La justice joue avec le feu : la condamnation de Dyab Abou Jahjah et Ahmed Azzuz
Par Luk Vervaet, Dyab Abou Jahjah le Jeudi, 03 Janvier 2008 PDF Imprimer Envoyer

Au jour d’aujourd’hui en Belgique, vous pouvez être condamné pour ce que vous avez fait de mal, mais aussi pour ce que vous n’avez pas fait. Dyab Abou Jahjah en Ahmed Azzuz viennent d’être condamnés, ce vendredi 21décembre à un an de prison ferme et à payer plus de 5.000 euros de dédommagements à la partie civile (Ethias) parce qu’ils auraient “excité les jeunes” lors des incidents de Borgerhout en 2002, mais aussi parce qu’ils n’ont pas “utilisé leur influence pour calmer les jeunes”! Si demain vous voulez organiser une manifestation, vous voilà prévenu…(dans les deux sens du terme!).

Mais même dans le cas où vous n’auriez pas organisé une manifestation, et que vous vous joignez, tout comme Dyab, à une manifestation spontanée et si vous essayez, avec le charisme qui vous est propre, à la maintenir dans certaines limites – dans ce cas-ci, ils’agissait de l’orienter vers une endroit de prières – alors vous serez jugé responsable de tout ce qui s’est mal passé avant votre arrivée sur le lieu de la manifestation!

 

La justice joue, littéralement, avec le feu

 

Sur le plan juridique, d’abord, en condamnant les activistes de la Ligue arabe européenne (LAE) avec une ancienne loi de 1886 contre le mouvement ouvrier, et haïe par celui-ci. Sur le plan politique, ensuite, elle donne un dangereux signal pour le futur et pour les jeunes des quartiers populaires. Précisément le type de signal politique qui pourrait réserver quelques mauvaises surprises à toute la société dans les années à venir.

 

Tout d’abord, les “émeutes de Borgerhout” de 2002 n’ont pas été considérées par le tribunal comme l’occasion de donner un signal fort sur l’origine de ces incidents, à savoir un meurtre raciste. Le tribunal ne s’est penché que sur les incidents eux-mêmes et cloue au pilori la réaction des jeunes ainsi que la seule organisation de l’immigration présente à ce moment. Pourtant, en 2002 et depuis, le problème, c’étaient et cela reste bien les nouveaux meurtres racistes, et non la LAE ou Dyab Abou Jahjah.

 

Ensuite, ce jugement ne peut être interprété indépendamment des révoltes des jeunes, ici ou dans d’autres pays européens. En novembre 2005, des autos, des entreprises et des écoles ont brûlé pendant des semaines dans les banlieues françaises après la mort de Zyed (17 ans) et de Bouna (15ans). Deux ans plus tard, Paris connaissait une nouvelle explosion de violence à Villiers-le-Bel après la mort de Mouhsin (15 ans) et de Larami (16 ans). En octobre 2007, c’était au tour d’Amsterdam de connaître une semaine d’incendies nocturnes après la mort de Bilal (22 ans) dans un bureau de police.

 

Comparée à ces événements, la réaction des jeunes d’Anvers au meurtre raciste du professeur de religion islamique, Mohamed Achrak (27 ans), était peu de choses. Mais le verdict du 21 décembre 2007 pourrait bien faire changer les choses. Car si les incidents de Borgerhout n’ont pas connu l’ampleur de ceux de Paris ou d’Amsterdam, c’est précisément grâce à l’intervention publique des activistes de la LAE. Ce qui caractérise les révoltes de Paris ou d’Amsterdam, c’est précisément l’absence de toute direction organisationnelle ou de vision politique sur l’émancipation des communautés issues de l’immigration. Ce sont précisément ces éléments que la LAE tentaient d’apporter en canalisant, sur le moment même, la colère des jeunes vers une mosquée, et en proposant pour le plus long terme une vision globale d’émancipation. Eux seuls en étaient capables auprès de ces jeunes à ce moment précis, et c’est pour cela qu’ils reçoivent aujourd’hui un an d’emprisonnement !! Ce n’est ni plus ni moins qu’un encouragement à la jeunesse à réagir la prochaine fois selon les méthodes de guérillas sur le modèle parisien ou néerlandais.

