Fiscalité et Europe. Le casse social
Par Eric Lacombe le Vendredi, 20 Octobre 2006 PDF Imprimer Envoyer

Un des principaux leviers des politiques budgétaires étant la fiscalité, on aurait pu s'attendre à une harmonisation fiscale au niveau européen. Or il n'en est rien.

Aujourd'hui, dumping fiscal et criminalité financière règnent. Les économies des pays membres de l'Union européenne (UE) sont de plus en plus interdépendantes, la très grande majorité de leurs échanges internationaux étant réalisée au sein de l'Union. Tout est fait afin de s'assurer que "la concurrence n'est pas faussée dans le marché intérieur" (article 3 du traité des communautés européennes).

C'est ainsi que peuvent circuler librement capitaux, marchandises et services au nom de la sacro-sainte liberté d'investir. C'est dans ce cadre qu'ont été mises en place "des dispositions touchant à l'harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, aux droits d'accises [taxes sur les alcools, le tabac, l'essence] et aux autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur" (article 94). On ne saurait être plus clair: la seule harmonisation fiscale concerne les marchandises, au nom de la liberté du commerce et du profit. Exit les droits sociaux ! L'encadrement des politiques budgétaires des Etats membres entraîne partout compression des dépenses sociales, privatisations et déréglementation.

Les droits de douanes entre Etats membres ont été supprimés. Les taux de TVA ont été encadrés et un "régime transitoire" de TVA intracommunautaire, mis en place en 1993, est toujours en vigueur : abolition du contrôle aux frontières entre Etats membres, vente hors taxe au départ d'un Etat membre et taxation du bien dans l'Etat d'arrivée. Toujours en matière d'harmonisation, on peut citer la timide tentative relative à la taxation des produits de l'épargne. Au travers d'un accord, les Etats membres ont décidé de taxer à partir de 2004 les intérêts perçus par les Européens qui ont placé de l'argent à l'étranger. Mais cet accord ne concerne pas tous les pays de l'UE, notamment ceux chez qui le secret bancaire est roi, comme le Luxembourg.

Le budget européen a été multiplié par plus de six en vingt ans (110 milliards d'euros en 2002). Il est financé, entre autres, par les droits de douane (perçus sur les marchandises entrant dans l'Union) et par un pourcentage de la TVA collectée par chacun des Etats. La fiscalité est un des principaux leviers des politiques budgétaires, alors pourquoi l'harmonisation fiscale est-elle en panne?

Dumping fiscal...

La fiscalité, comme les salaires ou les droits des travailleurs, est un des éléments de la concurrence à laquelle se livrent les capitalistes. La concurrence fiscale est la règle entre pays de l'Union, chacun tentant d'attirer les grandes entreprises, au motif qu'une pression fiscale trop élevée amoindrirait leur compétitivité. Or ce moins-disant fiscal signifie une diminution des ressources des Etats et des moyens dont ils disposent pour satisfaire les besoins des populations, ainsi qu'une évasion fiscale de ceux qui peuvent se le permettre (hauts revenus, capital). On comprend, dans ces conditions, le peu d'empressement à harmoniser l'impôt sur les bénéfices des sociétés, par exemple. D'autant que toute mesure nouvelle est subordonnée à l'unanimité des Etats, ce qui permet à ceux qui sont dotés d'une fiscalité faible de bloquer toute tentative d'amélioration.

Cette forme de dumping a pour conséquence la tendance à la baisse des impôts directs et, parallèlement, à la hausse des impôts indirects. Les taux de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés sont à la baisse pendant que ceux de la TVA augmentent. En clair les bénéfices des entreprises et les hauts revenus sont épargnés, tandis que les salariés consommateurs sont matraqués, la TVA étant l'impôt socialement le plus injuste. Elle frappe proportionnellement davantage les titulaires des plus bas revenus qui consomment intégralement ce qu'ils gagnent, alors que les plus riches peuvent épargner et que la TVA ne s'applique pas aux produits de l'épargne.

... et criminalité financière

La libre circulation des capitaux et des marchandises, l'affaiblissement des contrôles au nom des simplifications administratives, le manque de moyens et de coopération entre les administrations (fisc, douanes, justice) ont permis l'essor de vastes fraudes : TVA intracommunautaire (estimée à 70 milliards d'euros, soit 21 % des recettes des Etats membres, voir le rapport n° 9/98 de la Cour des comptes européenne), droits d'accises (contrebande de cigarettes), contrefaçon, montages financiers frauduleux. Un numéro entier de Rouge ne suffirait pas à en décrire les formes et mécanismes.

Cette délinquance économique et financière, constitutive du capitalisme et de la liberté de marché, utilise les paradis fiscaux. Il ne s'agit pas seulement de quelques îles paradisiaques, mais de véritables paradis fiscaux en plein coeur de l'Europe, champions de l'opacité et de taux d'imposition particulièrement bas. Cette fraude ampute l'autonomie budgétaire des Etats et s'effectue au détriment des plus démunis: ce qui est fraudé par les uns (les entreprises, les mafias) sera payé par les autres (les salariés).

Une autre fiscalité, pour une autre Europe

Pour construire une Europe sociale, des mesures d'urgence s'imposent dans tous les Etats membres :

- l'unification d'un taux européen d'impôt sur les sociétés et sur les revenus du capital ;

- l'instauration d'un taux zéro de TVA sur les produits de première nécessité ;

- le développement de la coopération entre services fiscaux, douaniers et de justice et des moyens dont ils disposent ;

- la levée du secret bancaire dans tous les pays sur demande de la justice et le contrôle et la transparence des circuits financiers.

Bien d'autres pistes existent. Bien plus que de faire un catalogue, l'essentiel est d'avoir la volonté politique de mettre ces mesures en place.

Voir ci-dessus