementaire publiait un communiqué qui allait dans le même sens. "Réuni sous la présidence de Maurice Thorez, il a proclamé, unanimement, la résolution inébranlable de tous les communistes de se placer au premier rang de la résistance à l'oppression hitlérienne. Le même jour, les députés communistes votent les crédits de guerre. Cet épisode sera d'ailleurs jugé différemment suivant les périodes. En janvier 1940, après la rectification de ligne, le vote des crédits de guerre est analysé dans l'éditorial des "Cahiers du Bolchévisme "comme une faute grave. Après la libération au contraire, le PCF prendra pour preuve de son patriotisme de la première heure, le fait d'avoir voté les crédits de guerre!

 

Toujours est-il que le pacte a plongé le PCF dans une crise profonde. Un tiers des parlementaires communistes quittent le parti. La plupart tourneront mal. Les grands journalistes du PCF, Gabriel Péri, Paul Nizan sont désorientés. Nizan quitte le parti ce qui lui vaudra d'être accusé par Thorez et Aragon d'appartenir à la police. Le 20 octobre, Raymond Guyot, de retour de Moscou, ramène dans ses bagages la nouvelle ligne: la défense nationale est condamnée. La guerre est une guerre impérialiste. Les communistes doivent lutter pour la paix immédiate.

 

La politique stalinienne

 

Le discours que prononce Molotov devant le Soviet Suprême le 31 octobre et qui sera publié dans les "Cahiers du Bolchevisme" de janvier 1940, donne le cadre de la politique stalinienne. La situation internationale a changé déclare Molotov. "Si l'on parle aujourd'hui des grandes puissances européennes, l'Allemagne se trouve dans la situation d'un Etat qui aspire à voir la cessation la plus rapide de la guerre et à fa paix, tandis que l'Angleterre et la France qui, hier encore, s'affirmaient contre l'agression, sont pour la continuation de la guerre et contre la conclusion de la paix. Les rôles changent comme vous le voyez".(5)

 

Les causes de la guerre ne sont pas dans une prétendue lutte idéologique contre le fascisme. "L'idéologie de l'hitlérisme, déclare encore Molotov, comme tout autre système idéologique, peut être reconnue ou rejetée - c'est une question d'opinions politiques. Mais n'importe qui comprendra qu'on ne saurait détruire une idéologie par la force, qu'on ne saurait en finir avec elle par la guerre. C'est pourquoi, il est insensé, voire criminel, de mener une semblable guerre pour l'anéantissement de l'hitlérisme en la couvrant du faux chapeau de la lutte pour la "démocratie".(6) Les centaines de milliers de communistes parqués dans les camps de concentration, le massacre des juifs, les chambres à gaz, tout cela n'est qu'«une question d'opinion politique ».

 

Toute cette rhétorique n'avait d'autre fonction que de faire oublier aux militants communistes l'action menée contre le fascisme. Pendant des années, on avait expliqué que la lutte contre Hitler était une lutte démocratique contre la barbarie. Du fait du pacte, la guerre devenait impérialiste. Il fallait donc détourner les masses de la guerre. Ce qui justifiait cette nouvelle analyse, n'était pas la volonté de profiter de la guerre pour préparer la révolution socialiste, mais bien de défendre les intérêts de l'Union Soviétique. Molotov le déclare crûment: "nous en venons aux changements qui se sont produits dans la situation internationale de l'Union Soviétique elle-même. Ses rapports avec l'Allemagne, comme je l'ai déjà dit, se sont foncièrement améliorés. Ici, les choses ont évolué dans le sens du renforcement des relations amicales, du développement de la collaboration pratique et du soutien politique de l'Allemagne dans ses aspirations à la paix. Nous avons toujours été de cette opinion qu'une Allemagne forte est une condition nécessaire de la paix en Europe".(7)

 

Fin octobre, Dimitrov, secrétaire général du Komintern, publie un article dans "L'Internationale Communiste". Publié en brochure, il sert de guide aux militants communistes français. La guerre est une guerre impérialiste injuste. Les communistes doivent mener une grande campagne contre la guerre et dénoncer les buts impérialistes de l'Angleterre. Il faut "démolir la légende du prétendu caractère de guerre antifasciste juste". Telle va bien être la politique du Parti Communiste français jusqu'à l'invasion de l'URSS.

 

La politique du PCF jusqu'en juin 41

 

Le Parti Communiste croyait fermement à une paix durable entre l'URSS et l'Allemagne. Sous la protection du pacte, il comptait bien reprendre une activité légale Ainsi, il est conseillé aux militants de se montrer. Les élus municipaux doivent faire de la propagande ouverte. De nombreux communistes qui apparaissent publiquement, arrêtés à ce moment-là, seront fusillés plus tard.

 

Des démarches sont entreprises en juin 40 auprès des autorités allemandes pour demander la parution légale de "L'Humanité". La demande est justifiée ainsi: "L'Humanité publiée par nous se fixerait pour tâche de poursuivre une politique de pacification européenne et de défendre la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique, qui serait le complément du pacte germano-soviétique et ainsi créerait les conditions d'une paix durable".(8) Les illusions étaient totales. Aux militants emprisonnés qui en avaient l'occasion, la direction du parti refuse l'autorisation de s'évader. Beaucoup, qui avaient obéi à ces directives, seront plus tard exécutés. En mai 1941, le parti édite une carte postale destinée à "Son Excellence Monsieur l'Ambassadeur Otto Abetz" qui était le représentant d'Hitler auprès de Vichy. Cette carte demandait la libération des députés communistes emprisonnés. Il était demandé aux militants de signer et d'indiquer leur adresse. Des communistes paieront de leur vie d'avoir suivi cette consigne insensée.