 

Enfin, il y a aujourd’hui fort à faire sur l’épouvantail des“fondamentalistes islamiques”. Dyab Abou Jahjah n’est ni un extrémiste religieux, ni un partisan d’Al Qaida. Loin de là. La condamnation de Dyab est la condamnation d’un homme qui a soutenu les jeunes des quartiers populaires dans leur quête de dignité, de self-respect et de prise de conscience. Il a braqué leurs yeux sur la défense de leurs droits et de ceux des peuples arabes. Et quiconque travaille aujourd’hui dans une prison sait à quel point ces questions sont fondamentales dans la lutte contre la petite criminalité, une violence parfois aveugle et une identité vacillante. La condamnation de Dyab est un coup dur pour tous ceux qui travaillent dans cette perspective. Elle risque de laisser libre jeu à d’autres forces, pourvues d’une toute autre logique,une logique destructive. Au moment où la Belgique vient de se doter d’un gouvernement provisoire, après six mois de combats communautaires entre Flamands et Wallons, un message positif de réconciliation et de paix à l’égard de la communauté belgo-arabe et de ses jeunes eût été le bienvenu.

 

En lieu et place, c’est un cocktail molotov que la justice leur envoie.

 

Luk Vervaet, enseignant


 

Un autre scandale en Belgique : un an de prison pour Abou Jahjah et Azzuz

 

Une fois de plus, la Belgique a démontré qu’elle est un modèle de république bananière européenne, manquant par-dessus tout d’indépendance judicaire, une chose sans laquelle aucune démocratie ne peut fonctionner proprement. Aujourd’hui, le juge de la cour correctionnelle d’Anvers a rendu un verdict politique, condamnant Ahmed Azzuz et moi-même à un an de prison pour notre prétendue implication dans les émeutes qui ont eu lieu il y a 5 ans après la mort de Mohamed Achrak. Nous rejetons cette sentence et nous pourvoirons en appel.

 

Un détail intéressant dans toute cette mascarade est que la cour est retournée à une loi du XIXème siècle, utilisée pour réprimer les mouvements ouvriers belges de l’époque menés par le fameux prêtre rebelle Adolf Daens, et a utilisé cette loi contre nous près de deux siècles plus tard. Ce faisant, la Belgique est retournée au temps de la dictature et de la répression.

 

S’ils croient que cela nous effrayera ou nous éloignera du pays, ils seront déçus. Je serai présent à la session d’appel, purgerai ma peine et ne me déroberai pas. Mais une chose est sûre : je ne manquerai pas de dénoncer cette répression pour ce qu’elle est, un acte flagrant de dictature.

 

Le fait que notre rôle à été diamétralement opposé à ce que prétend la cour rend ce verdict plus douloureux encore et illustre bien le naufrage de la démocratie belge. Ce n’est rien d’autre qu’un châtiment politique travesti en décision judicaire, et si cette sentence est maintenue par la cour d’appel et exécutée, la Belgique aura deux prisonniers politique derrière les barreaux pour avoir exprimé une opinion dissidente.

 

Néanmoins, nous irons en appel et attendrons de voir s’il reste un peu d’indépendance judicaire en Belgique. Peut être la cour d’appel sera-t-elle plus difficile à manipuler politiquement, et rendra la justice en ne se contentant pas d’annuler ce verdict mais en ordonnant également que nous soyons dédommagés pour toutes les diffamations et les épreuves que nous ont infligé l’état belge depuis 2002. Comme je l’ai déjà dit, c’est un procès contre la LAE en tant que mouvement et contre le mouvement d’émancipation des communautés arabo-musulmanes d’Europe, et un coup porté à tous ceux qui critiquent le système.

 

La lutte continue.Dans la solidarité,

 

Dyab Abou Jahjah.

(Traduction de l'anglais: LCR-Web)

 

Voir ci-dessus