 

Autre exemple de la politique menée à ce moment-là par le PCF. En octobre 1940, Pétain décida de faire juger les "responsables de la défaite". La direction du Parti demanda aux députés emprisonnés d'écrire à Pétain pour demander à témoigner contre les anciens présidents du conseil Blum, Daladier. Le 19 décembre 1940, Billoux écrivit à "Monsieur le Maréchal" pour "demander à être entendu comme tous mes amis en qualité de témoin par la Cour Suprême de Riom". Le Parti Communiste croyait à la validité et la durée du pacte germano-soviétique. Sans faire référence à l'occupant nazi, le PC avance le mot d'ordre de "Thorez au pouvoir". En mars 1941, est diffusé un document "Pour le salut du peuple de France". On peut y lire: "les communiste disent aux ouvriers, aux paysans, aux classes moyennes, aux intellectuels, à tous les Français qui ne se résignent pas à l'esclavage: la tâche à laquelle nous vous appelons à consacrer toutes vos forces, toute votre intelligence, toute votre foi, c'est l'organisation méthodique d'un vaste front de lutte pour préparer l'action de chaque jour, les mouvements de masse qui balaieront la clique capitaliste de Vichy et feront place au peuple, au gouvernement du peuple".

 

Le Parti Communiste se fixe comme perspective la révolution socialiste. Mais il n'envisage nullement la lutte contre l'armée d'occupation. Parler de prise du pouvoir par le peuple, sans poser le problème de la guerre de libération, n'avait pas de sens. Le PCF croyait-il que les nazis toléreraient ce "gouvernement du peuple" qui prendrait la place de Pétain? On peut le croire quand on lit le deuxième alinéa du paragraphe sur la politique extérieure que propose le Parti Communiste dans cet "Appel au peuple de France". "Etablissement de rapports fraternels entre le peuple français et le peuple allemand, en rappelant l’action menée par les communistes et par le peuple français contre le traité de Versailles, contre l'occupation du bassin de la Rhur, contre l'oppression d'un peuple par un autre peuple".(9) Il était fort louable de vouloir établir des " rapports fraternels avec le peuple allemand". Mais par quel miracle cela aurait-il été possible, puisque le document ne dit pas un mot de la nécessité de renverser le régime hitlérien?

 

Toute la politique du Parti Communiste Français pendant cette période est étroitement calquée sur celle de l'URSS. Et cette politique résidait dans la certitude de Staline que la coexistence avec l'Allemagne hitlérienne serait durable.

 

La guerre impérialiste

 

Dans cette guerre impérialiste, le Parti Communiste ne veut pas prendre position. Dans la "Lettre aux militants communistes" publiée au début de 1941, on lit: "la guerre pour la domination du monde capitaliste continue et sa fin n'apparaît pas prochaine. L'Allemagne et l'Italie d'une part, et d'autre part l'Angleterre, aidée par les Etats-Unis, continuent à se battre. C'est pourquoi on tentera peut-être d'entraîner à nouveau notre malheureux pays dans la guerre impérialiste. Les traîtres Doriot et Gitton voulant que les Français mettent "sac au dos" pour faire la guerre à l'Angleterre afin d'aider l'Allemagne, les agents de de Gaulle voulant faire tuer des Français pour aider l'Angleterre dans sa lutte contre l'Allemagne. De même qu'il a combattu hier la guerre impérialiste, le Parti Communiste combattra toute tentative, quelle qu'elle soit, de jeter à nouveau la France dans la guerre impérialiste".(10)

 

Cependant, le PCF évite les attaques contre le nazisme pour ne pas nuire au pacte germano-soviétique. De fait, ce sont surtout l'impérialisme anglo-saxon et de Gaulle qui sont visés par la propagande du PCF. "L'Humanité" de février 1941 proclame: "de Gaulle veut la victoire de l'impérialisme anglais parce que c'est son intérêt". Cette politique sera maintenue, au niveau de la direction, jour par jour, jusqu'à l'invasion de l'Union Soviétique par l'armée allemande.

 

"L'Humanité" du 20 juin 1941 rappelle que "ce n'est pas dans la victoire d'un impérialisme sur un autre que réside notre salut commun". Deux jours plus tard, les soldats allemands franchissent la frontière de l'URSS. Il faut citer longuement "L'Humanité " du 22 juin. Car elle illustre parfaitement la politique d'illusion totale sur le régime hitlérien. Elle permet de vérifier que Staline croyait fermement à l'entente avec Hitler. « Ce numéro de "L'Humanité" était entièrement composé lorsque nous avons appris la triste nouvelle du conflit éclaté entre le Reich et l'URSS. Ce qui nous console dans cette douloureuse circonstance, c'est la certitude que notre grand chef Staline a tout fait pour éviter un tel conflit. Encore tout récemment, le 10 avril, une convention avait été signée à Moscou par notre camarade Mikoyan, commissaire du peuple au commerce, pour la livraison d'un million de tonnes d'huiles minérales, en plus des quantités déjà octroyées... Malgré cela, Hitler, par un geste unilatéral, a déchiré le pacte d'amitié germano-soviétique, conclu en août 1939 ! C'est lui seul qui porte la responsabilité d'une pareille trahison! C'est lui seul qui a rendu impossible la politique d'amitié germano-soviétique que Staline avait poursuivie avec tant de fermeté et de loyauté".

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le Parti Communiste ne s'attendait pas à une guerre entre l'Allemagne et l'URSS. Non seulement il ne l'attendait pas, mais il ne la souhaitait pas. Staline déclare d'ailleurs le 3 juillet 1941 : « c'est l'Allemagne fasciste qui a violé perfidement et inopinément le pacte de non-agression conclu entre elle et l'URSS. La guerre nous a été imposée".

 

La guerre antifasciste

 

Pour le PCF, à partir du moment où l'Union Soviétique entrait dans la guerre, celle-ci perdait son caractère impérialiste. La guerre devenait "antifasciste". La Grande-Bretagne et les Etats-Unis, hier encore ennemis du peuple français, deviennent des alliés. Toute critique cesse dans la presse communiste contre "l'impérialisme britannique" devenu le champion de la démocratie. De Gaulle "agent de la City" devient un grand patriote. Le PCF tordait le bâton dans l'autre sens. A cause de la politique de l'URSS, il avait refusé de lier le mot d'ordre de libération nationale contre l'occupant hitlérien à la question de la révolution. Désormais, il gommait tout contenu de classe à la résistance. Voulant susciter un vaste rassemblement, le Parti Communiste lance une organisation de masse: le Front National de Lutte pour l'Indépendance de la France, communément appelé Front National. C'est le Front National qui organise les manifestations patriotiques du 14 juillet 1941. Les mots d'ordre "Vive l'URSS! Vive l'Angleterre!" se veulent très larges.

 

D'ailleurs le Front National s'adresse à tous les Français pour "délivrer la patrie de l'invasion étrangère". Toutes les catégories sociales sont concernées. Il y aura ainsi un Front National des artistes, un Front National des médecins, un Front National universitaire, un Front National judiciaire, un Front National de la police, etc... Le lancement du Front National en zone sud est annoncé par un manifeste qui donne la composition du comité constitutif. On y trouve: "des catholiques, des protestants, des libre-penseurs, des républicains, des syndicalistes, des gaullistes, des communistes, des techniciens, des travailleurs manuels et intellectuels, des hommes de profession libérale, des militaires". L'éventail est large. Aux côtés des membres du parti, Marrane, Casanova et des proches sympathisants, Joliot-Curie, Henri Wallon, Pierre Le Brun, figurent Georges Bidault (Combat), Max André (Parti Démocrate Chrétien), Choisnel (PSF) et un moine-soldat qui se rendra célèbre en faisant bombarder Haiphong en 1946, Thierry d'Argenlieu.

 

Au Front National la propagande, aux FTP la lutte armée. Celle-ci n'a pas commencé pour les militants, communistes, loin s'en faut, avec l'invasion de l'URSS par la Wehrmacht. Dès novembre 1940, des groupes d'"organisation secrète" se constituent à l'initiative de militants. Au départ, groupes d'auto-défense pour protéger les distributions de tracts et les collages d'affiches, ils se transforment en groupes d'intervention pour la propagande et même pour le sabotage. Des armes sont entreposées qui commencent à servir. Ce sont des groupes de choc, actifs dans le nord et dans la région parisienne, qui constituent les premières unités des francs-tireurs et partisans. C'est Charles Tillon qui est chargé de diriger les FTP. Lui non plus n'a pas attendu juin 41 pour commencer l'action contre l'occupant. Envoyé à Bordeaux en juin 40, pour reconstituer le parti, il publie, le jour où l'armée allemande entre dans la ville, un manifeste appelant à "lutter contre le fascisme hitlérien". La consigne est d'affecter 20 des militants communistes à l'encadrement des FTP.

 

Les rapports avec de Gaulle

 

Le Parti Communiste est partisan de l'action immédiate. Les gaullistes préconisent d'attendre le grand jour, en stockant des armes et en faisant du renseignement. Le 8 janvier 1943, Fernand Grenier est envoyé à Londres auprès de de Gaulle. C'est la réhabilitation du parti, mais également la subordination à la bourgeoisie. De Gaulle écrit au comité central du PCF, c'est à dire à Duclos etFrachon: "l'arrivée de Fernand Grenier, l'adhésion du Parti Communiste au Comité National, qu'il m'a apportée en votre nom, la mise à ma disposition, en tant que commandant en chef des Forces Françaises, des vaillantes formations de Francs-Tireurs que vous avez constituées et animées, voilà autant de manifestations de l'Unité Française, voilà une nouvelle preuve de notre volonté de contribuer à la libération de notre pays".(11) On ne peut être plus clair.

 

De son côté, le Parti Communiste commence à tisser la légende de de Gaulle, "grand résistant", sur laquelle celui-ci assoiera sa popularité à la Libération. Dans "L'Humanité" du 21 janvier 1943, Grenier écrit: "Nous traduisons le sentiment des Français en proclamant notre confiance dans le général de Gaulle, qui, le premier, leva l'étendard de la résistance". Pour de Gaulle, il s'agit d'utiliser le Parti Communiste pour asseoir son autorité sur l'ensemble de la population, diriger un rassemblement aussi large que possible et apparaître comme le chef de cette "Union Sacrée". Il aura ainsi suffisamment d'autorité, à la Libération, pour jouer son rôle: sauvegarder l'ordre bourgeois.

 

Pour le Parti Communiste, la caution de de Gaulle lui donne un brevet de patriotisme, mais aussi elle permet au parti d'être présent dans les institutions que de Gaulle met en place. Notamment le Comité Français de Libération Nationale (C.F.L.N.) où siégeaient Couve de Murville, qui était encore en 1942 directeur du cabinet du ministère des finances de Vichy et René Mayer, représentant de Rotschild, ancien attaché au cabinet de Lavai. Dans une "Histoire de la Résistance" rédigée 20 ans plus tard sous la direction de Jacques Duclos, on lit que le C.F.L.N. groupe "les hommes envoyés par la bourgeoisie pour s'accréditer en tant que "résistants " et veiller à la sauvegarde de ses intérêts". Cette remarque ne manque pas de clairvoyance. Mais à l'époque, la direction du PCF salue la création du C.F.L.N.: "Tous les Français attendent du Comité Français de Libération Nationale qu'il organise la participation active de la France contre Hitler".

 

En voulant entrer au C.F.L.N., le Parti Communiste n'entendait pas limiter sa participation à la durée de la guerre " mais aussi être aux premiers rangs de -l'action pour rénover la France et préparer l'avènement d'une véritable démocratie ". En entrant au gouvernement provisoire, le Parti Communiste, de fait, faisait le choix de restaurer la démocratie bourgeoise et ses institutions. Le même choix est fait au niveau de la direction de la Résistance. Le 27 mai 1943 est constitué le Conseil National de la Résistance (C.N.R.) où sont représentées toutes les organisations et tendances. De fait, le seul parti organisé qui existe dans la Résistance est le Parti Communiste, ce que de Gaulle ne pouvait accepter. Il propose donc que les autres partis soient représentés dans le C.N.R. Or, les anciens partis n'existent plus. Ils ont disparu dans la débâcle, ou ont surtout fait preuve d'activité à Vichy. Aucun n'est reconstitué clandestinement dans la Résistance.

 

Au fond, la question était de savoir si la vieille démocratie parlementaire allait être remise sur pied ou si allait se constituer une nouvelle organisation, appuyée sur les comités de base et dirigée par le P.C.F. Or, le Parti Communiste, en soutenant de Gaulle, choisit la première solution. Duclos l'explique ainsi: "c'est un fait qu'en France la vie politique s'exprime traditionnellement dans de grands courants qui constituent l'un des traits spécifiques de la démocratie bourgeoise française; l'apolitisme et la condamnation des partis ont toujours été en France des armes aux mains de la réaction, tenant compte de tout cela et de la nécessité d'arriver rapidement à une union efficace dans le combat national, le Parti Communiste accepta la constitution du C.N.R. sur les bases proposées par Jean Moulin qui, dans un rapport au comité de Londres, rendit hommage à la volonté d'union du Parti Communiste". Effectivement, les gaullistes pouvaient lui rendre hommage. Car cette "union" fut extrêmement "efficace" pour restaurer l'Etat bourgeois.

 

Devant les membres du comité central présents en Algérie, Billoux présenta un rapport en août 1944 sur l'activité du parti au gouvernement. Le bilan est sévère: "c'est un gouvernement sans programme, ou plutôt ayant un programme: "la peur du peuple", donc en contradiction absolue avec ce que nous demandions à ce gouvernement de réaliser. On peut considérer que l'entrée des communistes au gouvernement n'a pas apporté un changement politique et pratique dans l'orientation du gouvernement pour la libération de la France, mais, malgré tout, la participation communiste aide au rassemblement, en France, de toutes les forces contre l'envahisseur et Vichy. C'est la France qui doit déterminer notre attitude"! (12)

 

On aurait pu penser que pour un Parti Communiste l'intérêt de la classe ouvrière dût être déterminant... De fait, quand la question du pouvoir se pose à la Libération, elle est déjà hypothéquée par l'attitude du Parti Communiste dans la Résistance. En ne garantissant pas le caractère de classe de la Résistance, en se liant les mains avec la bourgeoisie, le P.C.F. avait déjà préparé la défaite. Préférant l'union sacrée et le chauvinisme outrancier ("à chacun son boche") au socialisme et à l'internationalisme, les dirigeants du Parti Communiste faisaient le choix de restaurer le capitalisme. Il est vrai que, fondamentalement, ils ne faisaient que suivre la politique de Staline.

 

Notes :

 

(1) Maurice Thorez, Oeuvres complètes. Livre deuxième. Tome sixième p. 125.

(2) Maurice Thorez, Oeuvres complètes. Livre deuxième. Tome huitième p. 165.

(3) A. Rossi, Les Communistes français pendant la drôle de guerre, p. 16.

(4) Histoire du P.C.F , Unir, Tome II, p. 11.

(5) Hi toire du P.C.F., Unir, Tome II, p. 16.

(6) Les Cahiers du Bolchévisme, Janvier 40.

(7) Histoire du P.C.F. Unir, p. 17. (8) Histoire du P.C.F., Unir, p. 26.

(9) Histoire du P.C.F., Unir p 61.

(10) Histoire du P.C.F.. Unir. p 56.

(11) Histoire du P.C.F.. Unir, p. 135

(12) Histoire du P.C.F., Unir. p. 239.

 

Paru dans la revue Quatrième International n°6, mars-avril 1973

 


 

Le PCF à la Libération : La question du pouvoir

 

Lorsque Billoux et Grenier entrent au gouvernement provisoire le 3 avril 1944, l'Union sacrée contre l'occupant s'était déjà réalisée dans les organismes réguliers de la résistance où cohabitent communistes, socialistes, gaullistes, voire monarchistes. Du Conseil National de la Résistance, au sommet jusqu'aux comités locaux de Libération, l'alliance des courants politiques représentant des intérêts déclasses opposés, est un fait déjà irréversible.

 

Désormais cette même coexistence se retrouve au sein des institutions étatiques que De Gaulle s'efforce de remettre en place. Ne garantissant pas le caractère de classe de la Résistance, en se liant les mains avec les représentants de la bourgeoisie qui passent leur temps à condamner la lutte armée, le parti communiste hypothèque le cours ultérieur des événements. Les dirigeants du parti, n'entendent pas, en effet, limiter leur action au sein du gouvernement -De Gaulle , à la durée de la guerre. Dès le début, ils affirment "être aux premiers rangs pour rénover la France et préparer l'avènement d'une véritable démocratie."(1). La question du pouvoir, ne se pose pas de but en blanc à la libération. Elle est déjà grandement déterminée par le caractère inter-classiste, étroitement national. foncièrement chauvin de la Résistance Communiste.

 

Pour restaurer l'Etat bourgeois

 

Au lendemain de la libération de Paris et d'une grande partie de la France, quelle est la situation ? Le parti est représenté au sein d'un gouvernement dont la première tâche est de restaurer l'Etat. Mais en même temps, il est partie prenante et même prépondérante des organismes de pouvoir issus de la Résistance que De Gaulle s'efforce de supprimer.

 

En premier lieu, les Milices Patriotiques, créées par le C.N.R. le 15 Mars 1944. Les M.P., devaient assumer les tâches élémentaires d'autodéfense (assurer la sécurité des distributions de tracts, des prises de paroles, des grèves.) En fait, elles deviennent très vite, la branche militaire des organes locaux de la Résistance, les Comités de Libération qui eux assument, dans les faits, le pouvoir et l'administration locale.

 

Pendant quelques mois, le parti communiste hésite entre le développement de ce pouvoir populaire et l'investissement dans les institutions étatiques renaissantes. Le 27 Octobre 1944, à une assemblée des communistes de la Région Parisienne, Duclos déclare encore: "La Milice Patriotique doit demeurer la gardienne vigilante de l'ordre républicain, en même temps qu'elle doit s'occuper activement de l'éducation militaire des masses populaires."

 

Le retour de Maurice Thorez met fin à cette hésitation. Au Comité Central d'Ivry (Janvier 45) la question est définitivement et clairement réglée : "Quelques mots sur l'organisation des Milices Patriotiques. Ces groupes armés ont eu leur raison d'être avant et pendant l'insurrection. Mais la situation est maintenant différente. La sécurité publique doit être assurée par les forces régulières de police... Tous les groupes armés irréguliers ne doivent pas être maintenus plus longtemps." Parallèlement "les comités de libération, locaux et départementaux ne doivent pas se substituer aux administrations municipales et départementales." Le parti communiste choisissait de restaurer la démocratie et l'Etat bourgeois plutôt que de s'appuyer sur la mobilisation populaire et les organes qu'elle s'était donnée.

 

Cette décision n'a pas été sans remous dans le parti. Au sein même de la direction Marty et Tillon soutiennent le point de vue opposé. Dans bien des endroits, les militants communistes croient à une finesse tactique de leur génial secrétaire général. Au lieu de rendre les armes, ils les enterrent, pas très profond. Que beaucoup aient cru en la constitution d'un double pouvoir ne fait aucun doute. Au Xème Congrès du parti, les délégués ont droit à de nouvelles explications: "Il s'agissait de faire la clarté sur le problème des comités locaux et départementaux de la Libération que certains présentaient dans le but de faire peur à une partie de la population comme des organismes d'un nouveau pouvoir manoeuvré par le communisme. "

 

Une situation jugée non-révolutionnaire...

 

Pour les dirigeants du P.C.F., la situation n'a rien de révolutionnaire. Ecoutons le théoricien Fajon : "Le marxisme-léninisme nous apprend qu'il faut discerner ce qui est réalisable dans une période donnée. Par exemple, les bavardages sur l'instauration du socialisme en France, à l'époque actuelle, n'ont aucun sens, ou sont le fait de provocateurs chargés de diviser les forces démocratiques." (2) Fajon se bat contre des moulins à vent. Personne ne parle d'insurrection immédiate. Et d'ailleurs, insurrection pour s'emparer de quoi ? Le pouvoir central n'est pas à prendre. Il n'existe pas. La réalité du pouvoir ce sont les organes issus de la lutte armée qui la détiennent. L'Etat bourgeois n'est pas à détruire. Il est déjà détruit, emporté dans la débâcle de la collaboration.

 

A Lyon, à Marseille, Montpellier, Limoges, (3) dans le Sud en général, il n'y a pas d'autre autorité que celle que reconnaît la Résistance. Des millions d'hommes et de femmes, attendent, non seulement la libération du territoire mais aussi celle de l'oppression sociale. "Rien ne sera jamais plus comme avant." Jamais l'aspiration des travailleurs à changer le vieux monde n'a été aussi forte. Dans une telle situation, le "marxisme-léninisme nous enseigne" que préserver l'ordre social n'est pas la meilleure chose à faire: Il est vrai que ce que Fajon sait du marxisme, il l'a puisé dans les oeuvres immortelles du petit père Joseph. Car plus les enseignements du marxisme léninisme (à cette école là, Fajon n'a jamais réussi à lire) ce sont les directions de Staline que suit la direction du P.C.F. ...

 

... Par le stratège Staline

 

Les accords de Yalta et de Postdam avaient réglé la question du partage de l'Europe et de la nature des régimes sociaux dans chaque zone. On lira ci-contre avec quel incroyable cynisme, le sort des peuples a été décidé à grands coups de crayons. Staline a tout lieu de se montrer satisfait. Les intérêts d'Etat de l'URSS sont bien suivis. Les pays du glacis, tampon pour la défense, vont fournir des matières premières à l'économie soviétique. Aussi n'est-il pas question qu'un trublion s'amuse à remettre en cause ce statu-quo. Il ne faut pas chercher plus loin l'origine de "l'hérésie titiste".

 

Cette politique de grande puissance, par dessus la tête des peuples et contre les intérêts du prolétariat mondial, Isaac Deutscher l'a parfaitement analysée et décrite: "La situation mondiale, durant l'entre-deux guerres, avait convaincu Staline qu'il avait raison sur toute la ligne en faisant abstraction du potentiel révolutionnaire du communisme étranger, et il continuait dans cette voie... Il s'efforçait, par exemple, de persuader Roosevelt que la majorité écrasante des Français était restée fidèle à Pétain.

 

"Le communisme siérait à l'Allemagne comme un tablier à une vache". C'est par cette phrase mordante qu'il exprime son opinion sur le potentiel révolutionnaire de l'Allemagne. Il conjurait les communistes français de régler leur conduite sur celle du général De Gaulle au moment où ceux-ci constituaient la force principale de la Résistance. Il enjoignait aux communistes italiens de faire la paix avec la Maison de Savoie et avec le gouvernement du Maréchal Badoglio et de voter pour la remise en vigueur des traités de Latran conclus entre Mussolini et le Vatican. Il fit tout ce qui était en son pouvoir pour inciter Mao-tsé-Toung à pactiser avec Tchang-Kaï-Check, car il croyait, comme il l'avait dit du reste à Postdam, que le Kuo-Ming-Tang, était la seule force capable de gouverner la Chine. Il sermonnait avec colère Tito pour ses aspirations révolutionnaires et exigeait que celui-ci consentit à restaurer la monarchie en Yougoslavie.

 

Coexistence pacifique...

 

Respectueux de la parole donnée à l'impérialisme devant un verre de vodka, Staline mettra tout en oeuvre pour que les zones d'influence définies soit respectées. Il laissera ainsi écraser la Révolution grecque par l'armée anglaise.

 

Pour les dirigeants français qui s'honorent d'être de bons staliniens, il n'est pas question de changer un iota à la politique de Staline. A la coexistence entre états sur le plan international, correspond la coexistence entre les partis sur le plan national. Puisque Staline ne conçoit la "Révolution sociale" qu'exportée au bout des canons de l'Armée Rouge, et puisque les aléas de la guerre et de la diplomatie secrète n'ont pas conduit celle-ci sur les bords de l'Atlantique, il est clair pour Thorez que parler de socialisme relève d'une monstrueuse utopie provocatrice: " On ne badine pas avec la Révolution. La possibilité de la prise du pouvoir insurrectionnel n'a existé que dans les cauchemars de la bourgeoisie la plus obtue. La fraction, la plus éclairée, avait, elle, compris parfaitement le rôle que le P.C.F. pouvait jouer. " La direction stalinienne n'a jamais eu à résoudre la question du pouvoir. Elle ne se l'est jamais posée...

 

... Et unité nationale

 

La stratégie du parti communiste, nous l'avons vue, va donc être d'investir les institutions bourgeoises au fur et à mesure qu'il travaille à les reconstruire, dans l'unité, pour ne pas dire l'unanimité nationale. "Nous envisageons comme la perspective la plus heureuse pour notre pays le maintien prolongé aux affaires d'un gouvernement large d'unité nationale et démocratique." Le premier parti de France, parti de gouvernement, parti "responsable", le parti communiste français espère bien faire oublier l'épithète communiste. Le caractère français national, patriotique, au contraire est hautement réaffirmé. Ce que craint par-dessus tout la direction stalinienne est de devoir faire des clivages sociaux. L'antagonisme de classes se dilue dans l'unité nationale.

 

"Nous qui sommes des communistes, nous ne formulons pas présentement des exigences de caractère socialiste ou communiste." (6) Le M.R.P., partenaire du gouvernement tripartite aurait trop peur ! "Où irions-nous si nos camarades catholiques tournaient le dos devant notre main tendue?". Participer à tous les échelons, partager le pouvoir avec les autres forces sociales, jusqu'au jour où de grignotage en grignotage, de ministères en mairies, de nationalisations en députations, la réalité du pouvoir appartenant au P.C, il suffisait d'un coup de pouce électoral. Cette stratégie de conquête par l'intérieur en s'assurant des places fortes au sein de l'Etat, est parfaitement illustrée dans le célèbre interview donné au Times par Maurice Thorez: "Les progrès de la démocratie à travers le monde, permettent d'envisager pour la marche au socialisme d'autres chemins que celui suivi par les communistes russes." Comme dirait le président Mao, c'est une longue marche... Jusqu'au virage suivant

 

Cette politique qui correspondait à une situation internationale bien particulière, en est étroitement dépendante. A mesure que vont s'aigrir les rapports entre alliés, l'unité nationale va se fissurer. Des tensions multiples apparaissent. Russes, Anglais et Américain  n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la question allemande. Les zones d'influence se figent en blocs antagoniques: la guerre froide a commencé.

 

Sous la pression américaine, - Truman vient d'exposer devant le congrès les grandes lignes de sa doctrine- les communistes sont chassés du gouvernement. Ils avaient bien rempli leur contrat: juguler la poussée révolutionnaire, restaurer la société bourgeoise. En échange, on leur avait permis d'user leurs postérieurs "prolétariens" sur des fauteuils ministériels. L'ordre social n'étant plus menacé, la récréation était terminée. Chacun retrouvait son rôle. Conclusion d'un expert qui s'y connaissait: "Dès lors qu'au lieu de la révolution, les communistes prennent le but de la prépondérance dans un régime parlementaire, la société court moins de risques." (7)

 

Le PC et les revendications ouvrières

 

La politique du parti, en matière économique et sociale, est étroitement dépendante de la façon dont il aborde la question du pouvoir. Préconisant non la conquête du pouvoir, mais l'investissement progressif des appareils étatiques, le P.C. va mettre également en pratique sur le plan économique une stratégie, les nationalisations jouant un rôle clef.

 

Lors du "Front Populaire" les dirigeants du PC s'étaient bien gardés de mettre en avant les nationalisations, de peur d'effrayer la "clientèle radicale". Son attitude va être différente à la libération. Certes, il continue d'affirmer que la nationalisation n'a rien d'une mesure socialiste, qu'il s'agit d'une vieille revendication radicale  " qu'il faudrait appliquer avec quelque cent ans de retard."

 

Cette préoccupation trouve son application dans le souci constant de ne pas troubler l'unité nationale. "Pourquoi présenter sur le plan social, comme un mot d'ordre socialiste, c'est-à-dire dans des conditions propres à ne rallier qu'une partie des Français, une mesure d'intérêt patriotique et national qui doit recueillir l'assentiment unanime du pays". (8) Voilà pour la propagande des discours dominicaux. Mais plus essentiellement, les nationalisations constituent un point fondamental de la politique stalinienne. "Les entreprises confisquées devront devenir le bien inaliénable de la nation tout entière. C'est L'Etat qui devra assurer la marche de ces usines dont les directeurs, seront alors, en effet, responsables de leur gestion, devant le pays. Alors la participation de la classe ouvrière à la gestion, au développement de la production aura sa pleine signification: Alors la classe ouvrière prendra dans la direction de l'économie la place qui lui revient."(9)

 

On ne peut être plus clair. Une économie nationalisée constitue l'étape intermédiaire vers la socialisation. Les entreprises nationalisées, gérées par les ouvriers, par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales correspondent sur la plan économique, à la gestion des affaires de l'Etat par les ministres communistes sur le plan politique. Des entreprises aux mains de l'Etat, si l'Etat est aux mains des "partis marxistes" n'est-ce pas un (grand) pas en avant vers le socialisme. Rappelons qu'aux élections législatives d'octobre 1945, parti communiste et parti socialiste ont la majorité absolue à l'Assemblée. Thorez est encore plus explicite: "A l'étape actuelle du développement de la société, nous avons la conviction que les nationalisations constituent un progrès dans la voie du socialisme." (10)

 

Le P.C.F, ne manque pas de souligner que dans les entreprises passées sous contrôle de l'Etat, Les ouvriers travaillent pour eux puisque le parti est au gouvernement. Cela permet de justifier tous les sacrifices du "Travail d'abord, revendiquez ensuite." Dès lors, on sait mieux la frénésie stakhanoviste qui s'empare du parti communiste...

 

La bataille de la production

 

Il faudrait publier une anthologie de ces textes où la direction du parti communiste découvre soudain que le marteau-piqueur du mineur devient une arme décisive de la lutte des classes. Produire, produire, produire! Que d'appels lyriques, enflammés, didactiques, menaçants, exaltés, pathétiques pour que la production augmente. On dirait que le sort du monde en dépend. "Cette tâche immense, a exigé, exige toujours beaucoup d'efforts. Comme nous n'avons cessé de le répéter, elle ne peut être l'oeuvre d'un seul parti ou de quelques hommes. Elle sera l'oeuvre de tous les Français, unis pour gagner la bataille de la production, comme ils furent unis pour gagner avec l'aide de nos alliés, la bataille de la Libération." (11)

 

En voilà une tâche exaltante. "Les lendemains qui chantent" sont vraiment pour demain. Les mineurs, tout particulièrement sont encouragés à l'effort. De la production de charbon dépend l'ensemble de la reprise industrielle. Aussi "faire du charbon" devient la forme la plus élevée du devoir de classe ».

 

Pour augmenter la production, il ne suffit pas de travailler, comme avant. Encore faut-il travailler plus et mieux. Sans cesse reviennent dans la presse du parti, des hymnes lyriques à l'augmentation du rendement individuel. Les militants staliniens vont se transformer en véritables gardes-chiourmes et remplacer avantageusement (pour le patronat) la maîtrise. Emules de Stakhanov, les dirigeants communistes citent au tableau d'honneur les travailleurs sacrifiés sur l'autel de la production. A Waziers, Thorez donne en exemple les métallos qui renoncent à leurs vacances pour fabriquer des marteaux-piqueurs.

 

"La Tribune" organe du syndicat des mineurs du Pas de Calais publie dans la rubrique "Des artisans de la Renaissance française" le nom des ouvriers qui ont augmenté le rendement. La durée du travail se ressent de cette "émulation". Une circulaire est adressée par le secrétaire d'Etat communiste au Travail, Patinaud, à ses inspecteurs pour ne pas s'en tenir à l'officielle semaine des 40 heures et recommander la semaine de 48 heures ! Les stimulants moraux ne donnent pas assez de résultats ? On va intéresser directement les travailleurs à l'augmentation de la productivité par le salaire aux pièces, les primes de rendement. "A chacun d'augmenter sa production personnelle, il augmentera du même coup son gain propre" se félicite Cogniot dans "L'Humanité". La bataille de la production trouve là son stimulant matériel.

 

"Abandonnez les idées qui ne correspondent plus à la réalité. Adoptez les méthodes modernes de production" (12) recommande Thorez aux mineurs. Les méthodes modernes de production ? L'introduction du salaire individuel lié aux normes de production individuelles. Est-ce contraire, aux "idéaux" du communisme ? Maurice Thorez rassure ses auditeurs ; " On a introduit, à côté du paiement d'équipe, le paiement individuel. Ces nouvelles méthodes, on nous accuse jadis de les avoir combattues. Oui nous étions contre elles, quand il s'agissait d'exploiter et d'accabler les mineurs. Mais nous les préconisons quand il s'agit de les appliquer avec le concours des mineurs, pour améliorer le rendement et augmenter leurs salaires."(13). Les mineurs cesseraient-ils d'être exploités par la seule vertu du verbe thorézien ?

 

La trahison des Trusts

 

Tout pour la production, mais surtout rien contre la production. Qui peut bien vouloir, au milieu de cette ferveur patriotique, entraver le développement de l'économie ? Les nostalgiques de Vichy; les "collabos" que l'on retrouve dans les conseils d'administration des trusts. Les Trusts, voilà l'ennemi. "Et maintenant où est le péril mortel pour notre pays? Il est sur le terrain de la production où les mêmes éléments qui provoquèrent la défaite, l'invasion de notre pays, poursuivent sciemment un plan de désagrégation, de désorganisation, de notre pays."(14).

 

Le but du sabotage est clair, il s'agit d'un immense complot contre la nation. Ce complot des trusts est, sans cesse évoqué, sans qu'il soit expliqué à un seul moment en quoi le patronat aurait un intérêt quelconque à la baisse de la production. Le journal des "comploteurs", "Les Echos", n'a pas l'air de se plaindre de la reprise industrielle. "Voyez l'exemple des mineurs. Le général de Gaulle et Maurice Thorez sont allés leur parler et leur ont demandé logiquement, patriotiquement, humainement de produire davantage de charbon. Je ne sais lequel des deux ils ont écouté. Peut-être les deux; toujours est-il que sans contrainte, la production de charbon a sensiblement augmenté et augmente encore." (15)

 

Diable, un patron, gaulliste, patriote, vichyssois, reste un patron. Quand la production augmente, le profit suit. Proclamer que les trusts sont contre la production, puisque la production c'est l'intérêt du peuple, c'est affirmer que le peuple, lui est pour la production, puisqu'il est contre les trusts...

 

La grève est l'arme des Trusts

 

La campagne contre le "complot des trusts" n'était qu'un dérivatif aux difficultés de la reconstruction. Mais les trusts, dans leur sombre dessein avaient un allié de choix: les fauteurs de grèves. L'impératif catégorique d'augmentation de la production aboutit logiquement à la condamnation de tout ce qui s'oppose à l'effort de reconstruction. Trusts et grèves se retrouvant ainsi dans le même sac. Qui a les mêmes buts a les mêmes mobiles. L'amalgame réalisé devient un argument de poids. "Aujourd'hui, il s'agit de produire pour assurer contre la réaction et les trusts l'avenir de la France, le triomphe de la démocratie. Ceux qui refusent l'effort aujourd'hui ou qui conseillent de s'y refuser, ceux qui parlent de grèves sont ceux qui se gardaient bien d'arrêter le travail au temps de l'occupation."(16)

 

Les patrons des trusts étant d'anciens "collabos", les grévistes complices objectifs ne peuvent qu'être d'anciens vichyssois. Lors de la grève des rotativistes en Janvier 1946, Thorez s'écrie au conseil des ministres: "Ce sont des anarchistes qui se sont déshonorés pendant la guerre! Jamais je n'ai en-tendu parler d'un ouvrier du livre qui ait refusé d'imprimer le Parizer Zeitung". De même lors de la grève des postiers d'août 1946, Monmousseau écrit dans l'"Humanité" (5 août): "Les premières informations que nous recevons, démontrent qu'une poignée d'agents répartis dans différents centres, qui sous l'occupation, collaborèrent avec Pétain sont à la base du mouvement d'indiscipline qui risque de compromettre les postiers et la C.G.T. aux yeux de la population française."

 

Pendant toute la période où il participe au gouvernement, la parti communiste ne soutiendra pas une seule grève. Bien plus, il les condamnera et les combattra avec énergie. Le ton solennel est donné par Maurice Thorez devant les mineurs de Waziers. "Ici, chers camarades, je le dis en toute responsabilité au nom du Comité Central, je le dis franchement: il est impossible d'approuver la moindre grève, surtout lorsqu'elle éclate, comme la semaine dernière aux mines de Béthune, en dehors du syndicat et contre le syndicat." A bon entendeur, salut!

 

En décembre 1945, éclate une grève des fonctionnaires. Crime de lèse-majesté: le ministre de la fonction publique est Maurice Thorez. Au conseil des ministres, il refuse de donner satisfaction aux grévistes. Les grévistes de la Presse, en janvier 46, sont condamnés car ils remettent en cause la politique gouvernementale de blocage des salaires. Pendant l'été, les postiers déclenchent une grève victorieuse malgré la fédération C.G.T. contrôlée par le P.C.F. Las ! C'est encore un complot. "Dès maintenant, l'organe des hitléro-trotskistes ne laisse aucun doute sur l'origine et les buts de la provocation." C'est un numéro spécial de la "Vérité" hebdomadaire du P.C.I. qui provoque ainsi la fureur de l'"Humanité".

 

Des exemples de cette sorte abondent: la grève sabotant la production résulte immanquablement d'un complot. Pourtant, les grèves sont nombreuses. Courtes, elles restent isolées. Minoritaires, elles sont écrasées par l'appareil stalinien. Il faudra attendre la grève de Renault, la première grande grève de l'après-guerre pour voir le P.C. tourner casaque. Encore avait-il commencé par la combattre. Mais le débordement organisé par le noyau révolutionnaire de "L'union Communiste", était trop important. A s'y opposer de front, il risquait de compromettre gravement son influence sur la classe ouvrière, seule garant de sa reconnaissance par la bourgeoisie. Et puis, nous l'avons vu, la situation internationale était en train de changer.

 

Patrick Fresnel

 


 

Annexe

 

"Le moment était favorable pour agir. C'est pourquoi je déclarai: "Réglons nos affaires des Balkans. Vos armées se trouvent en Roumanie et en Bulgarie, nous avons des intérêts, des missions et des agents dans ces pays. Evitons de nous heurter pour des questions qui n'en valent pas la peine. En ce qui concerne la Grande-Bretagne et la Russie, que diriez-vous d'une prédominance de 90% en Roumanie pour vous, d'une prédominance de 90% en Grèce pour nous et de l'égalité 50-50 en Yougoslavie." Pendant que l'on traduisait mes papiers, j'écrivais sur une demi-feuille de papier: Roumanie: Russie 90%, les autres 10%. Grèce: Grande-Bretagne 90% (en accord avec les U.S.A.), Russie 10%. Yougoslavie: 50-50. Hongrie: 50-50. Bulgarie: Russie 75% les autres 25.

 

Je poussai le papier devant Staline à qui la traduction avait alors été faite. Il eut un léger arrêt. Puis il prit son crayon bleu, y traça un gros trait en manière d'approbation et nous le rendit. Tout fut réglé en moins de temps qu'il ne faut pour le dire... Il y eut ensuite un long silence. Le papier rayé de bleu demeurait au centre de la table. Je dis finalement: "Ne trouvera-t-on pas un peu cynique que nous ayons l'air d'avoir réglé ces problèmes dont dépend le sort de millions d'êtres d'une façon aussi cavalière? Brûlons ce papier." " Non, gardez-le" dit Staline. ". Churchill, mémoires, (cité dans "La République des Illusions" G.ELGEY)

 


 

Notes :

 

(1) Jacques Duclos: "L'Humanité clandestin ", Décembre 1943.

(2) Etienne Fajon discours au Xème Congrès du P.C. 30 juin 1945.

(3) Voir dans "C.R.S. à Marseille", témoignage d'Aubrac, commissaire du gouvernement.

(4) Isaac Deutscher "La Russie après Staline"

(5) Maurice Thorez rapport au Xème Congrès d P.C. 26 juin 1945

(6) idem

(7) De Gaulle mémoires.

(8) Etienne Fajon cahiers du communisme Février 1945.

(9) Benoît Frachon cahiers du communisme Novembre 1944.

(10) Maurice Thorez interview au Times.

(11) Maurice Thorez discours public à Rouen août 1946.

(12) Maurice Thorez discours aux mines de l'Escarpelle 27 mars 1946.

(13) Maurice Thorez discours à Auby 1er Mai 1946.

(14) Maurice Thorez discours au Xème Congrès, 30 Juin 1945.

(15) "Les échos " 14 Septembre 1945.

(16) Maurice Thorez discours à Valenciennes 2 Décembre 1945.

Voir ci-dessus